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Platon

Platon est un philosophe grec,  né en 427 av. J.-C. (ou troisième année de la 87e olympiade) à Athènes ou dans l'île d'Egine, alors soumise aux Athéniens.  Il étudia la musique et les mathématiques; en philosophie, il subit d'abord l'influence des Sophistes, avant de devenir le disciple et l'ami de Socrate. Après la mort du maître, il entreprit une série de voyages en Méditerranée. De retour à Athènes, il s'occupa d'enseignement et fut notamment le maître d'Aristote. Il alla faire un séjour en Sicile, où il espérait voir appliquer par Denys ses théories politiques. Il est l'auteur de magnifiques dialogues : Criton, l'Apologie de Socrate, Phédon, Timée, Phèdre, Gorgias, le Banquet, Théétète, la République, les Lois, etc.
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Platon.
Buste de Platon.
(Musée de Berlin).

La philosophie de Socrate était restée dans les limites de la discussion morale, Platon reprit le problème des anciens philosophes dans toute sa généralité, et l'objet de ses spéculations fut de rechercher et de découvrir les principes de toute existence. A l'encontre des Sophistes et de Protagoras, qui niaient la certitude en disant que tout n'est qu'apparence, il prétendit montrer qu'il y a une science de l'universel, et contre les Mégariques qui soutenaient que l'unité seule existe et qu'il n'y avait pas de relation entre les idées et, par suite, pas de jugements possibles, il défendit l'existence d'une hiérarchie d'êtres multiples ou d'idées et la possibilité du jugement. Dans son système, la logique, la métaphysique et la morale sont inséparables. La logique ou dialectique prépare l'esprit à la connaissance réelle des principes des choses, la métaphysique consiste dans la connaissance de ces principes ou des idées, et la connaissance du vrai inséparable du bien et du beau engendre les belles et bonnes actions.

Le platonisme est le premier système complet de philosophie spiritualiste. La méthode du platonisme est la dialectique, qui consiste à éliminer les différences des individus pour aller à leurs ressemblances, et qui aboutit aux idées auxquelles participent les individus particuliers. Ces idées forment une hiérarchie, au sommet de laquelle est l'idèe supérieure, l'idée du Bien ou du Divin même. Les doctrines platoniciennes, associées à la métaphysique chrétienne, ont été reprises par saint Augustin et Malebranche.

La vie de Platon

Né soit à Athènes, soit à Egine (où son père aurait eu une cléroulquie, pendant la domination athénienne), le 7 thargélion (en mai) en 427 (plutôt qu'en 429) av. J.-C., mort en 348 ou 347, Platon fut fils d'Ariston, qui faisait remonter sa généalogie à Codrus, le dernier des rois, et de Périctioné, laquelle descendait d'un frère de Solon. Le nom qu'il a rendu si célèbre serait un surnom, signifiant la largeur de ses épaules (platys =  large) que lui aurait donné son maître de palestre; ses parents l'avaient appelé Aristoclès. 

Il eut deux frères, plus âgés que lui, Adimante et Glaucon, une soeur Potone, qui fut mère de son disciple et successeur Speusippe, enfin (d'après le Parménide) un frère utérin, Antiphon, fils de Pyrilampès et de Périctioné. La fortune de sa famille répondait suffisamment à sa noblesse pour que Platon ait certainement reçu l'éducation la plus libérale, mais les noms de ses maîtres de grammaire, de gymnastique et de musique ne paraissent pas avoir été conservés par une tradition authentique, et la plupart des détails relatifs à son enfance et à sa jeunesse sont également suspects. 

Petit-neveu, par sa mère, de Critias (le principal des trente tyrans), et neveu de Charmide, qui fut également l'un des chefs du parti aristocratique vaincu en 400, Platon ne devait jamais prendre une part active aux affaires politiques, comme essaya de le faire, sans succès du reste, au moins son frère Glaucon.

Il s'occupait de poésie (aucun des vers qui lui ont été attribués ne peut toutefois être considéré comme authentique). Il fréquenta aussi très tôt l'école des Sophistes et abordé, sous les auspices de Cratyle, les doctrines d'Héraclite. Mais ces doctrines ne pouvaient guère convenir à un esprit qui cherchait, avant tout, la fixité de la science dans les fluctuations du doute. Les idées des Ioniens et les systèmes des Eléates ne le satisfaisaient pas davantage. Vers l'âge de 20 ans il finit par s'attacher à Socrate dont il allait être le disciple assidu pendant dix ans. Lors du procès de son maître (399), il se porta inutilement, avec trois autres, caution pour une amende de 30 mines. 

A la mort de Socrate (400), dont il adopta et élargit le plan d'études, il quitta Athènes avec ses condisciples, et se rendit, avec quelques autres socratiques, d'abord à Mégare, auprès d'Euclide qui fonda l'école mégarique. Il quitta même la Grèce. On le fait aller à cette époque suivre à Cyrène les leçons d'un disciple de Protagoras, le géomètre Théodore (personnage du Théétète) qu'il a beaucoup plutôt entendu à Athènes avant 400. On a voulu aussi aussi, sans raison objective, lui prêter une visite en Égypte (où il se serait fait, dit-on, initier aux mystères de la doctrine hermétique), et suivant quelques Pères de l'Église, il serait même allé en Perse pour s'aboucher avec les Mages (Zend-Avesta), bien qu'il n'en fasse lui-même aucune mention. On n'est pas non plus obligé d'y croire.

Quant à son voyage dans la Grande-Grèce, où il put entrer en relations avec Archytas, mais non pas avec les pythagoriciens de la génération précédente, ce voyage dut précéder immédiatement sa première excursion en Sicile que l'on ne peut guère placer avant 390, et l'on peut douter que Platon ait prolongé pendant dix à douze ans son absence d'Athènes.

En tout cas, à Syracuse, il contracta une durable amitié avec Dion, neveu du tyran Denys l'Ancien; mais il s'attira par sa franchise la colère de Denys l'Ancien qui le fit vendre comme esclave et le fit embarquer sur une galère lacédémonienne. Débarqué à Egine (en tout cas avant la paix d'Antalcidas, 387) et reconnu pour Athénien, il fut mis en vente comme esclave et ne put rentrer dans sa cité que grâce à l'obligeance d'Annicéris, philosophe de Cyrène (Ecole Cyrénaïque).

Dans ses voyages, Platon avait probablement dépensé une forte partie de son patrimoine (son testament, en faveur d'un fils de son frère Adimante, indique qu'il avait seulement une honnête aisance); il put donc accepter, pour des occasions exceptionnelles, quelques libéralités de son ami Dion; ce serait notamment avec l'argent offert par ce dernier pour indemniser Annicéris que Platon aurait acheté, dans un faubourg d'Athènes, près du gymnase d'Académus (nom dont dérivera celui d'Académie donné à l'école platonicienne), un petit jardin, où il éleva une chapelle aux Muses et des portiques, pour procurer à ses amis et disciples un lieu de réunion privé, en dehors des allées du gymnase public, dont il fit le théâtre de l'enseignement qu'il ouvrit. Cette école devint rapidement célèbre, et resta extrêmement florissante jusqu'à la fin de sa vie. Elle fut fréquentée partout ce que la Grèce renfermait de plus distingué : on compte au nombre des disciples de Platon : Aristote, Speusippe, Xénocrate Isocrate et même des femmes, telles que Lasthénie et Axiothée. 
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Platon quitta cependant encore Athènes deux fois pour aller en Sicile : d'abord, vers 368, après l'avènement du jeune Denys; Dion lui faisait espérer que le nouveau tyran de Syracuse pourrait être gagné à ses idées politiques, et le philosophe tenta l'aventure qui n'aboutit pas, quoique Denys lui donnât des preuves d'estime sérieuse. Mais le tyran, jaloux de Dion, se brouilla avec celui-ci et l'exila; Platon se trouva dans une situation difficile et revint à son tour à Athènes. 

Vers 361, il voulut essayer de son influence personnelle sur Denys pour amener une réconciliation entre lui et Dion; mais il échoua, et l'année suivante Dion renversait le tyran, pour périr lui-même peu après, victime d'un assassinat. Platon se confina désormais dans son rôle purement philosophique; mais la vieillesse ne ralentit pas son activité; à quatre-vingts ans, il écrivait encore, mettant la dernière main à ses Lois, qu'il n'eut pas le temps de publier lui-même. 

En somme, les contemporains de Platon ne paraissent avoir laissé sur son compte que des témoignages historiques assez vagues, et où déjà l'envie (chez Aristoxène, par exemple), mêlait sa voix à celle de l'admiration; nombre de fictions et d'anecdotes controuvées vinrent plus tard, de sources opposées, combler les lacunes de la tradition. Mais elles ne donnent, pour le caractère de Platon, aucun trait qui doive s'ajouter à ceux que fournissent ses écrits, et c'est d'après son oeuvre seule que Platon doit être jugé, non seulement comme philosophe, mais encore comme homme. D'autre part, les événements de sa vie, tels que nous les connaissons, n'offrent en réalité que très peu de points de repère pour dater les évolutions de sa pensée et les phases de son activité littéraire. 

Sa biographie ne permet nullement de répondre à deux questions capitales : Comment, et à quelle époque Platon a-t-il acquis cette profonde connaissance de la philosophie antérieure qui le caractérise et que Socrate, semble-t-il, ne pouvait guère lui procurer? A quel moment de sa vie a-t-il commencé à composer des dialogues et à les publier?

Influences philosophiques sur Platon

Avant d'aborder l'oeuvre et la pensée proprement dite de Platon, nous devons examiner une des questions que sa biographie laisse indécise, à savoir celles des influentes qui ont été exercées sur lui. Dans cette question  très complexe, un point est absolument clair; il cherche à concilier la conception d'Héraclite du monde comme un devenir, avec la doctrine éléate, que l'être, en tant qu'être, est immuable; mais pour se proposer un tel but, il n'avait certainement besoin que d'être renseigné sur les deux thèses. Cratyle, qui l'initia, dit Aristote, à la première, ne semble pas lui avoir laissé un assez bon souvenir pour qu'on doive supposer qu'il ait exercé sur lui plus d'action que n'en pouvait faire la lecture de l'ouvrage d'Héraclite; de même, pour les Eléates, Platon avait évidemment lu les écrits de Xénophane, de Parménide et de Zénon; il n'a pas eu à chercher un maître. Un second point au contraire, la nature exacte de l'influence de Socrate n'est éclairée que d'une demi-lumière; deux autres enfin sont profondément obscurs : la nature des emprunts faits par Platon aux Pythagoriciens; l'origine des dialogues dits mégariques.

Socrate. 
Pour préciser exactement l'influence de Socrate sur Platon, il faudrait avoir une connaissance certaine de l'enseignement de ce maître or la question socratique est encore beaucoup plus sujette à controverse que la question platonicienne. 

Si l'on admet que Xénophon est un témoin plus digne de foi que Platon en ce qui concerne Socrate, il est bien difficile d'admettre, ainsi qu'il le fait d'autre part, que Platon ait commencé à écrire immédiatement après la mort de Socrate, ou même dès auparavant. Le Socrate des premiers écrits de Platon, et cela est particulièrement accusé dans l'Apologie, fait profession de ne rien savoir; il ne tire pas de conclusions, il se borne à démolir les thèses qui lui sont proposées, en laissant tout au plus percer ses tendances. Un peu plus tard, il amènera ses interlocuteurs à découvrir d'eux-mêmes tout ou partie de la vérité; il fera l'accoucheur (méthode maïeutique). Mais cette image célèbre est évidemment une invention de Platon lui-même, dans un dialogue, le Théetète, de date peut-être assez avancée, et il n'a modifié sa première position qu'après avoir, grâce à elle, montré par l'ironie dialectique l'insuffisance de l'induction socratique, telle qu'on la trouve pratiquée dans Xénophon, c.-à-d. telle que s'en servaient Antisthène et ses autres condisciples.

Dans l'hypothèse admise, que ces premiers auteurs de dialogues aient fidèlement suivi les procédés du maître, il est tout à fait invraisemblable que Platon ait pris de très bonne heure une position aussi tranchée et aussi caractéristique que celle de ses débuts philosophiques. Il est, à la vérité, parfaitement permis de croire, même contre l'opinion courante de l'Antiquité, que les premiers dialogues de Platon rendent fidèlement le caractère véritable d'une partie au moins des entretiens de Socrate; mais il faudrait alors ne tenir à peu près aucun compte de Xénophon et reconstruire tout autrement qu'on ne le fait d'ordinaire la figure du maître. Or, dans cette voie, on est plutôt conduit à une troisième hypothèse, que Platon et Xénophon aient également déformé les entretiens socratiques; c.-à-d. qu'on tombe dans l'incertitude à peu près complète.

En résumé, Socrate a exercé sur Platon une influence morale dont il est inutile de rappeler les preuves; il l'a formé et exercé à la dialectique; mais l'élève qui a su manier cette arme avec tant d'adresse, ne l'a-t-il pas perfectionnée, c'est ce qu'il est aussi difficile d'affirmer que de ne pas croire. Insistons seulement sur ce point que l'induction socratique ne doit pas être considérée comme ayant été la base de la doctrine des idées; Socrate semble seulement avoir cherché des définitions dans un but dialectique pour établir une base fixe, admise de part et d'autre dans une discussion, ou pour critiquer, s'il le juge nécessaire, le point de départ proposé par l'adversaire; il est peu probable qu'il attribuait une valeur scientifique à ses énoncés, fondés sur l'application des conventions de langage existantes à des exemples fournis par l'expérience vulgaire. La théorie des idées a pour objet de concilier, comme nous l'avons indiqué, le flux des phénomènes avec la permanence assignée à l'être par les Eléates; mais tandis que les philosophes du siècle précédent avaient cherché cette conciliation dans le domaine du sensible, Platon transporta le premier la question dans la sphère de la transcendance.

Les Pythagoriciens.
Si nous ne pouvons préciser exactement l'influence sur Platon d'un maître qui n'a pas écrit, nous le pouvons encore bien moins pour une école dont notre philosophe a certainement connu des adeptes, mais dont la doctrine ne nous est parvenue que par des sources postérieures à lui et dérivant principalement d'un de ses disciples, Héraclide du Pont, et d'un de ses adversaires, Aristoxène, c.-à-d. de deux auteurs dont le moindre souci a été la vérité historique.

Platon a évidemment fait une large part, dans sa construction de la science, aux mathématiques pythagoriciennes; mais que la formule « les choses sont nombres » l'ait conduit à la doctrine des idées, c'est ce qu'il est bien difficile de croire, malgré l'affirmation d'Aristote; car le sens énigmatique de cette célèbre formule n'a probablement pris un caractère métaphysique qu'après la publication de la théorie fondamentale de Platon. Aristote a pu s'y tromper d'autant plus que Platon lui-même était parfaitement homme à attribuer ou laisser attribuer, sans protester, aux sages d'Italie le pressentiment de sa doctrine. Mais la vérité est que les opinions pythagoriciennes sur cette matière, telles que nous les connaissons, sont (y compris les fameux fragments de Philolaus) plus ou moins contaminées de platonisme et qu'elles peuvent dériver de spéculations faites dans le cercle de l'Académie et dont une partie a été attribuée à Platon lui-même (plus loin, les nombres idéaux). Ainsi, au lieu de dire, comme on l'a fait, que Platon, vers la fin de sa carrière, eut une tendance à pythagoriser de plus en plus, il serait peut-être plus exact de dire que le pythagorisme, en tant que métaphysique, n'a commencé qu'après Platon, qu'il a été tiré de ses écrits, de ceux de Speusippe et autres premiers académiciens, a défaut d'oeuvres authentiques remontant aux vrais disciples de Pythagore

Que Platon, d'autre part, ait adopté, au moins comme mythe utile, la doctrine religieuse de la transmigration des âmes, on le sait de reste; mais il peut très bien y avoir été amené de lui-même, parce que cette doctrine, permettant la thèse de la réminiscence, facilitait la propagation de sa théorie des idées, et que, d'un autre côté, elle donnait une satisfaction suffisante à ses besoins moraux. En somme, suivant la conception historique que l'on se fait du pythagorisme, on peut être amené à accroître démesurément l'influence de cette école sur Platon, ou au contraire à la réduire presque à néant, au point de vue strictement philosophique du moins. Car sous le rapport scientifique et même politique, cette influence fut incontestablement très grande, sans qu'on doive cependant l'exagérer, ainsi que nous l'avons déjà indiqué.

Les Mégariques.
Reste la question de la prétendue période mégarique, à laquelle nous avons aussi déjà dû faire allusion. On sait le fait d'un séjour de Platon chez Euclide, séjour dont on ignore d'ailleurs la durée; on a relevé la circonstance que c'est à Euclide (peut-être simplement comme signe particulier d'amitié), que se trouve, pour ainsi dire, dédié le dialogue du Théétète, dont la date réelle reste controversée, malgré tous les efforts faits pour la déterminer. En tout cas, Platon lui-même a rattaché à ce dialogue la trilogie que devait former, avec le Sophiste et le Politique, un dialogue, non écrit, du Philosophe, que le Parménide semble remplacer pour nous. C'est dans ces dialogues que Platon se serait définitivement dégagé de l'influence mégarique, en critiquant les doctrines de cette école. Mais les deux faits avérés sont évidemment insuffisants pour établir qu'Euclide ait exercé une influence sérieuse sur Platon. 

Quant aux doctrines de l'école de Mégare, la vérité c'est qu'on ne les connaît par aucun document précis, sauf quelques indications d'Aristote, tout à fait insuffisantes; on les a reconstruites en partant de l'hypothèse que les « amis des idées », dont il est parlé dans le Sophiste, sont les Mégariques. Il est clair qu'il y a là un cercle vicieux, et il est au moins aussi plausible de soutenir que la thèse qui est attribuée à ces « amis des idées », à savoir qu'elles seraient absolument immuables, étrangères à toute vie, toute action et tout mouvement, que cette thèse, donc, n'est autre que celle que l'on pouvait déduire de la République et que Platon veut désormais corriger. En tout cas, il est difficile de concilier l'hypothèse d'une influence mégarique avec l'assertion formelle d'Aristote, qui présente Platon comme unique auteur de la théorie des idées, et ne trouve de similitude, pour cette théorie, qu'avec la doctrine pythagoricienne. L'hypothèse en question devrait donc être limitée à représenter Euclide comme un Eléatique pur, qui agit comme tel sur Platon héraclitisant, tandis que Platon aurait réagi en faisant adopter par Euclide la doctrine des idées, au moins considérées comme immuables. Mais une pareille hypothèse est au moins inutile pour expliquer le développement de la pensée platonicienne

En résumé, Platon nous apparaît comme un penseur à l'esprit exceptionnellement large et ouvert et en même temps profondément original; peut-être aucun autre philosophe n'a réuni au même degré ces deux qualités; mais il est évident qu'elles ne s'excluent pas. La facilité avec laquelle Platon s'assimilait les doctrines étrangères nous est attestée par le caractère dramatique qu'il a su donner à ses dialogues; et cette facilité même doit faire croire qu'il n'était pas homme à subir une influence philosophique profonde. Des doctrines d'autrui, il saisit aussitôt le fort et le faible, et il ne les conserve que pour en faire une synthèse qui est son oeuvre propre, et où elles ont disparu.

Les oeuvres de Platon

Platon a laissé un grand nombre d'écrits; ils sont presque tous rédigés sous la forme de dialogue et Socrate y joue le principal rôle. La composition de ses dialogues authentiques correspond à trois époques de sa vie. Nous suivrons dans ce qui suit l'ordre adopté par Léon Robin (1866-1947) dans l'édition de la Pléiade.
• Dans la première période, où il est encore sous l'influence directe de Socrate, Platon écrit notamment le Protagoras, l'Apologie de Socrate (Texte en ligne), le Criton, l'Euthyphron  et le Gorgias.

• Dans la seconde, Platon établit et expose sa doctrine. on citera parmi les oeuvres de cette période  le Ménon, le Cratyle le Banquet, le Phédon, la République.

• Dans la troisième période, il est en pleine possession de ses idées et il unit à la rigueur dialectique la grâce et l'éclat de la poésie. Platon compose en particulier : le Phèdre, le Théétète, le Parménide, le Sophiste, le Politique,  le Timée, le Critias, le Philèbe  et les Lois.

Les dialogues dits socratiques.

Le Petit Hippias et le Grand Hippias.
Deux dialogues de Platon portent le titre d'Hippias. Leur authenticité, souvent contestée, est aujourd'hui admise. Le premier Hippias, sous la forme d'un entretien entre Socrate et Hippias, traite de la nature du Beau. Tout en raillant le sophiste de ses prétentions, et en lui reprochant son amour de l'argent, Socrate réfute les fausses théories des poètes, des philosophes et des Sophistes, sur la nature du Beau. Platon s'en tient ici à cette critique négative, tandis que, dans le Banquet et le Phèdre, composés plus tard, il développera ses idées personnelles. Le second Hippias est tout entier dirigé contre la sophistique.

Ion ou de l'Enthousiasme poétique (ou Sur l'Iliade).
L'Ion est peut être une première critique juvénile de l'inspiration poétique, opposée à la philosophie. L'entretien du rhapsode Ion et de Socrate a pour objet de montrer que le rhapsode qui est l'interprète du poète, comme le poète est l'interprète de la muse, ne doivent leurs succès ni à l'art ni à la science, mais à une inspiration divine, au souffle d'un délire poétique envoyé par les dieux, et dont ils sont possédés plutôt qu'ils ne le possèdent. La poésie est donc chose inférieure à la science et à la philosophie

Protagoras ou les Sophistes.
Protagoras est l'un des plus vivants et des plus charmants dialogues de Platon. Il semble réunir avec une parodie, aussi sérieuse qu'amusante, des différentes formes de l'enseignement sophistique, les principales thèses éparses dans les dialogues socratiques. Son objet est la satire des sophistes qui prétendaient enseigner la vertu. Protagoras vient d'arriver à Athènes. Socrate va lui présenter un jeune Athénien qui désire suivre ses leçons. Il trouve Protagoras avec d'autres Sophistes et au milieu d'une cour d'adorateurs. Il s'étonne qu'on puisse donner des leçons de vertu, et demande si la vertu peut être enseignée. Sur la réponse affirmative de Protagoras, il lui demande quelle est l'essence de la vertu, si elle est une, si elle a des parties qui se laissent enseigner les unes après les autres. Le Sophiste prétend, avec tout le monde, que la vertu a des parties diverses, comme la sagesse, la justice, la tempérance. Mais Socrate, par une analyse profonde et subtile, lui montre que ces différentes vertus se contiennent toutes les unes les autres, ne sont que des applications, plus ou moins dissemblables en apparence, du même principe qui les comprend toutes. Les vertus ainsi réduites à la vertu, et la vertu à l'inspiration vertueuse et au final à la science. Pour Socrate  personne n'est mauvais volontairement; mais la morale ne s'élève pas au delà de l'eudémonisme; le bien n'est pas distingué de l'agréable. Quant à la question posée au début, la possibilité de l'enseignement, elle n'est pas résolue et ne sera reprise que dans le Ménon; le Protagoras a en effet pour objet capital de montrer la vanité sophistique. 

L'Apologie de Socrate.
Platon composa plusieurs années après la mort de son maître. C'est un discours par lequel Socrate se défend, en présence des héliastes, contre les imputations de Mélétos, qui l'accusait de corrompre la jeunesse et d'introduire des divinités étrangères, - et en général contre la méfiance et la haine que lui attiraient ses recherches philosophiques et sa réputation de sagesse. Suivant la remarque de Denys d'Halicarnasse, ce discours se divise en trois parties, dans la première, Socrate réfute ses accusateurs; dans la seconde, reconnu coupable, il détermine la peine qu'il croit avoir méritée; dans la troisième, condamné à mort, il abandonne ses juges au jugement de la postérité, et console ses amis par ses espérances d'immortalité. Dans ce livre, l'ironie que Platon donne d'ordinaire à Socrate, tout en restant mesurée, se fait vive et amère, et en même temps, une haute dignité morale répand dans tout l'ouvrage une éloquence dédaigneuse, mais entraînante. En dehors du trait sur le caractère sceptique donné à Socrate, il faut noter aussi les termes très dubitatifs dans lesquels il est parlé de l'immortalité de l'âme.

Criton ou le Devoir du citoyen.
Le Criton, est lié à l'Apologie en tant qu'éloge de Socrate, qui, pour obéir aux lois de sa cité, y refuse de sauver sa vie. C'est un entretien de Socrate avec Criton, l'un de ses disciples. Celui-ci est venu trouver Socrate dans sa prison, et lui offrir de le rendre à la liberté. Sans courir aucun danger de la part des délateurs, qu'il est facile d'acheter avec un peu d'argent, il délivrera Socrate, lui assurera un asile en Thessalie, et conservera un père à ses enfants et un maître à ses disciples. Mais Socrate reste sourd à ces instances. « Le plus important, dit-il, n'est pas de vivre, mais de bien vivre. Quelle que soit l'opinion de la foule, quel que soit le sort qui nous attend, nous ne devons jamais rendre injustice pour injustice ». Pourrait-il sortir de sa prison sans outrager la justice? Est-ce qu'il n'entend pas les lois qui lui demandent si, par sa désobéissance, il veut les affaiblir ou les renverser, elles qui ont protégé sa naissance et présidé à son éducation? Est-il permis de se plaindre de sa patrie et de se révolter contre elle, même lorsqu'elle nous traite avec rigueur, et ne faut-il pas lui obéir partout? A son âge, ira-t-il se cacher dans une ville étrangère, et ternir l'éclat d'une vie irréprochable, et cela pour sauver quelques misérables jours, sans utilité pour
ces amis et pour ses enfants? Non, Socrate ne sera pas le corrupteur des lois; il restera fidèle aux maximes de sa vie entière; il ne se déshonorera pas : il mourra.

Le Premier Alcibiade ou de la Nature de l'homme.
Le dialogue se compose de deux parties : dans la première Socrate prouve à Alcibiade, avec lequel il a un entretien, après une longue interruption de relations ordonnée par le démon qui préside à sa conduite, que lui, Socrate, est nécessaire à la réalisation des grands plans politiques que son ami a formés. De là, il l'amène à reconnaître d'une part qu'il ne sait pas ce que c'est que le juste, le beau, l'utile, qui sont les objets identiques et nécessaires de toutes les délibérations politiques, et, d'autre part, qu'il croit le savoir, ce qui est la pire espèce d'ignorance : car on ne cherche pas ce qu'on croit savoir, et alors on ne le peut plus trouver. Dans la seconde, il lui montre que cette ignorance ne peut être dissipée qu'à la condition préalable qu'il applique toutes les forces de son esprit à s'étudier et à se connaître lui-même. Mais l'humain même, sa vraie essence, sa vraie nature ne se trouve pas dans les choses extérieures qui lui appartiennent et dont il se sert. Le citharède n'est pas la cithare. Le corps n'est que l'instrument dont l'humain se sert. L'essence de l'humain, le moi, n'est donc pas le corps, mais ce qui se sert du corps, c'est-à-dire l'âme, distincte du corps dont elle se sert, auquel elle commande et qui lui obéit; par conséquent se connaître soi-même c'est connaître son âme, et comme c'est l'âme qui connaît, pour se connaître et se voir l'âme ne peut se regarder que dans l'âme, et dans cette partie de l'âme où réside sa vraie nature, son essence, sa vertu, dans sa partie divine, dans l'élément divin qu'elle contient. C'est-à-dire, en premier lieu, que la science est la seule cause réelle et efficace du bonheur public comme du bonheur privé, et ensuite que la vraie science est la science de soi-même, et que la science de soi-même est la science de son âme qui a pour compagne la sagesse. On a contesté la place du Premier Alcipiade parmi les oeuvres de jeunesse, car le texte semble supposer la doctrine des idées déjà formulée, et paraît, en plusieurs endroits, inspiré par la République

Charmidès ou de la Modération.
Le Charmidès (Charmide) est  dialogue entre Socrate, Critias, Charmidès et Chéréphon. Il est consacré à la recherche d'une définition de la sagesse, que Platon ne donne pas, se contentant de repousser comme insuffisantes toutes celles qu'on lui propose. Ses interlocuteurs soutiennent successivement à Socrate que la sagesse réside : 1° dans la mesure et la modération; 2° dans la pudeur et la modestie; 3° dans l'accomplissement de nos devoirs; 4° dans la connaissance de soi-même. Socrate les réfute tour à tour, et le dialogue aboutit à cette conclusion, que la sagesse est une vertu difficile à analyser et encore plus à définir, puisque les quatre définitions proposées, bien qu'excellentes en apparence, ne peuvent tenir contre les objections. Charmidès l'avoue, et il se remet entre les mains du maître pour apprendre ce que c'est que la sagesse et surtout pour l'acquérir, n'estimant pas la théorie utile sans la pratique. 

Lachès ou du Courage.
Dans le Lachès, dialogue plein de mouvement et de vie et où interviennent de nombreux personnages le courage est ramené à la science. Le courage, dit Platon, ne consiste pas à tenir ferme à son poste et à ne pas fuir; ce n'est là qu'une définition de la bravoure militaire, et encore elle est incomplète. Ce n'est pas non plus l'audace et la persévérance; car, si l'on n'y joint la raison, ce n'est qu'une folie sans valeur morale et sans utilité. Le courage ne serait-il pas la science des choses qui sont à craindre et de celles qui ne le sont pas? Toute vertu et le courage sont fondés sur la raison, sur une vue claire, une conscience réfléchie et raisonnée. Mais, s'il en est ainsi, si le courage est une science, il ne peut pas avoir pour objet uniquement les choses à craindre, c'est-à-dire le mal à venir, ou les choses qui ne sont pas à craindre, c'est-à-dire le bien à venir. L'objet d'une science n'est pas soumis aux catégories du temps et de l'espace-: il ne change pas. Le courage sera donc la science, non pas seulement des biens et des maux à venir, mais encore des biens et des maux présents et passés, ou plutôt du bien même et du mal en soi. Il se confondrait donc avec la vertu, et son caractère distinctif et spécifique disparaîtrait. Le dialogue  ne contient pas la réponse à cette difficulté, qui n'empêchera pas Platon de maintenir et de reproduire dans les Lois cette célèbre définition.

Lysis ou de l'Amitié.
Le sujet du Lysis est l'amitié, ou plutôt ce sentiment complexe, quelquefois chaste; souvent impure confusion de l'amitié et de l'amour, que les Grecs nommaient philia, et on cherche à en déterminer la vraie essence. La suite des idées, comme elles se déroulent à travers les digressions de l'action et l'abandon de la conversation, est à peu près la suivante : Il n'y a que le savoir et l'utilité qui nous attirent l'amitié des humains. Qu'est-ce donc que l'amitié? Après avoir détaillé tout ce qu'elle n'est pas, Platon se demande si c'est la beauté qui fait naître l'amour. Le beau est bon : or ni le bon ne peut aimer le bon; ni le méchant, le méchant; car ce sont des semblables : il reste que nous aimions le bon parce que nous ne sommes ni bons ni méchants. La présence en nous du mal ne nous rend pas mauvais et nous fait désirer le bon. L'humain aime donc le bien, et n'aime que le bien; mais le mal n'est pas la cause de cet amour; car en supprimant le mal on ne supprimerait pas le goût, le désir et l'appétit de l'âme pour le bien. Ce goût a sa source dans un rapport naturel de l'âme avec le bien qui est quelque chose de conforme à son essence, to oikeion : mais alors
comment pouvons-nous l'aimer? s'il nous est semblable, il ne nous peut plus servir à rien; et s'il est contraire à notre nature, nous ne pouvons pas l'aimer davantage. Nous sommes des êtres bien ridicules : nous prétendons être des amis, et ne savons pas ce que c'est que l'amitié.

Euthyphron ou du Saint (ou de la Pitié).
L'Euthyphron est essentiellement lié à l'Apologie de Socrate, et a pour objet de montrer la fausse notion que ses adversaires avaient de la véritable piété et d'exposer le fondement d'une religion morale. L'homme pieux, le saint, d'après cet ouvrage, n'est pas celui qui possède une sorte d'art propitiatoire et qui fait de nombreuses prières accompagnées de nombreuses offrandes. Le saint est l'être moral qui cherche à se rendre par sa vertu, par sa justice, le plus possible semblable au divin. Il faut rapprocher ce dialogue du Xe livre des Lois, où sont exposées de remarquables vues sur les rapports des humains et du divin.

Gorgias ou de la Rhétorique.
Avant le Protagoras qui sera dirigé contre les Sophistes, le Gorgias est dirigé contre les rhéteurs, et la forme est plutôt celle d'une succession de discours que d'un véritable dialogue. Dans ce texte à la fois littéraire et politique, les interlocuteurs sont Socrate, Chéréphon, Gorgias, Polos et Calliclès. La rhétorique dont il est question est l'art de haranguer le peuple et de faire de la parole un moyen de gouvernement. La question débattue est celle-ci : sur quels principes doit s'appuyer celui qui veut arriver au pouvoir et diriger les affaires de sa cité? Ne cherchera-t-il qu'à flatter leurs passions, ou tâchera-t-il, au contraire, de les former à la tempérance et à la justice? Mais, tandis que les Sophistes du Protagoras seront au moins représentés comme prêchant la vertu, s'ils ignorent ce qu'elle est, Gorgias avoue qu'il enseigne à ses disciples l'injuste aussi bien que le juste, et Polus et Calliclès soutiennent ouvertement l'avantage de l'injustice.  Inutile de dire que Platon se prononce pour la seconde maxime. Le dialogue est très vivant, Socrate n'a pas trop de tout son bon sens spirituel pour triompher des objections de Gorgias, le bel esprit sceptique et éloquent, ou de Polos, qui se grise de sa dialectique, ou de Calliclès, le politicien cynique. Le dialogue prend par suite une portée politique c'est comme une première ébauche de la République, et, de même que cette dernière oeuvre, le Gorgias se termine par un mythe où est enseignée l'immortalité de l'âme, avec les récompenses et châtiments d'une autre vie, et où la croyance à la transmigration, sans être clairement indiquée, au moins n'est pas exclue.

Les oeuvres de la maturité.
Ménexène, oraison funèbres des Athéniens morts pour la patrie.
Le Menexène est un exercice rhétorique dont il est difficile de pénétrer le véritable motif. Ménexène, l'interlocuteur de Socrate dans ce dialogue, annonce qu'il vient du sénat où devait y désigner l'orateur chargé de prononcer l'oraison funèbre des soldats morts sur le champ de bataille, et que ce choix a été ajourné. Socrate raille ce genre d'éloquence, qu'il déclare facile. Mis au défi par Ménexène, il lui débite une oraison funèbre qu'il avait entendue, dit-il, de la bouche d'Aspasie, pastiche curieux de l'éloquence des rhéteurs du temps. Le Ménexéne fut très populaire à Athènes. L'authenticité du dialogue, parfois contestée est généralement admise aujourd'hui.

Ménon ou de la Vertu.
Le Ménon a pour objet de déterminer si la vertu peut être enseignée; quoique l'incapacité des hommes politiques et des sophistes à cet égard soit le principal point établi, et quoique la conclusion se présente sous une forme ironiquement sceptique, les développements donnés à la thèse que toute science est réminiscence impliquent que Platon a déjà arrêté un trait fondamental de sa doctrine des idées. 

Euthydème ou des Sophismes (ou Le Disputeur).
L'Euthydème est une satire de l'éristique; il est douteux que les deux Sophistes qui y sont mis en scène soient, comme Protagoras et Gorgias, des personnages historiques; cet écrit semble plutôt une pièce de polémique contre Antisthène, qui railla de son côté Platon dans un dialogue intitulé Sathon; on y trouve également des allusions à Isocrate. L'Euthydème est d'évidence postérieur au Ménon; la participation des choses aux idées s'y trouve clairement indiquée. 

Cratyle ou de la Propriété des noms (ou de la rectitude des Rois).
Ce dialogue  traite de l'origine du langage. Les interlocuteurs sont Cratyle, disciple d'Héraclite, qui prétend que les noms sont tirés de la nature des choses; Hermogène, disciple de Socrate, qui ne veut voir dans les noms que des signes de convention, et Socrate qui les met d'accord en reconnaissant des noms de convention qui, d'après lui, sont l'effet du hasard et désignent les choses périssables, et des noms naturels qui s'appliquent aux choses éternelles. Parmi les explications étymologiques que Socrate donne dans le Cratyle, il y en a à peine une ou deux qui soient bonnes. Souvent il les donnait en plaisantant. Mais il faut croire aussi que des étymologies qui nous semblent fantaisistes ne le paraissaient pas à des Grecs. En tout cas, ces étymologies, souvent relatives à des noms mythologiques, nous renseignent utilement sur les interprétations auxquelles se livraient les anciens à propos de leurs divinités. Le style de ce dialogue, un des plus longs de Platon, est plein de finesse et d'élégance. Le Cratyle est un parfait modèle d'atticisme.

Le Banquet ou de l'Amour (ou du Bien).
Dans le Banquet (écrit au plus tôt en 384, quelques années après la mort de Socrate), l'auteur raconte ou suppose que Agathon offre un banquet à ses amis, pour célébrer sa victoire au concours de tragédies. On cause de l'amour. Chacun des convives décrit tour à tour ce sentiment selon ses idées et son caractère. Après Phèdre, après le rhéteur Pausanias, le médecin Eryximaque, les poètes Aristophane et Agathon, Socrate prenant la parole, attribue ce qu'il va dire à une prêtresse de Mantinée, Diotime. L'Amour est fils de Poros (le dieu de l'Abondance) et de Pénia (la Pauvreté); participant de son père et de sa mère, il n'est ni riche ni pauvre, et de même, sous tous les rapports, sa situation est intermédiaire; comme désir du bonheur, il est universel et non pas propre à l'humain seulement; son véritable objet est la conservation et la reproduction de la vie, et non seulement de la vie corporelle, mais aussi de la vie intellectuelle. C'est ce dernier but qui est proposé à l'amour philosophique. La fin du dialogue est consacrée presque tout entière au panégyrique de Socrate : Alcibiade, qui survient tout à coup, trace le portrait de son maître. 

Du point de vue littéraire, jamais peut-être Platon n'a déployé plus d'art que dans ce dialogue et dans le Phèdre. Tout en exposant une profonde doctrine d'esthétique, Platon a su donner à chacun des personnages une physionomie distincte. En même temps qu'un traité de philosophie, son Banquet est une charmante comédie, merveilleuse de variété, de délicatesse et de poésie.  En même temps, au point de vue doctrinal, le Banquet apparaît comme le dialogue le plus voisin de la République; le mythe de Diotime, dans le Banquet, est loin d'être transparent; l'interprétation traditionnelle est que Poros représente le monde des idées, et Pénia la condition humaine; mais les détails n'en sont soutenables qu'en considérant le dialogue comme ayant un sens ésotérique, hypothèse bien peu vraisemblable.

D'après sa signification obvie, le Banquet ne peut être regardé comme préparant à la doctrine des idées que par l'analyse de la notion d'amour, dont le rôle n'apparaît en pleine lumière que dans le Phèdre; aucune des thèses proprement platoniciennes n'y est affirmée, et même l'immortalité semble y recevoir un sens héraclitien. Le mythe petit d'ailleurs recevoir une interprétation physique (Aristote, Physique, I, 9), d'après laquelle Pénia correspondrait au concept platonicien de la matière, et l'Amour en général à la cause du mouvement dans la nature; plus tard, Platon affirmera avec précision que l'âme seule se meut d'elle-même; déjà dans le Banquet, l'Amour n'appartient qu'à l'âme. Plus tard, de même dans le Timée, Platon fait intervenir, dans la formation de l'âme, la substance éternelle et divine à côté de la matière. Par son mythe, le Banquet semble encore préparer cette conception; ce dialogue apparaît donc comme le point de départ des doctrines définitives sur l'âme, doctrines que. Platon n'élaborera qu'après la République, et en abandonnant la tripartition. Le Banquet n'a, au contraire, qu'un rapport éloigné avec la doctrine des idées, ou du moins il n'en effleure qu'un côté, que Platon n'a jamais approfondi dans ses dialogues, la présence des idées dans les choses sensibles. 

Phédon ou de l'Ame.
A côté du Banquet, on peut placer le Phédon, récit du dernier entretien et de la mort de Socrate. Les interlocuteurs du dialogue sont Socrate, sa femme Xantippe, ses disciples Apollodore, Cébès, Criton, Phédon, Simmias. L'exposition est saisissante : la dernière heure de Socrate est arrivée. Socrate dit adieu à sa famille et charge Criton de faire reconduire chez elle sa femme Xantippe. Il se met alors à discuter avec ses amis sur divers sujets, et principalement sur l'immortalité de l'âme. Il expose que l'homme est composé de deux éléments, le corps et l'âme, qui ont chacun leurs plaisirs particuliers. L'être qui veut vivre d'une vie morale doit se détacher du corps et de ses jouissances, pour ne rechercher que celles de l'âme en pratiquant la vertu. Il faut encore que l'âme se détache du corps pour saisir la réalité par la pensée, en se pensant elle-même. Dans l'autre vie, l'âme, libre de toute entrave, continuera de contempler la vérité d'une manière plus pure, et plus facile. L'âme est immortelle; car, pour elle, apprendre n'est que se ressouvenir de ce qu'elle a connu antérieurement; et, si notre âme a existé avant sa vie actuelle, il faut, d'après la théorie des contraires, qu'après sa mort elle revienne encore à la vie et que, par conséquent, elle soit immortelle. La théorie des idées apparaît déjà constituée; mais la démonstration de l'immortalité de l'âme, objet du dialogue, semble bien antérieure à celle de la République; sa tripartition n'est pas indiquée. Le mythe final enseigne la rémunération après la mort, mais non la transmigration des âmes, et il correspond à une cosmologie ionienne beaucoup plutôt que pythagoricienne.  La conversation est, interrompue par l'arrivée du serviteur des Onze, qui présente la ciguë. Socrate achève la série de ses déductions, boit le breuvage empoisonné, et continue de s'entretenir avec ses amis, dont les sanglots ont peine à ne pas éclater. Le Phédon a inspiré à Lamartine son beau poème philosophique, la Mort de Socrate.

La République ou de la Justice (en 10 livres).
Ce traité politique a lui aussi la forme d'un dialogue; le personnage principal est Socrate. Platon prétend réformer à la fois l'Etat et l'individu, d'après un même principe, la justice. Il conçoit la cité comme une ville unique, entourée d'un territoire d'une étendue modérée. La cité, comme l'individu, doit se nourrir, se défendre, se gouverner; donc l'intelligence, le courage, même les instincts inférieurs, doivent concourir au bien public. Platon maintient l'esclavage et répartit les citoyens en trois classes, qui correspondent aux trois parties de l'âme : la classe des artisans, des laboureurs et des marchands; la classe des soldats ou gardiens, chargés de défendre la cité; la classe des magistrats, chargés de la gouverner. Hommes et femmes reçoivent la même éducation, sont astreints aux mêmes obligations et peuvent arriver aux mêmes charges. Pour détruire l'égoïsme personnel et l'esprit de famille, Platon veut établir la communauté des biens, des femmes et des enfants. La République est un mélange de vues élevées, de rêveries et de théories étranges et, parfois, inquiétantes, qu'a raillées Aristophane dans l'Assemblée des Femmes. Dans les Lois, Platon s'est efforcé d'accommoder son idéal aux nécessités d'ordre pratique.

Les oeuvres tardives.
Phèdre ou du Beau.
Le dialogue ne comprend que deux interlocuteurs, Socrate et Phèdre. Il fait suite au Banquet et traite aussi de la beauté et de l'amour. Le Phèdre, est le seul dialogue platonicien où l'on retrouve, pour l'exposé de la doctrine des idées, l'enthousiaste. L'occasion du Phèdre est un discours (ou une lettre) dans laquelle le rhéteur Lysias aurait soutenu le paradoxe qu'un adolescent aimé doit accorder ses faveurs plutôt à qui ne l'aime pas véritablement. Dans deux discours successifs, Socrate reprend d'abord le même thème, puis expose un mythe longuement développé et d'une importance capitale. L'âme y est assimilée à un char monté par un cocher (l'intellect) et traîné par deux coursiers ailés, l'un docile (le courage), l'autre indocile (la concupiscence). C'est la tripartition de la République. Au-dessus de la sphère céleste, le cortège des âmes suit les chars des dieux et contemple la splendeur des éternelles beautés; mais si les coursiers ne sont pas bien guidés, les âmes tombent sur la terre et, perdant leurs ailes, entrent dans des corps humains pour une période de dix mille ans, qui peut toutefois être abrégée pour les sages. L'amour est la passion qu'excite la vue du beau, par la réminiscence des visions supra-mondaines. L'ardeur du coursier indocile doit être d'autant plus refrénée. Après ce mythe, le dialogue revient à l'art de parler et d'écrire et semble comme un programme de l'enseignement platonicien opposé à celui des rhéteurs.

Théétète ou de la Science.
Le Théétète, un des écrits les plus importants de Platon par l'ampleur donnée à la discussion entre Socrate, le géomètre Théodore, ami de Protagoras, et le jeune Théétète, est bien postérieur au Ménon, quoiqu'il n'ait encore qu'un caractère propédeutique. Il s'agit de la notion de la science et de son fondement. Platon discute tout d'abord la théorie d'après laquelle la « science serait la sensation » en montrant que cet empirisme aboutirait au scepticisme. La science, comme la sensation, serait bornée à l'instant présent : elle ne pourrait porter sur le passé. La science comme la sensation serait en perpétuelle variation. En morale comme en politique, les lois seraient soumises au caprice de la sensibilité individuelle. Or, en fait, les humains pensent que tout n'est pas arbitraire, faux et vrai à la fois, juste ou injuste, sage ou fou. Si le changement et la contradiction sont les lois du monde des phénomènes, il existe des lois immuables, mathématiques, qui président à ces changements. Dans la conscience de l'humain, la volonté s'oppose à la sensation. Il en est de même de la raison, qui s'oppose, elle aussi, à la sensation et la domine. La sensation ne saurait expliquer la nécessité de certaines notions, l'obligation morale absolue. Elle ne saurait nous élever à l'idée de l'existence, de l'essence, puisqu'elles durent sans cesse sans être jamais. La science ne doit pas non plus être cherchée dans le raisonnement, la définition ou l'analyse, mais dans la région des idées qui échappent à la dialectique et au sensualisme et sont les éléments intégrants de toute pensée. Sans arriver à définir la science, Platon montre ainsi qu'elle est autre qu'une opinion juste, même accompagnée de raison; sans parler des idées dans les mêmes termes que dans la République, il en a dit assez sur les notions abstraites et générales, que l'âme discerne par elle-même dans les objets sensibles, pour que l'on puisse avoir aucun doute sur la conclusion et la portée du dialogue. Platon a déjà sa doctrine propre bien arrêtée; mais la forme spéciale sous laquelle il en expose une partie capitale laisse dans le doute sur les circonstances qui l'ont déterminé à composer cet écrit. A-t-il voulu donner un fondement logique aux thèses philosophiques de la République? Est-ce au contraire seulement après les avoir exposées, qu'il a voulu les reprendre pour les préciser sous une forme plus rigoureuse? 

Parménide ou des Idées.
Le Parménide constitue, en particulier, une énigme. L'argumentation y est très subtile, et souvent obscure, mettant dans l'embarras les commentateurs sur la pensée véritable de Platon. On a même quelquefois contesté, mais sans raisons décisives, l'authenticité du Parménide. Ce dialogue met en scène trois personnages : Socrate encore tout jeune s'entretient avec le philosophe éléate Parménide et son disciple Zénon sur les idées.  Celui-ci semble bien poser deux questions auxquelles Platon n'a jamais clairement répondu : en quoi consiste la participation des choses sensibles aux idées? De quoi y a-t-il et de quoi n'y a-t-il pas idée? Parménide dérive la discussion sur une difficulté non moins grande : quelle est la participation des idées entre elles? difficulté qu'il énonce sous une autre forme : comment peut-il se faire que et, qui est un puisse être ou paraître plusieurs? Pour répondre, il institue successivement l'examen de deux hypothèses; si l'un est ou si l'un n'est pas, qu'en peut-on conclure soit quant à lui, soit quant aux autres choses? la conclusion finale est que dans les deux hypothèses, on peut dire de l'un et des autres choses, à la fois qu'elles sont et qu'elles ne sont pas, qu'elles paraissent et ne paraissent pas. Il est aisé de dire que cette conclusion, d'apparence sceptique, révèle le but véritable du Parménide, composé pour montrer l'impuissance de la dialectique pure (en dehors de la double voie décrite dans la République) et la nécessité d'abandonner jusqu'à un certain point la célèbre formule éléate : l'être est, le non-être n'est pas. Mais le soin avec lequel Parménide distingue les différents sens qu'on peut donner à ses deux hypothèses, comme aussi certains débats dialectiques, suggèrent presque invinciblement la pensée que l'auteur a voulu en outre critiquer certaines doctrines déterminées, tout en maintenant la sienne propre.

Le Sophiste ou de l'Être.
Dans le Sophiste, la scène est remplie par les personnages du Théétète, à savoir celui-ci, son maître Théodore, Socrate et par un étranger d'Elée, qui joue le rôle capital; dans la Politique, Théétète est remplacé par un Socrate le jeune, qui paraît un personnage historique, mais dont le choix est assez énigmatique. Le Sophiste a pour objet apparent la recherche de la définition du mot qui sert de titre; en quoi les Sophiste se distingue-t-il de l'homme d'Etat et du philosophe? c'est le prétexte d'une polémique contre les Sophistes. Selon Platon, la philosophie de Parménide donne aux Sophistes un argument qui leur permet de soutenir scientifiquement l'impossibilité de l'erreur. Aussi  discute-t-il la conception éléatique de l'être; il prouve que le non-être existe. Dès lors, l'erreur tient à ce que le non-être se mêle à nos pensées et au langage qui en est l'expression, et le Sophiste est précisément celui qui mêle au hasard le non-être à ses pensées et à ses discours, ou qui possède l'art d'imiter et de produire à l'aide de la parole des simulacres, c'est-à-dire des imitations des choses, faites sans la connaissance vraie des choses imitées. Mêler comme le font les Sophistes la pluralité et l'unité, l'être et le non-être, conduit à considérer les idées comme de simples notions abstraites et à conclure dès lors à leur relativité réciproque. Au final, Platon définit la sophistique comme une espèce de chasse ou d'art de prendre par l'appât trompeur de la science, et tout en poursuivant un salaire en argent, les jeunes gens riches ou distingués, ou, plus encore, un art de disputeur qui paraît posséder sur toutes les choses une science apparente.

Platon en profite au passage pour exposer la doctrine du genre et de l'espèce, et de la méthode dichotomique qui permet de descendre du genre le plus élevé à l'espèce la plus basse. D'autre part, après une très intéressante critique des doctrines antérieures sur le nombre et la nature des premiers principes, il s'attaque aux « amis des idées », et soutient qu'on ne peut se représenter celles-ci comme des essences absolument immuables. L'existence n'est que la puissance de faire ou d'éprouver quelque chose. L'être parfait doit avoir la vie, l'intelligence, la sagesse.

Le Politique ou de la Royauté.
Le Politique, avec de nouvelles illustrations de la méthode de dichotomie (celle entre autres qui a donné naissance à la définition de l'humain comme un animal à deux pieds sans plumes) est surtout remarquable par un curieux mythe cosmolologique (où l'éternité du monde semble supposée) et par l'importance donnée à la notion de mesure (au propre et au figuré). Il n'indique aucune modification dans les idées politiques de Platon. Le but du gouvernement est défini comme étant d'établir l'harmonie entre les gouvernés, et sous ce rapport le politique est comparé au tisserand. Le devoir du politique est ainsi de « prendre soin », mais non avec violence : son autorité doit être librement acceptée et reposer sur la science. La doctrine que Platon développe dans le Politique est déjà, vraiment et définitivement, celle qui s'épanouit dans la République et les Lois.

Timée ou de la Nature.
Le Timée est un essai de philosophie de la nature. La nature est pour Platon l'ensemble des êtres sujets à la naissance et au changement que nous percevons, non par l'intelligence, mais par les sens. Ces êtres sont si nombreux qu'il est nécessaire de les ranger sous des notions générales. C'est ainsi que se constituent la mécanique, la physique, la chimie et l'étude des organismes vivants. C'est dans le Timée que se trouve exposée la théorie des idées de Platon. 

Ajoutons que les alchimistes grecs se déclaraient disciples et héritiers de Platon et d'Aristote. En réalité leurs idées se rattacheaint surtout à ce dernier et à son Traité des Météorologiques. Mais le Timée de Platon a joué chez eux un rôle non moins essentiel, parce que l'on y trouve exposée toute la doctrine de la matière première sur laquelle reposent à la fois la philosophie alchimique et les prétentions pratiques de la transmutation. 

Critias ou L'Atlantide (inachevé).
Le Critias est une une ingénieuse fiction, qui présente comme réalisés les rêves de la République. Les interlocuteurs sont Timée, Socrate, Hermocrate et Critias. Ce dernier, qui garde presque constamment la parole, fait la description et l'histoire de cette mythique Atlantide, située au delà des colonnes d'Hercule (= détroit de Gibraltar), c'est-à-dire, selon les conceptions grecques "hors du monde" et aussi "hors du temps", puisque sa trace en a été effacée du monde réel (c'est bien un mythe). L'Atlantide, dit-il, tire son nom d'Atlas, fils de Poséidon, à qui elle échut lorsque les dieux se partagèrent le monde. Elle était riche en métaux, en fruits et en animaux inconnus au reste du monde. Ses habitants, pleins de désintéressement, accroissaient leurs biens par la concorde et la vertu; mais ils compromirent leur bonheur et leur liberté, du jour où ils furent atteints par la cupidité, le goût du luxe, et l'esprit de conquête. Le Critias se distingue par la majesté et l'ampleur de la forme littéraire, par la pureté de la diction et l'élévation des idées philosophiques. On l'a souvent proposé comme un modèle d'atticisme, et considéré comme une satire indirecte et ingénieuse des moeurs de la turbulente Athènes.

Philèbe ou la Volupté.
Le Philèbe, consacré à débattre le choix entre la Vertu et la Volupté, ainsi qu'à la définition du Bien suprême, semble offrir la forme définitive pour une exposition de la doctrine des idées (appelées hénades, unités), distincte de celle de la République et du Phèdre. Les interlocuteurs sont Socrate, Philèbe et Protarque. Socrate, qui met en opposition la raison ou l'intelligence et le plaisir et cherche à savoir de quel côté se trouve le souverain bien, reprend dans ce texte le premier rôle, les autres personnages  semblent fictifs.  La question de la division du genre en espèces est reprise et sert de point de départ à l'indication de la méthode à suivre pour discerner le Bien suprême. Platon distingue quatre principes : l'indéterminé, la limite (to péras), le mixte résultant des deux et où la limite donne la mesure, l'harmonie et la beauté à l'indéterminé; enfin la cause efficiente de l'union des deux premiers principes. L'intelligence appartient à l'ordre de la cause. Le Bien suprême étant un est cause, mais en même temps il est compris sous les idées de mesure, de beauté et de vérité, la beauté étant la forme sensible sous laquelle apparaît le vrai. Le plaisir est nécessairement renfermé dans les étroites limites de l'instant qui passe. Quant à la vie selon la raison, elle ne donne pas satisfaction à toutes les tendances de l'humain; supprimer de son existence tout sentiment, c'est faire de lui un être qui n'est plus un humain. La conclusion nécessaire, que Socrate expose avec esprit, c'est qu'il faut mélanger à doses inégales le plaisir et la raison.

Dans le point de départ de cet exposé, on a voulu voir des emprunts à Philolaus; mais il est au moins aussi vraisemblable de considérer l'écrit attribué à Philolaus comme forgé d'après Platon. Il est clair en tous cas qu'il est difficile de concilier la doctrine du Philèbe avec celle de la République et aussi bien avec celle du Sophiste. Notamment dans le Philèbe, Platon semble abandonner la thèse de la République, qu'il y a des idées de toutes choses; il semble, au contraire, relever le niveau des notions mathématiques abstraites, qu'il avait classées comme intermédiaires entre les idées et les perceptions des sens; d'autre part, l'Etre suprême n'est plus une idée illuminant toutes les autres, mais une cause motrice intelligente; les idées, appartenant à l'ordre de la limite, sont nettement posées comme existant en dehors de cette cause, mais le mode de cette existence n'est nullement défini; leur présence dans le mixte semble un compromis entre l'immanence et la transcendance. Ces divergences sont assez marquées pour témoigner qu'il y a bien là deux moments différents de la pensée de Platon. Cela conduit à admettre que le Philèbe est postérieur à la République; le principal motif est que la doctrine du Timée paraît ne présenter avec celle du Philèbe aucune différence essentielle.

Les Lois ou de la Législation (en 12 livres).
Ce traité politique fait suite suite à la République. Dans ce dernier ouvrage, Platon avait posé des principes. Pour que l'Etat soit quelque chose de vraiment un, Platon sacrifiait tout ce qui pouvait donner à l'humain  une existence distincte de la cité. Dans les Lois, le philosophe ne renonce pas à ces principes, mais il atténue sensiblement la rigueur de leur application. Il ne parle plus de la communauté des femmes et des biens. Il cherche un idéal plus réalisable, indique des réformes particulières. La toute puissance de l'Etat subsiste, cependant. L'Etat a pour mission de faire respecter la loi morale et d'assurer, même par la violence, le règne de la vertu. Les lois sont rattachées à un code pénal exposé clans les trois dernières parties, et qui embrasse tous les grands délits politiques, civils, religieux, commerciaux et militaires. Cette confusion de la politique et de la morale entraîne une sorte de despotisme philosophique : l'individu, rouage et élément de la cité, n'ayant d'autre droit que de travailler par sa vertu à l'harmonieux développement de la république.

Textes à l'authenticité contestée, douteux ou apocryphes.
Mentionnons encore, toujours en suivant L. Robin, les écrits dont l'authenticité est contestée : l'Epinomis ou Appendice aux Lois (qui est généralement attribué à Philippe d'Oponte, disciple de Platon) et 13 lettres morales. 

Six dialogues sont considérés comme douteux : Les Erastes ou de la philosophie, Théagès ou de la Sagesse (où à un jeune homme qui demande à Socrate de l'instruire, celui-ci répond qu'il doit attendre le signe de son démon ), Minos ou de la Loi, Clitophon ou l'Exhortation,  le Second Alcibiade ou de la Prière (dont la conclusion est que l'ami de Socrate différera d'offrir un sacrifice, jusqu'à ce qu'il sache mieux ce qu'il faut demander aux dieux), les Rivaux (où Socrate prêche l'utilité morale de la philosophie) et l'Hipparque ou l'Amour du gain (d'où l'on peut conclure que, tout bien étant un gain pour celui qui le désire, l'amour du gain, réglé par la raison, n'a rien de répréhensible). Ce dernier ouvrage paraît l'oeuvre d'un socratique de troisième ordre.

Enfin, plusieurs écrits que l'Antiquité reconnaissait déjà comme inhauthentiques : Le Démodocus, le Sisyphe, l'Eryxias, l'Axiochus, Du Juste, De la Vertu
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Platon.
Platon (Tableau du XVe s.).

Platon écrivain

L'intégrale conservation de l'oeuvre de Platon est certainement due, non seulement à son importance philosophique, mais à l'admiration que son style a constamment provoquée dans toute l'Antiquité. La pureté et la douceur de sa diction, qui se prête également aux controverses les plus subtiles et aux descriptions les plus saisissantes, ont fait de ses écrits des modèles inimitables, dont le charme doit être goûté dans la langue originelle. Mais, même défigurés par les traductions, les dialogues de Platon dépassent infiniment tous les essais qui out été faits dans le même genre. Seul jusqu'à présent, parmi les philosophes, il a su faire vivre réellement ses interlocuteurs, leur donner un caractère bien net, au lieu d'en faire de pâles reflets d'une pensée unique cherchant elle-même les objections qu'on peut lui faire. ll a d'ailleurs bien clairement essayé divers types de dialogues comme s'il avait voulu prouver que le cadre pouvait se prêter à tous les sujets. 

Ce genre, auquel il est resté exclusivement fidèle, il n'en est pas d'ailleurs l'inventeur. Tous les socratiques ont écrit des dialogues, et la mode s'est perpétuée pendant un siècle. L'origine ne doit pas en être cherchée hors d'Athènes, et probablement il s'est simplement agi de reproduire la façon des entretiens de Socrate ou d'en conserver la mémoire. La vogue a été sans doute déterminée par l'habitude que possédaient les Athéniens, dans leur vie publique, de ces discussions à formes juridiques, soumises à des conventions précises et analogues à celles qui se déroulaient devant les tribunaux, en dehors des plaidoyers proprement dits. Nous possédons quelques spécimens de ce type primitif des dialogues, précisément dans quelques-uns des apocryphes de Platon; I'Axiochus en est un des plus remarquables, par son caractère déjà un peu théâtral. Mais ce cadre étroit, Platon l'a élargi et transformé; c'est en ce sens qu'il a été véritablement créateur. Son art offre une analogie avec celui des grands comiques. Comme eux, il fut mélancolique; comme eux, il dut n'arriver à la perfection qu'à une date relativement tardive et après des essais plus ou moins défectueux.

Mais un trait particulier de Platon, c'est le dédain qu'il professe pour les livres, alors qu'il apporte tant de soins minutieux pour en composer. Le livre, à ses yeux, est un maître qui parle, mais ne répond pas, et partout il affirme la supériorité de l'enseignement oral, tel au moins qu'il l'entend, c.-à-d. de l'enseignement par la discussion réglée, laissant place, bien entendu, aux expositions dogmatiques nécessaires. Ce trait de caractère semble attester qu'il avait conscience de son talent pour ce mode d'enseignement, et l'on ne peut guère douter qu'il n'ait été un maître exceptionnel. 

La pensée de Platon

L'oeuvre de Platon est infiniment plus suggestive que dogmatique, aussi les platonisants modernes ne se sont pas plus mis d'accord que les anciens sur le sens qu'il convenait de lui donner. En cherchant à coordonner les éléments de la doctrine du maître et à en faire un tout systématique, on n'a guère évité la difficulté de ne pas y introduire des idées personnelles ou préconçues. D'autre part, Platon est un génie trop universel pour qu'il ne soit pas nécessaire de le considérer sous divers aspects; mais tandis que chez Aristote, par exemple, ces aspects peuvent assez facilement être distingués les uns des autres, chez Platon, tout se tient, et l'on est facilement tenté, en l'étudiant sur un problème déterminé, de faire de ce problème le pivot de tout l'ensemble de la doctrine. De là tant de systématisations profondes ou au moins ingénieuses, mais qui ont plutôt obscurci qu'éclairé la question fondamentale : qu'est-ce qui domine réellement dans Platon? quel était, à ses yeux, l'objet capital? Est-ce la solution des grands problèmes philosophiques et doit-il être surtout considéré comme métaphysicien? Est-ce l'établissement de la possibilité de la science? La recherche d'une théorie de la connaissance est-elle la clef de son oeuvre? Faut-il au contraire le regarder comme s'étant surtout proposé un but moral, et dans ce cas, est-il plutôt psychologue ou, au contraire, sociologue, s'il est permis d'employer, en parlant de lui, ce mot moderne? On se contentera ici d'essayer d'approcher la pensée du philosophe à partir de quelques rubriques qui peuvent en être détachées.

La dialectique. 
Platon distingue deux sortes de connaissances, la connaissance vulgaire et la connaissance scientifique.

La première est une connaissance qui vient des sens. Elle donne naissance à l'opinion, à une routine, à une habitude d'attendre telle apparence après telle autre. L'opinion comprend elle-même la croyance qui porte sur les objets de notre perception, et la conjecture qui porte sur les images des choses sensibles. L'opinion est un jugement irréfléchi, celui qui s'y fie est comme les devins qui annoncent des choses vraies, mais qui ne savent rien de ce qu'ils disent, elle est vague, incertaine; elle a pour objet ce qui naît pour mourir et ce qui change sans cesse.

La connaissance scientifique a pour objet l'intelligible, c'est-à-dire ce que l'esprit conçoit de réel et de permanent au delà du monde sensible, les principes réels et éternels des choses. Platon l'appelle la science véritable. Elle comprend, elle aussi, deux sortes de connaissances : la faculté de raisonner, d'examiner les conséquences d'une idée, d'aller logiquement d'une idée à une autre, et l'acte simple de l'esprit par lequel il perçoit, dans une intuition immédiate, la suprême réalité des choses. Elle a pour objet ce qui se suffit à soi-même, ce qui n'a plus besoin d'hypothèse. Elle élève l'esprit à la contemplation de ce qui est purement intelligible.

L'esprit est d'abord frappé par les objets sensibles; mais, par une ascension lente, il s'élève au-dessus des images passagères des choses pour contempler les réalités intelligibles. La dialectique est une sorte d'éducation de l'esprit qui lui aide à effectuer ce passage, à se dégager de la connaissance sensible, pour s'élever à la connaissance des idées qui résident dans sa propre intelligence et qui sont l'objet de la raison. Ainsi se réalise le précepte de Socrate : « Connais-toi toi-même, » Comment s'opère ce passage? C'est, selon Platon, par des sensations, dont l'apparence contradictoire réveille l'esprit, et c'est surtout par l'étude des sciences, de l'arithmétique, de la géométrie; de la musique et de l'astronomie. Ces sciences nous invitent à spéculer sur des idées pures, à concevoir des rapports nécessaires, des lois éternelles, qui nous font entrevoir la réalité permanente sous l'apparence éphémère. Elles nous découvrent les raisons des choses, les idées qui les rendent possibles. 

« Nous avons coutume, dit Platon, de poser une idée distincte pour chacune des multitudes auxquelles nous donnons le même nom [...]. Le caractère essentiel de cette idée est d'être une dans une multitude. »
Il n'admet pas, avec Parménide, que seule l'unité absolue existe; il y a autant d'unités diverses qu'il y a de multitudes diverses.
« Le dialecticien sait démêler comme il faut l'idée une, répandue tout entière dans une multitude d'individus. [...] Le propre de l'humain est de comprendre le général, allant de la diversité des sensations à ce qui est compris, sous une Unité rationnelle. »
La dialectique nous fait ainsi concevoir l'essence réelle et idéale des choses et elle s'achève par la définition ou l'expression matérielle de ce que l'intelligence perçoit.

Mais la dialectique ne produit pas les idées, elle ne sert qu'à réveiller l'esprit de son sommeil, à le délivrer des liens de l'apparence sensible. Les idées, les essences intelligibles des choses sont en nous. Déjà Socrate avait dit que la science ne nous vient pas du dehors, qu'elle est en nous-mêmes et que le maître ne peut qu'accoucher l'âme du disciple des vérités dont elle est grosse. Platon partage la conviction de son maître, aussi la dialectique a-t-elle pour effet de rappeler au souvenir de l'esprit des idées qu'il possède déjà, mais qu'il a oubliées; elle lui rend la claire vision de lui-même et de ce que son intelligence contient. C'est la théorie de la réminiscence. L'âme, autrefois, vivait dans le ciel, à la suite des dieux et dans la contemplation des essences. 

« Mais c'est une loi que les âmes auxquelles les essences échappent, perdent leurs ailes et tombent dans un corps terrestre. » 
La vie présente est une chute, une déchéance. Quand on voit ici-bas l'image de l'ordre et de la beauté que l'on a contemplés autrefois, l'esprit se ressaisit. 
Savoir, « c'est se souvevenir de ce que notre âme a vu dans son voyage à la suite des dieux, alors que, dédaignant ce que nous appelons improprement des êtres, elle élevait ses regards vers le seul être véritable.-»
La théorie de la connaissance
Au VIIe livre de la République, Platon résume dans la fameuse allégorie de la caverne et sous une forme poétique, sa doctrine de la connaissance. 
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Le mythe de la caverne

« Représente-toi, dit-il, à présent, mon cher Glaucon, l'état de la nature humaine par rapport à la science et à l'ignorance; d'après le tableau que je vais faire. Imagine un antre souterrain, ayant une ouverture qui donne dans toute sa longueur une libre entrée à  la lumière, et, dans cet antre, des hommes enchaînés depuis l'enfance, de sorte qu'ils ne puissent changer de place ni tourner la tête, mais seulement voir les objets qui sont en face d'eux au fond de la caverne. Derrière eux, à une certaine distance et une certaine hauteur, est un feu dont la lueur les éclaire; et, entre eux et ce feu, un chemin escarpé, 

Le long de ce chemin, imagine un mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs pour leur dérober le jeu et les ressorts secrets des merveilles qu'ils leur montrent. Figure-toi des hommes qui passent le long de ce mur, portant des objets de toute espèce, des figures d'hommes et d'animaux en bois ou en pierre, de sorte que tout ce qu'ils portent paraisse au-dessus du mur, et, parmi ceux qui les portent, les uns s'entretiennent ensemble, les autres passent sans rien dire. Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers! Ils nous ressemblent de point en point.

Et d'abord, crois-tu qu'ils verront autre chose d'eux-mêmes et de ceux qui sont à leurs côtés que les ombres qui vont se peindre vis-à-vis d'eux sur le fond de la caverne? Verront-ils aussi autre chose que les ombres des objets qui passent derrière eux? S'ils pouvaient converser ensemble, ne conviendraient-ils pas entre eux de donner aux ombres qu'ils voient les noms des choses mêmes? Et s'il y avait, au fond de leur prison, un écho qui répétât les paroles des passants, ne s'imagineraient-ils pas entendre parler les ombres mêmes qui se succèdent devant leurs yeux? Enfin, ils ne croiraient pas qu'il y eût autre chose de réel que ces ombres.

Vois maintenant ce qui devra naturellement leur arriver si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur illusion. Qu'on détache un de ces captifs, qu'on le force sur-le-champ de se lever, de tourner la tête, de marcher et de regarder du côté de la lumière; il ne fera tout cela qu'avec des peines infinies; la lumière, lui blessera les yeux et, tout ébloui, il ne discernera pas les objets dont il voyait auparavant les ombres. Que crois-tu qu'il répondrait à celui qui lui dirait que, jusqu'à présent, il n'a vu que des apparences, qu'il a maintenant devant les yeux des objets plus réels? [...] 

Et si on l'arrache de la caverne et qu'on le traîne par le sentier rude et escarpé jusqu'à la clarté. du soleil, quel supplice pour lui d'être traité de la sorte! [...] Pourrait-il rien voir de cette foule d'objets que nous appelons des êtres réels? Il lui faudrait du temps pour s'y accoutumer. Ce qu'il discernerait plus aisément, ce seraient d'abord les ombres, ensuite les images des hommes et des autres objets réfléchis par les eaux, enfin les objets eux-mêmes [...].

A la fin, il serait en état de fixer le soleil, de le contempler à sa propre place, et, se mettant à raisonner, il viendrait à conclure que c'est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout le monde visible, et qui est, en-quelque sorte, la cause de tout ce qui se voyait dans la caverne. » (Platon, République, livre VII).

La connaissance des ombres, c'est la connaissance sensible dont la dialectique nous délivre; les objets réfléchis dans l'eau, ce sont les rapports, l'ordre, les lois, les genres qui nous donnent ici-bas l'image de la réalité véritable; les objets réels, ce sont les idées; le soleil, principe de lumière, c'est l'idée du bien en qui se concentrent toutes les perfections.

Quand on a exprimé l'idée dans une définition, il faut aller du principe à la pluralité des conséquences, de l'unité du genre à la pluralité des espèces, démêler les rapports des idées entre elles, La division est le dernier terme de la dialectique, elle représente le mouvement même et la vie de la pensée.

La dialectique des sentiments.
Ce n'est pas avec la raison seule, mais c'est avec tout son être que l'on doit chercher la vérité. Pour connaître le bien, il faut l'aimer. C'est l'amour qui donne l'élan à l'âme et la délivre du monde périssable. Il y a aussi deux degrés dans l'amour. Il y a l'amour terrestre et populaire et l'amour céleste. D'abord, on aime les belles formes, les beaux sons, les belles couleurs, en un mot, la beauté physique et surtout la beauté des corps humains. 

« Quel n'est pas l'enthousiasme des amants! S'ils ne craignaient de paraître insensés, ils sacrifieraient à l'objet aimé comme à l'image d'un dieu! » 
Cette beauté éveille en nous le souvenir de la beauté divine que nous avons contemplée à la suite des dieux. Dégageons-nous de la passion exclusive, aimons donc la beauté dans le type éternel que les belles formes révèlent. Le corps n'est beau que parce qu'il exprime l'unité de l'âme et l'harmonie qu'elle met en lui. Dans l'âme, nous aimons les belles actions, les beaux sentiments, mais, plus haut encore est la beauté elle-même, terme suprême auquel un dernier élan nous élève. 
« O mon cher Socrate, dit l'étrangère de Mantinée dans le Banquet, ce qui peut donner du prix à cette vie, c'est le spectacle de la beauté éternelle. Je le demande, quelle ne serait pas la destinée d'un mortel, à qui il serait donné de contempler le beau sans mélange, dans sa pureté et sa simplicité, non plus revêtu de chair et de couleurs humaines, et de tous les vains agréments condamnés à périr; à qui il serait donné de voir, face à face, sous sa forme unique, la beauté divine! »
La théorie des idées. 
Le mouvement dialectique qui nous élève vers l'idée, nous met en possession de l'être véritable. La connaissance par les sens est illusoire, les objets sensibles ne sont que des apparences. Ils passent et meurent, ils sont multiples, variables. Leur raison d'être est dans quelque chose de permanent à qui seul le nom de réalité convient, c'est-à-dire dans l'idée. L'idée n'est pas un concept général, obtenu par abstraction. Elle ne représente pas l'ensemble des qualités communes appartenant à des individus particuliers. Non, elle existe en dehors du monde sensible. Elle n'est pas obtenue par une opération discursive, elle est l'objet même de l'intuition, de la noêsis. C'est un être réel, concret; elle existe en elle-même et non dans une chose dont elle ne serait que la qualité. Elle a pour caractères la perfection, la pureté absolue et sans mélange, l'éternité. et l'immutabilité. Tandis que les phénomènes passent, elle demeure. L'idée intelligible de l'humain est ce qui rend éternellement possible l'existence des humains qui naissent et meurent. Il y a autant d'idées ou d'essences intelligibles que l'on conçoit de genres et d'espèces. De plus, elles ont des rapports entre elles, et la fin de la science est de découvrir ces rapports qui expriment les lois mêmes de l'Etre, et comme l'unité est la loi de l'esprit, il finit par prendre conscience de l'existence de l'idée, du bien de laquelle dépendent les perfections et la réalité des autres idées. 
« Tous les êtres intelligibles tiennent du Bien leur être et leur essence [...]. Aux dernières limites du monde intelligible est l'idée du Bien, qu'on aperçoit avec peine, mais qu'on ne peut apercevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de beau et de bon. »
Cette idée des idées, qui se confond à la fois avec le vrai et le beau, puisqu'elle comprend toutes les perfections, c'est Dieu. Le Dieu de Platon est un être réel et vivant. 
« Eh quoi! dit-il, nous persuadera-t-on facilement que dans la réalité, le mouvement, la vie, l'âme, la pensée, ne conviennent pas à l'Être absolu; que l'Être ne vit ni ne pense, et qu'il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l'auguste et sainte intelligence? »
 Son existence est encore prouvée par la nécessité dans laquelle nous sommes de concevoir un premier moteur : 
« Comment ce qui est mû par un autre serait-il le principe du mouvement?-»
 et par les causes finales : 
« S'il est vrai que les mouvements et les révolutions du ciel et de tous les corps célestes ressemblent essentiellement au mouvement de l'intelligence, à ses procédés et à ses raisonnements, on en doit conclure évidemment qu'une âme pleine de bonté gouverne cet univers, et que c'est elle qui le conduit comme elle le fait. » 
Ce dieu créateur est en même temps providence
« Il était bon, dit Platon, et celui qui est bon n'est avare d'aucun bien. Il a donc créé le monde aussi bon que possible, et pour cela, il l'a fait semblable à lui-même. »
Il suffit de remettre ce qui semble un désordre à sa place, dans le tout, pour en comprendre la raison.

Il reste à se demander maintenant quel est le rapport des idées avec les choses sensibles. Est-ce qu'elles en sont complètement séparées, est-ce qu'elles sont les modèles purs et parfaits à l'imitation desquels ont été faits les objets que les sens perçoivent ou bien les idées sont-elles présentes à ces objets? Il semble que selon Platon, il n'y ait pas imitation (mimêsis), mais participation (metheoeis). Dans cas, on se demande comment les idées peuvent, sans perdre leur unité, se communiquer à des êtres multiples. Platon soulève la question dans le Parménide sans la résoudre. Il dit seulement qu'il y a une idée de chaque chose, voulant dire par là que tout a sa raison d'être. Qu'est-ce donc que le monde sensible? Dans le Timée, Platon paraît lui reconnaître une existence qui serait celle de la matière. La matière serait éternelle, et le lieu, l'espace qui reçoit les corps, Dieu serait le démiurge qui la meut et l'ordonne. Mais dans le Sophiste, ce dualisme s'évanouit. La matière ne serait plus que le non-être, ce qui est contradictoire et négatif, ce qui limite idéalement les différentes combinaisons qu'il est possible de faire entre les différentes réalités.

Les nombres idéaux.
Les obscurités que présente, historiquement, la doctrine platonicienne des idées, ne sont nullement éclaircies par le témoignage d'Aristote. Tantôt ce dernier vise seulement tel passage des dialogues que nous avons, et son interprétation, presque toujours tendancieuse, provoque la défiance, tantôt il se réfère aux opinions non écrites, et, dans ce cas, nous n'avons pas de garantie suffisante que les doctrines attribuées à Platon lui appartiennent davantage que celle des idées a appartenu à Socrate. Ce qu'Aristote en dit se réfère, en tout cas, à une singulière formule, qui peut d'autant moins être négligée que ce que nous savons de l'activité dogmatique des successeurs immédiats de Platon se rapporte surtout aux questions soulevées par cette formule. 

D'après Aristote, Platon aurait fait une distinction (rejetée plus tard par Speusippe) entre les nombres mathématiques et les nombres appelés par lui idéaux (Eidètikoi serait mieux traduit par spécifiques). Ces derniers (qu'il aurait limités à dix) auraient, d'une part, été composés d'unités dissemblables entre elles et auraient présenté un ordre de succession (de façon à n'avoir pas à être classés sous une idée commune). Ces très vagues renseignements ne permettent pas de se faire une idée exacte de cette doctrine, et on est, d'ordinaire, tenté d'y voir une malheureuse imitation du pythagorisme, sur laquelle il est inutile d'insister. Nous ne pouvons partager cette opinion et nous pensons qu'il y a là une énigme aussi intéressante que la plupart des autres questions platoniciennes. Il nous semble qu'après avoir posé sa doctrine, Platon s'est préoccupé, peut-être encore moins de la défendre ou de la réformer que d'en montrer la fécondité (dont le Philèbe est, sans contredit, un des plus heureux exemples); mais il lui fallait créer une méthode permettant d'établir un classement et une hiérarchie des idées; la dialectique antérieure (Parménide) ne peut aboutir; la méthode de division dichotomique (Sophiste, Politique) ne pourra servir utilement pour la marche descendante qu'une fois que l'on aura reconnu l'ordre véritable du monde intelligible; autrement, on n'opère que sur des notions abstraites, nous dirions subjectives, et le résultat reste empreint d'une large part de fantaisie. Il faut donc systématiser la voie ascendante de la dialectique. Que dans ce but, Platon ait cru pouvoir faire des emprunts à la terminologie arithmétique, on peut l'expliquer tout aussi bien par ses tendances mathématiques personnelles que par l'imitation de symbolisme pythagoricien. En tout cas, il y a au moins un de ses nombres idéaux que nous connaissons suffisamment, soit par les fréquentes allusions d'Aristote, soit par les indications du Philèbe ou du Timée; c'est la dyade indéterminée des contraires (ou autrement le grand et le petit), le principe de l'indétermination. On est aussitôt porté à reconnaître dans la monade le principe de la limite et à supposer que Platon avait de même assigné à une série de nombres suivants une signification principielle déterminée, qu'on pourrait peut-être retrouver dans les traditions pythagoriciennes postérieures. Mais ce serait, sûrement méconnaître la véritable signification de la doctrine. 

Dans le Philèbe, Platon affirme hautement l'unité de la cause, et qualifie d'hénades toutes les idées. D'ailleurs, si ces nombres idéaux sont composés d'unités différentes, et si dès lors deux nombres dénommés sont différents, il est impossible de confondre le nombre idéal avec l'idée. Il ne l'est pas moins de résoudre les difficultés que présentent la doctrine des idées sans établir des distinctions indispensables. Les idées que célèbre Platon, et qu'on peut appeler morales (le bien, le beau, le vrai), sont, évidemment, pour lui des unités, mais le terme d'hénades semble s'étendre plus loin et s'appliquer également, par exemple, à des notions comme celles de la grandeur ou de la petitesse, qui n'existent qu'en relation, dans une dyade; d'autres notions, comme celles des espèces naturelles, pouvaient être conçues, d'autre part, comme formées de la combinaison d'un nombre déterminé de notions plus simples. C'est dans cette voie, croyons-nous, qu'il faut chercher l'interprétation de cette doctrine des nombres idéaux, seulement il faut bien entendre que Platon ne fit que l'ébaucher, que ses successeurs ont été incapables d'aboutir, et que nous ne pouvons prétendre restituer une hiérarchie et un classement qui n'ont jamais été établis. Nous n'avons, en fait, d'aperçus un peu clairs que sur les premiers termes de ce classement.

Morale de Platon. 
La doctrine morale de Platon est intimement liée à sa théorie de la connaissance. De même qu'il soutint contre les Sophistes qu'il y a une science du réel, de même il soutient que le souverain bien ne consiste pas dans le plaisir, qu'il n'est pas à la merci' de l'appréciation de chacun, et qu'il y a une loi morale, principe de tout ce qui est juste et des lois écrites. L'humain doit s'efforcer de ressembler à Dieu : c'est en cela que consiste la vertu

Mais il faut connaître l'humain pour savoir ce qu'il doit être. L'âme se compose de trois parties : l'epithumia ou le désir, qui comprend les appétits, les passions inférieures, et qui a son siège dans le bas-ventre; le thumos, qui est l'appétit irascible ou le courage, et qui a son siège dans le coeur, et le noûs, ou la raison, qui a son siège dans le cerveau. Platon, dans le Phèdre, compare l'âme à un char attelé de deux coursiers : l'un, noir et rebelle, est toujours tenté de s'emporter; l'autre, blanc et généreux, contient son compagnon s'il est bien dirigé, mais s'emporte avec lui s'il n'est pas maintenu. Le cocher, c'est le noûs, qui doit maintenir le cheval blanc, le thumos, et s'en servir pour contenir le cheval emporté, l'épithumia.

A chacune des parties de l'âme correspond une vertu spéciale. La tempérance convient à l'épithumia elle consiste à modérer les passions, à fuir les excès. Le courage convient au thumos. Cette vertu con siste à savoir ce qu'il faut craindre et ce qu'il ne faut pas craindre. Elle naît quand le thumos, au service de la raison, est dirigé contre les passions. La justice est la vertu qui naît de la possession des autres vertus; elle appartient à l'intelligence, au noûs. C'est la vertu des vertus, elle est le principe de l'harmonie intérieure de l'âme et de la domination des passions par la volonté guidée par la raison.

Platon méprise la vertu qui vient de l'habitude, il la compare à la connaissance sensible. La vertu consiste dans la raison, dans la vision claire de ce qui est bon et de ce qui ne l'est pas. La vertu est une science; quand on sait le bien, on le fait. L'humain ne fait le mal que par ignorance; il l'accomplit en croyant faire le bien. Il faut savoir discerner ce qui nous convient de ce qui ne nous convient pas. Le mal, l'ignorance et l'erreur ne sont qu une seule et même chose. Etre vertueux, c'est posséder la science du bien, et quiconque a l'intelligence du bien est nécessairement bon.

Le bonheur est le compagnon intime de la vertu. Le mal, au contraire, est inséparable de l'expiation et du châtiment. Il vaut mieux même rechercher le châtiment que le fuir. Tout doit rentrer dans l'ordre, et il est préférable de subir l'injustice que de la commettre. Elle est le plus terrible des maux. Il ne faut pas tenir le crime secret, il faut s'offrir au juge 

« en sorte que, si la faute qu'on a faite mérite des coups de fouet, on se présente pour les recevoir; si l'amende, on la paye; si l'exil, on s'y condamne; si la mort, on la subisse. » 
L'expiation, si elle n'est pas subie durant cette vie, nous atteindra après la mort, de même que la récompense est éternellement due au sage.

Platon démontre dans le Phèdre l'immortalité de l'âme. L'âme est indissoluble, parce qu'elle est pure et simple; dira-t-on qu'elle n'est que l'harmonie du corps? Mais on ne voit pas l'harmonie lutter contre la lyre qui la produit, tandis que l'âme lutte contre le corps, et s'affranchit du désir et de la passion. 

De plus, dit Platon, « l'âme est très semblable à ce qui est divin, immortel, intelligible, simple et identique. Etant telle et de telle nature, lorsqu'elle sort du corps, sans en rien entraîner après elle, elle se rend vers ce qui est immatériel comme elle-même, et, ce but une fois atteint, elle entre en possession du bonheur véritable. » 
Ainsi que les Pythagoriciens, Platon croit aussi à la transmigration des âmes. Celles des méchants qui n'ont pas su se délivrer des liens sensibles, tomberont dans un corps inférieur, d'un esclave ou d'un animal, tandis que les âmes des sages, touchées de nouveau par la vérité intelligible et éternelle, reprendront leur vol à la suite des dieux.

Politique de Platon.
L'importance de la politique, aux yeux de Platon, peut être mesurée à l'étendue de ses deux ouvrages principaux, la République et les Lois, qui égale presque celle de l'ensemble de tout le reste de l'oeuvre authentique. Il faut remarquer d'autre part que Platon a rattaché lui-même à la République une trilogie qu'il a laissée imparfaite, mais dont le caractère et les proportions eussent fait de l'ensemble le monument le plus grandiose de la pensée grecque. Après une première journée, où Socrate a raconté les entretiens consignés dans la République, Timée expose, avec les doctrines physiques de Platon, ses croyances sur la divinité et sur son rôle dans le cosmos, dans la troisième journée, Critias commence à développer le mythe de l'Atlantide, dont nous ne pouvons deviner la conclusion, mais dont la portée est évidemment politique; le quatrième entretien devait mettre en avant le général syracusain Hermocrate et redescendre des fantaisies poétiques aux réalités de la pratique. 

Le système politique exposé dans le dialogue de la République correspond à l'organisation idéale que rêve Platon. Pour lui, le règne de la justice ne peut se réaliser que dans une société organisée. L'Etat a pour mission de faire des citoyens vertueux. Mais l'Etat n'existe pas pour l'individu; il constitue une réalité supérieure, dont les individus ne sont que les éléments. Dans la Cité, comme dans l'univers, le particulier est sacrifié au général, le multiple à l'unité. La République idéale est une personne collective et vivante, indépendante des citoyens qui la composent. De même qu'il y a une psychologie de l'individu, de même il y en a une de l'Etat. Il se compose de trois classes, qui correspondent aux trois facultés de l'âme : à l'épithumia, correspond la classe des artisans et des labour reurs; au thumos, correspond la classe des guerriers, qui a pour fonction de défendre l'Etat contre les entreprises de l'ennemi du dedans et du dehors; au nous correspond la classe des philosophes qui doivent gouverner l'Etat et faire fonctions de magistrats, et qui sont chargés, comme étant les plus sages, de faire respecter la loi qui est dictée par la raison. La vertu des artisans est la tempérance, la vertu des guerriers est le courage, et la vertu des magistrats est la sagesse.

La justice et l'harmonie règnent dans l'Etat quand il y a union et subordination entre les différentes classes de citoyens, quand tous accomplissent exactement leur fonction. Le mal, le désordre, vient de l'égoïsme; il est donc nécessaire de le tuer dans sa source. Aussi, ne doit-il avoir ni bien, ni richesses particulières. Tout doit appartenir à l'Etat. Platon demande. L'abolition de la propriété, il veut que les terres app partiennent à tous les citoyens. De même les femmes, qui sont aussi une cause de discorde, doivent être communes. II appartiendra aux magistrats de créer les unions entre elles et les hommes, et de les faire cesser. Quant aux enfants, ils seront élevés par la Cité, aux frais de tous. La République doit, dans l'esprit de Platon, devenir une grande famille, où chaque citoyen, dans tous les enfants d'un certain âge, reconnaît ses propres enfants. 

L'abstention politique de Platon à Athènes ne doit pas faire illusion; ce qui l'a passionné pour Socrate, ce n'est pas l'habileté dialectique de ce dernier, mais bien son caractère moral. Or, à cette époque, dans la vie grecque, la morale était encore inséparable de la politique. Socrate cherchait sans doute surtout à former des citoyens, en dirigeant, dans un certain sens politique, les intellectuels de son temps. Sous ce rapport, Platon est son légitime héritier. Mais le sort de son maître a confirmé les convictions qu'il avait déjà pu se former sous l'enseignement de Socrate et sous celui des événements politiques : il n'y a rien à faire à Athènes, parce qu'il faudrait réformer la société de fond en comble. Or, si Platon a cette conviction, s'il est un socialiste, il n'a rien du révolutionnaire. Comme, au reste, son idéal politique est un communisme absolu pour les hautes classes, un individualisme relatif, au contraire, pour la classe des travailleurs, maintenue dans la subordination, la moindre réflexion suffit à montrer qu'il ne pouvait attendre, pour la réalisation d'un tel but, le concours ni de la démocratie, ni de l'oligarchie.

Tout au plus pouvait-il rêver qu'un monarque, imbu de ses idées, préparât le terrain pour une pareille organisation, et encore avouait-il (en enveloppant cet aveu d'une énigme célèbre, Civ., VIII, 446 bc) qu'un pareil gouvernement ne serait peut-être pas beaucoup plus stable que les antres, entraînés, par l'imperfection inhérente à l'humanité, dans un cycle fatal de révolutions. 

La République de Platon est donc une utopie dont il a parfaitement conscience, mais qui n'en a pas moins l'intérêt et l'utilité de tout idéal, en dehors des détails, souvent très pratiques, dont elle est accompagnée. Comment Platon s'est-il formé cet idéal, qui au reste ne dépasse pas les limites restreintes de l'organisation de la cité grecque? Probablement par une vue très profonde sur l'état social de son temps, sur le danger qu'offrait la formation d'une caste militaire (les mercenaires) qui, à la suite de l'état de guerre prolongé, menaçait d'amener rapidement toute la Grèce au point où en était déjà la Sicile et où se trouva l'Italie au XVe siècle, sous la domination des condottieri. Les conquêtes macédoniennes furent au reste la forme, alors imprévisible, sous laquelle se produisit la révolution. 

Platon sait que la démocratie n'est pas assez éclairée pour parer au danger; il admet d'ailleurs que la caste militaire est indispensable dans une cité; il veut donc la subordonner à une classe intellectuelle, les gardiens, mais pour éviter les abus inhérents à toute aristocratie, il ne voit qu'une ressource, détruire, pour les deux classes dirigeantes, la famille et la propriété. On a trop parlé, pour expliquer cette idée, d'une exagération des principes de la constitution spartiate; les conceptions de Platon ont sans doute un caractère beaucoup plus personnel; si, en les mûrissant, il a subi quelques influences, il faut beaucoup plutôt penser à l'étude qu'il avait pu faire des castes égyptiennes, d'une part, et, de l'autre, au caractère politique aristocratique et communiste, des anciennes associations pythagoriciennes.

Platon n'était, au reste, ni le premier, ni le seul de son époque, à construire des utopies politiques, et il ne s'est pas borné à celle de la République. Les Lois, quoique sous une apparence plus pratique, supposent des conditions à peu près aussi irréalisables dans l'établissement d'une colonie avec toute liberté pour régler sa constitution. Mais, par les détails minutieux dans lesquels entre Platon dans ce dialogue, tandis que la République se maintient dans les hauteurs philosophiques, le nouveau cadre choisi permettait au maitre d'exposer le résultat de ses mûres réflexions sur tous les points de la législation et de faire ainsi une oeuvre politiquement des plus utiles. Si, cette fois, il abandonne l'idée communiste, on ne peut dire pour cela que ses conceptions se soient transformées; la suprématie d'une classe savante, la réforme de l'éducation publique, l'adoption de toutes les mesures propres à assurer la stabilité de l'organisation sociale, même aux dépens du libre développement de la littérature et des arts, constituent toujours les traits essentiels de le politique platonicienne. 

Quant à l'influence qu'elle exerça sur les contemporains, il est difficile de l'apprécier exactement. Nous connaissons mal les conditions dans lesquelles il essaya d'agir en Sicile; d'autre part, il est certain que bon nombre des élèves qui, de tous les points de la Grèce, venaient assister aux leçons de l'Académie, se proposaient un rôle politique. Mais nous ne connaissons pas les lois que, d'après les anciens, Aristonyme aurait données aux Arcadiens, Phormias aux Eléens, Ménédème aux Pyrrhéens; si des disciples de Platon sont cités comme tueurs de tyrans, ou comme héros des luttes de la liberté grecque contre la Macédoine, d'autres, au contraire, paraissent s'être emparés de la tyrannie, y avoir visé, ou avoir servi le roi Philippe; son grand ami, Dion, est une figure assez énigmatique; Phocion lui ferait plus d'honneur.

La question des mythes

Un autre problème, aussi controversé que celui de l'interprétation de la doctrine des idées, est relatif à la signification des mythes platoniciens. Représentent-ils réellement les croyances intimes de Platon? A-t-il voulu, au contraire, tenir secrètes ses véritables convictions philosophiques, et enseigner, à leur place, des dogmes socialement utiles? Avec un autre philosophe, la question ne devrait pas même se poser; mais il faut avouer que Platon, tout en célébrant le vrai à l'égal du bien et du beau, admet le mensonge politique et, d'autre part, invite les législateurs à composer des mythes dans un but moral. D'un autre côté, des logiciens (en particulier Teichmüller) ont montré que les prétendues preuves dialectiques de Platon pour l'immortalité de l'âme, par exemple, ne sont nullement suffisantes pour l'établir dans la forme admise d'après les mythes, qu'elles pourraient beaucoup plutôt conduire à de tout autres conclusions, qui constituent ce qu'on a appelé l'interprétation panthéistique de Platon. En réalité, la transcendance ne serait pour lui qu'une figure; le divin est immanent au monde éternel; comme lui, l'âme est d'essence divine, mais, à la mort, rentre dans le sein de la divinité, comme elle s'en détache pour la naissance. La réminiscence n'est qu'une expression mythique de cette doctrine. 

Cette interprétation a une gravité philosophique incontestable, mais, malgré les efforts de ses adhérents, n'a pas de valeur historique. Elle repose sur l'hypothèse qu'un philosophe doit toujours tirer toutes les conséquences de ses prémisses, et elle dénature le caractère de Platon, chez qui l'enthousiasme des convictions s'unit d'une façon si singulière avec le scepticisme dialectique. Platon a la pleine conscience que la méthode employée jusqu'à lui ne vaut que pour la destruction; il essaie de la transformer pour fonder la science des vérités essentielles, mais il ne se dissimule nullement les difficultés de la tâche et prétend n'aller que pas à pas. La voie du mythe reste donc la seule qui lui soit ouverte pour exposer ses croyances. Cette forme, il ne l'a d'ailleurs pas inventée, et il sait bien que les lecteurs auxquels il s'adresse ne la prendront que pour ce qu'elle vaut. Il ne s'abstiendra donc ni de fantaisies littéraires, ni d'hypothèses auxquelles il ne croit peut-être qu'assez mal, mais, en tout cas, il n'ira pas donner à ses mythes un sens général contraire à ses convictions. Ce sens général offre parfois pour nous, comme nous l'avons signalé, une certaine obscurité; mais on a peut-être tort de vouloir trop l'approfondir et de prétendre assigner une signification philosophique à ce qui peut n'être qu'affaire d'art. 

En somme, il est incontestable que, dans ses mythes, Platon enseigne la préexistence des âmes, leur immortalité et la rémunération après la mort; très probablement, il est également convaincu de leur transmigration, mais n'a pas d'opinion arrêtée sur les conditions auxquelles elle est soumise. Quant à sa théologie, il reconnaît expressément, dans le Timée, une divinité suprême, organisatrice du monde, et qui en a formé l'âme, en même temps que toutes les autres, y compris celles des dieux secondaires qui achèveront son oeuvre en formant les corps et en y unissant les âmes. Mais il est essentiel d'observer que les précautions oratoires dont il se sert permettent de penser que l'organisation du monde dans le temps est une forme mythique d'exposition. II est donc loisible de croire, au moins, qu'il n'avait pas de convictions faites sur la question de l'éternité ou du commencement du monde.

Les nombres et le monde

Après avoir examiné Platon comme philosophe, comme politique, ou, si l'on veut, sociologue, nous dirons quelques mots de son rôle comme savant. 

Mathématiques.
On a vu l'importance qu'il attribuait à l'enseignement des mathématiques; son oeuvre entière est parsemée d'allusions à ces sciences, que, certainement, il devait connaître et aimer singulièrement. Mais a-t-il été réellement mathématicien lui-même? la science lui doit-elle un progrès déterminé? La question est très controversable, On lui attribue, sans garantie suffisante :

1° un procédé pour former trois nombres représentant les trois côtés d'un triangle rectangle (2n, n²-1, n²+1) en partant d'un nombre pair 2n, procédé opposé à un autre attribué à Pythagore (n, (n²-1)/2, (n²+1)/2), où l'on part du nombre impair n;

2° une solution du problème des deux moyennes proportionnelles (duplication du cube), solution très élégante, mais mécanique, et par là même opposée à ce que la légende (Plutarque) dit de la tendance qu'il cherchait à imprimer à la géométrie

Dans l'extrait d'Eudème, conservé par Proclus sur Euclide, Platon n'apparaît que comme un penseur dont les écrits ont éveillé dans beaucoup d'esprits l'amour de la science et qui a personnellement encouragé à l'étude des mathématiques Philippe d'Oponte, par exemple, ou soulevé des questions résolues par d'autres, comme celle des sections coniques, abordées par Eudoxe et son disciple Ménechme. Eudème peut avoir, sous et dernier point, visé simplement ce qui est dit de l'étude des solides dans la République. Mais Proclus attribue aussi à Platon d'avoir inventé l'analyse géométrique, qu'il aurait communiquée à Léodamas de Thasos. Ceci semble une fiction de la légende qui devait naturellement se créer sur le rôle du philosophe. Car à quoi devait-il s'attacher, sinon aux méthodes? Mais cette fiction n'est nullement plausible, car nous avons des exemples authentiques de l'analyse géométrique (supposition du cherché comme vrai) qui sont antérieurs à Platon. 

A en juger par ses écrits, il a beaucoup plutôt essayé d'introduire en philosophie des procédés de raisonnement empruntés aux mathématiques, que de perfectionner ces derniers procédés. Tout au plus, par analogie avec sa double voie dialectique, pourrait-on croire qu'il a fait ressortir l'utilité d'opposer une synthèse à toute analyse et contribué à faire adopter par les géomètres grecs l'habitude de procéder par cette double voie, habitude abandonnée aujourd'hui, en raison de l'emploi exclusif de raisonnements toujours immédiatement réversibles. D'un autre côté, il n'est pas plus aisé d'apprécier quelle part de vérité contient la tradition qui groupe tous les géomètres du temps autour de l'Académie et en fait, par suite, des disciples ou des amis de Platon. Cette tradition est certainement inexacte pour le plus éminent mathématicien du IVe siècle, Eudoxe de Cnide, qui se posa plutôt en rival du philosophe; si l'on demande au contraire quels sont les travaux auxquels Platon s'intéressa le plus, il est très clair que ce sont ceux de son ami Théétète, d'un côté sur les quantités irrationnelles, de l'autre sur les cinq polyèdres réguliers, appelés plus tard figures platoniciennes, à cause du rôle qu'ils jouent dans le Timée.

La matière.
En ce qui concerne les sciences physiques et naturelles, c'est à peu près exclusivement dans ce dernier dialogue que Platon fait montre des connaissances qu'il a acquises et des réflexions qu'il a faites à leur sujet. Les Etudes très détaillées de Th.-H. Martin ont établi que ces connaissances étaient profondes et, d'autre part, le Timée paraît avoir eu, comme sommaire de physique, une influence beaucoup plus grande qu'on n'est d'ordinaire porté à le croire. Il n'y a certainement pas à comparer, dans ce domaine, l'oeuvre de Platon avec l'effort encyclopédique d'Aristote; mais on a souvent le tort d'opposer l'un à l'autre, comme représentant deux tendances opposées, de faire : de l'un, un pur idéaliste, dédaigneux de l'observation et de l'expérience; de l'autre, le représentant de la science de la nature, déjà presque avec son esprit moderne. Rien n'est moins justifiable; si Platon a rejeté l'étude du concret dans le domaine de l'opinion, s'il a montré, dans les mathématiques et dans la discussion des notions abstraites, la voie de la certitude scientifique, il a eu une vue très claire de ce qui était possible, non seulement de son temps, mais encore pour un avenir très éloigné. Le Timée montre assez qu'il ne se désintéressait nullement de l'explication des phénomènes particuliers, cette explication ne dût-elle être que seulement probable. Aristote, comme abstracteur, ne le cède, d'ailleurs, nullement à son maître et reste fidèle au même principe, en posant qu'il n'y a de science que du général; mais ses inductions ou ses généralisations de l'expérience, beaucoup trop hâtives et superficielles, ne dépassent pas davantage le niveau du probabilisme. Sa véritable différence avec Platon sous ce rapport est qu'il procède en professeur et n'avoue point l'incertitude de ses thèses, tandis que Platon a écrit sur la nature en dilettante et avec une pleine conscience de la part de fantaisie mêlée à ses opinions.

Au reste, dans le Timée, Platon reconnaît comme principes primordiaux, en même temps que le Démiurge

1° l'essence du paradigme, de l'idée suivant laquelle le divin organise le monde; 

2° le réceptacle universel, c.-à-d. l'espace vide, que l'on considère comme représentant pour notre philosophe, le concept de matière première;

3° l'espèce sujette au devenir et au changement, qui présente pourtant, au moins, quelques-uns des caractères de ce concept. La figuration primitive de cette dernière espèce a lieu sous forme de triangles plans, qui peuvent s'unir de façon à former des polyèdres réguliers, le tétraèdre, l'octaèdre, l'icosaèdre et le cube, représentant respectivement des particules élémentaires, mais décomposables, du feu, de l'air, de l'eau, de la terre. De la différence de ces figures résulte un mouvement irrégulier, mais amenant finalement la séparation des éléments, et, par conséquent, un état d'équilibre antérieur à l'organisation du cosmos. 

Dans le récit de l'origine des âmes, Platon distingue, au contraire, l'essence du Même, indivisible et toujours identique, celle du Différent, divisible et changeant, enfin, une troisième nature intermédiaire et provenant de l'union des deux premières, opérée par le Démiurge, Les âmes sont formées par un mélange de ces trois substances, d'après une combinaison où interviennent les rapports musicaux harmoniques, et elles sont construites sur le type du ciel, le mouvement de la sphère céleste étant attribué au principe du Même, celui des planètes au principe du Différent. Toute cette psychogonie a le caractère d'une fantaisie mathématique, et n'a qu'une valeur purement mythique. Le sens qu'il faut lui donner reste controversable. Évidemment, Platon conçoit l'âme comme motrice et automotrice; il a en même temps voulu exprimer, par une image plus ou moins heureuse, comment elle pouvait percevoir le beauté et l'harmonie de l'univers, réglé par les lois mathématiques de la forme et du mouvement; d'autre part, Platon admet dans l'âme, à côté d'un élément qui lui permet de s'assimiler les idées, un autre élément changeant par lequel elle perçoit les phénomènes passagers du devenir et agit sur eux. Mais cet élément, donné comme divisible, est-il réellement conçu comme étendu, ainsi qu'il semblerait d'après le mythe? C'est ce qu'on peut également soutenir ou nier. En tout cas, il me semble inexact d'identifier complètement, comme on l'a fait, le principe du Différent avec l'espace vide, et le mixte du Même et du Différent avec la nature sujette au devenir. Cela à incite à opter pour une conception de l'âme comme purement immatérielle (quoique supposant la possibilité des relations avec la matière) et le principe du Différent comme une notion abstraite (un nombre idéal), la dyade indéterminée. 

Quant au monde des corps, il est certain que la conception de l'espace pur, chez Platon, est bien celle qui se rapproche le plus de la conception de la matière chez Aristote (la possibilité pure). Mais, au contraire, c'est l'espèce sujette au devenir qui répond le mieux à notre concept actuel de la matière. Il est à remarquer, en tout cas, que Platon n'indique nullement que cette espère ait eu un commencement; la période du mouvement désordonné, aboutissant à la séparation des éléments, semble dès lors purement mythique. Pour les éléments, en attribuant à leurs particules minimées des formes géométriques, Platon procure à son système quelques-uns des avantages qu'offrait l'atomisme pour l'explication des phénomènes particuliers; mais, d'après lui, les particules élémentaires sont périssables par résolution en figures planes de deux sortes, celles qui peuvent engendrer le cube (la terre), et celles qui peuvent engendrer les solides à face triangulaire (eau, air, feu). Ces figures primordiales ne semblent pas avoir de dimensions déterminées; il n'y aurait donc point d'éléments ultimes; le mythe signifierait simplement, d'une part, que la seule spécification essentielle de la matière est la forme, le mouvement lui étant imprimé du dehors par le principe animé, de l'autre, que c'est dans l'étude géométrique des propriétés des formes qu'il convient de chercher l'explication des phénomènes. 

La négation d'un élément figuré ultime, supposée dans les lignes qui précèdent, est nécessaire, si Platon admettait, comme les géomètres l'ont toujours fait, la divisibilité indéfinie de l'étendue. Il semble certain, toutefois, que son successeur, Xénocrate, soutint l'existence de lignes insécables comme principe du monde corporel, et qu'il aboutit ainsi à une forme particulière de l'atomisme. Quelques allusions obscures d'Aristote peuvent faire croire que Platon lui-même, dans son enseignement oral, avait adopté des formules susceptibles de lui faire imputer des conclusions analogues. Mais il est probable que la polémique d'Aristote, à cet égard, a pour point de départ un malentendu.

Astronomie.
Les idées astronomiques de Platon se trouvent disséminées principalement dans le Timée, dans la République et dans l'Epinomis, dont il n'est probablement pas l'auteur, mais sans doute en partie l'inspirateur.

Elles sont assez confuses et se rapprochent, sous certains rapports, des idées pythagoriciennes. Constamment préoccupé de la recherche de la pensée créatrice au milieu de la variété infinie des phénomènes, Platon présentait tous les corps, terrestres et célestes, comme participant à l'âme du monde; les astres étaient, d'après lui, des êtres animés; le monde lui-même n'était qu'un animal, et la forme sphérique était le type de la perfection.
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La formation du monde

«  [L'Artisan divin (ou Démiurge) ] donna au monde la forme la plus convenable et la plus appropriée à sa nature; or la forme la plus convenable à l'animal, qui devait contenir en lui tous les autres animaux, ne pouvait être que celle qui comprend toutes les formes. C'est pourquoi il donna au monde la forme sphérique, ayant partout les points extrêmes également distants du centre, ce qui est la forme la plus parfaite. Il polit toute la surface de ce globe animé, et cela pour plusieurs raisons. D'abord ce monde (animal) n'avait besoin ni d'yeux, ni d'oreilles, parce qu'il ne restait, en dehors de lui, rien à voir, ni rien à entendre; il n'y avait pas non plus autour de lui d'air à respirer; il n'avait besoin d'aucun organe pour la nutrition, ni pour rejeter les aliments digérés, car il n'avait rien à rejeter, ni rien à absorber. Non. Il est fait pour se nourrir de ses propres forces, et toutes ses actions, toutes ses affections lui viennent de lui-même et s'y renferment; car l'auteur du monde estima qu'il vaudrait mieux que son ouvrage se suffît à lui-même que d'avoir besoin de secours étranger. Par la même raison, il ne jugea pas nécessaire de lui faire des mains, parce qu'il n'avait rien à saisir, ni rien à repousser, et il ne lui fit pas non plus de pieds, ni rien de ce qu'il faut pour la marche. Mais il lui donna un mouvement approprié à la forme de son corps et qui, entre les mouvements, appartient principalement à l'esprit et à l'intelligence. Faisant tourner le monde constamment sur lui-même, il lui ôta les sept autres mouvements, ne voulant pas qu'il fût errant à son gré; le monde enfin, n'ayant pas besoin de pieds pour exécuter ce mouvement de rotation, il le fit sans pieds et sans jambes. »  (Platon, Timée).

Il s'agit là évidemment du mouvement général diurne, de ce que les Anciens appelaient la rotation de la sphère droite, donnant le jour et la nuit. Ils regardaient ce mouvement comme exclusivement propre aux étoiles ou à la sphère des fixes. Ils n'ignoraient cependant pas que les planètes elles-mêmes y participent; mais, comme les astres errants ont des mouvements propres beaucoup plus lents, les philosophes, qui étaient en même temps astronomes, physiciens et géomètres, s'engageaient à cet égard dans des considérations systématiques où le vrai le disputait au faux. Ainsi les étoiles (fixes), conservant invariablement entre elles les mêmes distances respectives, sont, d'après Platon, chargées du mouvement de rotation de la sphère du monde. Et par là il faut entendre, non pas évidemment la rotation de chaque étoile autour de son axe, mais le mouvement diurne, identifié avec le mouvement général de l'âme du monde.

Platon ne s'accorde pas ici avec les idées pythagoriciennes, proposées pour expliquer le mouvement général, diurne, de la sphère céleste par la rotation de la Terre autour d'elle-même. C'est ce mouvement qu'il désigne par rotation dans un même lieu, en tautô topô, c'est-à-dire sans changement de lieu, ou metadatikôs. Quant à la Terre, il la supposait complètement immobile. 

« Le Démiurge, dit-il, a formé la Terre, notre nourrice, pour être la gardienne et la productrice du jour et de la nuit. »
Mais, si la Terre est supposée immobile, comment pourra-t-elle produire la nuit et le jour? La réponse à cette question a été d'autant plus difficile que Platon s'est servi du mot illesthai ou eillesthai, que les plus anciens commentateurs, à commencer par Aristote, ont pris dans le sens de kineisthai, se mouvoir. Or, si la Terre se meut autour d'elle-même, il faudra supprimer le mouvement de rotation de la sphère du monde, devenu inutile, à moins qu'on ne veuille admettre que la Terre se meut concurremment avec la sphère du monde; mais alors comment se produiront la nuit et le jour? Pour trancher la difficulté, quelques interprètes, tels que Proclus, Plutarque, Simplicius, etc., ont donné au verbe employé le sens de se serrer, se retenir, d'où chez Homère, le mot illades, chaînes. Platon aura donc voulu dire (dans le Timée) que "la Terre se serre fortement autour de l'axe qui traverse l'univers (eillomenèn peri ton dia pantos polon tetamenon)." Cette interprétation, adoptée par Rh. H. Martin [Etudes sur le Timée de Platon], sauve l'immobilité de la Terre, qui produirait le jour et la nuit par sa résistance même au mouvement. Plutarque compare ici la Terre à l'aiguille (immobile) du cadran solaire; c'est son repos qui donne, dit-il, aux astres le lever et le coucher [Plutarque, Quaestiones platonicae, VIII, 3. - De facie in orbe Lunae; c. 25.)].

Cependant, au rapport de Théophraste, cité par Plutarque, Platon, dans sa vieillesse, aurait changé d'opinion [Vie de Numa, c. II. Voyez aussi Plotin, Ennéades, II, 2] relativement à la Terre, supposée immobile au centre du monde. Si le fait est vrai, Platon devait alors presque parvenu à l'extrême limite de sa vie, puisqu'il était déjà vieux quand il composa le Timée.

Les cercles que les planètes décrivent par leurs mouvements propres, sont, suivant Platon, tels, que le cercle de la Lune étant 1, celui du Soleil serait 2, celui de Vénus 3, celui de Mercure 4, celui de Mars 8, celui de Jupiter 9, et celui de Saturne 27. Ces cercles, dont la Terre occuperait le centre commun, suivent, comme on voit deux progressions distinctes : celle de la Lune, du Soleil, de Mercure et de Mars, représentée par 1, 2, 4, 8, et celle de Vénus, de Jupiter et de Saturne, exprimée par 3,9, 27.

Dans la République, Platon donne les cercles célestes, y compris celui des fixes, comme appartenant à l'immense fuseau des Parques, et il leur attribue les couleurs des astres qui les parcourent. Le premier cercle, celui des fixes, est, dit-il, scintillant, poikilon; le second, celui de Saturne, et le cinquième, celui de Mercure, sont plus jaunes que ceux du Soleil et de la Lune; le sixième, celui de Vénus, est moins blanc que celui de Saturne; le troisième, celui de Jupiter, est le plus blanc de tous, et le huitième, celui de la Lune, emprunte au précédent sa lumière et sa couleur [Th. H. Martin, Etudes sur le Timée].

Les mouvements propres des planètes, obliques sur l'équateur de la sphère du monde, décrivent, dans l'espace, les tours d'une spirale, elis, que Cicéron, interprétant Platon, a très bien rendu par helicis inflexione.

Ce que Platon a dit des mouvements particuliers de Mercure et de Vénus est peu clair, à moins qu'il n'ait voulu dire tout simplement que Mercure et Vénus suivent tantôt une direction opposée du Soleil, et tantôt se dirigent dans le même sens que l'astre du jour.

Qu'est-ce que Platon appelait la grande année ou l'année parfaite, ton teleion eniauton? L'examen de cette question nous intéresse surtout, parce qu'il nous montre l'état des connaissances d'alors relativement à la durée des révolutions des différentes planètes. La durée de la révolution lunaire (Lunaison), qui forme le mois, et la durée de la révolution solaire, qui compose l'année, ont été, comme nous l'avons vu, depuis la plus haute Antiquité un objet d'études constantes; et cela se conçoit, puisque la Lune et le Soleil sont, pour ainsi dire, les aiguilles de la grande horloge du monde, indiquant à tous les mortels la nécessité de compter exactement avec le temps. Les durées des révolutions de Mercure et de Vénus étaient estimées à peu près égales à une année, probablement parce que ces planètes sont les plus voisines du Soleil. Quant aux autres planètes, la durée de leurs révolutions était encore inconnue à l'époque de Platon, à en juger par les paroles mêmes du grand philosophe. 

«  Comme les hommes, à l'exception d'un petit nombre, n'ont pas, dit-il, observé les révolutions des autres planètes (Mars, Jupiter et Saturne), ils ne leur assignent ni noms, ni rapports numériques, de sorte qu'ils ne se doutent point, pour ainsi dire, de la durée de leurs mouvements révolutifs, d'une grandeur et d'une variété prodigieuses. » 
Puis il ajoute qu'il n'est cependant pas impossible de concevoir qu'après une certaine période toutes les planètes se retrouvent ensemble à leur premier point de départ.

C'est cette période qui se nommait la grande année platonique. Bien des opinions ont été émises sur sa longueur. Suivant un passage de l'Hortensius de Cicéron, conservé par Servius dans son Commentaire sur l'Enéide (III, 284), elle serait de 12 954 années solaires. Macrobe, dans son Commentaire sur le Songe de Scipion, lui assigne une durée de 15 000 ans [Th. H. Martin, Etudes sur le Timée].

La grande année platonique ferait-elle allusion à une vague connaissance de la précession des équinoxe, qui fait exécuter à la voûte céleste un mouvement de rotation en 25 000 ans environ?

Le Platonisme

Platon imprima à son école un caractère particulier. L'Académie forme une société qui se réunit tous les mois (le jour de la naissance du maître, qui est également celui où naquit Apollon) pour un banquet que suit une conversation philosophique; cette société garde la propriété du jardin de Platon; elle a un chef, le diadokhos, mais elle n'a pas de doctrine officielle : tour à tour le pythagorisme, le scepticisme, l'éclectisme y domineront en attendant les dogmes orientaux et le mysticisme. C'est ainsi qu'elle survivra à toutes les autres écoles philosophiques, se renouvelant après de passagères éclipses, gardant toujours le culte de son fondateur, imitant sa vie pleine de dignité et de réserve aristocratique, mais interprétant librement ses écrits, s'inspirant du texte sans s'y attacher.On trouvera aux pages Platoniciens, Platonisme et Néo-platonisme de ce site, les détails qui concernent soit l'école fondée par Platon, soit celle qui, après Aminonius Saccas et Plotin, essaya de renouer « la chaîne d'or ». Il suffit de rappeler ici ce que nous avons déjà indiqué. 

Platon est le premier penseur qui ait élaboré la sphère du transcendent et qui ait montré la possibilité de construire un système métaphysique; mais s'il a jeté des fondements inébranlables, élevé de majestueuses assises, tracé un plan grandiose, il n'a lui-même nullement achevé l'édifice. Le Platonisme n'a donc jamais constitué un corps de doctrines défini; il suppose seulement l'adoption de principes d'idéalisme objectif, dont la formule n'a jamais été rigoureusement définie, qui peuvent être entendus dans des sens passablement différents et conduire, on l'a vu, à des conclusions opposées, suivant les tendances spiritualistes ou panthéistiques de chacun. 

Le Platonisme consiste surtout dans l'admiration littéraire pour les écrits du maître, et dans l'adoption de ses formules, interprétées plus ou moins arbitrairement; c'est donc un dilettantisme philosophique, plutôt qu'une philosophie systématique et déterminée. C'est ce qui explique comment l'Ecole académique s'écarta si vite des doctrines véritables de Platon, comment, après avoir gardé, sous Speusippe et Xénocrate, un caractère scientifique général, elle se restreignit au domaine éthique, puis se transforma dans la direction sceptique.

Quant au Néo-platonisme, il faut le considérer, ce semble, comme un mouvement religieux plutôt que proprement philosophique; c'est une doctrine théologique étrangère avec laquelle on essaie de ressusciter l'hellénisme, et dont la philosophie se construit en invoquant Platon, mais aussi Pythagore et Aristote. Or à la même époque, les Chrétiens ont également à construire une philosophie. C'est à Platon qu'ils s'adressent, eux aussi, comme l'avaient déjà fait les Juifs avant eux. Les écrits sous le nom de Denys l'Aréopagite, opposés à ceux de Proclus ou de Damascius, montrent avec quelle facilité le déisme de Platon pouvait s'accommoder aux doctrines les plus contraires.

Après la chute de l'Empire romain, en Orient, la tradition accepte de bonne heure Aristote (christianisé, lui aussi, par Jean Philopon) sur le même pied que Platon; leurs doctrines ne sont pas d'ailleurs, en général, considérées comme réellement différentes; mais Platon n'est guère étudié qu'au point de vue littéraire; les philosophes arabes s'inspirèrent surtout d'Aristote, qui leur offrait un système complet, tout fait, avec tous les commentaires désirables pour un enseignement méthodique. En Occident, Platon et Aristote furent longtemps ignorés de fait l'un et l'autre; mais la tradition platonicienne domine les premiers scolastiques et inspire le réalisme : le Moyen âge vit ensuite s'accomplir au XIIIe siècle une profonde révolution philosophique amenée par l'étude d'Aristote, faite à l'imitation des Arabes. 

Platon ne fut connu qu'au moment de la Renaissance, où il excita en Italie un singulier enthousiasme, et l'on put croire un moment que Florence deviendrait le foyer d'une rénovation platonicienne de la philosophie. Malheureusement en même temps que le maître, on accueillait, comme ses fidèles disciples, les derniers Néo-platoniciens, avec leurs rêveries et leurs tendances à l'occultisme. Aristote, vigoureusement défendu par l'Eglise, resta en possession de l'école et ce n'est pas au nom de Platon qu'il devait être renversé. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, le platonisme est presque exclusivement littéraire; ce n'est qu'à partir du mouvement idéaliste provoqué par Kant que l'étude directe des écrits du maître a pris une réelle importance philosophique.

Si maintenant on arrête au Ier siècle de notre ère l'histoire de l'école académique, cela ne signifie nullement qu'il y ait eu pour le Platonisme une éclipse de deux à trois siècles. C'est au contraire l'indice que le Platonisme devient classique (comme l'Aristotélisme) et qu'il est désormais enseigné par des professeurs qui ne prétendent plus continuer le maître, mais seulement l'expliquer et le commenter. 

Des exégèses de cette période, il ne subsiste que des fragments insignifiants (à part l'ouvrage spécial de Théon de Smyrne); mais nous savons que Plotin avait étudié les écrits de Sévérus, de Cronius, de Numénius, de Caius, d'Atticus; la littérature platonicienne était au moins aussi abondante que la littérature aristotélicienne; et elle comprend des noms, tels que ceux de Plutarque et du médecin Galien; elle a même embrassé des recherches lexicologiques. Cependant les travaux des commentateurs ne semblent pas s'être étendus à l'oeuvre tout entière; un grand nombre de dialogues n'étaient réédités qu'avec des scolies, au plus avec quelque préface.

Il nous reste des commentaires d'Olympiodore sur le Premier Alcibiade, le Phédon et le Philèbe; d'Hermias sur le Phèdre; de Proclus sur le Parménide, la République, le Timée, et de Chalcidius sur le Timée. L'ouvrage que nous avons de Damascius peut aussi être considéré comme un commentaire du Parménide. Mais il n'y a pas d'indices sur l'existence d'exégèses d'autres dialogues, à part le Théétète. Si l'on ajoute à la liste de ces commentaires les Prolégomènes sous les noms d'Albinus, d'Alcinous et d'Olympiodore, on n'a de fait qu'un ensemble d'une valeur très médiocre. (P. Tannery / F. Hoefer/ NLI / FB / PL, etc.).



La vie de Platon selon les anciens auteurs. - On a des Vies de Platon écrites par Diogène Laërce (livre III), par Olympiodore (dans ses Prolégomènes) et par un anonyme, qui n'a guère fait que copier ce dernier auteur. La critique des sources de ces Vies est malaisée; les lettres attribuées à Platon, et composées en général par des auteurs ayant d'importants matériaux à leur disposition, ne peuvent cependant inspirer aucune confiance sérieuse. Les données éparses fournies par les divers auteurs de l'Antiquité sont assez maigres et d'ordinaire sujettes à caution. 

Editions anciennes - Les meilleures éditions de Platon sont celles d'AIde, Venise 1513, in-fol.; de J. Serranus (de Serre), avec une traduction latine et des notes: publ. par H. Etienne, Paris, 1678, 3 v, in-f. de Marsile Ficin, avec une traduction latine préférable à la précéd., Venise, 1491, Francf., 1662, in-fol., de Deux-Ponts, due à Mitscherlich, 1781-88, 12 v. in-8; de Bekker (gr.-lat.), Berlin 1816-18, 8 v. in-8, avec commentaires, publiés en 1823, 2 v. in-8; d'Ast, Leipz., 1819-32, 11 v. in-8; de Stalbaum, 17 v. in-8, 1829-44, et celle de la Bibliothèque grecque de MM Didot, publiée par Schneider et Hirschig. On doit à Baiter, Orelli et Winckelmann une excellente éd. du texte grec seul, publ. à Zurich, 1839, 1 v. in-4, et comprenant les variantes, le Lexique platonique de Timée le Sophiste et autres lexiques anciens, les Scolies, avec un index des auteurs cités par Platon et des noms propres. Plusieurs dialogues ont été trad. séparément en français par Leroi, Grou, L. Racine, Maucroix, Dacier, H. Martin. On doit à V. Cousin la 1re traduction complète qui ait paru en français 13 vol. in-8, Paris, 1822-40; elle est accompagnée de savantes notes, ainsi que d'arguments philosophiques. Chauvet et Saisset ont reproduit dans la bibliothèque Charpentier les Dialogues de Platon,1861 et ann. suiv., 8 v. in-18. Schleiermacher a donné une trad. allemande de Platon, qui est fort estimée, Berlin, 1817-19; Th. Taylor l'avait traduit en anglais dès 1804, 5 vol. in-4.  J. V. Leclerc a publie les Pensées de Platon (grec-français), Paris, 1819, souvent réimprimé. La vie de Platon a été écrite, dans l'antiquité, par Speusippe, son neveu et son successeur (cette vie est perdue), par Diogène Laërce, par Olympiodore, par Hésychius; chez les modernes par Combes-Dounous (Essai historique sur Platon, 1809), et par Ast (Vie et écrits de Platon, Leipzig, 1816, all.). Sur sa doctrine, on peut consulter outre les ouvrages précédents : Apulée, de Dogmate Platonis; Albinus, lntroduction aux dialogues de Platon; Alcinoüs, lntroduction à la doctrine platonicienne ; G. Pléthon, De platonicæ atque aristotelicæ philosophiæ differentia; les commentateurs anciens de ses écrits, Proclus, Olympiodore, Chalcidius, et les historiens modernes de la philosophie, Tiedeman, Tennemann, Ritter, Brandis, etc.



En librairie - Quelques éditions récentes des ouvrages de Platon : Gorgias, Nathan, 2003. - Le politique, Flammarion (GF), 2003. - La République, Flammarion (GF), 2002. - Philèbe, Flammarion (GF), 2002. - Charmide, Mille et Une Nuits, 2002. - Le Banquet, Flammarion (GF), 2001.  - Hippias Majeur, Hatier, 2001. - Cratyle, Flammarion (GF), 2001. - Protagoras, Flammarion (GF), 2001. - Théétète / Parménide, Flammarion (GF), 2001. - Euthydème, Flammarion, 2001. - Timée / Critias, Flammarion (GF), 2001. - Le Sophiste, Flammarion (GF), 2001. - Hippias mineur, Belles lettres, 2000. - Ménon, Bréal, 2000.- Apologie de Socrate, Flammarion (GF), 1999. - Lysis, Les Belles Lettres, 1999. - Phédon, Flammarion (GF), 1999. - Phèdre, Flammarion (GF), 1999. - Lachès / Euthyphron, Flammarion (GF), 1998. - Alcibiade, Le Livre de Poche, 1998. - Les Lois, Gallimard (Folio), 1997. -  Ménexène, Les Belles Lettres, 1997.

Oeuvres complètes, Gallimard (La Pléiade), 2 vol. - Dala série grecque des Belles Lettres, 25 volumes.

J. Laurent, Les dieux de Platon, Presses universitaires de Caen, 2004. - Marie-Lauren Desclos, Aux marges des dialogues de Platon, Jérôme Millon, 2003. - Rémi Brague, Du Temps chez Platon et Aristote, PUF, 2003. - Raphaël, Initiation à la philosophie de Platon, Accarias-L'Originel, 2003. - M. Dixsaut et A. Brancacci, Platon, source des présocratiques, Vrin, 2002. - Jean-François Mattéi, Platon et le miroir du mythe, PUF, 2002. - Christophe Roque, Comprendre Platon, Armand Colin, 2002. - Roberto Casati, La découverte de l'ombre (de Platon à Galilée, une énigme qui fascine tous les grands penseurs de l'humanité), Albin Michel, 2002. Michel Fattal, La Philosophie de Platon, L'Harmattan, 2002. -  C. Denis et D. Bourdin, Les figures du pouvoir (Platon, Racine, Zola), Bréal, 2000.  -Philippe Buttgen et Stéphane Diebler, Théories de la phrase et de la proposition, de Platon à Averroès, Rue d'Ulm, 1999. - Philippe Buttgen et Stéphane Diebler, Théories de la phrase et de la proposition de Platon à Averroès, Rue d'Ulm, 1999. - Luc Brisson, Lectures de Platon, Vrin, 2000. - Du même, Platon, les mots et les mythes, La Découverte, 1982. etc.

Karl Reinhardt, Les mythes de Platon, Gallimard, 2007. - À travers sa lecture des mythes platoniciens, Reinhardt nous livre tout à la fois les conflits, les luttes, les tensions qui  traversent la pensée platonicienne et sa puissance inouïe de refonte, d'unité, d'harmonie. Car au sein même de la continuité, la rupture s'annonce. S'il est bien l'héritier des formes anciennes, Platon n'en demeure pas moins celui par qui la nouvelle âme de l'hellénisme s'épanouit. Le mythe lui-même n'est plus un mythe du «monde extérieur», c'est un mythe de l'âme. Et en lui l'esprit vient redonner vie à ce qui semblait devoir mourir. La forme mythique, plus que tout autre, révèle la force avec laquelle les anciens motifs sont pénétrés d'un nouveau souffle. 

Elle est pour ainsi dire la solution «vivante» au problème du sens. Il ne s'agit plus en ce cas de produire un «conte», d'imaginer la naissance du monde, de l'homme et des dieux, mais bien de contempler, au moyen de l'image fidèle, l'effectivité archétypique, l'Idée. Le mythe, «dire sacré», n'est nullement le signe d'un renoncement. Il n'est pas davantage l'ennemi du logos. Au-delà du mot, de la preuve, au-delà même des jeux de pensées présomptueuses, il rappelle l'âme à sa source originelle, il la fait s'élancer vers le plus beau des royaumes. (couv.).

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