| Despotisme vient du grec despotès = maître, souverain. Chez les anciens Grecs, le mot despote était synonyme de roi, et il désigna, dans le Bas-Empire, certains hauts dignitaires, ordinairement du sang impérial, qui étaient chargés de grands gouvernements. Dans le sens moderne despotisme s'entend de la puissance absolue, illimitée, concentrée sans réserve ni contre-poids dans les mains d'un seul homme, quel que soit l'usage, bon ou mauvais, qu'il en fasse. S'il y a abus de cette puissance, le despotisme devient tyrannie; mais il se peut qu'un despote gouverne avec sagesse, et alors on ne l'appelle pas tyran. On ne peut dire que le despote ne connaît ni lois ni règles; car, s'il n'est pas de lois et de règles écrites qu'il ne puisse enfreindre, il est certaines règles de raison et d'équité auxquelles il est nécessairement soumis dans l'exercice de son pouvoir, et, pour peu qu'il, les viole fréquemment, ce n'est jamais avec impunité. Dans l'Orient, le despotisme a été un gouvernement essentiellement arbitraire; et cependant il est aussi ancien que les sociétés politiques : on a tué beaucoup de despotes, et toujours des despotes les ont remplacés. En Europe, le despotisme a été mitigé par les moeurs, les usages, la civilisation, le christianisme; et c'est pour ce motif qu'il est assez difficile de ne pas l'identifier avec la monarchie absolue. En tout cas, dans un gouvernement despotique, la liberté politique n'existe pas, parce que la nation ne participe pas à l'oeuvre de la législation; la liberté civile, fondée sur la loi, peut y exister, mais d'une manière précaire, parce que la loi et son exécution dépendent d'une seule volonté, et qu'il n'existe aucune garantie contre les écarts de cette volonté. Le tempérament du despotisme est l'intérêt même du despote; car l'injustice et la violence amènent l'insurrection des sujets. Sur tous les objets importants, tels que la sûreté, la liberté civile, la propriété, la répartition des impôts, la sécurité du commerce et de l'industrie, les lois doivent être à peu près les mêmes dans l'état despotique et dans les gouvernements constitutionnels ou libres, parce que les principes qui doivent dicter les lois sur tous ces objets sont puisés dans la nature, fondés sur la raison, et indépendants des différentes formes de constitution politique. Un despote peut être inappliqué, pervers, entraîné par ses passions, trompé par son entourage; mais, à moins de supposer qu'il n'est pas né avec les mêmes facultés morales que les autres hommes, qu'il est intéressé à se rendre odieux et à faire le malheur de ses sujets, ou qu'il est heureux d'outrager la nature, il est absurde de présenter quiconque exerce un pouvoir despotique comme nécessairement inepte et méchant. L'ordre est la qualité essentielle du despotisme; il est la seule garantie pour le souverain comme pour le sujet. Mais il est un genre de despotisme qui n'a pas cette garantie : c'est le despotisme militaire. La violence étant son principe et son soutien, les milices qu'il emploie sont turbulentes et impérieuses. Jamais il n'y eut d'anarchie plus complète que pendant le règne des Prétoriens à Rome et des Janissaires à Constantinople. Le despotisme militaire est un état de guerre continuelle entre le prince et les citoyens; il n'a pas de direction assurée, pas de tradition originelle comme la monarchie absolue; le despote n'a d'autre règle que son caprice, d'autre principe et d'autre fin que son intérêt personnel. La monarchie absolue n'est pas le seul gouvernement despotique : Montesquieu a remarqué qu'il existe dans les monarchies tempérées un despotisme de tendance. Les sujets se façonnent peu à peu à devenir souples et dociles : il est difficile alors que le prince, dont les passions sont éveillées par la flatterie, résiste aux tentations; il confond son bien particulier et le bien public; il se persuade que, pour assurer la prospérité de l'État, il a besoin d'un pouvoir plus étendu. Dans les démocraties, le peuple et ses magistrats peuvent incliner aussi vers l'autorité despotique, et aller jusqu'à la tyrannie : on a l'exemple des Ephores de Sparte, qui s'arrogèrent peu à peu un pouvoir sans bornes; des citoyens d'Athènes, par qui Aristide fut banni, Socrate et Phocion mis à mort; des généraux de l'ancienne Rome, proscripteurs de leurs concitoyens; des Terroristes de 1793, qui frappèrent si impitoyablement au nom du salut public. Le despotisme monarchique engendre le despotisme ministériel et administratif. Inauguré en France, sous Louis XIII, par le cardinal de Richelieu, perpétué sous Louis XIV par Louvois surtout, qu'on a appelé « le plus brutal des commis », ce despotisme s'implanta dans tous les départements ministériels sous Louis XV, dont le règne vit en outre le despotisme des favorites. C'est le propre du despotisme de donner son empreinte à toutes les administrations qui relèvent de lui, et de tuer insensiblement, par leur intermédiaire, l'esprit public partout où il se manifeste. (B.). | |