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Sensation

Le mot sensation s'applique à deux sortes de faits que, d'ordinaire, on ne distingue pas suffisamment. II désigne, d'une part, les impressions spéciales produites sur l'esprit par les objets physiques et par leurs diverses propriétés, résistance, chaleur, froid, lumière, odeur, saveur, bruit, etc. ; de l'autre, les phénomènes affectifs du plaisir et de la souffrance. Ces derniers, que nous appellerions volontiers sensations affectives, accompagnent, il est vrai, le plus souvent, les sensations de la première espèce ou sensations perceptives; mais ils n'en sont pas inséparables. Il est tel contact, telle odeur, telle couleur, tel bruit, qui nous laissent indifférents, sans plaisir comme sans souffrance; et, d'un autre côté, nous éprouvons du plaisir et de la douleur, sans que les sens y soient pour rien. Il y a donc bien réellement deux sortes de sensations.

La réalité des sensations, en tant qu'impressions produites sur nous par les objets extérieurs, ne peut être mise en doute. Odeur, son, saveur, ces phénomènes ne fussent-ils pas autre chose, seraient au moins des modifications internes, perçues par la conscience avec certitude. Leur caractère subjectif est tout aussi incontestable. La sensation est un acte de l'intelligence; mais c'est un acte incomplet et insuffisant pour nous procurer directement la notion de l'extérieur. Mais, ultérieurement, instruits par d'autres voies de l'existence des corps, habitués, par une expérience réitérée, à associer nos sensations soit à l'idée des corps en général, soit à l'idée de certains corps en particulier, nous jugeons que les causes des sensations résident précisément dans les corps à titre de propriétés, et, par une induction si naturelle et si rapide qu'elle en devient presque insaisissable, nous concluons de nos sensations l'existence actuelle, la présence des corps, alors même que nous ne les percevons pas autrement. C'est ainsi que de l'intérieur d'une chambre, et sans avoir besoin de regarder dans la rue, nous inférons du bruit que nous entendons qu'il y passe une voiture, un corps de troupes, etc. 

L'ouïe, l'odorat, le goût, ne procurent que des sensations; la vue et le toucher donnent à la fois des sensations et des perceptions. Quoique faciles à distinguer en théorie, les sensations et les perceptions sont pour la plupart si étroitement unies et pour ainsi dire enveloppées les unes dans les autres, qu'il faudrait, pour en dresser la liste exacte, entrer à ce sujet dans une longue et minutieuse discussion. Il est essentiel surtout de ne pas assimiler la perception à la sensation; car la sensation étant un fait subjectif et relatif, il suivrait de là que nous n'aurions aucune connaissance absolue des corps. C'est la conséquence forcée contre laquelle se débat vainement Condillac, lorsque, après avoir posé en principe que nous ne connaissons rien que par nos sensations, c.-à-d. expressément par nos propres modifications ou manières d'être, il s'efforce de trouver dans les sensations spéciales du toucher quelque chose qui décide l'esprit à transporter au dehors les qualités que jusqu'alors il n'avait considérées que comme siennes.

Une autre confusion non moins grave, c'est celle des sensations avec les qualités, soit que cette confusion se borne aux qualités secondes, soit qu'elle s'étende aux qualités premières. Elle s'explique en partie par ce fait, que les qualités secondes ne nous apparaissent qu'à travers nos sensations et portent presque toujours le même nom ; ce qui a peut-être été, dans l'origine, un effet de la confusion dort il s'agit, mais ce qui, en tout cas, contribue certainement à l'entretenir. Il ne faut pas se laisser abuser par cette équivoque. Odeur, saveur, etc., tous ces mots désignent deux choses bien différentes : les sensations que nous éprouvons et qui sont en nous, et les qualités, c.-à-d. les causes des sensations qui sont hors de nous; les premières relatives à la personne qui les éprouve, les secondes existant d'une manière absolue, du moins comme propriétés des corps, et subsistant alors même qu'elles ne sont pas senties.

On n'a indiqué, dans ce qui précède, que les conséquences de la confusion de la sensation et de la perception. On n'examine point ici celles auxquelles on est conduit en réduisant à la sensation, entendue dans un sens plus ou moins large, toutes les opérations de l'esprit, et, entre autres, l'origine de toutes nos connaissances (Sensualisme). 

La sensation affective, c.-à-d. agréable ou douloureuse, souvent unie à la précédente, et, comme elle, subjective et relative, ne laisse pas d'en différer essentiellement. Elle est un des phénomènes les plus simples qui s'offrent à l'observation intime. Aussi ne peut-on la définir. Ses espèces sont, au point de vue de l'impression produite sur l'esprit, la plaisir et la douleur; au point de vue de leur origine, la sensation proprement dite ou sensation physique, et la sensation morale ou le sentiment. Une des principales questions auxquelles l'étude de la sensation a conduit les philosophes des siècles passés, était de savoir si l'âme, dans le phénomène de la sensation, est toute passive. II faut ici s'entendre sur le sens qu'on prétend donner aux mots. Si l'on veut dire que l'âme ne produit pas ses sensations comme elle produit une partie de ses pensées et toutes ses résolutions volontaires, qu'elle les subit sans pouvoir les anéantir ou en changer la nature, l'âme sans doute est passive dans la sensation. Encore faut-il remarquer qu'à défaut d'une action présente et instantanée, elle peut exercer sur la sensation une action indirecte en s'y prenant de longue main, et arrivera la modifier, même profondément, par l'habitude. Mais, en outre, l'activité de l'âme se manifeste dans a sensation : 

1° en ce que intelligence réagit sur chacune des sensations pour en prendre connaissance, une sensation dont nous n'aurions pas connaissance étant comme non avenue; 

2° le fait de sentir suppose une prédisposition à l'action, qui n'existe pas chez les êtres inertes et inanimés. 

Dans quelque acception que l'on entende la sensation, elle n'a lieu que parce qu'une excitation quelconque éveille en nous le pouvoir de sentir, que ne possèdent ni les plantes ni les minéraux. Or, ce pouvoir est évidemment une forme de l'activité. Si donc il est vrai de dire que cette activité n'est pas libre, au moins ne peut-on dire qu'elle n'est pas.  (B-E.).


En bibliothèque - Pour l'analyse des sensations, on peut consulter Condillac, Traité des Sensations, et, sur les différentes questions auxquelles les sensations peuvent donner lieu, Reid, Recherches sur l'Entendement humain, ch. 2-6, et Essais sur les facultés, Essai II; Dugald Sewart, Eléments de la Philosophie de l'Esprit humain, ch. 1er, et Essais philosophiques, Essais I et II; et les Fragments de Royer-Collard annexés par Jouffroy à la traduction des Oeuvres de Reid.
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Dictionnaire Idées et méthodes
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