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L'hypothèse

L'hypothèse est une proposition énoncée en vue d'expliquer un phénomène, admise à titre provisoire et destinée à être soumise à une vérification par sa confrontation (expérimentale, observationnelle) avec le réel. Le chercheur fait une hypothèse lorsqu'il suppose et imagine par avance le résultat qu'il cherche. Bacon appelle l'hypothèse un procédé d'anticipation (De dignitate..., L. V, Ch. III, § 3) : on pressent, on devine la nature. 

L'hypothèse dépasse l'observation sensible, car elle ajoute aux faits connus par elle quelque notion, qui ne tombe pas, actuellement du moins, sous les sens. On voit par là même que l'imagination a ici un grand rôle. C'est l'imagination scientifique, une imagination nourrie et encadrée par les connaissances et l'expérience du chercheur, qui suggère à celui-ci l'hypothèse, en lui faisant pressentir et discerner un rapport caché entre deux faits, en lui faisant pressentir que les choses doivent se passer d'une certaine manière.

L'hypothèse est un élément essentiel du processus de découverte. La science vise à la découverte des causes et des lois (entendues au sens phénoménal), mais celles-ci ne pouvant être observées, il faut les deviner, les supposer. 

« L'hypothèse expérimentale n'est que l'idée scientifique préconçue ou anticipée. La théorie n'est que l'idée scientifique contrôlée par l'expérience.-» (Cl. Bernard, Introduction à la médecine expérimentale).
Tout ce qui est aujourd'hui passé dans le domaine de la science, c'est-à-dire du connu, a d'abord été hypothèse. Les acquis de la science d'aujourd'hui (ce qui est connu aujourd'hui), ne doivent d'ailleurs pas être considéré comme définitifs : ce ne sont pas des vérités, mais des résultats acceptés, et partant un vivier d'hypothèses acceptables pour la science à venir. 

Opérations inhérentes à l'hypothèse

Prise dans son sens complet l'hypothèse comprend quatre opérations, dont la première est préliminaire et la dernière complémentaire :
1° Observation d'un fait que l'on identifie comme significatif ou pertinent, dans le contexte de la recherche en cours.

2° Supposition imaginée pour expliquer le fait significatif ou pertinent; c'est l'hypothèse proprement dite : 

« Il n'y a pas de règles à donner pour faire naître, à propos d'une observation, une idée juste et féconde [...]. Son apparition a été toute spontanée [...]. C'est un sentiment particulier, un quid proprium qui constitue l'originalité, l'invention ou le génie de chacun. » (Cl. Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, Ire partie, Ch. II, §2.)
Déduction des conséquences : comme l'hypothèse porte le plus souvent sur des rapports ou des lois, choses abstraites, elle ne peut d'ordinaire être vérifiée directement par les sens. Il faut donc d'abord en déduire par le raisonnement des conséquences concrètes, qui puissent être contrôlées par l'observation.

4° Vérification de ces conséquences, au moyen de l'expérimentation,

On retrouve ces quatre opérations dans l'histoire de toute grande découverte. Prenons l'exemple classique de la pression atmosphérique :
1° Des fontainiers de Florence constatent que, dans des corps de pompe où l'on a fait le vide, l'eau ne monte pas plus haut que dix mètres.

Torricelli suppose que l'ascension de l'eau est due au poids de l'atmosphère, qui ne peut faire équilibre qu'à une colonne d'eau de dix mètres.

Pascal déduit de cette hypothèse deux conséquences concrètes :

 a) la pression atmosphérique restant la même, la hauteur de la colonne doit varier en raison de la densité du liquide;

b) la densité du liquide restant la même, la hauteur de la colonne doit varier en raison de la pression atmosphérique.

4° Ces deux conséquences sont vérifiées à Rouen, à la tour Saint-Jacques de Paris et au Puy de Dôme.

Les différentes sortes d'hypothèses

Hypothèses particulières.
Au point de vue du contenu.
Au point de vue de leur contenu, on peut distinguer trois espèces d'hypothèses, suivant qu'elles portent sur l'existence d'une loi, sur sur l'un des termes d'une loi ou sur la formule mathématique  d'une loi ou, plus généralement ou la relation qui existe entre les différents termes d'une loi.
1° Sur l'existence d'une loi : toute loi revêt la forme d'une succession ou d'une coexistence relativement constante. Si l'observation nous révèle une succession ou coexistence (concomittence) de ce genre, nous supposons que c'est l'indice d'une loi : par exemple, on constate que tous les êtres vivants possédant un système nerveux éprouvent des phénomènes de conscience; nous supposons que ces deux termes sont reliés par une loi.

2° Sur l'un des termes de la loi, la cause ou l'effet : l'expérience nous montre tantôt un phénomène dont la cause nous échappe, tantôt une chose dont l'effet nous est inconnu. Alors nous imaginons la cause qui ne tombe pas sous les sens ou l'effet que nous ne voyons pas : ex. : étant donnée telle maladie contagieuse, je suppose qu'elle est due à un virus c'est une hypothèse relative à la cause. Etant donné tel système de répression légale, je suppose qu'il produira tel résultat, c'est une hypothèse relative à l'effet. 

3° Sur la formule mathématique de la loi : ex. : on a démontré que les planètes gravitent autour du Soleil, on peut supposer que l'orbite qu'elles décrivent est une ellipse.

Au point de vue de l'origine.
Considérées au point de vue de leur origine, les hypothèses sont :
a priori, quand elles s'obtiennent par déduction d'une loi déjà connue. De ce genre fut l'hypothèse de Le Verrier qui, en s'appuyant sur la loi de l'attraction, supposa que. les perturbations observée dans la marche d'Uranus étaient causées par le voisinage de quelque planète encore inconnue.

a posteriori, quand elles sont suggérées par l'expérience. En ce cas, elles sont :

a) inductives, si la cause supposée du phénomène est tel ou tel de ses antécédents, qui paraît présenter tous les caractères d'un antécédent causal;

b) analogiques, quand elles sont inspirées par certaines ressemblances entre le phénomène à expliquer et tel autre phénomène connu d'ailleurs ressemblances qui permettent de supposer qu'ils sont produits l'un et l'autre par des causes analogues.

C'est par analogie que l'étincelle électrique éveilla dans l'esprit de Benjamin Franklin l'idée de la foudre. De fait, il y a entre ces deux phénomènes une partie commune : lumière subite, bruit et choc capable de produire un effet mécanique, comme de tuer un animal, ou de briser une vitre.

De même, l'hypothèse de l'attraction universelle jaillit dans l'esprit de Newton par l'analogie qu'il entrevit entre les lois de la chute des corps à la surface de la Terre, déjà déterminées par Galilée, et les lois de la révolution des planètes, découvertes par Kepler. L'innovation fut d'assimiler à la chute d'une pomme la chute de la Lune sur la Terre. En ce sens l'hypothèse est, selon le mot de Helmholtz, la divination d'une uniformité.

Hypothèses générales.
Elles cherchent à rendre compte d'un grand nombre de faits, parfois même de l'univers entier (ex. : l'homogénéité et l'isotropie de l'univers à grande échelle, l'unité des forces physiques, le rôle de l'eau dans l'apparition des organismes vivants, etc.)

On appelle encore les hypothèses générales  : théories ou systèmes

•  On entend communément par théorie une hypothèse apte à expliquer et à coordonner un ensemble de faits; 

•  On entend par système, une hypothèse apte à coordonner et à expliquer un ensemble de faits. 

Le mot théorie connote surtout l'idée d'explication; le mot système, l'idée de coordination. Il ne faut donc pas trop presser la distinction qui les sépare, car tout système est théorie, parce qu'il est une vue (theôria) synthétique de l'esprit; toute théorie est système, parce qu'elle organise un certain nombre de faits.

Hypothèses représentatives.
On appelle hypothèses représentatives celles qui permettent d'introduire dans un ensemble de faits, dont la cause est inconnue, un ordre provisoire qui en facilite l'étude; ce sont des symboles qui aident l'esprit à se représenter les phénomènes : ex. : ancienne hypothèse des deux fluides électriques; ancienne théorie des quatre éléments.

Hypothèses explicatives.
Les hypothèses sont dites explicatives lorsque, non seulement elles facilitent la représentation des phénomènes, mais encore elles prétendent en rendre compte, en donner la raison d'être : ex. théorie ondulatoire en physique.

Importance, rôle et limites de l'hypothèse

Rôle expérimental.
L'hypothèse dirige la recherche scientifique et prépare les découvertes : 
« Une idée anticipée ou hypothèse est le point de départ nécessaire de tout raisonnement expérimental. Sans cela [...] on ne pourrait qu'entasser des observations stériles. » (Cl. Bernard, Introduction à la médecine expérimentale).
Si un chercheur était sans idée directrice pour observer les phénomènes et expérimenter, il procèderait au hasard et ne serait même pas capable d'identifier des faits pertinents. En un mot ce ne serait pas un chercheur. Mais, dès qu'une hypothèse l'a mis sur la trace d'une cause probable, il a un fil conducteur pour le guider dans ses expériences, pour en déterminer le nombre et la nature. Ce rôle de l'hypothèse s'étend aux diverses catégories de recherches scientifiques : tout théorème avant d'être démontré est une hypothèse dans l'esprit du géomètre; toute loi de la nature est supposée avant d'être établie. 

Les hypothèses fausses elles-mêmes ont parfois l'avantage d'en suggérer d'autres rendant mieux compte des faits observés. Les lois acceptées n'ont souvent été découvertes que par l'élimination successive de lois imaginaires :

« Les théories légitimes, dit Boscowich, sont généralement le résultat d'essais infructueux et d'erreurs qui ont mis sur la voie de leur propre correction ».
Exemples : l'hypothèse des tourbillons de Descartes succéda à celle des forces occultes et l'hypothèse de la gravitation universelle de Newton à celle des tourbillons; Kepler, avant de s'arrêter à l'idée de l'ellipse, essaya dix-neuf autres lignes imaginaires. 

L'hypothèse, en dirigeant les recherches scientifiques, est le grand moteur de la méthode, ou, comme parle Claude Bernard, « le primum movens de tout raisonnement scientifique » . C'est là son rôle essentiel. L'hypothèse est donc un auxiliaire non seulement utile, mais nécessaire; elle est une explication anticipée qui peut devenir l'explication acceptée ou qui prépare celle-ci.

Rôle théorique.
L'hypothèse coordonne les résultats acquis. Groupant les faits dispersés, elle en rend la comparaison plus facile et le souvenir plus durable : c'est là son rôle accessoire. Ce rôle appartient éminemment aux hypothèses explicatives, puisqu'elles rendent compte des faits dans une certaine mesure et que la raison d'être des faits, leur loi, sérieusement probable, est le meilleur moyen de « colligation », en attendant la découverte définitive d'une loi acceptable. Mais, même une hypothèse fausse, une hypothèse simplement représentative, peut avoir cet avantage de coordination et faciliter ainsi l'étude et l'exposition des faits : ex. : en cosmographie, pour mieux saisir l'ordonnance du Système solaire, on se place par l'imagination au centre du Soleil; - en physique, Ampère imagine un observateur la face tournée vers l'aiguille aimantée, de manière à ce que le courant lui entre par les pieds et sorte par la tête. Dans ces cas, le rôle de l'hypothèse est analogue à celui des classifications artificielles.

Milne-Edwards résumait ainsi les deux grands avantages de l'hypothèse : 

« Les hypothèses donnent à la science le mouvement et la forme; d'une part, elles guident et excitent les explorateurs dans la voie des découvertes; d'autre part, elles servent de lien entre les faits, dont la réunion en un faisceau est une des conditions de leur emploi utile. »  (Rapport sur les progrès des sciences zoologiques).
C'est dire qu'elle contribue aux progrès de la science : a) en provoquant de nouvelles recherches ; - b) en établissant un ordre provisoire dans les phénomènes, car un ordre quelconque vaut mieux que le désordre absolu pour l'étude des phénomènes.

Limites.
L'hypothèse peut prévenir et préoccuper l'esprit, en lui donnant une satisfaction prématurée. La conséquence de cette prévention trop favorable c'est d'entraver les découvertes, car le savant prévenu est détourné de l'observation et de l'expérimentation ou du moins ne voit pas les phénomènes qui contredisent son hypothèse favorite. De fait, on a souvent abusé de l'hypothèse; on peut citer comme exemple les cosmogonies des Anciens, les forces occultes, l'astrologie, l'alchimie, etc. De là les défiances que l'hypothèse a longtemps excitées parmi les savants : 

« Ce ne sont pas des ailes, dit Bacon, mais du plomb et des poids qu'il faut attacher à l'esprit humain, pour l'arrêter clans son emportement et dans son vol. » (Novum organum, L. I, Aph. 104).
Newton disait de son côté : Hypotheses non fingo. « Je ne forge point d'hypothèses » :
« ... Je n'imagine point d'hypothèses, car tout ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse; et les hypothèses soit métaphysiques, soit physiques, soit mécaniques, soit celles des qualités occultes, ne doivent pas être reçues dans la philosophie expérimentale. » (Philosophiae naturalis principia mathematica, L. III, Scholie général).
Cependant le mot de Newton ne doit pas être pris à la lettre, car lui-même a usé de l'hypothèse, mais sagement. Les abus qu'on a faits de l'hypothèse prouvent seulement qu'il en faut régler l'usage.

Règles ou conditions

Règles ou conditions relatives à la production d'une hypothèse.
L'hypothèse doit être :
1° Avant tout, l'hypothèse doit être nécessaire et suffisante.
a) Nécessaire, c'est-à-dire que, avant de se mettre en frais d'explication, il faut s'assurer que le fait à expliquer est bien réel; autrement on s'exposerait à chercher la cause de ce qui n'existe pas; et de plus, il faut être certain qu'aucune loi connue ne suffit à en rendre compte. Inutile donc de chercher une hypothèse pour expliquer ce prétendu fait que les caves sont plus chaudes en hiver qu'en été. Inutile aussi de supposer, dans un corps que l'on voit flotter au fil de l'eau, une force distincte du courant qui l'emporte. 
« On n'a pas le droit, disait Newton de supposer le plus lorsque le moins suffit à l'explication des phénomènes. » 

« Non sunt multiplicanda entia sine necessitate. » (G. d'Occam).

b) Suffisante, c'est-à-dire proportionnée au fait qu'il s'agit d'expliquer. Inutile de chercher à expliquer l'enroulement des perturbations atmosphériques par la révolution de la Terre autour du Soleil et a fortiori celle du Soleil autour de la Galaxie, alors que la rotation de la Terre sur elle même peut suffire à en rendre compte.
2° Possible : ne contredire ni les principes de la raison, ni les faits connus, ni les théories scientifiques qui semblent acquises et démontrées.

3° Fondée sur les faits : autrement elle serait chimérique, en l'air. En comparant certains phénomènes nous apercevons une analogie qui fait supposer une autre analogie. C'est le procédé qui ordinairement suggère l'hypothèse, qu'on a définie l'intuition d'une analogie : ex. : Franklin constate la ressemblance des effets de l'étincelle électrique et de la foudre; il suppose l'identité des deux causes, la foudre et l'électricité.

4° La plus simple possible : le savant doit prendre comme principe directeur l'idée de la simplicité des voies de la nature, que Leibniz appelle le principe de moindre action et Hamilton la loi d'économie : ex. : C'est pour la simplicité que Copernic replaça le soleil au centre du monde.

Encore faut-il remarquer que rien n'est simple avant qu'on en ait démélé les complications. Aussi Condillac a dit avec raison :

« Ce principe est fort beau dans la spéculation, mais il est rare qu'on puisse l'appliquer. » (De l'Art de raisonner, L. IV, Ch. II).
L'adage : Simplex veri indicium (Boerhaave) doit donc être interprété librement. La complication n'est pas à elle seule une raison pour exclure une hypothèse; mais entre deux hypothèses il faut préférer la plus simple, si elle suffit à expliquer les phénomènes : alors la simplicité d'une hypothèse est une présomption en sa faveur.

5° La plus féconde possible : elle le sera si elle explique un grand nombre le faits, et si elle en fait découvrir de nouveaux. 

Toutes ces qualités de l'hypothèse : la possibilité, le point de départ dans le réalité, la simplicité et la fécondité ne sont que des présomptions favorables. La preuve de sa validité est dans une vérification directe ou indirecte. Une hypothèse doit pouvoir être expérimentalement vérifiable, c'est-à-dire confrontable aux faits; car toute la valeur d'une hypothèse lui vient de l'espérance qu'on a de pouvoir la vérifier . 

Règles ou conditions relatives à la vérification d'une hypothèse.
L'hypothèse, remplissant les conditions précédentes, a droit de cité dans la science à titre transitoire. Pour y être admise sinon définitivement du moins plus durablement, il faut la mettre à l'épreuve des faits, la vérifier. La vérification est :

1° Directe, si l'on constate l'existence des faits d'abord imaginés. Ex. anneau lumineux de Saturne supposé par Huyghens et aperçu ensuite.

2° Indirecte, c'est-à-dire par raisonnement : on déduit, de l'hypothèse certaines conséquences qu'on vérifie par l'observation.

La probabilité d'une hypothèse croît avec le nombre des conséquences vérifiées. Mais l'hypothèse n'est une vérité acquise que si l'on démontre : 
« qu'aucune loi autre que la loi supposée ne peut conduire aux mêmes conclusions. Et c'est ce qui se réalise souvent ». (Stuart Mill, Système de logique, L. III, chap. XIV, § 4).
 
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