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Les philosophes
distinguent la question spéciale du libre
arbitre de la question beaucoup plus générale de la liberté.
La question du libre arbitre consiste à se demander si l'humain
dispose d'une force spéciale capable de rompre la série déterminée
des causes de façon à commencer absolument
des séries. La question de la liberté consiste à se
demander si tout dans l'univers, soit en l'humain, soit hors de l'humain
peut se ramener à des séries déterminées. Il
est clair que les partisans du libre arbitre doivent d'abord admettre l'existence
générale de la liberté. Mais on peut refuser à
l'humain le libre arbitre et admettre cependant que tout n'est pas nécessairement
déterminé dans l'univers;
qu'il y a quelque chose non seulement de contingent,
mais même de libre, au vrai sens du mot.
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Le contingent, c'est ce dont l'existence n'implique pas de contradiction, ce qui pourrait exister sans absurdité; le libre est quelque chose de plus, c'est l'existence même de ce qui est contingent. Le contingent demeure dans le possible, le libre est dans le réel. La contingence est simplement une condition-abstraite de l'existence du libre, la liberté est l'attribut de la cause qui appelle à l'existence le contingent. La liberté ne peut pas exister sans un être qui soit libre; cet être doit être une cause et, pour pouvoir produire dans l'univers des effets qui méritent le nom de libres, cette cause doit avoir une puissance universelle : un tel être mérite le nom de Dieu. L'existence de la liberté dans le monde est donc liée à l'existence de Dieu. On peut en effet concevoir la cause première, qu'on est convenu d'appeler Dieu, comme une force plus ou moins consciente agissant avec la nécessité des forces de la nature. Dieu est alors tout entier déterminé; il ne peut s'affranchir de la nécessité qui constitue sa nature même, la liberté n'existe ni en lui ni hors de lui, mais on peut aussi se représenter la cause première comme une intelligence qui conçoit tous les possibles et comme une bonté active qui parmi les possibles choisit ceux qui lui conviennent. Dans ce dernier cas les possibles choisis le sont sans nécessité, et il y a de la liberté dans le monde. Et ici encore plusieurs conceptions sont possibles : ou l'on admet avec Descartes et Secrétan (Philosophie de la liberté) que Dieu jouit d'une telle liberté qu'il détermine par ses décisions absolues même la bonté et l'intelligibilité des choses; ou l'on pense avec saint Thomas que l'intelligibilité des choses est contenue dans la nature même de Dieu, qu'il serait absurde qu'il pût modifier aucune essence, mais qu'il demeure absolument libre de choisir entre les essences qu'il appellera à l'existence ; ou enfin on croit avec Leibniz que le choix de Dieu, tout en n'étant pas absolument nécessité, est moralement déterminé par la considération du meilleur. La liberté de Dieu absolue dans le système de Descartes, subordonnée à l'intelligence dans le système de saint Thomas, se limite encore par des considérations morales dans le système de Leibniz. L'évolution
du concept de liberté.
Kant, après
avoir, dans la Critique de la raison pure (Dialectique transcendantale,
3e antinomie), opposé les arguments
en faveur de la liberté, tirés notamment de la nécessité
rationnelle d'un commencement vraiment premier, aux arguments empiriques
en faveur du déterminisme universel, tirés de la prolongation
indéfinie de la série des causes et des effets; après
avoir montré que le déterminisme
phénoménal n'exclut pas la liberté nouménale,
affirma cette liberté du moi-noumène, comme une exigence
(postulat) de la raison pratique.
Une invitation à réfléchir sur la liberté. (Graffiti de Misstic, sur un mur du Ve arrondissement de Paris). Fichte fit de cette vue kantienne le point de départ de son idéalisme. Schopenhauer admet une « liberté morale transcendantale », mais nie le libre arbitre, comme impliquant une existence sans essence. Secrétan voit dans la détermination de sa propre essence le maximum de liberté. Renouvier reconnaît que la liberté n'est pas un fait d'expérience, qu'elle n'est pas prouvée, comme le voulaient Maine de Biran et les éclectiques, par le sentiment de l'effort libre; mais il croit l'humain capable de se « proposer des possibles créés par lui spontanément », d'être un vrai commencement premier. Fouillée, après avoir montré que certains arguments des défenseurs de la liberté (tirés des prières, des conseils, des ordres, des contrats ou des promesses, des sanctions, etc.) peuvent être invoqués également par les défenseurs de la doctrine du déterminisme universel, fait de l'idée même de liberté « une force capable de produire le mouvement, et de toucher par là au mécanisme » (Doctrine des idées-forces). Bergson a signalé le vice fondamental de la plupart des discussions sur la liberté : l'assimilation, psychologiquement illégitime, de la volonté au fléau d'une balance dont l'inclinaison est déterminée par les poids des plateaux. Les motifs et les mobiles ne sont pas des choses; le choix libre sort du processus continu de la délibération. Le déterminisme universel est un
postulat scientifique; mais on peut prétendre que la science n'enchaîne
point la réalité. Boussinescq
a même « démontré que les équations d'un
système matériel (en mécanique) ne déterminent
pas toujours toute la suite des mouvements du système ». Enfin,
en supposant, outre une telle contingence, une « automotivité
représentative » (Renouvier),
et une irréductibilité foncière de la personne humaine
tout entière aux causes naturelles de sa formation, on peut concevoir
une véritable liberté.
La difficulté de cette conception est double : il faut d'abord concilier la liberté de chacun avec celle des autres membres de la société; en second lieu, il faut la concilier avec l'indispensable suprématie directrice du gouvernement. Précisons : l'existence d'une société suppose une sorte de pacte en vertu duquel chacun des individus s'engage ou sera contraint à reconnaître aux autres des droits équivalents aux siens; il devra respecter leur vie, leur famille, leur propriété, renoncer à trancher par la force brutale les contestations, etc. On résume ces obligations dans une formule très nette : « La liberté de chacun cesse où commence celle d'autrui. »Il est d'ailleurs admis par la plupart des auteurs, et il résulte des expériences historiques que ce respect réciproque des libertés individuelles ne peut être assuré que par l'État. Le contraire est cependant soutenu par les théoriciens de l'anarchie; mais il paraît certain que la disparition de l'appareil dirigeant de la société livrerait celle-ci à la force brutale, et détruirait la liberté de la grande majorité des citoyens. L'État ou gouvernement étant accepté comme l'indispensable garant des libertés individuelles et l'arbitre entre elles, un nouveau problème surgit: Quelle part de ces libertés devra-t-on sacrifier pour en assurer le fonctionnement? La nécessité de l'action collective, de la discipline entraîne d'énormes restrictions des autonomies personnelles; tel est, par exemple, le service militaire, là où il est ou a été en vigueur. Les débats relatifs à la
liberté politique sont anciens en Europe, où le vieil Hérodote
qualifiait d'anarchiques les peuples du continent, les opposant aux dociles
troupeaux humains de l'Asie. Même les civilisations de l'Europe méridionale
(cités de la Grèce et de l'Italie antique, empire romain,
etc.) ont d'ordinaire accordé à l'État une toute-puissance
peu contestée sur ses membres. En revanche, les pays germaniques
n'ont, durant des siècles, pas eu la notion de l'État; elles
ne concevaient que les contrats d'homme à homme; le monarque ne
pouvait compter que sur ses « fidèles » ou leudes, personnellement
liés à lui. Un tel régime était extrêmement
favorable à la liberté; il en est resté beaucoup dans
nos moeurs; par exemple, cet aphorisme
qu'un impôt doit être consenti par ceux qui le payent; d'une
manière plus générale, l'idée que les pouvoirs
politiques, les lois et tout l'organisme social reposent sur un contrat
librement accepté. Après que les exigences de la défense
militaire et l'évolution de la propriété
eurent abouti au régime féodal, la formation de grands États
centralisés eut pour conséquence le despotisme monarchique
qui supprima la plupart des libertés politiques, s'appuyant sur
les théories du droit romain et de
l'Église catholique. Il ne put toutefois prévaloir en Angleterre,
et, bientôt, un mouvement d'opinion conduit par les philosophes et
publicistes français revendiqua les libertés politiques;
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
est leur manifeste. Nous nous contenterons de rappeler ici que les
principales de ces libertés sont : la liberté de réunion,
la liberté de la presse, la liberté d'association, la liberté
de l'enseignement. A l'encontre des pouvoirs spirituels, on a conquis la
liberté de conscience et de culte. Ce fut, en Europe, non pas le
but, mais le résultat de la Réforme, qui avait commencé
par une réaction du fanatisme religieux et qui finit par proclamer
la nécessité du libre examen comme base des croyances.
Aujourd'hui on est à peu près d'accord pour admettre la liberté de la pensée, et on ne trouve pas beaucoup de personnes qui combattent ouvertement les autres libertés primordiales que nous venons d'énoncer. Pourtant, lorsqu'on en vient aux applications, le désaccord apparaît, et il se révèle de grandes difficultés que l'analyse philosophique peut d'ailleurs faire pressentir. Il est malaisé de pousser à l'absolu l'une quelconque des libertés, sans la mettre en contradiction avec l'intérêt social réel ou supposé. La liberté de penser semble primordiale, et dans les sociétés actuelles, on peut dire qu'il importe par-dessus tout de ne jamais entraver la recherche de la vérité, le libre effort de chacun dans cette voie. La liberté de la pensée est inséparable de la liberté de la parole, non seulement parce que la pensée ne se formule que par la parole, mais aussi parce que la vérité conquise par l'effort individuel n'a de prix que si elle est transmise par l'inventeur aux autres; ceci est aussi vrai des opinions philosophiques que des découvertes physiques et tout autant des investigations sur les intérêts économiques, politiques ou moraux de la société. Mais ici surgit une difficulté redoutable; il est impossible d'établir une démarcation, absolue entre la pensée, la parole et l'acte; et, en un certain sens, toute parole est un acte. Or, très peu de gens sont disposés à admettre qu'une société laisse discuter librement tous ses principes, laisse prêcher sa destruction. L'apologie du meurtre, du vol, semble aussi coupable que l'acte auquel elle incite; on étend cette réprobation à la théorie qui envisage comme légitimes le meurtre et le vol. Dans l'ordre moral, on se heurte à des susceptibilités analogues, et les esprits les plus ouverts ont peine à autoriser leurs concitoyens à s'affranchir du joug de la coutume : non seulement ils maintiennent la prohibition de la polygamie, des actes impudiques dans des cas où le libre exercice des fantaisies individuelles n'apporte pas de dommages précis et pondérables aux autres membres de la société, mais ils punissent presque partout l'apologie ou la description d'actes jugés immoraux dans la civilisation particulière où ils s'accomplissent. Ces faits prouvent que partout subsiste un certain pouvoir spirituel restrictif des libertés individuelles; nous n'avons pas à en discuter ici la légitimité. Il est aisé de comprendre que les libertés qui interviennent dans un ordre plus pratique et matériel, liberté de la presse et d'association, soient en butte aux mêmes restrictions; un État ne laisse pas se constituer librement d'association dont le but avoué est de le détruire; de là à retirer à ses adversaires le bénéfice de la liberté il n'y a qu'un pas, souvent franchi. Nous ne pousserons pas plus loin cet exposé; il serait facile de varier les exemples. Retenons seulement une dernière constatation. La conception de la liberté est fort différente d'un pays à l'autre. La liberté comporte deux cas assez distincts : l'indépendance vis-à-vis du gouvernement et l'indépendance vis-à-vis de la coutume. (G. Fonsegrive / NLI / A.-M. B.). |
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