| Deux philosophes grecs, tous deux contemporains et amis d'Aristote (qui composa dans sa jeunesse un dialogue intitulé Eudème) nous sont désignés sous le nom d'Eudème : l'un, Eudème de Chypre, dont nous ne savons rien, l'autre, Eudème de Rhodes, disciple et continuateur d'Aristote, rival de Théophraste, l'un des principaux représentants de l'école péripatéticienne après la mort du maître. La vie d'Eudème de Rhodes nous est peu connue : il est probable qu'il resta assez longtemps à Athènes après que Théophraste eut pris la succession d'Aristote, et qu'il retourna ensuite dans sa patrie. Il composa un grand nombre d'ouvrages consacrés soit à exposer la doctrine aristotélique, soit à faire connaître l'histoire des sciences. C'est lui qui est aujourd'hui considéré comme l'auteur du livre attribué à Aristote sous le nom de Morale à Eudème et qui devrait s'appeler plutôt Morale d'Eudème. Eudème paraît s'être attaché plus fidèlement que Théophraste à conserver l'esprit et la lettre de la doctrine d'Aristote. Il a cependant introduit quelques modifications, dont voici les principales. En logique, d'accord avec Théophraste, il développa la théorie de la conversion des propositions, soutint que la deuxième et la troisième figure du syllogisme peuvent constituer des raisonnements parfaits et fit entrer dans la logique l'étude des jugements disjonctifs et hypothétiques. En physique, il suivit pas à pas les traces d'Aristote, et essaya seulement de déterminer d'une manière plus précise les rapports de Dieu et du monde. La morale d'Eudème mérite une attention particulière. Il voulut établir un rapport étroit entre l'idée de Dieu et la règle des actions humaines ; ainsi il attribua à une influence du premier moteur l'instinct heureux qui porte certaines âmes à bien agir en dehors de toute réflexion. De même qu'il plaçait l'action divine à l'origine de la vertu, c'est en Dieu qu'il apercevait aussi la fin suprême de toutes nos actions : ce n'est plus comme chez Aristote la connaissance scientifique, c'est la connaissance de Dieu qui constitue à ses yeux la félicité parfaite ; et la valeur des actions humaines se mesure à leur rapport avec l'idée de Dieu. Tandis que pour Aristote la vertu à laquelle se ramènent toutes les autres est la justice, vertu sociale, pour Eudème c'est la droiture. Enfin, il paraît avoir uni moins étroitement que son maître l'éthique et la politique. A ces différents traits, on peut reconnaître une certaine tendance à revenir vers Platon, sans pourtant abandonner aucun des principes de l'aristotélisme. (V. Br.). Eudème développa de même la doctrine d'Aristote dans trois livres de physique, dont Simplicius nous a conservé de nombreux et importants fragments, et dans d'autres ouvrages sur les Catégories, les Analytiques (où il innova la considération des cinq modes secondaires de la première figure du syllogisme), sur la Diction, etc. Ses fragments, dont Brandis avait commencé le recueil, ont été publiés par Spengel (Berlin, 1866) et insérés par Mullach dans les Fragmenta philosophorum Graecorum de la collection Didot (vol. III, 1881). L'oeuvre la plus originale d'Eudème parait avoir consisté dans ses écrits sur l'histoire des mathématiques (un livre d'Histoire arithmétique, quatre d'Histoires géométriques, six d'Histoires astrologiques). Ces titres figurent dans le catalogue des écrits de Théophraste, que donne Diogène Laërce, mais toutes les citations qui en sont faites, et qui malheureusement sont trop rares, se réfèrent à Eudème. Il n'est donc pas douteux que, tandis que Théophraste s'était réservé le domaine de l'histoire de la physique, Eudème a le premier écrit sur celle des mathématiques et que tous les renseignements que nous possédons sur leur état avant le IIIe siècle proviennent plus ou moins directement de lui. Ses ouvrages paraissent avoir été très circonstanciés (à en juger par l'important fragment relatif à la quadrature des lunules), et composés par ordre de matières; le livre Sur l'angle, cité par Proclus, était probablement un des; quatre des Histoires géométriques. Au point de vue de la critique historique, il est essentiel de remarquer que les ouvrages en question ont cessé d'être consultés de bonne heure, et qu'ils ont probablement été perdus défini tivement lors de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie en 390. Des extraits intéressants, touchant des points spéciaux, en avaient cependant été compilés (vers la fin du IIIe siècle, par un Sporos de Nicée, dans un recueil intitulé Khria et c'est ainsi qu'ils ont pu nous être conservés par Eutocius et par Simplicius. (Paul Tannery). | |