| La croyance, comme la foi, est un des acte d'adhésion de l'esprit à certaines propositions. Les deux termes sont à peu près synonymes. La foi, cependant, dans le langage ordinaire, relève du religieux, comme dans le Christianisme (Foi religieuse), alors que la croyance, même si elle peut également être de cet ordre (avec, dans ce cas, sinon une connotation péjorative, du moins l'expression d'une prise de distance : la croyance, c'est la foi des autres...), correspond à une attitude plus large, qui désigne tout ce que l'esprit humain est suceptible de croire, c'est-à-dire d'admettre pour vrai ou pour réel. En somme, tout ce à quoi peut s'appliquer son intelligence. D'un point de vue plus philosophique, croyance et foi se distinguent en tant qu'attitudes face à la certitude. La croyance, c'est une adhésion relative, soumise aux conditions de la raison. Elle s'apparente dès lors à l'opinion. Mais sur l'échelle de la certitude et du doute, elle se place à proximité du premier terme et par là peut s'ériger en une condition de la connaissance, alors que l'opinion se place à proximité du second. On dit : je crois, pour ne pas dire : je sais, et l'on dit : j'opine, pour ne pas dire : je ne sais pas... La foi, en revanche, relève de la certitude absolue; la manière dont elle le fait, il est vrai, reste problématique. L'analogie de la certitude et de la foi, la place de la raison dans ce procès, seront considérées différemment par ceux qui professent une foi et par ceux qui n'en ont pas. Les philosophes et les logiciens peuvent bien faire des distinctions entre la certitude et la foi. Ceux qui ont la foi n'accorderont jamais qu'ils ne sont pas certains, que leur foi n'enveloppe pas la certitude. Il semble cependant que tout le monde peut admettre que, si la foi atteint la certitude, elle y arrive par d'autres chemins que la science proprement dite ou la raison. Avoir foi en une personne, en une institution, en une idée, en un système; avoir foi dans l'avenir; avoir une foi politique ou religieuse, toutes ces expressions supposent et impliquent que l'esprit fait usage d'autre chose que de la raison pour atteindre la vérité, qu'il est éclairé d'une autre lumière que celle qui brille pour la seule intelligence. Ceux qui ne veulent pas convenir du caractère subjectif et personnel de la foi expliquent l'adhésion pleine et entière qu'ils donnent à la vérité qui leur apparait soit par un hasard heureux, par une sorte d'intuition ou de divination, soit plutôt par l'action exercée sur eux par un être bienveillant et bon, par une faveur, par un privilège, par une grâce, surtout, comme il arrive pour la foi religieuse, la foi par excellence, par une révélation. Une telle doctrine diffère d'ailleurs du mysticisme, puisque la distinction entre le sujet et l'objet, entre l'humain et Dieu, est maintenue. D'autres ne font pas difficulté d'avouer que le sentiment et même la volonté sont pour beaucoup dans la production de la foi. Loin de voir dans l'intervention de ces mobiles subjectifs une cause d'infériorité ou un motif de suspicion, ils revendiquent pour le coeur, pour « les raisons que la raison ne connaît pas », le privilège d'atteindre bien plus sûrement que la raison raisonnante à la vérité absolue. Il faut, disent-ils avec Platon, croire avec l'âme tout entière. La vérité (du moins, la vérité morale, la seule qui soit, à proprement parler, objet de foi) ne se découvre pas à qui ne la cherche pas : il faut aller au-devant d'elle, l'aimer, la vouloir, s'offrir à elle. Mais si, dans cette doctrine, la foi est autre chose que la raison, elle n'en est pas séparée. Les vérités qui sont objet de foi sont démontrées, au moins partiellement, par la raison. La foi ne se substitue pas à la raison, comme dans le fidéisme, mais elle achève l'oeuvre commencée par la raison. La démonstration rationnelle, pour rigoureuse qu'elle soit, est incomplète ; elle laisse place à quelque obscurité ; elle n'obtient pas pleinement le consentement, quoiqu'elle force l'assentiment. A la foi seule il est donné d'aller plus loin, d'arriver à la pleine lumière qui échauffe en même temps qu'elle éclaire et qui réjouit le coeur en même temps qu'elle satisfait définitivement l'esprit. Soit que l'on considère la foi comme essentiellement opposée à la raison par son origine, soit qu'on la regarde comme une sorte d'extension de la raison, provenant, selon l'expression de Malebranche, de ce que « nous avons du mouvement pour aller plus loin», la foi diffère de la raison et, dès lors, se pose un problème inconnu à l'Antiquité, mais qui, après l'avènement du christianisme et depuis l'époque où saint Anselme intitulait un de ses livres Fides quaerens intellectum, a préoccupé la plupart des philosophes. Quels doivent être les rapports de la raison et de la foi? Une première réponse est faite à cette question par les partisans exclusifs de la foi : la raison doit être entièrement subordonnée; elle est une esclave et doit obéir. Ainsi, certains penseurs se sont complu à humilier, à froisser la raison humaine ; ils ont triomphé de ses contradictions et de ses faiblesses. Plusieurs même, comme on le voit par le célèbre Credo quia absurdum de Tertullien, sont allés jusqu'à faire un argument en faveur de la foi de son opposition à la raison. Il s'en trouve encore de tels aujourd'hui. Cependant, une solution si violente ne pouvait rallier les esprits philosophiques. Aussi beaucoup de penseurs, surtout au XVIIe siècle et, au premier rang parmi eux, Leibniz, se sont-ils donné pour tâche de concilier la raison et la foi, l'ordre de la nature et celui de la grâce. On peut dire qu'ils ont épuisé leur génie à chercher la solution de ce difficile problème. Mais il est impossible de contester que leurs théories soulèvent encore un grand nombre de difficultés. Signalons en passant une doctrine trop peu connue d'un penseur qui fut le plus rationaliste de tous, le plus âprement attaché à l'évidence mathématique, Spinoza, et qui trouva moyen de faire place dans son système, ou plutôt à côté de son système, à la foi et même à la révélation, considérant la foi et la piété comme une sorte d'équivalent à la portée des humbles et approprié à leur degré de culture des hautes vérités que la raison démontre. De nos jours, semble-t-il, la question se pose tout autrement, et les termes en sont pour ainsi dire renversés. La science et la raison, après tant de progrès accomplis et de vérités supposées définitivement acquises, loin de s'incliner devant la foi, ou même de consentir à traiter d'égal à égal avec elle, ont plutôt une tendance marquée à l'exclure, à la dédaigner, à la tenir pour non avenue. C'est une disposition assurément trop répandue chez nos contemporains, qui les porte à ne tenir compte que de ce qui est démontré ou plutôt (car la foi a la prétention de reposer sur des démonstrations) de ce qui est vérifiable par l'expérience. Il semble cependant, du moins aux esprits sans parti pris, qu'il y, ait là un fâcheux excès. Après une période d'enthousiasme, de confiance illimitée dans la science, et en quelque sorte d'ivresse, presque tout le monde reconnaît aujourd'hui que la science ne peut suffire à tout; qu'il y a nombre de questions qui, par leur nature, lui échappent et probablement lui échapperont toujours; qu'elle est absolument impuissante à donner la solution de certains problèmes, surtout de ceux qui intéressent et inquiètent le plus la société moderne, les problèmes moraux et ceux que la sociologie s'est donné pour tâche d'éclaircir. D'ailleurs, la science n'atteint jamais que des abstractions. Elle est toujours relative. De plus, elle repose sur des principes qui, au fond, ne sont que des actes de foi: même on a pu soutenir, par de forts bons arguments, que toutes nos affirmations, quelles qu'elles soient, renferment un élément de croyance très analogue à la foi. La métaphysique essaye bien, aidée des seules forces de la raison, d'apercevoir l'être même dans sa réalité concrète et absolue. Mais c'est une question de savoir si elle y parvient, et cette question est l'objet d'éternelles disputes. En tout cas, les moyens dont la métaphysique dispose sont limités, et elle n'est pas à la portée de la foule. De quel droit enfin interdirait-on à l'humanité de trouver dans la foi les consolations et les espérances que la science et la métaphysique sont impuissantes à lui donner? Après tout, la science et la métaphysique elle-même reposent sur ce postulat implicite que le fond de l'être est intelligible. que rien n'existe qui ne soit accessible et pénétrable à la pure intelligence. Mais ce postulat lui-même peut être contesté. Il y a peut-être dans l'absolu comme en nous autre chose que de la pensée. C'est pourquoi ceux-là semblent les mieux inspirés qui, à l'exemple de Kant et de ses disciples, et malgré les protestations "au nom de la foi", de philosophes tels que Jacobi et Herder, commencent par circonscrire nettement le domaine de la raison, par tracer sévèrement, non pas arbitrairement, mais à la suite d'analyses précises et approfondies, les limites qu'elle ne doit et ne peut franchir, mais n'interdisent pas à la foi de dépasser ces limites à ses risques et périls, pourvu qu'elle ne donne jamais que pour ce qu'elle est et ne prétende pas se confondre avec la science. La foi n'a rien à perdre; elle a tout à gagner à éviter les conflits et même les rencontres avec la science. Dans cette sphère qui lui appartient en propre, ses droits sont respectés, sa légitimité est proclamée, son influence heureuse peut s'exercer en toute liberté. C'est ainsi, non par une pénétration réciproque, comme le voulait encore Leibniz, mais au contraire par une distinction précise que la raison et la foi peuvent coexister sans se nuire et que peut se résoudre le problème tant discuté des rapports de la raison et de la foi. (Victor Brochard).- | |