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Histoire de la philosophie
Histoire de la philosophie
La philosophie de la Renaissance
[La philosophie]

Aperçu
La philosophie de la Renaissance est une transition entre la philosophie scolastique et la philosophie moderne. Ce qui la caractérise, c'est d'abord une réaction souvent dédaigneuse, toujours excessive contre l'esprit général de la philosophie des siècles précédents. Celle-ci était chrétienne, et dans le domaine purement philosophique se réclamait surtout du moins au temps de son apogée, de l'autorité d'Aristote. La Renaissance est sinon un retour de l'esprit païen du moins une émancipation du carcan scolastique, et elle oppose à l'autorité d'Aristote soit celle de Platon, soit celle de philosophes de second ordre. C'est ensuite une ardente curiosité des choses de la nature, qui provoque un grand mouvement scientifique qui se caractérisa par une créativité brouillonne.

Quatre causes préparaient une révolution philosophique : la connaissance de l'Antiquité, la réforme religieuse, le scepticisme philosophique, les progrès des sciences.

La redécouverte des auteurs de l'Antiquité.
La conquête de Constantinople  par les Turcs en 1453 ayant produit l'émigration de tous les savants grecs en Italie, l'Italie redevient une grande Grèce. On possède et on lit tout entiers, dans les textes originaux, les chefs-d'oeuvre de la philosophie antique : on s'enchante, on s'enivre de ces richesses, on devient platonicien, péripatéticien, pythagoricien, épicurien, stoïcien. La scolastique avait consacré le respect de l'Antiquité : ce respect se retourne contre elle : à une autorité on oppose une autre autorité, et par cette lutte le principe même de l'autorité périt en philosophie.

La réforme religieuse et le scepticisme phulosophique.
La réforme protestante de Luther, qui, en posant le principe du libre examen, encouragea l'esprit d'indépendance, et diminua le prestige de l'autorité et ouvrit la voie du scepticisme philosophique.  Profitant du travail philologique consacré par le XVe siècle aux livres bibliques, latins, grecs et hébreux, la réforme oppose les textes originaux à la Vulgate, la vraie Bible à la Bible romaine et l'Église primitive des apôtres à l'Église des papes. Puis, peu à peu, c'est la conscience même et la foi spontanée que l'on oppose à la lettre des dogmes et à la foi passive.

Les progrès des connaissances.
Ce furent enfin les grandes découvertes scientifiques. On lit dans le livre de la Nature autant et plus que dans ceux des Grecs et des Hébreux, et les grandes découvertes scientifiques inspirent l'amour de la science positive avec le pressentiment de sa grandeur future. Le Nouveau Monde de Colomb recule les bornes de la terre habitée; l'imprimerie met à la portée de chacun les trésors amassés par les siècles; les inventions physiques et astronomiques brisent le ciel de cristal imaginé par Aristote, suppriment le centre du monde en le plaçant partout et ouvrent à la pensée un horizon sans limites.

De là une renaissance philosophique qui se traduit par une riche confusion de systèmes, chaos fécond d'idées d'où devait sortir, avec une nouvelle méthode, une nouvelle philosophie de la nature, et par cela même une nouvelle philosophie de l'esprit. Aux environs de l'année 1600 se produit une série de systèmes hardiment novateurs : Bacon en Angleterre, Descartes en France. L'indépendance de la philosophie est désormais presque accomplie : c'est l'époque moderne.


Jalons
Continuation de l'influence de Platon et d'Aristote

Il ne faudrait pas croire que les philosophes proprement dits de la Renaissance aient secoué le joug de toute autorité philosophique. Jusque chez ceux-là même qui font sonner le plus haut leur affranchissement, les survivances du platonisme ou de l'aristotélisme sont très frappantes.

 Â« Quiconque, dit E. Saisset, dépouillera les conceptions de ces ardents génies de certaines formes bizarres qui leur prêtent une apparente originalité, s'assurera qu'il n'en est pas un seul qui n'ait sa source prochaine ou éloignée dans les deux grandes écoles de la Grèce, celle d'Aristote et celle de Platon. On a beau s'exalter à Florence et à Rome, on a beau raffiner à Bologne et à Padoue; on a beau courir le monde et les Universités, faire retentir Genève, Paris, Oxford, Wittemberg de ses protestations contre la routine et l'Antiquité; cette Antiquité sainte dont on dissipe le prestige, c'est par une autre Antiquité qu'on veut la remplacer. Le platonisme et l'aristotélisme, telles sont les deux machines de guerre dont on se sert pour miner et abattre la scolastique. » 
Un grand nombre de doctrines, il est vrai, sont remises en honneur pendant la Renaissance, mais, ce sont, en effet, celles de Platon et d'Aristote qui exercèrent la plus grande influence sur les philosophes de cette époque. L'influence d'Aristote fut prépondérante dans l'école de Padoue et dans celle de Bologne, celle de Platon dans l'école de Florence

Le renouvellement du platonisme et du pythagorisme.
Le platonisme et le pythagorisme sont renouvelés, en Allemagne, par le cardinal Nicolas de Cues (XVe siècle), précurseur en astronomie de Copernic; en Italie, par Marsile Ficin, par Pic de la Mirandole et par Patrizzi . Ramus, en France, oppose Platon à Aristote

Nicolas de Cues (1401-1464). 
Le cardinal Nicolas de Cues, né en Allemagne, combine la philosophie de Platon avec la théorie pythagoricienne des nombres. Il croit que Dieu se révèle par des symboles mathématiques, tout en demeurant inaccessible en lui-même. Il admet le Dieu-unité de Pythagore et la coïncidence des contradictoires.

« Ce maximum de grandeur (Dieu), c'est aussi l'absolu, l'Un-tout, ce qui est en tout et a tout en lui, le plus grand et le plus petit; car rien ne peut lui être opposé; bien plus l'ètre et le non-ètre. » (De doct. ignor., I, ii) .
Nicolas de Cues conçoit la nature, avec Aristote, comme une aspiration universelle et spontanée au meilleur. 
« Par l'effet d'un don divin, dit-il profondément, chaque chose porte en elle un certain désir naturel d'arriver à l'état le meilleur que sa nature comporte, et d'agir en mettant en oeuvre les instruments nécessaires à cette fin [...]. Ainsi, par le poids de sa propre nature, elle atteint le repos dans le sein de l'objet aimé.  » 
De là il déduisait non moins profondément la règle de l'évidence comme signe de la vérité, et il voyait dans cette évidence le repos de l'amour dans l'objet aimé : 
« Toute intelligence saine et libre, remplie du désir de voir et de parcourir, embrassera donc amoureusement la vérité trouvée ; car nous ne doutons pas qu'une chose ne soit parfaitement vraie lorsque aucun entendement sain ne peut s'empêcher de la reconnaître. Dans toute investigation, nous comparons ce qui est supposé certain avec ce qui est incertain, et, par la proportion, nous jugeons du dernier. » Ibid.
Les nouveaux cabbalistes.
Le platonisme est favorisé en Italie par les Médicis, comme une philosophie soeur du christianisme. Marsile Ficin traduit, commente et admire Platon. Cosme de Médicis fonde en 1460 une académie platonicienne. Pic de la Mirandole, le Pascal de son siècle, combine Platon avec Moïse et avec la Cabbale. Agé de dix-neuf ans, il propose à tous les savants une sorte de carrousel philosophique à Rome, et se déclare prêt à soutenir neuf cents thèses, de omni re scibili
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Pic de la Mirandole.
Pic de la Mirandole.

Le médecin Paracelse, le grand mathématicien Cardan, associent au mysticisme 'néo-platonicien la théurgie et la magie, fondée sur ce principe que, le monde étant une hiérarchie de forces divines, il suffit de s'assimiler les forces supérieures pour commander aux forces inférieures. Les découvertes scientifiques, comme la règle de Cardan pour la solution des équations du troisième degré, se mêlent aux extravagances de la Cabbale et de la théosophie.

Giordano Bruno (1548-1600). 
Giordano Bruno naquit à Nole près de Naples. Jeune encore il entra dans l'ordre des Dominicains, mais il en sortit bientôt pour mener une vie errante et très agitée. Il parcourut l'Italie, la Suisse, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, prêchant partout ses doctrines, mais avec peu de succès, aussi bien auprès des protestants qu'auprès des catholiques. Revenu en Italie, il fut livré à l'Inquisition qui le condamna comme apostat et hérétique à être brûlé. Il avait écrit un grand nombre d'ouvrages, la plupart en langue italienne, dont les principaux sont : de la Cause, du Principe et de l'un, de l'Univers infini et des mondes, de la Monade, du Nombre et de la figure.

Deux idées dominent toute la philosophie de Bruno, celles de l'infinité et de l'unité des mondes. Il adopte un des premiers le système de Copernic, pour qui la Terre n'est plus le centre immobile du monde, mais se meut comme les autres planètes autour du Soleil. Le soleil lui-même pour Bruno n'est qu'un centre partiel, et notre système solaire qu'un monde parmi d'autres innombrables. Avec quel enthousiasme il célèbre ces myriades d'astres et de mondes, ces conciles d'étoiles, comme il s'exprime, ces conclaves de soleils dont la pensée ravit et transporte son imagination. Cet univers illimité est le trône de Dieu, ou plutôt c'est Dieu lui-même, car Dieu est l'âme, la forme et la vie des choses, partout présente, partout agissante, dont les forces qui s'agitent dans le monde ne sont que des manifestations diverses. Il ne faut voir dans nos âmes et dans nos corps que « des effluves divins, fulguration éphémère de la substance cosmique. » Dieu, la monade des monades, est donc tout à la fois le minimum et le maximum, le minimum puisque tout sort de lui, le maximum puisque tout est en lui. La doctrine de Bruno, comme on le voit, est un panthéisme mystique, qui n'est pas sans analogie avec celui des Alexandrins

« Lorsqu'on lit Bruno avec quelque attention, dit Bartholmess, on s'aperçoit bien vite qu'il s'était nourri et pénétré des Ennéades, autant et plus que de certains dialogues platoniciens. A l'entendre, Plotin est le prince du platonisme, il principe. »
Ramus (1515-1572).
C'est l'Italie qui fournit les principaux philosophes de la Renaissance. Toutefois, il en est un en France qu'il est impossible de passer sous silence à cause de l'influence qu'il exerça sur les esprits de son époque; ce philosophe est Pierre la Raméeou Ramus,  le premier antagoniste d'Aristote à l'université de Paris. Né en Picardie d'une famille très pauvre, en 1515, il se rend à pied à Paris, presque enfant encore, pour y étudier; il se fait domestique d'un écolier au collège de Navarre, sert son maître pendant la journée et passe la moitié des nuits dans la lecture, à la lumière gratuite de la lune. Après trois ans et demi d'études sur Aristote, il découvre qu'il n'a rien appris. Platon lui révèle une méthode de libre dialectique qui l'enchante. 
« Quid plura? caepi egomet sic mecum cogitare : hem! quid vetat paulisper socratizein? »
A l'âge de 21 ans, pour obtenir le grade de maître ès arts, il soutint dans une thèse publique, au sein de l'Université la plus péripatéticienne, que l'enseignement d'Aristote n'était qu'un mensonge. Son livre est brûlé par arrêt du roi, et des feux de joie accueillent cet arrêt.

A partir de ce moment, Ramus n'eut qu'une pensée; comme c'était en grande partie par la logique que régnait Aristote, c'est sur ce terrain qu'il entreprit de le combattre. Il composa dans ce but deux ouvrages intitulés, l'un : Remarques sur Aristote, l'autre : Institutions dialectiques, qui soulevèrent contre lui des oppositions passionnées. Pour rendre populaires ses idées logiques, il écrivit même quatre-vingts ans avant le Discours de la Méthode, une dialectique en langue française, qu'il dédia au cardinal Charles de Lorraine. Il avait obtenu une chaire de philosophie au Collège de France récemment fondé par François Ier; on l'en déposséda. Il abjura le catholicismepour se faire calviniste. Cette abjuration lui valut des sympathies dans le monde protestant, mais augmenta le nombre de ses adversaires à Paris. Obligé de quitter cette ville, il y rentra et s'y trouva pendant les massacres de la Saint-Barthélemy. Il tomba, à la fois comme protestant et platonicien, sous les coups d'une bande d'assassins excités contre lui, a-t-on dit, par un fanatique partisan d'Aristote, Charpentier, un de ses collègues au Collège de France. Que penser de la réforme de Ramus? 
« Il faut bien reconnaître aujourd'hui, dit avec raison F. Bouillier, que ses attaques contre la logique, la physique et la métaphysique d'Aristote, sont plus passionnées que profondes, qu'il n'a rien laissé qui pût prendre la place de ce qu'il attaquait, et que sa réforme est plutôt littéraire et morale que philosophique. »
Néanmoins Ramus eut de nombreux partisans non seulement en France, mais dans les pays voisins, surtout parmi ceux qu'on a appelés les humanistes. On opposa assez longtemps la logique de Ramus à celle d'Aristote, et il se constitua deux partis bien tranchés parmi les dialecticiens de l'époque : les ramistes et les aristotéliciens.

L'école sensualiste péripatéticienne.
En même temps qu'on opposait à Aristote Platon, on opposait aussi Aristote à lui-même. La scolastique, en effet, n'avait connu qu'un faux Aristote, qu'elle avait concilié plus ou moins artificiellement avec le christianisme. On en appela de l'Aristote mal compris à l'Aristote authentique, étudié dans les textes mêmes. Les nouveaux interprètes se divisèrent en deux camps, les uns qui interprétaient Aristote dans le sens panthéiste d'Averroès, les autres, dans le sens déiste du commentateur ancien Alexandre d'Aphrodise. Les uns et les autres niaient l'immortalité individuelle et la possibilité des miracles.

Pomponace (1462-1526).
L'école de Padoue, ayant à sa tête Pomponace (Pietro Pomponazzi), montre que les vraies doctrines d'Aristote, accepté par l'Église comme autorité infaillible, sont en désaccord avec l'Église. Dans son traité de l'Immortalité de l'âme, il montre qu'Aristote n'a pas admis l'immortalité personnelle, et il justifie cette opinion même, principalement au point de vue moral, comme plus favorable à l'absolu désintéressement de la vertu. Si le peuple a besoin de croire à l'enfer pour s'abstenir du crime, c'est que ses idées morales sont encore dans l'enfance : la vraie vertu a sa récompense essentielle en elle-même, et toutes les autres récompenses ne sont qu'accidentelles.

Vanini (1585-1619).
Disciple de Pomponace, Vanini fit ses études à Naples et à Padoue. Après une vie errante, il vint s'établir à Toulouse où il eut d'abord beaucoup de succès. Dans un premier ouvrage : l'Amphithéâtre de la divine Providence, il parut se poser en défenseur du dogme chrétien. Dans un second : des secrets admirables de la nature reine et déesse des mortels, il fit profession formelle d'impiété et tourna en ridicule toutes les institutions religieuses. 

« Avec la même sincérité que nous avons absous le précédent écrit, dit V. Cousin, nous déclarons celui-ci coupable : coupable envers le christianisme, envers Dieu, envers la morale [...]. Les deux ouvrages sont évidemment du même auteur qui tantôt a mis un masque, tantôt paraît à visage découvert. »
Vanini interprète Aristote à la façon d'Averroès qu'il qualifie de « grand pontife de la sagesse, dictateur suprême de la science, oracle vénérable de la nature. »  Il admet avec Aristote l'éternité de la matière douée par elle-même de mouvement, et l'immanence de Dieu au monde comme substance universelle et universelle pensée. Par ailleurs, ill rejette la morale traditionnelle en mettant la conduite de l'humain sous la dépendance absolue de son tempérament et du milieu où il vit. 

Accusé d'athéisme en 1619, il répond à ses accusateurs que le brin d'herbe qu'il tient dans sa main est pour lui une preuve de l'existence de Dieu. Malgré ses explications, il est condamné à mort par le parlement de Toulouse comme blasphémateur, athée et hérétique. 

« Avant qu'on mît le feu au bûcher, on lui ordonna de présenter sa langue pour être coupée; il la refusa; le bourreau ne put l'avoir qu'avec des tenailles, dont il se servit pour la saisir et pour la couper; on n'a jamais entendu un cri plus horrible. Le reste de son corps fut consumé au feu et ses cendres jetées au vent. »  (Grammond, Historia Gall. ab Henric. IV). 
Césalpini.
Césalpini, grand naturaliste, interprète aussi Aristote dans le sens d'Averroès, et lui aussi considère Dieu, non comme la cause, mais comme la substance du monde. 

Les francs-tireurs.
Telesio (1508-1588). 
Né à Cosenza, Telesio non content de se consacrer lui-même à l'étude de la nature, fonda à Naples pour encourager ces recherches une académie télésienne, à l'imitation de l'académie platonicienne. il combattit l'hylémorphisme d'Aristote avec un acharnement qui le fit surnommer « l'égorgeur de la philosophie péripatéticienne », pour y substituer une doctrine qui rappelle celle des physiciens de Milet (L'Ecole ionienne). Il attribue en effet tous les phénomènes de la nature à la lutte de deux principes opposés, le chaud et le froid, causes, l'un du mouvement, l'autre du repos. Bien qu'il admette une âme spirituelle créée de Dieu, les tendances de sa psychologie sont empiriques et même matérialistes.

Campanella (1563-1639). 
Né en Calabre, Thomas Campanella fit ses études à Cosenza et devint un ardent disciple de Telesio. Il entra jeune encore dans l'ordre des Dominicains, mais sa vie n'en fut pas moins remplie d'étranges vissicitudes. Accusé d'avoir tramé une conjuration pour affranchir son pays de la domination espagnole, il fut condamné par l'Inquisition, et retenu en captivité pendant 27 ans. Délivré par l'intervention du pape, il se réfugia en France, et c'est à Paris qu'il mourut.

Il composa un grand nombre d'ouvrages, la plupart pendant sa captivité. Les deux principaux sont : la Philosophie rationnelle et réelle qui contient tout un système de métaphysique, et la Cité du soleil qui offre beaucoup d'analogie avec la République de Platon et l'Utopie de Thomas More.

Il y a, selon Campanella, deux principes de toutes choses l'être et le non être. L'être se manifeste par trois attributs essentiels : la force, la sagesse et l'amour. En Dieu seul on trouve l'être et ses attributs sans mélange de non être. Les créatures sont un mélange d'être et de non être, force, sagesse, et amour dans la mesure où elles participent de l'être; impuissance, ignorance et haine dans la mesure où elles participent du néant. Campanella croit comme les stoïciens à l'existence d'une âme universelle du monde; les astres sont animés, et il compare les rayons qu'ils s'envoient à un langage sublime dans lequel ils échangent entre eux leurs pensées.

C'est l'idéal d'une société parfaite que Campanella entreprend de décrire dans la Cité du soleil

« Il y reproduit en les aggravant, dit Espinas, les conceptions les plus bizarres de la République de Platon, tout en reconnaissant qu'il est téméraire de chercher en dehors du christianisme des sociétés parfaites. Il proscrit la propriété sinon la famille, érige en principe l'égalité universelle, impose indistinctement le travail à tous les citoyens et réglemente les plus petits détails de la vie quotidienne. Il organise la société sur le modèle de l'univers. Dans les trois ministres qui assistent le chef suprême de la cité, on retrouve les trois attributs qui président au gouvernement du monde : l'un qui répond à la puissance dirige l'emploi des forces, l'autre qui répond à l'intelligence est préposé aux sciences, le troisième qui répond à l'amour est chargé de maintenir l'union sociale. Bref, Campanella est un ancêtre du saint-simonisme. »


Mouvement produit par la Réforme religieuse
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En même temps que l'autorité était battue en brèche dans le domaine de la philosophie, la réforme religieuse introduisait la division dans la théologie. C'est cependant d'une manière indirecte que le protestantisme a servi la cause du libre examen et de la tolérance, car, à l'origine, les doctrines des théologiens protestants n'étaient pas plus libérales que celles des théologiens catholiques. Luther est ennemi de la raison et du libre arbitre : selon lui, nous ne sommes pas libres, et la grâce seule peut opérer le bien en nous ; aussi est-ce la foi qui justifie, plutôt que les oeuvres. Mélanchthon s'efforce de réconcilier le protestantisme avec la science de l'époque et avec le culte de l'Antiquité; mais, bien qu'il soit le plus modéré des protestants, il démontre dans ses écrits le droit de punir les hérétiques. Calvin use de ce droit contre Servet, et cette conduite est justifiée dans un traité de Théodore de Bèze

Le libre examen ne fut pas le but du protestantisme, mais seulement un moyen qui, à l'origine, lui était nécessaire ; là où il fut victorieux, il refusa aux autres la liberté qu'il avait prise pour lui. Il n'en renfermait pas moins en lui-même des germes de liberté politique et religieuse; et après avoir soutenu la politique absolutiste, il dut soutenir, pour le besoin de sa propre cause, la politique démocratique et libérale. Le protestant Hubert Languet, dans ses Vindiciae contra tyrannos, fait reposer la société politique sur un contrat. La Réforme n'amena pas une transformation immédiate de l'enseignement philosophique et théologique; cependant elle participa au mouvement dirigé contre Aristote, et produisit quelques philosophes originaux, principalement dans le mysticisme. Le principal est Jacob Boehm, un des précurseurs de la métaphysique allemande. Le mysticisme est également représenté par Marsile Ficin, les Pic, Nicolas de Cues, Reuchlin, Agrippa de Netteisheim, Paracelse, Robert Fludd et Van Helmont (certains de ces noms pouvant se trouver au confluent de plusieurs courants de pensée).

Hubert Languet (1518-1581).
Languet entra en relation avec Mélanchthon, dont il fut bien accueilli à Wittemberg (1549). II se rendit à Paris (1561) et plaida devant Charles IX la cause des protestants Après la Saint-Barthélemy, il retourna à Vienne, comme chargé d'affaires de l'électeur de Saxe. En 1549, il se retira à Anvers, où il mourut. Son principal ouvrage (Vindiciae contra tyrannos, sive de principis in populum, populi in principem legitima potestate, qui parut en 1579 sous le pseudonyme de Junius Brutus) est écrit dans un esprit démocratique et est plein de théories audacieuses sur l'inviolabilité de la conscience et de la pensée, sur la liberté individuelle et le droit des peuples contre les rois. Il considère le gouvernement comme un contrat entre Dieu, le roi et le peuple; contrat qui devient nul pour le peuple lorsque le roi le viole lui-même. Cette idée importante du contrat, dont Languet déduit les conséquences par la méthode géométrique des jurisconsultes, se retrouvera dans Hobbes et dans Rousseau. La supériorité du peuple sur le roi et celle de la conscience individuelle sur l'autorité religieuse, sont les deux idées originales du XVIe siècle, dont la Réforme a été l'occasion.

Jacob Boehm (1575-1624).
Boehm est des principaux représentants du mysticisme moderne. Ses parents étaient de pauvres paysans; il reçut quelques leçons à l'école du village, puis fut mis en apprentissage chez un cordonnier; il exerça cette profession jusqu'à la fin de sa vie.  La Bibleet les écrits du pasteur saxon Weigel, un mystique, lui sont pourtant familiers. Il devine que « les choses visibles récèlent un grand mystère », et tente de le connaître.  De bonne heure il avait eu des visions. Dans trois révélations successives, Dieu, prétend-il, lui montre « le centre intime de la mystérieuse nature  ».  Le fond des choses est une dualité constante, tendresse et violence, douceur et amertume, bien et mal; tout ce qui est vivant renferme ce duel; ce qui est indifférent, ni doux ni amer, ni chaud ni froid, ni bon ni mauvais, est mort. Dieu le père, ou la force, sans le fils ou l'idée, est une volonté sans objet, un centre sans circonférence, un soleil sans rayon. Le fils est le corps du père, qui ne fait qu'un avec le monde ; et l'esprit est l'identification de toutes choses avec Dieu. Chose étrange chez un illettré, on trouve dans les écrits de Boehm de nombreuses analogies avec les théories philosophiques de l'Allemagne du XIXe s, et il peut aussi être considéré comme un précurseur de Spinoza, de Schelling, de Hegel

Les sceptiques, les libre-penseurs, les conciliateurs

Les sceptiques, les libres penseurs et enfin les esprits indépendants, animés du désir de conciliation, contribuent, pour leur part, à l'émancipation de la pensée moderne. Rabelais mêle des éclairs de vérité à ses bouffonneries. Montaigne s'en tient au « Que sais je? ». Charron, son disciple, réduit le doute en système. Parmi les sceptiques, on rencontre aussi F. Sanchez.  En Italie, le premier résultat du scepticisme fut l'immoralité et la politique de la force. 

La morale, au Moyen âge, avait été absorbée dans la religion : en rejetant la religion, on rejeta aussi la morale. De même la politique, asservie d'abord à la religion, s'affranchit à la fois de toute religion et de toute morale : ce premier effet du libre examen porté dans les matières politiques explique l'oeuvre de Machiavel. Dans le livre du Prince, Machiavel expose des doctrines politiques odieuses et, par là, fonde la science politique moderne en y introduisant la liberté, l'esprit historique et critique, la méthode d'observation et d'expérience. Plus rien de scolastique, plus de théories a priori, plus de principes empruntés soit à la théologie, soit à la morale; rien que des faits, analysés avec pénétration, finesse et fermeté.

Une observation plus attentive des faits mêmes et de leurs lois naturelles devait bientôt faire comprendre que, si la politique est indépendante de la religion et de la morale théologique, elle n'est pas pour cela indépendante de la morale naturelle et du droit
naturel.

En opposition à la politique empirique et positiviste des Machiavel, des Fra Paolo, des Gabriel Naudé, se développe parmi les libres penseurs français une politique toute différente, fondée sur des principes, animée par un sentiment profond du droit, doctrinaire et républicaine. La Boétie et son traité de la Servitude volontaire, où il s'élève avec hardiesse contre les abus du pouvoir absolu. Michel de l'Hôpital, dans son livre sur le But de la guerre et de la paix, montre que la liberté de conscience est la principale des libertés. Le jurisconsulte Bodin d'Angers écrit de profonds ouvrages sur la politique.

Nicolas Machiavel (1469-1527). 
D'une antique famille patricienne, mais qui était déchue, Machiavel, fut nommé en 1498 chancelier du conseil des seigneurs, puis secrétaire d'État. Il garda quinze ans cette haute fonction. Il était chargé de la correspondance politique, de l'enregistrement des délibérations du conseil qui constituait le pouvoir exécutif de Florence, de la rédaction des traités et de la plus grande partie des relations diplomatiques. Dans cet intervalle, il accepta vingt-trois missions à l'étranger, notamment en France, auprès de Louis XII. Il avait entrepris d'assurer l'indépendance des Florentins, et, pour y arriver, il tenta de créer des milices nationales, afin de délivrer sa patrie des condottieri. Absorbé jusque-là par ses travaux politiques, il n'avait publié que des poésies de jeunesse, et ses Légations. 

Ce fut alors que le pape et l'empereur, victorieux de la France, alliée de Florence, firent rentrer dans cette ville les Médicis, qui proscrivirent Machiavel (1512). On doit à cet exil la plupart des ouvrages qui ont immortalisé le nom de Machiavel. Il écrivit, en 1515, le plus célèbre de tous, celui qu'une erreur singulière fait appeler le Prince, et qu'il avait intitulé : Opuscule dei principati [Opuscule des gouvernements]; la même année, bien probablement, il composa son Traité de l'art de la guerre, Les Discours sur Tite Live sont de 1516 et les Histoires florentines de 1525. Machiavel vécut ainsi à San-Casciano, près de Florence, jusqu'à la mort de Laurent de Médicis. A cette époque Léon X, qui déjà l'avait fait comprendre dans l'amnistie promulguée à son avènement, le consulta sur diverses réformes à appliquer à Florence, puis le chargea de faire reconstruire les fortifications de cette ville; enfin, d'organiser l'armée de la ligue formée contre Charles-Quint. Mais Machiavel mourut peu après, peut-être empoisonné.

Pendant quatre cents ans, le nom de Machiavel a été synonyme de ruse, de duplicité, de cruauté froide et calculée. L'auteur du Prince fut, plus vraisemblablement, un ardent patriote, qui gémissait sur la décadence de l'Italie et qui voulait la replacer au rang des nations, fût-ce même en constituant un puissant despotisme, assez fort pour dominer toutes les tyrannies locales et chasser les étrangers. Ses doctrines, s'accordaient d'ailleurs avec le droit public du temps. Historien puissant qui unit l'érudition, la profondeur et la gravité au charme et à l'intérêt des récits, Machiavel reste un des plus grands écrivains de l'Italie.

Etienne de La Boétie (1530 -1533).
La Boétie se fit remarquer par sa précocité : à seize ans il avait traduit plusieurs ouvrages grecs. Il fut nommé conseiller au parlement de Bordeaux dès l'âge de 22 ans. Il mourut jeune. Montaigne, dont il avait gagné l'amitié, a fait son éloge dans son chapitre de l'Amitié (Essais, I, 27), et a publié plusieurs de ses écrits. Son ouvrage le plus remarquable, celui qui lui valut l'amitié de Montaigne, c'est son Discours, sur la servitude volontaire, ou Contr'un

Les cruautés de Montmorency contre la Guyenne rebelle (1548) en furent l'occasion; il circula sous le manteau, puis parut, en 1576, dans un recueil de pamphlets protestants. Ce fait, que les protestants s'en servirent comme d'une arme, prouve qu'il n'est pas une déclamation sans portée. L'ami de Montaigne n'est ni un protestant ni un catholique; c'est un jeune philosophe qui revendique au nom de la raison le respect des droits naturels. 

« Certes, dit-il dans sa Servitude volontaire ou le Contre-un, s'il y a rien de clair et d'apparent dans la Nature, c'est que Nature, le ministre de Dieu, la gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et, comme il semble, à même moule, afin de nous entreconnaître tous pour compagnons ou plutôt frères [...] Puis donc que cette bonne mère nous a donné à tous la terre pour demeure, [...] nous a tous donné en communn ce grand présent de la voix et de la parole, pour nous accointer et fraterniser davantage, [...] il ne faut pas faire doute que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous compagnons; et ne peut tomber en l'entendement de personne que Nature ait mis aucuns en servitude, nous ayant tous mis en compagnie. » 
Après avoir ainsi prouvé que les hommes naissent libres et égaux, La Boétie montre que, s'ils sont esclaves, c'est qu'ils le veulent bien, car le tyran est seul, et ils sont tous contre un. Il suffirait donc, pour s'affranchir, de le vouloir. 
« Pour avoir la liberté, il ne lui faut que la désirer. S'il n'a besoin que d'un simple vouloir, se trouvera-t-il nation au monde qui l'estime trop chère, la pouvant gagner d'un seul souhait?-»
Sans doute, l'ouvrage ne s'adresse à aucun tyran personnellement et ne contient pas de système politique lié, mais il est animé d'une passion très vive contre la tyrannie et nourri des plus belles idées antiques sur la liberté. La logique en est entraînante et sûre, le style chaud et nerveux, les images neuves et expressives, la phrase bien organisée, faite souvent à la façon latine, et par suite très propre à traduire les beaux lieux communs. Aussi le Contr'un a-t-il vulgarisé les grandes idées politiques de l'Antiquité et montré comment la culture classique pouvait favoriser l'esprit républicain. Le nom de La Boétie restera, comme on l'a dit, étroitement uni aux mots immortels d'amitié et de liberté.

Michel de L'Hospital (1505-1573).
Un autre Français, esprit de conciliation et de mesure, le chancelier Michel de L'Hospital (ou de L'Hôpital), dans son livre sur le but de la guerre et de la paix (1510), montre que la liberté de conscience 

« est la plus pure et la plus grande des libertés; car c'est la liberté de l'esprit et de sa plus divine partie, la piété. [...] Il est nécessaire, ajoute-t-il admirablement, de laisser en paix les esprits et consciences des hommes, comme ne pouvant être ployés par le fer et par la flamme, mais seulement par la raison, qui domine les âmes. » 
Au poste qu'il occupait, L'Hôpital mit en application autant qu'il le put ses conceptions exigeantes. Il réprima une foule d'abus et se signala par son intégrité et sa sévérité. Ami de la tolérance, il fit tous ses efforts pour prévenir les querelles religieuses et pour rapprocher les Catholiques et les Protestants; il empêcha l'établissement de l'inquisition en France, et fit proclamer la liberté de conscience; mais, après plusieurs années de lutte, voyant tous ses efforts échouer contre le fanatisme des partis, et connaissant d'ailleurs les projets sanguinaires de Catherine de Médicis et de Charles IX, il résigna les sceaux et se retira dans sa terre de Vignay près d'Etampes (1568). Signalé comme favorable aux Protestants, il faillit être atteint dans sa retraite par les massacres de la Saint-Barthélemy (1572); il mourut peu de temps après, de douleur. Ce magistrat intègre ne laissa aucune fortune. Pendant sa magistrature, il fit rendre de sages ordonnances, qui le placent au nombre des premiers législateurs français.  Ainsi se faisait jour, principalement en France, l'idée d'un droit naturel auquel la politique demeure subordonnée en même temps qu'elle s'affranchit de la religion positive. 

Jean Bodin (1520-1596).
Cette introduction du droit dans la politique, le grand jurisconsulte Jean Bodin d'Angers s'efforce de la réaliser dans son traité de la République. C'est l'oeuvre politique la plus importante du siècle après celle de Machiavel. Bodin reproche avec
raison aux anciens philosophes d'avoir cru que, pour réaliser le gouvernement tempéré, il fallait mélanger les diverses formes de gouvernement; non, ce qu'il faut réunir et concilier, ce sont les divers principes de gouvernement : l'unité qui est le principe de la monarchie, la liberté qui est le principe de la démocratie, la proportionnalité qui est le principe de l'aristocratie. Malgré cette théorie neuve et profonde, Bodin n'arrive pas à dégager entièrement les principes des diverses formes gouvernementales, et à reconnaître que l'unité vraie, la vraie liberté, la vraie proportionnalité sont inhérentes au seul gouvernement de droit, celui de tous par tous. Il s'arrête encore à un mélange de monarchie et de démocratie. Il n'en a pas moins l'honneur d'avoir le premier appliqué la jurisprudence à la politique, oeuvre que devait plus tard reprendre Montesquieu. C'est la France, on le voit, qui a fondé scientifiquement la politique de principes, la politique de droit.
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Jean Bodin.
Jean Bodin.

Méthodes et découvertes scientifiques

Nous avons dit qu'un grand mouvement scientifique se produisit à cette époque. A côté des philosophes qui manquent d'originalité, il y eut de vrais savants qui intéressent d'autant plus l'histoire de la philosophie, que beaucoup d'entre eux furent non seulement des praticiens, mais des théoriciens de la science

Les sciences de la nature sollicitèrent plus particulièrement la curiosité des esprits, mais dans toutes les branches du savoir humain la Renaissance se signala par des vues fécondes et d'importantes initiatives.

C'est surtout l'esprit scientifique et la vraie méthode qui avaient fait défaut au Moyen âge. On expliquait trop souvent les faits par des actions extraordinaires sans conditions déterminées; on voyait partout des puissances, facultés ou vertus assez semblables aux nôtres :

« C'étaient de petits lutins de facultés, paraissant à propos comme les dieux de théâtre ou comme les fées de l'Amadis, et faisant au besoin tout ce que voulait un philosophe, sans façon et sans outils.  »
On prenait, comme l'a dit Leibniz, « la paille des termes pour le grain des choses, » et on aboutissait à l'art de Raymond Lulle, le Grand art, « qui enseignait, dit Descartes, à parler de tout, sans rien savoir. » Les grands initiateurs de la Renaissance comprirent qu'il ne suffit pas de tenir les mots pour tenir les choses, et qu'il faut en appeler à la réalité même.

Léonard de Vinci (1452-1519). 
Dans ce mouvement scientifique de la Renaissance, il faut faire une place à part à Léonard de Vinci. L'immortel peintre de la Cène et de la Joconde ne fut pas seulement un grand artiste, il fut un savant de premier ordre. Il excita les sciences à l'amour et à l'observation de la nature. 

« L'expérience, disait-il, est seule interprète de la Nature; il faut donc la consulter toujours et la varier de mille façons, jusqu'à ce qu'on en ait tiré les lois universelles; et elle seule peut nous donner de telles lois. » 
Au précepte Léonard de Vinci joint l'exemple. Ses travaux scientifiques furent nombreux, et il a fait ou soupçonné un grand nombre de découvertes. On a même conclu de certains passages de ses manuscrits qu'il connaissait avant Copernic le mouvement de la Terre. Ses observations sur la circulation du sang, sur la capillarité, ses études de physiologie et de géologie le mettent au rang des naturalistes les plus distingués. Il découvrit la chambre obscure et l'hygromètre. Il avait des connaissances très étendues en mathématiques, et se préoccupait surtout de les appliquer à l'industrie. La mécanique était pour lui « le paradis des sciences mathématiques ». On a trouvé dans ses dessins toutes sortes de machines ingénieuses pour laminer, dévider, raboter, creuser, etc. Le plan de son fameux canon (architonnerre) prouve qu'il avait l'idée d'employer la vapeur comme agent de propulsion; les oiseaux mécaniques qu'il avait construits semblent indiquer qu'il était tourmenté, du rêve de la navigation aérienne. Enfin et surtout ses manuscrits établissent qu'il s'était fait une conception très nette de la méthode des différentes sciences et particulièrement des procédés de la méthode expérimentale.

H. Taine résume bien dans les lignes suivantes les caractères principaux de ce génie compréhensif. 

« Léonard de Vinci, dit-il, est le premier maître accompli de la Renaissance, l'homme en qui se trouve exprimé pour la première fois d'une manière complète ce système d'idées, cet ensemble de dispositions que l'on peut désigner sous le nom de naturalisme. C'est un génie complet qui a le goût et l'amour de la nature dans ses diversités innombrables; et de plus c'est un génie extraordinairement délicat, chercheur du raffiné et de l'exquis [...]. Cette délicatesse l'a conduit aux observations morales; il a découvert la psychologie des têtes. Il a été le premier peintre qui ait observé l'effet des passions humaines sur le visage et sur le corps. Auparavant on connaissait très bien un corps et un caractère, mais on ne savait pas rendre la transformation fugitive des traits du visage que produit une émotion. Léonard a profondément étudié cette partie de son art; ses études à cet égard sont innombrables [...]. De tous les peintres anciens Léonard est le plus moderne; du premier coup d'oeil il a été jusqu'au bout du naturalisme; nul n'a compris plus profondément la complexité et la délicatesse de la nature; nul ne l'a rendue avec une technique plus savante et des procédés plus complets. De même que dans ses oeuvres scientifiques il a devancé son temps, possédé des méthodes, pressenti des vérités, entrevu un système que nous démêlons à peine aujourd'hui; de même dans la structure de ses corps et de ses têtes, dans la finesse et la mobilité de ses physionomies, dans l'étrange et maladive beauté de ses expressions, il a découvert d'avance ces sentiments complets et sublimes, raffinés et délicieux, que les poètes exquis de notre siècle sont parvenus à exprimer Ce sont ces intuitions qui remplissent les figures de Léonard de Vinci; ni Michel-Ange, ni Corrège, ni Raphaël n'iront au delà. »
Sciences astronomiques.
Trois grands noms se succèdent dans les sciences astronomiques : Copernic, Galilée et Képler.

Copernic (1473-1543).
En tête du mouvement scientifique dans l'astronomie se place le chanoine Copernic. Né à Thorn, sur la Vistule, il fit ses études en Italie, et vint ensuite près de Koenigsberg (Kaliningrad) à Frauenbourg, où il étudia de très près tous les anciens systèmes d'astronomie. C'est l'année même de sa mort qu'il publia en le dédiant au pape son ouvrage sur les Révolutions des globes célestes (de orbium coelestium revolutionibus). Il y exposa le système du monde héliocentrique, celui qui a reçu son nom. L'auteur en avait puisé l'idée dans Philolaüs et les Pythagoriciens, et dans Aristarque de Samos. Mais, soit qu'il lui fût resté des doutes sur l'héliocentrisme, soit prudence pour ne pas heurter les préjugés de son temps, il le présente modestement comme une hypothèse. (Giordano Bruno sera le premier à comprendre que pour dépasser le stade de l'hypothèse le système de Copernic devra s'adosser à une physique : au-delà de l'apparence des mouvements (cinématique), il est nécessaire d'élucider les causes des mouvements (dynamique)).

Galilée (1564-1642). 
Galilée, natif de Pise, applique avec rigueur les méthodes scientifiques, telles que les conçoivent les modernes : il observe, il soumet à la balance tout ce qui est pondérable, au calcul tout ce qui est numérable, au dessin tout ce qui est figurable. Point d'hypothèses métaphysiques, mais la précision et la netteté d'un esprit éminemment positif. Il introduit les mathématiques dans la physique, découvre les lois de la chute des corps, l'isochronisme des oscillations du pendule, le thermomètre. Il invente une seconde fois la lunette astronomique, explore le ciel, aperçoit les satellites de Jupiter, observe les taches du Soleil, les montagnes de la lune, les phases de Vénus, et résout la voie lactée en un amas d'étoiles. Il publie ses découvertes sous le titre de Nuntius sidereus, le Messager des astres. En même temps qu'on découvrait les merveilles du ciel, des étoiles nouvelles y apparaissaient comme pour donner raison à la science contre Aristote, qui avait cru que le ciel est inaltérable. En 1572, une étoile inconnue se montra dans Cassiopée; une autre en 1600 dans la poitrine du Cygne; une autre, en 1604, dans le pied d'Ophiucchus; celle-ci, qui était de première magnitude, resta visible pendant plusieurs années et ensuite disparut (Novae et Supernovae).

Galiléevulgarisa et démontra avec plus de rigueur le système de Copernic. Cette astronomie nouvelle, en même temps qu'elle renversait les doctrines d'Aristote, semblait contredire les conceptions bibliques : la Terre n'est plus au milieu d'un monde fini, avec le soleil se mouvant autour d'elle; l'humain n'est plus le centre de l'univers, on ne peut plus dire que tous les mondes ont été faits pour lui. En 1616, l'inquisition romaine condamna une première fois l'opinion de Copernic comme contraire tout ensemble à la Bible et à la raison. Plus tard, Galilée est condamné à son tour, emprisonné, soumis à la torture morale, menacé de la torture physique et séquestré pour le reste de ses jours.

Képler (1570-1630).
Képler eut à souffrir plus que Galilée des tracasseries de ses coreligionnaires et d'autres épreuves; et il mérite une place particulière dans l'histoire de la philosophie à cause de l'esprit philosophique de tous ses travaux scientifiques. Né dans le duché de Wurtemberg, il fit ses études à l'Université de Tubingen. On le destinait d'abord à la théologie, mais il eut la bonne fortune de rencontrer un maître, tout à la fois mathématicien et astronome, qui découvrit ses aptitudes scientifiques, et le dirigea dans l'étude des sciences. Devenu professeur de géométrie, Képler publia son Prodrome ou Mystère cosmographique, qui sans la protection du duc de Wurtemberg lui aurait attiré les foudres des théologiens protestants de Tubingen. Appelé à Prague par l'empereur Rodolphe II, pour travailler aux Tables rodolphines, il y eut toutes sortes de déboires. Retiré au collège de Linz, il fut persécuté pour n'avoir pas voulu entrer dans une association contre les calvinistes. Peu de temps après il mourut. après avoir mené toute sa vie une existence besogneuse.

Outre le Prodome, Képler composa un grand nombre d'ouvrages dont les deux principaux sont : I'Astronomie nouvelle (1609) où il expose les trois lois du mouvement des planètes qui contiennent en germe la gravitation universelle, et l'Harmonie du monde

Képler n'est pas seulement observateur; il est persuadé qu'on peut et qu'on doit, autant qu'il est possible, construire la science a priori par la déduction rationnelle, avec l'expérience pour contrôle. Aussi mêle-t-il des hypothèses métaphysiques, néoplatoniciennes et chrétiennes, à ses raisonnements mathématiques. S'il n'a pas toujours été heureux dans ses suppositions, il n'en a pas moins le mérite d'avoir compris la fécondité de l'hypothèse et de la déduction dans les sciences. 

Ame profondément religieuse, il fait de la science une hymne à la Providence, et veut que toute connaissance se tourne en prière. Voici celle qui conclut l'Harmonie du monde; elle est révélatrice de l'état d'esprit qui animait son oeuvre.

« Avant de quitter cette table, où j'ai fait toutes mes recherches, ce qui me reste à faire, c'est d'élever les yeux et les mains vers le ciel et d'adresser avec humilité ma prière à l'auteur de toute vérité. Ô toi qui, répandant la lumière sur toute la nature, élèves nos désirs jusqu'à la divine lumière de la grâce, afin de nous transporter un jour dans la lumière éternelle de la gloire, je te rends grâces, Seigneur et Créateur, de toutes les extases que j'ai éprouvées dans la contemplation de tes oeuvres. J'ai terminé ce livre qui contient le fruit de mes travaux, et dans la composition, j'ai mis toute l'intelligence que tu m'as donnée. J'ai proclamé devant les hommes la grandeur de tes ouvrages. Je leur en ai expliqué les témoignages dans la mesure de mon intelligence. J'ai fait tous mes efforts pour m'élever par la philosophie jusqu'à la vérité, et si à moi, méprisable vermisseau conçu et nourri dans le péché, il m'était arrivé de rien dire d'indigne de toi, fais-le moi connaître, afin que je puisse l'effacer. N'ai-je pas cédé aux séductions de l'orgueil devant la merveille de tes oeuvres? Ne me suis-je pas proposé ma propre renommée parmi les hommes, en élevant ce monument qui devait être consacré tout entier à ta gloire? Oh! s'il en était ainsi, reçois-moi dans ta clémence et dans ta miséricorde, et accorde-moi cette grâce que mon ouvrage ne produise jamais le mal, mais que pour ta gloire, il serve au salut des âmes. Louez le Seigneur, harmonies célestes, et vous qui comprenez les harmonies célestes. Que mon âme loue mon Créateur durant toute ma vie. C'est par lui et en lui que tout existe, le monde matériel comme le monde spirituel, tout ce que nous savons et tout ce que nous ne savons pas encore, car il nous reste beaucoup à faire, que nous avons laissé sans achèvement. »
Sciences naturelles. 
Dans les sciences naturelles et médicales, il faut citer les noms de Paracelse, van Helmont, Michel Servet et Vésale.

Paracelse (1493-1541). 
Né à Einsiedeln près de Zurich, Paracelse parcourut un grand nombre de contrées pour se mettre à l'école des médecins les plus célèbres. Il composa plusieurs ouvrages sur la médecine et l'alchimie, où il prétend substituer à l'autorité de Galien et des médecins de l'Antiquité et du Moyen âge, l'union féconde de l'expérience et du raisonnement. Il attribue une grande influence aux astres sur le cerveau humain, et en conséquence sur la personnalité morale, tout en maintenant le libre arbitre. Il n'en fait pas moins profession de christianisme, mais d'un christianisme étrange et mêlé de superstitions. Cet ensemble d'idées constitue ce qu'on a appelé la philosophie hermétique qui a rencontré des adeptes à toutes les époques de l'humanité.

Paracelse est donc un illuminé autant qu'un savant. Qu'on en juge par sa théorie du rêve :

« Dans le rêve, dit-il, l'homme vit comme les plantes, seulement de la vie soit du corps élémentaire, soit du corps sidérique, sans l'action de son esprit particulier comme homme. Si le corps sidérique domine, alors insensible à la vie élémentaire qui sommeille, il a commerce avec les étoiles ; dans ce cas les rêves se composent de manifestations venues des astres, remplies de science mystérieuse et d'inspirations. Si au contraire, le corps élémentaire domine, alors repose le corps sidérique, et les songes ont lieu selon les convoitises de la chair. »
Ajoutons que Paracelse fut un des précurseurs de l'homéopathie. Selon lui, les semblables sont guéris par les semblables.

Van Helmont (1577-1644). 
Van Helmont naquit à Bruxelles. Il reprit les idées de Paracelse, et s'efforça de concilier dans sa méthode l'illuminisme et l'expérience. La science, selon lui, commence par l'expérience; elle s'achève par la révélation ou l'extase. Bien que distincte de Dieu, la nature tout entière est animée, et toutes les réalités qui la composent résultent des combinaisons variées de cinq principes qui sont : les éléments, les archées, les ferments, les blas (souffles) et les âmes. Nous ne nous arrêterons pas à décrire ces combinaisons fantaisistes. Dans la physique proprement dite et dans la chimie, Van Helmont fait davantage oeuvre de savant. On lui doit plusieurs inventions ou découvertes, par exemple, celle du thermomètre à eau, de l'acide carbonique, de l'acide sulfurique, de l'acide nitrique, etc.

Michel Servet (1509-1543).
Né en Aragon, après avoir fait des études de droit à Toulouse et de médecine à Paris, Michel Servet parcourut une grande partie de l'Europe, l'esprit inquiet et avide de connaissances. Mais il eut le tort de discuter maladroitement les mystères de la religion, et de soutenir une sorte de panthéisme émanatiste à la façon des Alexandrins, ce qui indisposa contre lui catholiques et protestants. S'étant réfugié à Genève, il y fut brûlé par les ordres de Calvin. Il eut l'idée de la circulation du sang, et soupçonna les véritables fonctions des poumons et des ventricules du coeur. C'était ruiner par la base toute la médecine antique.

Vésale (1514-1533). 
Originaire de Bruxelles, Vésale étudia la médecine à Louvain puis à Paris. Il se rendit ensuite en Italie où il enseigna l'anatomie à Pavie, à Bologne et à Pise avec un succès toujours croissant. Sa renommée lui valut la place de premier médecin à la cour de Charles-Quint et de Philippe Il. Des envieux l'accusèrent d'avoir ouvert le corps d'un gentilhomme qu'on avait cru mort et qui ne l'était pas, et l'Inquisition demanda sa mort. Grâce à l'intervention de Philippe Il, il en fut quitte pour un pèlerinage en Terre Sainte. A son retour il échoua dans l'île de Zante où il mourut. Il a laissé un grand ouvrage en sept livres sur la Structure du corps humain. Vésale brava les préjugés du temps qui regardaient la dissection comme une impiété, et fut vraiment le créateur de l'anatomie.

Sciences mathématiques. 
Les sciences mathématiques n'avaient pas à modifier radicalement leurs méthodes comme les sciences de la nature; elles n'en firent pas moins à cette époque de grands progrès avec Tartaglia, Cardan et Viète.

Tartaglia.
Tartaglia, géomètre italien naquit au commencement du XVIe siècle. Véritable autodidacte, après avoir étudié seul les sciences mathématiques, il devint l'un des plus grands mathématiciens de son temps, et enseigna à Vérone, à Vicence et à Brescia. Il écrivit plusieurs ouvrages sur les mathématiques et leurs applications à l'art militaire, et découvrit la résolution de l'équation du troisième degré (1545).

Cardan (1501-1575). 
Cardan naquit à Pavie, y suivit les cours de l'Université, et ses études faites, enseigna les mathématiques, puis la médecine à Milanet à Bologne. Après avoir écrit de nombreux ouvrages où le charlatanisme eut une grande part, il vint vivre à Rome d'une pension du pape. On ne peut lire l'étrange livre qu'il a composé sur sa propre vie, mélange des plus hautes prétentions scientifiques et des plus extravagantes superstitions, sans le supposer quelque peu atteint de folie. Ses ouvrages philosophiques n'ont pas grande valeur, mais il a fait dans les sciences de précieuses découvertes. La formule pour la résolution des équations cubiques, connue sous le nom de formule de Cardan est en réalité de Tartaglia, qui en avait fait la confidence à Cardan. Celui-ci a d'autres titres de célébrité. Il remarqua la relation qui existe entre la racine d'une équation et le coefficient de son second terme, la multiplicité des valeurs de l'inconnue, et leur distinction en valeurs positives et valeurs négatives. Il connut les racines imaginaires. En chimieil expliqua la coloration des flammes par les métaux, et donna de la poudre à canon une analyse qui ne diffère guère de celle qu'on adopte aujourd'hui. En astronomie il attribua la scintillation des étoiles à l'agitation de l'air, etc.

Viète (1540-1603). 
Viète naquit à Fontenay-le-Comte et mourut à Paris. On ne sait rien de sa vie sinon qu'il fut l'ami de l'historien de Thou, et qu'il occupa une charge de maître des requêtes. On le considère généralement comme le second inventeur de l'algèbre. Le premier il out l'idée de représenter les quantités connues par des lettres et par suite de donner à l'algèbre toute sa généralité. Appliquant sa méthode à la géométrie, il préparait la grande découverte de Descartes. Il perfectionna sur plusieurs points la théorie des équations, et on trouve dans ses ouvrages l'origine du procédé de résolution des équations des premiers degrés par l'emploi des lignes trigonométriques. (E. Durand / A19 / NLI).



Ernst Bloch, La philosophie de la Renaissance, Payot , rééd. 2007. - La Renaissance, c'est bien sûr le renouveau des arts plastiques, la redécouverte du monde antique, mais c'est aussi une époque d'intense activité philosophique. Une nouvelle représentation du monde se construit, mais également une autre conception de l'homme, et une autre société. En étudiant les grandes figures de penseurs de la Renaissance, Ernst Bloch (1885-1977) analyse la naissance de cette société bourgeoise et montre qu'elle s'accompagne d'un renouveau de la philosophie. Il montre aussi que les frontières entre les savoirs ne sont pas étanches et qu'à cette époque on peut être philosophe tout en s'intéressant à la mystique comme Boehme, à l'alchimie comme Paracelse, à l'astronomie comme Galilée et Kepler, à la politique comme Machiavel et Hobbes, au droit comme Bodin et Grotius, ou encore à l'aventure utopiste comme Campanella. (couv.).

Ernst Carrirer, Individu et cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Les Editions de Minuit, 1983.

Léopold Mabilleau, Etude Historique sur La philosophie de la Renaissance en Italie, Nabu Press, 2010.

Margolin Matton, Alchimie et philosophie à la Renaissance, Librairie Philosophique Vrin, 2000.

Bernard Vergely, Philosophes de la Renaissance et du Moyen Âge, Milan (Jeunesse), 2005.

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