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Phédon

Le Phédon est un dialogue de Platon, composé vers 392 av. J.-C. L'auteur y met en scène la mort de Socrate, qui avait eu lieu neuf années auparavant, et rapporte les entretiens du sage avant de boire la ciguë. Les interlocuteurs du dialogue sont Socrate, sa femme Xantippe, ses disciples Apollodore, Cébès, Criton, Phédon, Simmias. Mais il s'agit moins d'un dialogue que d'un drame et ses développements sont d'une grande beauté.

L'exposition est des plus saisissantes la dernière heure de Socrate est arrivée; on vient de lui enlever ses fers; Xantippe, sa femme, est auprès de lui, éplorée et tenant entre ses bras le plus jeune de leurs enfants. Socrate, qui n'est déjà plus aux pensées de la terre, après avoir dit adieu à sa famille mututelle, veut consacrer ce qui lui reste de vie à sa famille d'adoption, à ses disciples, et il charge Criton de faire reconduire Xantippe chez elle. Il se met alors à discuter avec ses amis sur divers sujets et principalement sur l'immoralité de l'âme.

"On comprend, dit Feillet, que Caton d'Utique, voulant se soustraire par la mort à la domination de César, ait choisi ce livre comme sa lecture suprême, pour s'encourager dans sa grave décision. Le spectacle de cet homme juste, acceptant avec calme une mort imméritée, Cherchant à donner à ses disciples inconsolables un peu de sa sérénité, de sa quiétude, les entretenant de la vie future sur le seuil même de l'éternité, était un haut exemple de magnanimité, de puissance sur soi-même."
Le dernier entretien de Socrate, qui constitue le fond même du Phédon, est l'exposition la plus complète des doctrines socratiques et platoniciennes sur l'âme, son essence, ses facultés, son indestructibilité. Nous les résumerons brièvement, sans entrer dans leur examen : 

L'homme est composé de deux éléments, le corps et l'âme, qui ont chacun leurs plaisirs particuliers, ceux des sens et ceux de la raison. L'être qui veut vivre d'une vie morale doit se détacher du corps et de ses jouissances, pour ne rechercher que celles de l'âme en pratiquant la vertu. Il faut encore que l'âme se détache du corps pour saisir la réalité par la pensée. Elle ne peut penser l'essence des choses qu'en se pensant elle-même : c'est ainsi qu'elle pense l'être, la quantité, la justice et la beauté et qu'elle comprend leurs natures et leurs propriétés. Si, dans cette vie, l'âme doit s'affranchir de la servitude du corps pour arriver à la pratique de la vertu et à la Contemplation de la vérité, dans l'autre vie, l'âme, libre de toute entrave, continuera de penser et même de contempler la vérité d'une manière plus pare et plus facile.

Ceci posé, Platon tire de diverses indications l'hypothèse de l'immortalité de l'âme :

 1° L'âme est immortelle, parce que apprendre, pour elle, n'est que se ressouvenir de ce qu'elle a appris avant qu'elle existât sous sa forme actuelle. L'égalité (Platon prend au hasard cette notion absolue pour exemple) n'existe pas seulement entre des pierres ou d'autres objets semblables; mais, hors des objets dans lesquels elle se manifeste, elle est encore quelque chose en soi. L'égalité en soi reste immuable, tandis que celle qu'on remarque entre les objets varie et disparaît avec eux. Lorsque quelqu'un compare l'égalité en soi avec les choses égales et en conçoit la différence, il faut bien qu'il ait eu cette notion avant le temps où il a fait usage de ses sens pour la première fois, puisque les sens ne peuvent rien donner d'absolu : il a donc eu cette notion avant sa naissance, et, en pensant l'égalité en soi, il n'a fait que s'en ressouvenir. Mais, si notre âme a existé avant sa vie actuelle, il faut d'après la théorie des contraires, qu'après sa mort elle revienne encore à la vie et que, par conséquent, elle soit immortelle.

2° L'âme est immortelle parce qu'elle n'est pas sujette à la décomposition. Les choses composées seules se résolvent dans les parties dont elles sont formées; mais les substances simples, comme l'âme, ne peuvent se décomposer. Concevant l'être immuable et éternel l'âme doit participer à la nature de ce qu'elle pense. Elle diffère encore du corps parce qu'elle lui commande, car ce qui est un doit commander à ce qui est multiple et variable. De ce côté l'âme possède donc encore quelque chose qui la rend immortelle, et la pensée et la volonté la mettent à l'abri de la dissolution.

Socrate réfute ensuite ces deux propositions :

a) " L'âme et le corps réunis peuvent se comparer à une lyre. Cet instrument brisé, son harmonie, qui est son âme, se dissipe et meurt avec lui. L'âme humaine, qui tient en équilibre les différents principes des corps, l'eau, le feu et la terre, est aussi une harmonie qui s'éteint lorsque le corps se dissout et tombe en poussière. "
b) "Que l'âme ait existé une ou plusieurs fois, qu'elle soit encore autre chose qu'une harmonie, cela ne prouve pas qu'elle soit immortelle et qu'elle ne doive pas mourir un jour, après avoir usé plusieurs enveloppes corporelles. "
Socrate répond que, pour savoir si l'âme ne peut pas périr, il faut connaître les lois de la naissance et de la mort, et pour cela il faut s'élever aux causes premières, qui sont les idées. La longue dissertation qu'il entreprend sur ce sujet est interrompue, vers le fin par l'arrivée du serviteur des Onze, qui lui présente la ciguë. Socrate lui fait signe d'attendre quelques instants, achève la série des déductions qu'il  avait entreprises, boit la breuvage empoisonné et continue de s'entretenir avec ses amis, dont les sanglots ont peine à ne pas éclater.

Le Phédon a inspiré à Lamartine un de ses poèmes philosophiques, la Mort de Socrate, où a il exposé en beaux vers les doctrines prêtées à Socrate par Platon. (PL / NLI).
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Récit de la mort de Socrate

« Quand Socrate eut achevé de parler, Criton prenant la parole : 

- A la bonne heure, Socrate, lui dit-il; mais n'as-tu rien à nous recommander, à moi et aux autres, sur tes enfants ou sur toute autre chose, que nous puissions remplir conformément à tes désirs? 

- Ce que je vous ai toujours recommandé, Criton, rien de plus. Ayez soin de vous; ainsi vous me rendrez service, à moi, à ma famille, à vous-même, alors même que vous ne me promettriez rien présentement [...].

- Mais comment t'ensevelirons-nous? 

- Tout comme il vous plaira, dit-il, si toutefois vous pouvez me saisir et que je ne vous échappe pas. 

Puis, en même temps, nous regardant avec un sourire plein de douceur : 
- Je ne saurais venir à bout, mes amis, de persuader à Criton que je suis ce Socrate qui s'entretient avec vous, et qui ordonne toutes les parties de son discours; il s'imagine toujours que je suis celui qu'il va voir mort tout à l'heure, et il me demande comment il faut m'ensevelir. Et tout ce long discours que je viens de faire pour vous prouver qu'après avoir avalé le poison je ne demeurerai plus avec vous, mais que je vous quitterai et irai jouir de la félicité des âmes heureuses; il me paraît que j'ai dit cela en pure perte pour lui, comme si je n'eusse voulu que vous consoler et me consoler moi-même [...]. Il faut avoir plus de courage, mon cher Criton, et dire que c'est mon corps que tu enterres; et enterre-le comme il te plaira et de la manière qui te paraîtra la plus conforme aux lois. 
En disant ces mots, il se leva et passa dans une chambre voisine pour y prendre le bain; Criton le suivit, et Socrate nous pria de l'attendre. Nous l'attendîmes donc, tantôt nous entretenant de tout ce qu'il nous avait dit et y réfléchissant encore, tantôt parlant de l'horrible malheur qui allait nous arriver, nous regardant véritablement comme des enfants privés de leur père. Après qu'il fut sorti du bain, on lui amena ses enfants, car il en avait trois, deux en bas âge, et un qui était déjà grand, et on fit entrer les femmes de sa famille. Il leur parla quelque temps en présence de Criton et leur donna ses ordres; ensuite il fit retirer les femmes et les enfants et revint nous trouver; et déjà le coucher du soleil approchait, car Socrate était resté longtemps enfermé. En rentrant, il s'assit sur son lit et n'eut pas le temps de nous dire grand-chose; car le bourreau des Onze entra presque en même temps, et, s'approchant de lui : 
- Socrate, dit-il, j'espère que je n'aurai pas à te faire le même reproche qu'aux autres : dès que je viens les avertir, par l'ordre des magistrats, qu'il faut boire le poison, ils s'emportent contre moi et me maudissent; mais, pour toi, depuis que tu es ici, je t'ai toujours trouvé le plus courageux, le plus doux et le meilleur de tous ceux qui sont jamais entrés dans cette prison; et en ce moment je suis bien assuré que tu n'es pas fâché contre moi, mais contre ceux qui sont la cause de ton malheur et que tu connais bien. Maintenant tu sais ce que je viens t'annoncer; adieu, tâche de supporter avec résignation ce qui est inévitable. 
En même temps il se détourna en fondant en larmes, et se retira. Socrate, le regardant, lui dit :
- Et toi aussi, reçois mes adieux; je ferai ce que tu dis [...]. Allons, Criton, obéissons-lui, et qu'on m'apporte le poison s'il est broyé; sinon, qu'il le broie lui-même. 

- Mais je pense, Socrate, lui dit Criton, que le soleil luit encore sur les montagnes et qu'il n'est pas couché; d'ailleurs, je sais que beaucoup d'autres ne prennent le poison que longtemps après que l'ordre leur en a été donné, qu'ils mangent et qu'ils boivent à souhait [...].

- Ceux qui font ce que tu dis, répondit Socrate, ont leurs raisons; ils croient que c'est autant de gagné, et moi, j'ai aussi les miennes pour ne pas le faire [...]. 

A ces mots, Criton fit signe à l'esclave qui se tenait auprès. Celui-ci sortit aussitôt, et, après être resté quelque temps, il revint avec celui qui devait donner le poison et qui le portait tout broyé dans une coupe. Aussitôt que Socrate le vit : 
- Fort bien, mon ami, lui dit-il, mais que faut-il que je fasse? car personne n'est plus en état que toi de me l'apprendre. 

- Pas autre chose, lui dit cet homme, que de te promener quand tu auras bu, jusqu'à ce que tu sentes tes jambes appesanties, et alors te coucher sur ton lit; le poison agira de lui-même. 

Et en même temps il lui tendit la coupe. Socrate la prit avec le plus grand calme, sans aucune émotion, sans changer ni de couleur ni de visage; mais regardant cet homme d'un oeil ferme et assuré, comme à son ordinaire : 
- Dis-moi, est-il permis de répandre de ce breuvage pour en faire une libation?

 - Socrate, lui répondit cet homme, nous n'en broyons que ce qu'il faut en boire. 

- J'entends, dit Socrate; mais au moins il est permis de faire ses prières aux dieux, afin qu'ils bénissent notre voyage et le rendent heureux : c'est ce que je leur demande. 

Après ces paroles, il porta la coupe à ses lèvres et la but avec une tranquillité et une douceur admirables. »

(Platon, Phédon).

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