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Les Pères de
l'Église sont des docteurs de la primitive Église,
qui fleurirent du IIe au VIe
siècle, et dont les écrits font règle en matière de foi. Leur histoire
est celle de la conquête de l'Empire romain par la doctrine
chrétienne. Depuis l'origine du christianisme jusqu'au règne de Constantin,
les Pères apologistes luttent contre le paganisme: de Constantin à l'invasion
des Barbares, l'Église, victorieuse des croyances païennes, tourne ses
efforts contre les sectes dissidentes, et poursuit sa constitution définitive;
c'est l'ouvrage des Pères dogmatiques.
Primitivement, comme pour mieux faire éclater
la vertu propre de la doctrine chrétienne, l'oeuvre de la propagande avait
été confiée à des hommes presque tous illettrés : l'enthousiasme et
le martyre avaient suppléé à l'éloquence. Mais le christianisme prétendait
établir aussi sa domination sur les classes éclairées, et contraindre
même les intelligences d'élite à s'humilier devant le mystère de Jésus
crucifié; aussi, dès le IIe siècle, la prédication chrétienne eut
ses docteurs et ses philosophes. Héritiers de St Luc et de St
Paul, les Méliton, les Aristide, les Athénagoras, les Théophile,
les Justin et leurs premiers successeurs défendirent la religion, non
seulement contre les superstitions, les
calomnies, les instincts de cruauté d'une vile multitude, et les persécutions
politiques des empereurs, mais encore contre la doctrine rivale d'une école
philosophique qui se faisait religieuse pour combattre plus avantageusement
avec le nouveau culte. Tel fut le rôle des Pères apologistes. A la plèbe
ils disaient :
"Non, nous
n'immolons point d'enfants dans d'abominables sacrifices; venez et voyez;
comparez nos moeurs avec les vôtres, et jugez."
Aux empereurs et à leurs représentants ils
disaient :
"Non, nous
ne sommes pas de mauvais citoyens; nous payons l'impôt, nous battons avec
vous les ennemis de l'Empire; nos avis dans vos Sénats sont ceux de la
sagesse. Que vous importe ensuite que nous n'attachions aucun prix aux
biens de la terre, et que nous aspirions à la félicité du ciel?"
Et, comme Saint Cyprien,
quand un consul leur lisait leur arrêt de mort, ils répondaient :
"Dieu soit
béni!"
et mouraient sans récrimination; l'admiration
de leurs vertus couronnées par le martyre multipliait leurs sectateurs.
Mais La lutte contre les philosophes alexandrins
était plus difficile : ceux-ci, unissant dans un imposant éclectisme
les doctrines orientales avec les systèmes de la philosophie
grecque, présentaient le christianisme comme un rameau, détaché par
l'imposture, de la souche primitive où venaient se confondre toutes les
religions humaines. Ils opposaient à Jésus Orphée, et prétendaient
démontrer que le Nazaréen n'était que le plagiaire du prêtre thrace.
Enfin, ils cherchaient à convaincre le christianisme de ne rien enseigner,
soit en métaphysique, soit en morale ,
qui ne se trouvât dans le Stoïcisme et dans
Platon. C'est contre ces redoutables adversaires
que les Pères apologistes, St Justin, Arnobe,
Clément d'Alexandrie, Lactance,
épuisèrent tous les traits de leur dialectique et de leur éloquence.
Et ce fut à leurs risques et périls, puisqu'on voit Origène
retranché de la communion catholique pour s'être laissé entraîner involontairement,
au milieu des péripéties de la lutte, en dehors de l'orthodoxie, et St
Cyprien ne racheter qu'au prix du martyre une hérésie sincèrement professée
sur le baptême.
Quand toutes les résistances furent vaincues,
l'oeuvre des Pères de l'Église prit un autre caractère : les ennemis
du dehors réduits à l'impuissance, il restait à triompher des ennemis
du dedans, à détruire les hérésies du présent, à prévenir les divisions
pour l'avenir, à réaliser enfin l'unité catholique; ce fut la tâche
des Pères dogmatiques et du IVe siècle. Non pas que les hérésies aient
attendu, pour éclater, la défaite de l'ennemi commun; Tertullien,
notamment, avait passé avec éclat dans la secte des Montanistes ,
puis quitté leur camp pour devenir lui-même chef de secte. Mais les plus
redoutables sectaires, ceux qui firent courir à la religion nouvelle les
périls les plus retentissants et les plus graves, les Ariens, les Donatistes,
datent du IVe siècle. Au commencement
du Ve, le pélagianisme ( Pélage)
allait nier la grâce divine au profit de la liberté humaine, comme l'arianisme
avait nié la divinité de Jésus. Tels furent les objets des discussions
de cette époque; âge d'or de la littérature chrétienne, où l'éloquence
des Pères brilla d'une splendeur plus éclatante en raison même de la
décadence de tout le reste;
"moment
extraordinaire, où les questions les plus abstraites se personnifiaient
par la chaleur de la discussion et la vérité du langage, où le merveilleux
et l'incompréhensible étaient devenus l'ordre naturel et la réalité."
(Villemain).
A lire les Pères dogmatiques, et surtout
St Augustin, on sent que l'Église est sur le
point d'atteindre enfin son unité; en elle s'absorberont bientôt toutes
les dissidences, les hérésies comme la philosophie païenne, et dans
son organisation entrera la société tout entière. Deux moyens opposés
établirent enfin cette, imité, la parole et le glaive, les innombrables
écrits des docteurs de l'Église et l'appui du pouvoir temporel.
L'Orient et l'Occident eurent chacun leur
part du travail et du succès. Ce n'est pas un des moins remarquables triomphes
du christianisme, à cette époque de décadence profonde pour les lettres
païennes, que d'avoir produit à la fois, de toutes parts, parmi ses défenseurs
et ses interprètes, tant de génies divers. En Orient, Césarée,
Nazianze, Nyse, Édesse, Antioche,
Salamine de Chypre ,
Béthléem, Alexandrie
et Ptolémaïs; en Occident, Carthage ,
Madaure, Rome, Milan,
Nole, Poitiers, furent autant de foyers
puissants d'où rayonnait sur tous les points de l'Empire la nouvelle doctrine.
En Orient, où les Pères, épris de la beauté des écrivains profanes,
appellent à leur secours jusqu'aux artifices du talent oratoire, et cherchent
à reproduire la langue de Platon, on croit voir luire de nouveau le génie
grec avec ses grâces et ses délicatesses, altéré toutefois, sinon gâté,
par la recherche et le luxe affecté d'une exubérance asiatique. En Occident,
les imaginations, naturellement plus sobres, semblent se tenir généralement
en garde contre les subtilités, les allégories et la métaphysique raffinée
que les Orientaux mêlent volontiers à l'exposition et à la discussion
des dogmes. Du reste, la décadence de Rome et de l'Italie, la civilisation
récente et toute latine de la Gaule et de l'Espagne, enfin l'éloignement
de la cour impériale, dont Constantin avait transféré les pompes et
les splendeurs à Byzance ,
étaient peu faits pour encourager l'essor du génie occidental, et le
privaient bien plutôt des secours que le mélange des lettres grecques
avec les livres saints offrait aux docteurs de l'Orient.
Les Pères les plus célèbres en Orient
sont, parmi les apologistes : St Justin, Clément
d'Alexandrie et Origène; et, parmi les Pères
dogmatiques : St Athanase, St
Grégoire de Nazianze, St Basile, St
Grégoire de Nysse, St Jean Chrysostome,
St Ephraim, St Épiphane et Synésius. En Occident,
les Pères apologistes les plus renommés furent : Tertullien,
Arnobe, Lactance et St Cyprien; et les Pères
dogmatiques : St Hilaire de Poitiers, St Ambroise de Milan, St
Paulin de Nole, St Jérôme et St Augustin.
(A. H.).
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Boudon-Millote,
Les Pères de l'Église face à la science médiévale de leur temps,
Beauchesne, 2005.
En
bibliothèque - Fénelon,
Dialogues sur l'éloquence, 3e dialogue; Villemain,
Tableau de l'éloquence chrétienne au IV siècle, gr. in-18. |
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