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La description montre les objets à l'esprit; elle en retrace les formes, les couleurs et la physionomie avec une fidélité dont la mesure dépend du goût de l'auteur et du caractère même des genres et des sujets. Elle est l'imitation, quelquefois même l'image exacte de la nature dans les ouvrages d'esprit. La mémoire fournit les matériaux, c.-à-d. les traits qui ont frappé les yeux et se sont fixés dans l'esprit; le goût choisit parmi ces traits, les dispose et les ordonne; l'imagination les nuance, y porte l'agrément et la vie. "La science, a dit Buffon, décrit la nature, la poésie la peint et l'embellit."Et cependant Buffon était peintre autant que naturaliste : unissant le génie de l'écrivain à celui de l'observateur, il a fait de son Histoire naturelle une suite de descriptions aussi brillantes que précises; et les moeurs des animaux l'occupent plus encore que leurs caractères extérieurs et leurs différences spécifiques. Aussi doit-il son originalité moins à son infatigable patience qu'à son grand style et à ses riches couleurs. Mais la science ne décrit pas les objets avec tant de splendeur. Elle n'a d'autre but que de les faire connaître tels qu'ils sont, par le moyen de l'analyse, en substituant la parole à la réalité, en lui donnant l'exactitude et la fidélité du dessin. Les écrivains d'imagination, les poètes surtout, dans leurs descriptions, suivent d'autres principes et obéissent à d'autres règles; ils embellissent la nature, comme l'a dit Buffon, en lui donnant un caractère idéal; ils l'animent, et la rendent intéressante et aimable. Si les yeux se reposent avec complaisance sur les objets réels, pourquoi l'esprit n'en goûterait-il pas la ressemblance bien rendue? Aussi la description est-elle une partie de l'art, soumise à des conditions précises et déterminées. La première, et la plus rigoureuse, c'est qu'elle vienne à sa place, qu'elle soit amenée par le sujet, qu'elle s'enchaîne au récit, à la suite des événements ou des idées. On ne décrit pas pour le plaisir de décrire, mais pour instruire en parlant à l'imagination. Après cette règle essentielle, dictée par le goût, il faut qu'une description bien faite soit fidèle et vraie sans prolixité, précise et sobre sans sécheresse. Elle laisse au lecteur le plaisir de compléter les tableaux qui lui sont présentés; elle s'interdit la recherche, l'affectation et la coquetterie aussi sévèrement qu'une abondance fatigante et stérile. La diffusion est l'écueil le plus ordinaire de la description; le non erat his locus d'Horace en est l'épreuve la plus sûre et la critique la plus sévère. Un trait, chez les grands écrivains, tient lieu quelquefois d'une description toute entière; Virgile n'emploie qu'un vers pour un tableau qu'Ovide développerait longuement; et cependant les grands maîtres ne s'interdisent nullement de décrire, dans les conditions que nous avons indiquées plus haut d'après eux. Ils portent alors dans leurs peintures quelque chose de leur sensibilité, de leur âme; ils nous mettent de moitié dans les impressions que la nature leur a fait éprouver. Les écrivains qui, au lieu de génie, n'ont il que de l'habileté, ou tout au plus de l'esprit, s'amusent à décrire pour la distraction du lecteur, ou plutôt pour leur propre satisfaction. On trouve de ces écrivains dans les siècles de perfection; on en trouve surtout aux époques de décadence. La description, qui appartient à certains genres, comme l'épopée ou l'idylle, dans leur plus grand éclat et dans leur perfection, se rencontre naturellement à l'origine des littératures. Dans la vieillesse des nations, elle redevient populaire; une loi presque inévitable en fait l'amusement et la ressource du talent fatigué. Alors, au lieu d'être une partie utile et un ornement sérieux des oeuvres littéraires, elle en devient le motif et le fond. L'accident se confond avec l'essence même de la composition. L'auteur décrit pour le plaisir facile et monotone de la description. Souvent il réussit d'abord auprès d'un public fatigué des belles choses, et le succès, comme toujours, sollicite les imitateurs. C'est ainsi que se forme ce genre faux et bâtard que l'on a nommé genre descriptif, et qui n'existe en réalité que dans l'histoire littéraire, où les noms servent à la classification des ouvrages d'esprit; car,dans la nature et parmi les modèles, il n'y a rien qui l'autorise. Marmontel a dit avec raison : "Ce que l'on appelle aujourd'hui en poésie le genre descriptif n'était pas connu des Anciens. C'est une invention moderne, que n'approuvent guère, à ce a qu'il me semble, ni la raison ni le goût." (Elem. de littér.)Et plus loin : "Dans le poème descriptif, nul ensemble, nul ordre, nulle correspondance; il y a des beautés qui se détruisent par leur succession monotone ou leur discordant assemblage.-» (Ibid.)Lorsqu'un critique du dernier siècle, qui ne haïssait pas la description et en a fait amplement usage, a été si sévère pour le genre descriptif, nous ne devons pas hésiter à accepter et à confirmer son arrêt. On comprend que les poètes primitifs, dans la fraîcheur de leurs émotions, devant la grandeur encore nouvelle des spectacles de la nature, dans l'enthousiasme des premiers efforts et des premières conquêtes de l'industrie et de la science, devaient trouver autant de plaisir à peindre qu'à raconter. Quand Homère nous décrit le bouclier d'Achille ou les jardins d'Alcinoüs, il a toute la naïveté du conteur émerveillé des belles choses qu'il a vues. Les splendides tableaux du Livre de Job et du Cantique des cantiques sont aussi loin de la poésie descriptive que les pittoresques narrations de l'Iliade et de l'Odyssée. C'est au déclin des littératures, lorsque les sentiments semblent épuisés, et que le besoin de nouveau a fait essayer toutes les formes et tous les secrets de l'art, dans une civilisation raffinée, incrédule et moqueuse c'est alors que la description devient une ressource et une mode. L'écrivain n'a pas à compter sur des fictions merveilleuses auxquelles on ne croit plus; il se défie des effusions ardentes et des élans impétueux qui ne remuent pas les âmes fatiguées et indifférentes. Il essayera donc d'attirer les curieux et d'amuser les oisifs par l'ingénieuse fidélité de ses analyses. S'il a l'esprit délicat, s'il aime encore la distinction et l'élégance, il luttera contre les difficultés de style attachées à la reproduction de la vérité, surtout dans les objets des sciences ou de la vie commune. II cherchera l'agrément sans affectation, la précision sans grossièreté; il s'interdira le langage vague et précieux; il donnera quelque chose d'idéal à l'expression des objets matériels, sans en altérer la vérité. S'il appartient au contraire à ce que l'on appelle aujourd'hui l'école réaliste, et qu'il professe cette idolâtrie de la matière qui ne dissimule rien, et montre au public les coulisses de la vie, comme les appelait Lucrèce (postcenia), il décrira hardiment, sans reculer devant les fadaises ni les crudités : il fera, dans les poèmes et dans les romans, des signalements et de la physiologie, de l'anatomie et des inventaires, appelant respect de la vérité et de la couleur ce qui n'est au fond que le besoin de la nouveauté et da succès à tout prix. Les caractères et les tendances de ces deux écoles se trouvent déjà chez les Anciens. La description, comme nous l'avons vu, remonte à l'Iliade et à l'Odyssée; la poésie descriptive commence aux Alexandrins, dans la grande faveur du genre didactique. Homère, comme tous les poètes de génie, peint et ne décrit guère. Avec quelques traits sobres et expressifs, il compose un tableau mouvant et harmonieux, où, suivant la remarque ingénieuse de Lessing, l'homme occupe toujours une place. C'est Hébé qui assemble les pièces du char de Héra, c'est Ulysse qui construit son navire, c'est Héphaistos qui forge ce fameux bouclier, modèle de tant d'autres, et devenu une machine descriptive à la manière des machines épiques, depuis le bouclier d'Achille jusqu'à celui de Télémaque. L'école descriptive n'a pas l'instinct aussi heureux, ni le goût aussi pur. Le poète se fait, au contraire, une loi et un plaisir de la fidélité matérielle et minutieuse : il donne des leçons au sculpteur et au peintre, comme Théocrite lui-même dans sa brillante description de la coupe. On voit où mènera cette pente, quand le génie aura fait place à la froide habileté des imitateurs. Les inspirations seront remplacées par des recettes; les scènes de la nature deviendront des lieux communs : c'est l'histoire de l'école d'Alexandrie. Et cependant la poésie didactique et descriptive de cette école a servi de modèle aux plus grands poètes romains; mais ce n'est pas elle qui leur a donné le génie et le goût. Virgile imite bien moins qu'il ne s'inspire de lui-même, quand il réunit, dans une si merveilleuse alliance, la précision vigoureuse et technique avec l'imagination et le sentiment. Les descriptions des Géorgiques, telles que la charrue, et les présages, la plantation des arbres et les moeurs des abeilles, sont des modèles d'une exquise beauté qui n'a pas d'égale, même peut-être chez les Anciens; car Lucrèce, prédécesseur de Virgile et l'un de ses maîtres, n'avait pas à sa disposition l'instrument d'une versification merveilleuse, et, malgré la puissance et la grâce infinie de ses immortelles peintures, accusait la langue de pauvreté. Au reste, le génie et le grand sens de ces écrivains immortels se sentent mieux lorsqu'on les comparé à leurs successeurs; et les vraies conditions de la description poétique, telles que nous les avons données, deviennent plus nettes et plus précises quand on arrive à l'élégance verbeuse et monotone d'Ovide, à l'énergie prétentieuse et pédantesque de Lucain, à la recherche ridicule et aux révoltantes crudités de Sénèque. En France, les auteurs se sont montrés plus pratiques et plus actifs, comme s'ils avaient eu besoin d'aller droit au but; aussi ne s'amuse-t-ils pas autant aux descriptions dont le Moyen âge avait bercé son enfance, dans les interminables allégories du Roman de la Rose. Les grands écrivains du XVIIe siècle s'attachent uniquement au sentiment et à la pensée; sévères imitateurs des Anciens, ils ne se permettent la description qu'à sa place. La poésie dramatique, où ils excellent, ne comporte pas de hors d'oeuvre, et les essais malheureux de Chapelain dans l'épopée n'étaient pas faits pour encourager les imitateurs. La description, cependant, n'est pas négligée des maîtres. Boileau, précis comme un grammairien dans la définition du sonnet, a, dans le Lutrin, la main et le coloris d'un peintre, quand il décrit l'alcôve du Trésorier ou la couche de la Mollesse. La Fontaine s'amuse quelquefois à décrire, par exemple, dans son joli roman de Psyché, les splendeurs de Versailles. Enfin, Fénelon, en qui a passé l'âme d'Homère et celle de Virgile, retrouve le secret de la description épique, et revêt d'une jeunesse et d'une fraîcheur éclatantes les objets mêmes qu'ils avaient immortalisés. Il ne faudrait pas croire d'ailleurs que l'école descriptive n'eut pas alors ses adeptes et ses fanatiques : les Précieuses l'avaient tenue en grande faveur, et se divertissaient merveilleusement aux analyses subtiles, aux portraits délicats, aux minutieuses énumérations du Cyrus et de la Clélie. Boileau a caractérisé d'un mot ces descriptions que Scudéry délayait en plus de trois cents vers (Art poétique, ch. I) Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,Ce fut même une des victoires que lui durent la raison et le goût, de repousser et de contenir pour un temps cette invasion perpétuelle de la manie descriptive, dans un pays où le lecteur n'aime pas la lenteur et la monotonie, et ne s'accommode même pas toujours de l'exactitude et de la conscience. Mais Boileau n'avait pas détruit le germe du mal. Le progrès même et la popularité, ou du moins la diffusion de la littérature au siècle suivant, contribuèrent, en dépit du bon sens moqueur et impitoyable de Voltaire, à réveiller et à développer ce goût discutable. Il paraîtra singulier que les poèmes latins des modernes, fort inconnus aujourd'hui, aient pu contribuer à ce résultat. Cependant, la poésie didactique et descriptive, cultivée particulièrement en latin par les jésuites, devait donner à leurs élèves l'idée de l'exercer dans le même genre, et d'essayer auprès du public ce qui avait été loué dans les collèges. Le P. Vanière avait chanté les Étangs et les Colombes; et le poème latin de l'abbé de Marsy sur la peinture fournit à Lemierre un sujet, un modèle, et les meilleures de ses idées. Une cause plus sérieuse et plus profonde, parce qu'elle tient à l'essence même de la littérature, c'est que la description, dans l'épuisement des idées, semble dispenser de l'originalité et du génie. Elle y substitue la mémoire, et une facilité de procédés et de mécanisme qui s'acquiert aisément. Une autre cause encore indiquée par La Harpe, c'est que le goût des vers commençait à se perdre, vers le milieu du siècle, par le progrès des sciences et l'influence de l'esprit philosophique. La poésie se trouvait donc obligée d'entrer dans cette voie nouvelle, pour se faire pardonner les distractions qu'elle donnait, comme elle est tenue aujourd'hui, du moins au théâtre, d'apprendre, pour être goûtée, la langue des affaires et de l'argent. Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, la description s'empare de l'art des vers, comme on disait encore d'après Boileau. Elle s'y établit à demeure, quels que soient désormais les caprices de l'usage et les variations du goût. Le poète anglais Thomson avait décrit la nature dans son poème des Saisons; les élèves ne lui manquent pas : Saint-Lambert en fut le plus célèbre. M.-J. Chénier dit de lui, dans son Discours sur le poème descriptif : Saint-Lambert peignit moins et pensa davantage.Rosset dans l'Agriculture, Roucher, dans les Mois, Lemierre, maladroit imitateur des Fastes d'Ovide, établirent un genre descriptif, et le mirent à la mode, en dépit de Marmontel, de Chénier, et, chose bien plus fâcheuse, en dépit de la raison et du goût. Qu'en reste-t-il aujourd'hui, sauf quelques morceaux assez bien écrits, comme la Tempête, de Saint-Lambert, et les Alpes, de Roucher, conservés par tradition dans les recueils littéraires, où d'autres extraits les ont peut-être déjà remplacés? Cette sévérité de l'avenir était facile à prévoir; et cependant, la vogue et la popularité n'en furent pas moins acquises à la poésie descriptive; le génie même d'André Chénier en avait subi l'influence, à en juger par son Hermès, essai d'un poème sur les inventions et le progrès des sciences. La description fut cultivée avec passion par les écrivains du Consulat et du Premier Empire. La littérature d'alors, issue du siècle précédent, héritière de ses traditions et de son goût, prenait pour modèle Delille, à qui son brillant esprit et son remarquable talent de versificateur avaient fait décerner une sorte de dictature dans le monde poétique. On s'étonne aujourd'hui de voir la gloire naissante de Chateaubriand placée sous son patronage; mais le public avait consacré son autorité : il avait salué du nom fastueux de Virgile français un écrivain habile et ingénieux qui n'avait pas assez de goût pour être simple, mais qui faisait illusion à la vanité de ses contemporains, et les amenait à prendre l'élégance, l'adresse et l'affectation pour la vraie poésie. Traducteur tour à tour heureux et maniéré des Géorgiques, il s'amusa tonte sa vie à décrire, observant la nature de loin, et des salons, comme le lui reprochait malignement Chénier. Si même il a depuis, plus recherché qu'habile,Bien des écrivains suivirent les traces de Delille, avec un talent inégal : Gudin, dans l'Astronomie; Esménard, dans la Navigation; Fontanes, l'élégant et judicieux conseiller de Châteaubriand, dans le Verger et la Grande Chartreuse. Si ces hommes d'esprit ont confondu le genre descriptif avec la poésie, nous n'avons pas le droit de condamner sans pitié leur goût et leurs méprises; car nous avons, nous aussi, la même maladie, et nous avons vu bien d'autres excès que ceux de nos devanciers. Tout au plus pouvons-nous dire, du choix des objets, du goût des détails et du style, que nous avons changé tout cela. La description est redevenue à la mode au milieu du XIXe ; car elle s'est glissée jusque dans l'histoire et la philosophie. Quant à la poésie, il y a longtemps à cette époque qu'elle est toute descriptive, et que la fantaisie des auteurs et la complaisance du public ont relégué dans le bagage du passé les règles et les traditions vieillies. On s'étonnerait en ce temps d'entendre dire ce que disait Chénier : Des lois y séparaient les genres et les styles.Dans les années 1860, toutes les compositions littéraires payent leur tribut, comme soixante ans plus tôt, à la manie descriptive. La réaction romantique, en maudissant les descriptions de l'école impériale, n'a fait qu'en substituer d'autres à la place, comme elle a remplacé les tirades de la tragédie par celles du drame. Seulement, au lieu d'affecter la noblesse et l'élégance, elle a cherché la réalité matérielle et triviale. Hâtons-nous d'ajouter que les poètes et les prosateurs ont le sentiment vrai de la nature, qu'ils l'ont vue de près, qu'ils en ont l'amour, et même l'idolâtrie, enfin, que les folies descriptives de la littérature française à ce moment ne détruisent pas les belles choses qu'elle a produites. Néanmoins, c'est par là que pèchent les meilleurs ouvrages de l'époque : odes, épîtres, élégies, épopées, toutes les formes de la poésie, plusieurs même de la prose, comme le roman en l'histoire, sans oublier de brillants essais d'histoire naturelle, de philosophie et de politique. II semble que la popularité soit désormais à ce prix. Les poètes lyriques, gâtés par le public et par les idolâtres, ont renouvelé des Anciens les énumérations et les catalogues, les peintures puériles, triviales ou repoussantes; ils y ont ajouté la prodigalité des couleurs et des images, les descriptions vagues et éthérées, les voix mélodieuses et les bruits confus d'une nature où tout pleure et rit, gémit et chante tour à tour. Tel d'entre eux, plus sobre en apparence, dédaigne, dans ses dernières oeuvres; les procédés dont il abusa, supprime les détails, indique les tableaux d'un trait, et semble dire au lecteur : "Décrivez vous-même à présent."Mais cette concision n'est qu'illusoire; abréger ou indiquer les descriptions, c'est un moyen de les multiplier, sans s'interdire le plaisir de les étendre et de les développer à l'occasion. Cette profonde altération du goût passe inévitablement dans la langue; les termes de tout le monde et l'idiome des malices ne suffisent plus; la grammaire gêne; on s'affranchit de l'une, et l'on invente les autres, sans souci des tours bizarres, des locutions barbares, et des néologismes étranges. Après des exemptes si frappants, Il ne faut pas demander si la description règne et triomphe ailleurs que chez les poètes. Dès le XVIIIe siècle, elle avait repris possession du roman. Deux peintres admirables, Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, avaient donné à la nature extérieure une grande place dans l'histoire du coeur et des passions. Chateaubriand, leur élève, tout plein des souvenirs et des impressions qu'il avait rapportés d'Amérique, décrivit la nature du Nouveau Monde, comme ses devanciers avaient peint celle des Alpes et des Antilles. Mme de Staël fit de Corinne une longue revue des musées d'Italie. Walter Scott vint joindre au goût des paysages celui des moeurs et des costumes; c'était pour lui une préparation et une mise en scène indispensables à la vérité de ses récits. Les romanciers français ont enchéri sur cette conscience, ou plutôt ils y ont substitué les recettes du métier, soit en exploitant le Moyen âge, comme des archéologues et les antiquaires, soit en décrivant les intérieurs et les ameublements, comme des experts. Cette ponctualité ingénieuse et piquante, qui n'oublie pas un meuble ni un flambeau, convient à l'oisiveté de beaucoup de lecteurs parisiens occupés de ventes et de curiosités, et qui aimaient à retrouver dans les romans la perpétuelle exposition qui les amusait. Aussi les romanciers, pour faire du nouveau, ont-ils exagéré le côté sensuel des descriptions à la mode. Heureusement pour le public, il en est qui savent peindre autre chose que des salles à manger et des boudoirs, qui empruntent à la nature ses images et ses couleurs, et élèvent l'illusion au niveau même de la vérité, en donnant à leurs descriptions la fraîcheur et le coloris des plus beaux paysages : on pourrait leur dire, comme Ie général Bonaparte à Bernardin de Saint-Pierre : "Votre plume est un pinceau."L'histoire est quelquefois descriptive comme le roman, quand elle en emprunte le caractère : nous l'avons vue tantôt donner aux armées de la Révolution la physionomie puérilement épique des soldats que Chateaubriand décrit dans les Natchez, tantôt s'appesantir avec une triste complaisance sur les plus hideux détails des fureurs populaires, tantôt étudier les moeurs des hommes jusque dans la coupe de leurs habits. Nous aimons mieux retrouver la description dans les récits des voyageurs: heureux celui qui décrit comme Chateaubriand la campagne de Rome, les ruines de Lacédémone, ou les solitudes de la Judée! La critique des arts est encore descriptive par nature et par nécessité; comment faire connaître autrement un tableau ou une statue? Chez les Allemands, Lessing et Winckelmann décrivent avec âme; leur imagination et leur sensibilité prêtent des yeux au lecteur et lui communiquent l'admiration et l'enthousiasme. - L'éloquence seule échappe à cette influence universelle, parce que l'orateur, toujours pressé d'aller au but, frappe, émeut, persuade et ne décrit pas. Un orateur a pu, faute de goût, dire, comme Fléchier dans l'Oraison funèbre de Turenne : "On décrit sans art une mort qu'on pleure sans feinte."La douleur ne décrit guère plus que la colère, les passions n'en ont pas le temps. Ce n'est pas l'orateur ni le philosophe, c'est le poète qui peint, dans le Génie du Christianisme, les Nids des oiseaux, la Prière du soir à bord d'un vaisseau, la Nuit dans les déserts de L'Amérique. Laissons donc la description à la poésie et aux genres d'imagination, à la condition toujours répétée d'être sobre et de faire disparaître l'esprit et les paroles par la puissance de l'illusion, pour ne laisser que la vérité. La description exacte et rigoureuse convient à la science, et quelquefois à la poésie didactique, lorsqu'elle se propose uniquement d'instruire avec la netteté et la précision de la prose. C'est d'ailleurs une erreur de croire que, dans les ouvrages d'imagination, une description verbale et nécessairement successive produise le même effet qu'un tableau, et présente un ensemble; le secret du poète est de réduire ses peintures à ces traits expressifs et heureusement choisis où s'arrête la main des maîtres. (A. D.). |
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