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On
définit l'erreur comme l'état où se trouve l'esprit
quand le jugement qu'il porte est en contradiction
avec les faits, avec la vérité. Les philosophes
ont cherché à déterminer avec précision les causes
des erreurs humaines, parce qu'il devient plus facile alors d'y porter
remède. Descartes a essayé de ramener toutes
ces causes à une seule, la précipitation dans les jugements. Les humains
en effet, ne se tromperaient jamais, ou se tromperaient très peu, s'il
n'affirmait rien qui ne soit évident. II y
a, pour toutes nos facultés intellectuelles, des écueils qu'on ne peut
éviter sans de grandes précautions. Ainsi, la conscience,
dont la mission est de nous informer des phénomènes
de la conscience, nous les montre tellement
mêlés et confondus, qu'il est difficile de les distinguer avec netteté
les uns des autres. C'est là l'origine de bien des aberrations parmi les
philosophes. Condillac confond les idées
avec les sensations, la volonté
avec le désir, et ne voit dans l'âme que sensibilité.
Le rapport des sens est souvent faux et trompeur
: si les objets sont trop éloignés de nous, notre
vue nous induit en erreur sur leur forme, leur grandeur, leur distance;
sommes-nous malades, c'est assez pour que les sensations du goût, de l'odorat,
de la vue, soient altérées; un bâton que nous plongeons dans l'eau nous
paraît courbé. La mémoire confond souvent
ses souvenirs, soit à cause de la ressemblance qui existe entre les choses,
soit par l'effet du temps qui s'est écoulé, ou
du peu d'attention
que nous donnons à nos perceptions premières.
L'imagination, appelée avec raison la
folle du logis, est une maîtresse ouvrière d'erreurs, car tout nous
plaît dans les conceptions de cette faculté
: l'air de création qu'elles présentent, le coloris brillant dont elles
sont revêtues, la facilité avec laquelle nous les formons, sont autant
de motifs qui nous égarent; les rêves de l'imagination font souvent une
impression si vive et si profonde, que nous ne conservons pas assez de
calme et de liberté pour les apprécier sainement. Combien de fois aussi
notre intelligence n'est-elle pas abusée
par des raisonnements spécieux ( sophisme)?
Mais, de toutes les causes des erreurs qui corrompent
nos jugements, il n'en est point qui exercent
plus d'influence que les passions : les humains
sont toujours trop enclins à regarder comme vrai ce qu'ils désirent,
travers d'autant plus funeste que les passions sont continuellement nourries
et exaltées, soit par la rencontre fréquente de leurs objets, soit par
nos dispositions naturelles.
Telle est la division
des erreurs à laquelle se sont arrêtés la plupart des auteurs. Bacon,
dans son Novum organum, en a donné une autre qui est restée célèbre
:
1° erreurs
de la nature humaine (idola tribus, erreurs de l'espèce,
parce qu'il compare les erreurs à de vains fantômes), qui viennent de
l'imperfection des sens, de l'influence des préjugés et des passions,
de l'habitude de tout juger par nos idées reçues,
de notre curiosité
insatiable malgré les bornes imposées à notre capacité de comprendre,
du penchant qui nous pousse à trouver entre les choses plus d'analogie
qu'elles n'en ont réellement;
2° erreurs individuelles
(idola specus, fantômes qui apparaissent à chacun dans sa caverne,
en lui-même), qui viennent de la différence entre les esprits,
dont les uns se perdent dans les détails, les autres dans de vastes systèmes;
de la prédilection que nous avons pour certaines sciences,
ce qui fait que nous leur ramenons tout;
3° erreurs de langage
(idola fori), qui viennent de ce que souvent les mots du langage
n'ont aucun sens, ou en ont un qui est indéterminé, ou peuvent être
pris dans des acceptions diverses;
4° erreurs des systèmes
(idola theatri), trop nombreuses pour être énumérées ici.
Signaler les causes
de nos erreurs, c'est déjà en indiquer le remède. D'abord, il faut s'abstenir
de juger, tant que ton n'est pas éclairé par la lumière de l'évidence,
et tant que l'on se sent dominé par quelque passion. Ensuite, il est bon
de contrôler nos facultés de connaître les uns et les autres. Quand
nous sommes tombés dans l'erreur, il faut, pour nous en délivrer, suivre
une marche opposée à celle qui nous a égarés, remplacer la précipitation
par la patience, les observations superficielles
par des observations profondes, la légèreté par le sérieux duos les
raisonnements, la vivacité et l'entraînement
par le calme et le sang-froid dans les jugements,
en un mot, se conformer aux règles d'une saine logique.
(M.).
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Gérald
Bronner, L'Empire de l'erreur, éléments de sociologie cognitive,
PUF, 2007. - Pourquoi l'homme se trompe-t-il aussi
souvent? Quelles sont les voies qui le conduisent à croire qu'il a raison
alors qu'il s'égare? Certaines de nos erreurs sont fascinantes parce qu'elles
sont récurrentes et même prévisibles, cela voudrait-il dire que nous
serions parfois programmés pour l'erreur. Ce livre se propose de répondre
à ces interrogations en présentant de façon claire les recherches les
plus récentes assorties de plusieurs exemples, dramatiques pour certains.
L'énigme de l'erreur est obsédante pour qui veut comprendre le fonctionnement
de notre vie collective car elle a de nombreuses conséquences sociales.
(couv.). |
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