| Un paradoxe ( grec para = contre, et de doxa = opinion) est une proposition contraire à l'opinion, commune, qu'elle soit ou ne soit pas vraie. C'est, par exemple, un paradoxe de dire que la pauvreté est préférable aux richesses. Certaines idées aujourd'hui admises, à savoir : que la Terre tourne, qu'elle est ronde, qu'il y a des antipodes, ont été longtemps regardées comme paradoxales. Quand les Éléates niaient la diversité des êtres et le mouvement, quand Pyrrhon prétendait qu'on devait douter de tout, ils soutenaient des paradoxes. Cicéron a développé dans ses Paradoxa certaines opinions des Stoïciens , comme « Le sage est seul libre, seul riche, seul beau, etc. » J.- J. Rousseau a été des propos souvent paradoxaux Laromiguière nous a laissé un écrit sur les Paradoxes de Condillac. Il y a eu même des paradoxes en géométrie on les trouve réunis dans l'Apiarium de Mario Bettino. Philosophie. L'Encyclopédie de Diderot définit ainsi le paradoxe : « C'est une proposition absurde en apparence, à cause qu'elle est contraire aux opinions reçues, et qui, néanmoins, est vraie au fond, ou du moins peut recevoir un air de vérité. » Le caractère essentiel du paradoxe, en effet, c'est qu'il contredit les opinions généralement adoptées dans un pays ou à une époque, ou même par la majorité des humains dans tous les lieux ou tous les temps, sans qu'on ait cependant le droit de le considérer comme une erreur, ou même alors qu'il est au fond une vérité. Peut-être éclaircirait-on la notion du paradoxe en distinguant deux sortes de paradoxes-: 1° ceux qui, malgré leur opposition avec les idées régnantes ou plutôt à cause de cette opposition même, expriment des vérités plus on moins importantes, encore cachées aux yeux du commun sous les fausses apparences qui les recouvrent, et pour cette raison méconnues et niées par la plupart : à ceux-là conviendrait en quelque sorte l'appellation de paradoxes légitimes; 2° ceux qui ne représentent que des opinions individuelles fausses ou du moins douteuses, imaginées par leurs partisans pour se séparer du reste des humains par vanité., par subtilité, par esprit de contradiction, et ceux-là seraient les paradoxes illégitimes. Hâtons-nous, d'ailleurs, d'avouer qu'il est souvent fort difficile, dans la pratique, de savoir à laquelle de ces deux classes appartient un paradoxe donné. L'histoire des sciences abonde en exemples de ces paradoxes de la veille qui sont devenus, comme on l'a dit, les vérités du lendemain. Ainsi l'existence des antipodes passait chez les Anciens pour un paradoxe, et saint Augustin a expressément démontré qu'ils ne pouvaient pas exister. Paradoxe, l'opinion du mouvement de la Terre, comme on le fit bien voir à Galilée! Paradoxe, la circulation du sang découverte par Harvey, mais ignorée par Aristote et niée par toutes les écoles de médecine jusqu'au milieu du XVIIe siècle! Paradoxe, la pression atmosphérique substituée par les cartésiens à l'horreur du vide! Paradoxe, les phénomènes d'électricité que Galvani a le premier observés et qui lui ont valu auprès de ses contemporains le titre ironique de maître à « danser des grenouilles! » Napoléon ne vit qu'un paradoxe dans l'invention des bateaux à vapeur, et Thiers en fit autant - ou peut s'en faut - pour celle des chemins de fer. Le grand savant Lavoisier déclara en pleine Académie des sciences que tout ce qui on racontait des aérolithes n'étaient que des fables : « Il ne peut pas, disait-il, tomber des pierres du ciel, par la bonne raison qu'il n'y a pas de pierres dans, le ciel. » On sait que lorsqu'on présenta, pour la première fois, à l'Institut, le phonographe, un des membres présents, le Dr Bouillaud, refusa obstinément de croire à la réalité de l'invention d'Edison, préférant attribuer à la ventriloquie une si merveilleuse imitation de la voix humaine. Tous ces exemples, que l'on pourrait multiplier encore, doivent nous rendre très circonspects toutes les fois qu'il s'agit de décider si un phénomène encore inconnu est possible ou ne l'est pas. Nous devons nous rappeler le mot d'Arago : « Celui qui, en dehors des mathématiques pures, prononce le mot impossible manque de prudence ». Les sciences ont appris à élargir, en quelque sorte, indéfiniment sa conception des possibilités naturelles, depuis qu'elles ont vu surgir de toute part des phénomènes inconnus, insoupçonnés, dans les régions de la réalité qu'on pouvait croire entièrement explorées et pour ainsi dire percées à jour. C'est ainsi que la composition de l'air a révélé dans des gaz jusqu'alors absolument ignorés, l'argon, le crypton, le néon, etc. La découverte des rayons X a aussi grandement contribué à cet élargissement des idées scientifiques. Et que dire de toutes les étrangetés de la physique quantique? On sait d'ailleurs que les philosophes avaient depuis longtemps récusé l'autorité des croyances populaires, même lorsqu'elles se couvrent du nom imposant de sens commun. Que fait Platon dans sa célèbre allégorie de la Caverne (La République), sinon exposer et justifier ce paradoxe fondamental, que les prétendues réalités sensibles ne sont que des apparences illusoires et. que les idées seules existent réellement? La vérité peut donc être paradoxale, mais il ne faut pas en conclure que tout paradoxe soit nécessairement vrai. Un esprit qui aime le paradoxe pour lui-même est un esprit faux; l'esprit juste accueille et soutient un paradoxe, non parce qu'il est contraire à l'opinion courante, mais malgré cela, et lorsqu'il recouvre une vérité. (E. Boirac).
| Nicolas Grimaldi, Préjugés et paradoxes, PUF, 2007. - Le livre rassemble - à la manière de Montaigne, Alain ou Cioran - de courts essais écrits au jour le jour. Il invite à réfléchir sur les thèmes les plus ordinaires : cinéma, littérature, télévision; s'interroge sur l'origine de nos croyances, des idéologies et du mal, et analyse les envoûtements de l'imaginaire et les paradoxes du jeu. "Certains sont encore pour moi des énigmes, comme le moi, ou le mal. D'autres suscitent indéfiniment ma perplexité, comme l'imaginaire et ses jeux. L'art est un de ceux-là. Les peintres s'essayaient souvent dans leurs carnets à surprendre la vérité sur le vif, à la retenir d'un trait. C'est ce trait que j'ai cherché à saisir et que je me suis parfois efforcé de fixer". (Nicolas Grimaldi). | | |