| Le mot socialisme a été employé pour la première fois en 1832 par Pierre Leroux, d'une manière vague, comme opposé à individualisme; en 1835, Louis Reybaud l'applique, semble-t-il, à tout système visant refaire à neuf la société entière, ce qui est encore bien flou. La même année, Owen l'emploie cependant d'une manière plus précise pour désigner la transformation communiste de l'organisation économique dans l'intérêt des travailleurs. On l'a souvent employé depuis, soit comme synonyme de démocratie, soit pour caractériser l'intervention de l'État dans la vie économique. Par la suite, on s'accordera habituellement à désigner par socialisme la transformation du régime de la propriété dans le sens du Communisme ou du collectivisme, c.-à-d. la transformation de toute propriété privée en propriété sociale (Communisme) ou la socialisation des moyens de production, de circulation, d'échange et de crédit (collectivisme), les objets d'usage et de consommation restant pour la plupart propriété individuelle. Au XXe siècle, avec la révolution soviétique et le régime autoritaire sur lequel elle a débouché (URSS), la définition du socialisme a évolué de diverses manières. Le terme aujourd'hui revêt généralement un sens beaucoup moins radical. Il s'agit moins pour les socialistes de révolution que de réformes sociales. Et si le socialisme dit scientifique a fini sa carrière dans un fiasco retentissant ce serait une erreur de croire que le flot d'idées et de passions qu'il a soulevé se soit à jamais retiré. Ce qui a fait la force et le succès des socialistes, ce ne sont pas les systèmes qu'ils ont proposés, mais les critiques qu'ils ont lancées contre les défauts et les abus de l'organisation sociale. Nous essayerons dans les pages qui suivent (sommaire en haut de page) de montrer comment se sont constituées graduellement, depuis la fin du XVIIIe siècle, les théories du socialisme moderne et comment, dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles ont amené la formation de partis politiques nouveaux et agi sur la conduite des gouvernements. Les origines du socialisme contemporain doivent être cherchées surtout : 1° dans la Révolution française et dans les théories juridiques qui ont permis à la bourgeoisie française d'essayer de légitimer, au nom du droit naturel, sa prise de possession du pouvoir politique; 2° dans le machinisme et dans les théories d'Adam Smith, c.-à-d. dans la révolution économique qui a transformé l'industrie et le commerce, d'abord en Angleterre, puis en France, et dans les théories par lesquelles les bourgeoisies anglaise et française ont essayé d'expliquer les faits économiques contemporains, et de justifier le régime économique qui correspondait à leurs intérêts. Pour comprendre le développement du socialisme d'Etat allemand, il faut tenir compte en outre des traditions du gouvernement prussien : il a toujours considéré les questions économiques comme des questions d'administration publique, continuant ainsi les traditions de Colbert et de la monarchie de Louis XIV, à l'époque même où la France les abandonnait ; dans les universités allemandes, la science économique est enseignée comme l'une des sciences administratives. Et pour comprendre le socialisme agraire qui caractérise un certain nombre de théoriciens anglais, il faut tenir compte de la concentration de la grande propriété foncière qui existait déjà en Angleterre au XVIIIe siècle; dès 1775, Thomas Spence, maître d'école à Newcastle, réclamait, au nom de la justice, la propriété commune du sol et du sous-sol pour chaque paroisse; et, en 1781, William Ogilvie, professeur à l'Université d'Aberdeen, demandait que la communauté s'emparât, au moyen d'un impôt, de toute cette partie de la valeur du sol qui ne résulte pas des améliorations dues au travail individuel du propriétaire. (René Berthelot, 1900). | |