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Damascius

Damascius (Damascios) est un philosophe néoplatonicien, dernier chef de l'école philosophique d'Athènes, né à Damas vers 480. Ammonius Saccas, fondateur de l'école d'Alexandrie en l'an 193, avait cherché (peut-être sous l'inspiration de Potamon), à concilier le système positif d'Aristote, la théorie idéaliste de Platon et les doctrines philosophico-religieuses de l'Orient. Il s'est rencontré parmi ses successeurs et ses disciples des hommes dont la célébrité a franchi les limites du domaine philosophique, Longin, Plotin, Porphyre, Jamblique, l'empereur Julien, Olympiodore, Proclus, Marinus, Syrianus, Zénodote. Cette école a compté aussi plusieurs femmes illustres, Asclépigénie, la docte et malheureuse Hypatie, Sosipatra, Edesia. Damascius, après avoir passé son enfance et sa première jeunesse dans sa ville natale, vint étudier au musée, - nous dirions aujourd'hui à l'université d'Alexandrie. Pendant trois ans, il y suivit les leçons de rhétorique d'un certain Théon, puis professa la rhétorique à son tour pendant neuf ans; mais la philosophie le réclamait. Il eut pour maitre Hermias, auteur de scholies sur le Phèdre et ses deux fils, Ammonius qui lui enseigna l'astronomie et Héliodore, puis à Athènes où l'école fut transportée vers 400 par l'Athénien Plutarque, Marinus qui enseignait les mathématiques, Hégias, Zénodote et enfin Isidore, professeur de dialectique.

Le grand ouvrage de Damascius, Doutes et Solutions sur les principes, prouve que ces leçons ne furent pas perdues. Au milieu des difficultés inhérentes à la matière que traitaient les néoplatoniciens, on y remarque une force de raisonnement qui semblerait au premier abord incompatible avec des subtilités métaphysiques presque insaisissables. Nous savons qu'une étroite amitié unit Isidore et Damascius. La Bibliothèque de Photius nous a conservé une bonne partie de la Vie d'Isidore ou le disciple fait l'éloge de son maître. Ce morceau, seul débris d'une Histoire philosophique dont le Lexique de Suidas renferme plusieurs fragments, a été reproduit à la suite du Diogène Laërce de la collection Didot. Après qu'Isidore eut quitté l'école d'Athènes pour celle d'Alexandrie, Damascius resta fidèle à la première, où Zénodote devait l'initier à la philosophie platonicienne. Il lui succéda, mais, selon toute apparence, il ne put jouir longtemps de cet honneur.

« Dès l'année 529, écrit Hertzberg (Histoire de la Grèce sous la domination romaine), l'année du consulat de Decius, en même temps ou tout de suite après que les cours de droit furent interdits, probablement entre le 1er septembre et le 31 décembre, arriva à Athènes le décret (de Justinien) qui chassa pour longtemps les lettres de la patrie de Platon et de Démosthène, qui plongea dans la nuit le dernier rayonnement d'Athènes, qui fit enfin de la cité des morts illustres une ville de province et une forteresse byzantine. En effet, ce décret du brutal autocrate interdisait purement et simplement que qui que ce fût enseignât désormais la philosophie à Athènes; et pour que cette exécution eût un effet certain, on confisquait au profit du fisc toute la fortune patrimoniale de l'école platonicienne. En Perse régnait alors le roi Chosroës Ier, le plus capable des Sassanides. Les professeurs athéniens émigrèrent vers le commencement de 532 sans doute à Madaïn (Ctésiphon), la capitale de la Perse. Dans le traité de paix conclu entre Justinien et Chosroès au commencement de 533, le roi obtint que « les professeurs seraient admis à retourner dans leur patrie où ils devaient vivre jusqu'à leur fin sans être inquiétés ». 
A partir de ce moment, on perd la trace et de Damascius et des six philosophes qui l'avaient accompagné en Perse, Simplicius de Cilicie, Eulalius le Phrygien, Priscien de Lydie, les Phéniciens Hermias et Diogène, Isidore de Gaza. On croit que Damascius, dès son retour, se rendit en Egypte et J. Matter suppose qu'il professa dans l'école d'Alexandrie, qu'il y composa ses ouvrages et y termina ses jours, La date de sa mort est demeurée inconnue, Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il avait cessé de vivre lorsque Simplicius, son disciple et son ami, écrivit le commentaire sur la Physique d'Aristote, où notre philosophe est cité souvent avec éloge, et à l'époque où Olympiodore le Jeune publia ses commentaires sur le Premier Alcibiade et sur le Phédon.

Si l'on en juge d'après les textes qui nous sont parvenus, Damascius n'était pas dirigé par un esprit de dénigrement, comme on l'a cru et dit sur la foi de Photius; il apportait même une juste modération dans sa critique philosophique. A la différence de Porphyre et de Proclus et à l'exemple de Plotin, il ne s'attaque jamais à la doctrine chrétienne; seulement il s'abstient d'en parler. Il semble, en outre, qu'on a singulièrement exagéré le caractère mystique de ses écrits. S'il aime à creuser les questions de métaphysique et de théodicée jusqu'à s'y perdre, il n'abuse pas de l'extase comme plusieurs autres néoplatoniciens. Toutefois, il faut le reconnaître, les deux seuls ouvrages de Damascius que nous possédons le font voir sous deux aspects fort différents. La Vie d'Isidore est une histoire anecdotique où le merveilleux tient une grande place, où les moeurs et la vie intime du monde philosophique sont décrites avec complaisance, tandis que les Doutes et Solutions sur les premiers principes révèlent un dialecticien consommé qui se maintient d'un bout à l'autre de son livre dans les plus hautes régions de la théorie. Photius lui reproche son impiété, sans doute à cause du silence qu'il a gardé de parti pris sur tout ce qui touche à la religion chrétienne.

Quant à la doctrine de Damascius, Jules Simon l'a caractérisée de main de maître : 

« On sait, dit-il, la double origine de la spéculation alexandrine. Plotin et ses successeurs suivaient Platon dans son ascension dialectique et arrivaient sinon avec lui, du moins par sa méthode, à l'unité des Eléates; mais une fois parvenus à cette hauteur, au lieu de se perdre dans le relatif, faute de pouvoir l'expliquer, ils acceptaient, au contraire, les données de l'expérience et mettaient tous leurs soins à concilier les résultats opposés de ces deux méthodes, c.-à-d. le Dieu puissant et intelligent auquel le spectacle du monde nous conduit, et le Dieu absolu, supérieur à l'intelligence et à l'être, que nous donne la dialectique. Cette conciliation s'opérait dans l'école d'Alexandrie au moyen de la théorie des hypostases qui sauvait l'unité de Dieu par l'unité substantielle du principe et la pluralité des points de vue par la Trinité. On avait même poussé si loin l'abus de ces divisions inintelligibles que Plotin et Porphyre n'admettaient pas seulement une Trinité, mais une Ennéade. La solution proposée par Damascius fut toute différente. Il repoussa cette supposition d'une pluralité hypostatique qui n'altère pas l'unité substantielle; il laissa toute entière l'unité absolue de Dieu qui le rend incompréhensible et ineffable, mais il soutint que si nous ne connaissons pas sa nature, nous connaissons du moins son gouvernement et son efficacité par rapport au monde et à nous-mêmes. Selon lui, nous savons clairement que Dieu est et qu'il est infini et incompréhensible; par les preuves que nous avons de la Providence, Dieu est bon, intelligent, puissant. Ce n'est pas que nous arrivions par cette voie détournée à comprendre Dieu, mais nous jugeons par les effets de sa puissance qu'il n'y a rien en lui qui ressemble à la négation de la bonté, de l'intelligence, de la puissance, etc. » 
Cet exposé, dont il faut lire la suite, est complété par les pages que Vacherot, Barthélemy Saint-Hilaire, V. Cousin, F. Ravaisson, Ad. Franck et, Ch. Levèque ont consacrées à Damascius.

Les Doutes et Solutions nous ont été conservés dans un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc à Venise (n° 246) qui date du Xe siècle, sinon du IXe, dont nous connaissons vingt-neuf copies, directes ou indirectes, et où le texte est
divisé en deux parties séparées par une lacune. ( C.-E. Ruelle).

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