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La pensée et ses outils > Philosophie > Logique et théorie de la connaissance |
La
généralisation
est l'opération intellectuelle par laquelle l'esprit
forme des idées générales, en dégageant le général
du particulier, et à l'en séparant, afin de le voir séparément. L'esprit
comprend ainsi dans une notion unique les qualités communes à un nombre
indéterminé d'objets. Par exemple, si, après avoir observé un passereau,
un échassier, un gallinacé, un palmipède, etc., j'abstrais l'ensemble
de leurs caractères communs, j'obtiens l'idée générale d'oiseau.
La généralisation est de deux sortes, médiate et immédiate. Dans le premier cas, l'esprit part des notions concrètes et individuelles des êtres ou des faits; puis, par l'abstraction et la comparaison volontaire, il forme ensuite les notions générales d'espèce, de genre, de classe, etc. : 1° L'expérience ne nous offre que des objets on des êtres particuliers : tel ou tel chêne, tel ou tel cheval. Par l'abstraction, nous détachons de ces objets une ou plusieurs qualités qui n'existent pas séparément dans la réalité.Plus le nombre de qualités abstraites prises pour former une idée générale est restreint, plus il y a d'objets particuliers auxquels cette idée générale est applicable. D'où cette formule que l'extension et la compréhension d'une idée générale sont en raison inverse l'une de l'autre. En effet, l'extension d'une idée générale se mesure au nombre d'êtres qu'embrasse cette idée; la compréhension, au nombre des propriétés qu'il a fallu considérer pour former l'idée générale. La compréhension renferme le nombre de qualités communes aux individus contenus dans une classe; l'extension, le nombre de ces individus. La généralisation immédiate ne résulte pas de la comparaison; elle ne doit rien à la volonté. C'est une opération de la raison qui consiste à s'élever au nécessaire et à l'absolu, au moyen du contingent et du relatif : ainsi, à l'occasion de l'idée d'un temps limité, nous concevons nécessairement l'idée du temps sans limite. Cette sorte de généralisation donne un résultat tout différent de la première. Par celle-ci on obtient des principes qui résultent de recherches volontaires, longues et laborieuses; dans le second cas, certains principes nous apparaissent d'eux-mêmes et comme malgré nous; ils ont pour caractères d'être spontanés, nécessaires, universels. Ce ne sont plus des idées générales, mais universelles. La généralisation a une triple utilité : 1° elle simplifie la connaissance en nous permettant de réunir en une seule idée un grand nombre d'idées particulières;Les philosophes ont été, de tout temps, très divisés sur le point de savoir quelle est la véritable nature des idées générales. Ce problème a reçu trois solutions différentes : celle des réalistes, qui enseignent que les idées générales correspondent à des réalités distinctes; celle des nominalistes, pour qui les idées générales ne sont que des noms, des souffles de voix, flatus vocis; enfin, celle des conceptualistes, pour qui les idées générales sont des formes de la pensée humaine correspondant aux rapports qui existent entre les êtres et qui sont réels comme les êtres eux-mêmes, quoiqu'ils en soient inséparables. (R. / NLI). Formation de l'idée généraleI. - Opérations préliminaires.1° Comparaison : pour découvrir les caractères communs à plusieurs objets, il faut rapprocher ces objets, afin d'éliminer les différences et de ne conserver que les ressemblances.Lorsque ces deux opérations sont simultanées on parle d'abstraction comparative. II. - Généralisation
proprement dite : jugement.
III. - Base de
ce jugement.
L'acte, par lequel l'esprit juge que tel élément d'un groupe est essentiel et tel autre accidentel, peut avoir besoin d'un certain nombre d'expériences avant de se produire; mais, quand il se produit, c'est un acte d'intuition. D'après Aristote et les Scolastiques, c'est la fonction propre de l'esprit, de l'intellect actif, de découvrir l'essentiel dans l'accidentel, l'universel dans le singulier. « Cette faculté, dit Paul Janet, pourrait être conçue à l'image de l'expérience sensible, mais sous un forme intellectuelle. »C'est-à -dire qu'à la différence des sens proprement dits, ce « sens de l'essentiel et de l'universel » n'a pas besoin d'organe physiologique. Il s'exerce sur les sensations et les images et, dans ces choses accidentelles, particulières, relatives, il perçoit l'essentiel, l'universel, l'absolu. Remarque : pour fixer le travail de la généralisation, comme de l'abstraction, il faut recourir aux mots abstraits et aux noms communs ce sont les seuls signes propres à exprimer les idées abstraites et géné rales, qui n'ont pas de réalités formellement correspondantes dans la nature. Propriétés de l'idée généraleTout concept ou idée générale a deux propriétés fondamentales :I. - La compréhension : c'est l'ensemble des éléments, des qualités qui constituent l'idée générale. Elle en est comme le contenu. Exemple : la compréhension de l'idée d'humain au point de vue physiologique est animal, vertébré, mammifère, bimane.Loi : l'extension et la compréhension des idées sont en raison, inverse l'unie de l'autre. Si la compréhension augmente, l'extension diminue; si l'extension diminue, la compréhension augmente. Ex. la compréhension de l'idée d'humain est : animal, vertébré, mammifère, bimane : l'extension de cette idée embrasse tous les individus humains. Si l'on ajoute à la compréhension la qualité de blond, l'extension diminue, car cette qualité élimine les humains bruns. L'idée d'être est celle qui a l'extension maxima, puisqu'elle s'applique à tous les êtres, réels ou possibles ; c'est le genus generalissimum des Scolastiques; mais aussi a-t-elle la compréhension minima; elle ne contient qu'un seul élément. Les idées individuelles, ne représentant qu'un individu, n'ont pas proprement d'extension, tandis que leur compréhension est, pour ainsi dire, illimitée. Hiérarchie des idées généralesElle consiste à subordonner les idées générales suivant le degré de leur généralité. Le degré de généralité des idées est déterminé par leur extension et, à son tour, leur extension est limitée par leur compréhension. Voici, comme exemple, un tableau qui s'inspire de l'échelle dite de Porphyre (Isagoge, C, II, n. 24), philosophe de l'école d'Alexandrie :
Voici donc la compréhension métaphysique
du :
Division des idées généralesI. - On range les idées générales en trois groupes.Idées générales de : 1° Substances ou d'êtres. Ex. : idées de pierre, de plante, d'animal, d'humain.II. - Transcendantaux. Les Scolastiques ont appelé transcendantaux les idées les plus générales qui dépassent (transcendunt) tous les genres et s'appliquent à tous les êtres sans exception. Ce sont les idées d'être, d'unité, d'identité, de vérité, de bonté. Ils disaient : Ens, unum, verum, bonum convertuntur. Tout être est un, vrai, bon et réciproquement (Suarez, Disputationes metaphysicae, Disp. III). III. Universaux
: (universalia) (Bossuet, Logique
L. I, § 44 à 50)
1° Genre : idée de l'ensemble des caractères communs à plusieurs espèces. Exemple : animal (qui a pour caractères : être, existant, substantiel, corporel, organique, sensible) est un genre par rapport à l'espèce homme et à l'espèce cheval, parce qu'il a des caractères qui conviennent à l'une et à l'autre. (On remarquera qu'ici l'emploi du mot genre s'étend au-delà de celui qui en est fait par les naturalistes, comme dans la classification binomiale de Linné).IV. - Catégories d'Aristote. Aristote avait distribué les idées générales en dix classes ou catégories, que les Scolastiques, après Boèce, appelèrent les dix prédicaments. Les deux genres suprêmes sont substance et accident. Le genre accident est subdivisé en neuf genres : quantité, qualité, relation, action, passion, lieu, temps, situation, manière d'être. Problème des universauxCe problème doit être examiné à un double point de vue :A) Psychologique : quelle est la nature des idées générales? qu'y a-t-il dans notre esprit quand nous pensons une idée générale?C'est une question importante, puisqu'elle implique la question même de la valeur de la science. Aussi n'est-il pas étonnant qu'elle ait été agitée de tout temps. Elle constitue dans l'Antiquité le fond de la controverse relative à la théorie des idées; elle groupe autour d'elle au Moyen Age toutes les doctrines philosophiques; elle reparaît encore sous des formes différentes dans la philosophie moderne. On peut ramener à quatre les solutions données à ce problème : le Nominalisme, le Conceptualisme, le Réalisme exagéré, le Réalisme modéré. I. - Nominalisme.
Les universaux n'ont aucune réalité, ni objective, hors de l'esprit, ni subjective, dans l'esprit. Réaliser les universaux, c'est multiplier les êtres sans nécessité; or Entia non sunt multiplicanda sine necessitate. Les universaux ne sont donc que des noms généraux, flatus vocis. Dans la réalité et dans l'esprit, tout est individuel. L'Ecole anglaise (Hume, Berkeley, Stuart Mill, etc.), Condillac et Taine ont accepté cette doctrine, mais en la transformant : l'idée générale n'est qu'une image particulière, une image composite. Seulement cette image, en vertu des lois de l'association, rappelle un nombre indéfini d'images semblables. II. - Conceptualisme
:
Les universaux n'ont aucune réalité objective, c'est-à -dire en dehors de nous, mais ce ne sont pas de purs mots. Ce sont des conceptions de l'esprit, des formes subjectives de la pensée. Les individus seuls sont réels, mais l'esprit peut les classer d'après leurs caractères communs; de là les idées générales. Exemple : les humains individuels existent seuls; mais nous avons une idée, qui condense leurs qualités communes l'humanité; cette idée n'existe que dans notre esprit, mais du moins nous la pensons. C'est ainsi qu'Abélard voulait concilier le Nominalisme et le Réalisme. III. - Réalisme
exagéré.
L'universel est seul réel. Exemple : l'humanité, l'humain en soi, existe indépendamment des humains particuliers et de l'esprit qui la conçoit. Les individus, Paul, Virginie, etc., ne sont des humains que par leur participation à cette réalité. Aussi entre tous les individus de la même espèce ou du même genre il y a unité d'essence. Critique au point de vue : A)
Psychologique.
L'idée générale n'est pas : 1° Un simple mot : le Nominalisme contient une part de vérité, à savoir :Objection des Nominalistes.a) Le langage fixe les idées générales.2° Une image : l'image composite se fait par une fusion spontanée et lente d'images semblables; l'idée générale est l'oeuvre de l'activité intellectuelle. L'indéterminé ne peut pas plus exister dans la pensée que dans la réalité; toute représentation est nécessairement particulière; par conséquent l'idée générale, étant indéterminée, ne peut exister. Réponse : a) On peut rétorquer l'argument : le nom commun, quand il est pensé, est lui aussi une représentation particulière; donc le nom commun ne peut exister.B) Métaphysique. On se demande ce qui répond objectivement, en dehors de nous, à l'idée générale. La réponse varie avec les systèmes. Le Nominalisme et le Conceptualisme disent que rien de réel ne correspond à l'idée générale, car celle-ci, par exemple l'animalité, l'animal en soi, n'est qu'un mot ou un concept de l'esprit. Les êtres individuels, par exemple les animaux ont seuls une réalité objective. Le Réalisme exagéré prétend au contraire que les idées générales existent en dehors de l'esprit et existent seules réellement : par exemple, l'animal en soi existe seul; les animaux particuliers n'ont qu'une réalité d'emprunt; ils ne sont animaux que par leur participation à l'animalité, dont ils ne sont que les modes accidentels. Critique : les idées générales, par exemple l'animalité, ne peuvent exister dans la réalité; car tout ce qui existe dans la réalité est défini et déterminé; or les idées générales sont indéterminées; elles ne peuvent donc exister dans la réalité. C'est pourquoi Antisthène disait avec raison à Platon : « Je vois bien le cheval, mais la chevaléité je ne la vois pas. »Cependant les idées générales ont une valeur objective; elles représentent un ensemble de caractères qui existent réellement dans les individus. C'est la réponse apportée par le réalisme modéré. IV. Le Réalisme
modéré.
Les individus passent et disparaissent, les espèces et les genres demeurent. Il y a donc un modèle (exemplar) suivant lequel nous concevons la réalisation des individus, différents par leurs caractères accidentels, mais semblables par leur conformité avec le type générique et essentiel. Pour les partisans de ce point de vue, ce modèle ne peut exister que dans l'intelligence de celui qui a créé toutes choses. Les universaux existent donc dans l'intelligence divine à l'état de causes exemplaires, de modèles et de types, d'après lesquels les choses ont été faites. Par conséquent, concevoir des idées de genres et d'espèces, c'est concevoir le plan même de la création; et les classifications naturelles sont des copies plus ou moins fidèles des classifications divines. Remarque : certains commentateurs estiment que Platon plaçait aussi les Idées dans l'intelligence divine; telle est l'interprétation de Saint Augustin. Usage de la généralisation. A. - Utilité : I. - La généralisation simplifie la connaissance et la rend plus distincte en ramenant la pluralité à l'unité. Elle substitue, à la multitude innombrable des choses et des qualités accidentelles, l'idée de leur essence, de leurs caractères constitutifs et permanents : exemple, l'humain est un animal raisonnable.B. - Abus : la généralisation ne fait connaître que les caractères communs à une classe d'êtres; or les esprits habitués à généraliser sont portés : I. - A généraliser trop ou trop vite, à attribuer à toute une catégorie d'êtres ce qui ne convient qu'à quelques-uns. Mal dirigée, l'habitude de généraliser développe l'esprit systématique. Comparaison des diverses sortes d'idéesI. - Concrète ou singulière : représentation d'un objet ou d'un phénomène individuel, avec tous les éléments qui le composent : par exemple, idée de cet homme, de tel sentiment, de telle volition.II. - Abstraite : représentation d'un seul élément d'un objet par exemple, l'idée de la blancheur d'une feuille de papier. III. - Générale : représentation de toute une classe d'êtres : par exemple, l'idée d'humain, d'animal. Toute idée générale est abstraite; mais toute idée abstraite n'est pas générale : par exemple, la couleur de telle fleur. Cette idée abstraite n'est pas générale, parce qu'elle ne convient qu'à une fleur. L'idée singulière ne semble être au fond qu'une combinaison d'idées générales; elle ne doit son caractère singulier qu'à son association avec un nom propre ou avec une image. IV. - Collective : représentation d'éléments qui conviennent à l'ensemble des objets composant la collection, mais non à chaque objet pris à part : ex. :. l'idée d'armée, de ville. On ne peut pas dire de chaque soldat ou de chaque habitant qu'il est l'armée, la ville. Au contraire, l'idée générale convient également à tous les individus compris dans son extension : par exemple, l'idée d'humain s'applique à tous les êtres humains : Paul, Virginie, etc. V. - Universelle : représentation d'éléments qui conviennent à tous les objets. Les idées universelles comprennent les notions premières suivantes : être, unité, identité, raison, cause, substance, fin, loi, vérité, bonté. VI. - Comparaison entre l'idée universelle et la générale : 1°. - L'idée générale ne convient qu'à certaines catégories, classes d'objets-: par exemple, l'idée d'humain, d'animal ; - l'universelle convient à tous les objets : par exemple, tout a de l'être, de l'unité, une cause, une loi, etc. Antériorité de l'idée généraleIl ne s'agit pas de savoir si l'esprit connaît le particulier avant le général, car il semble manifeste que la connaissance commence par la conscience des phénomènes psychologiques relatifs à la sensibilité qui sont concrets et particuliers. II s'agit de la connaissance des idées l'esprit débute-t-il par les idées singulières ou par les générales, quand il élabore la matière de la connaissance, c'est-à -dire les données expérimentales (sensations et images) qui sont concrètes et individuelles ?I. - Au point de vue philologique, d'après Max Müller, « nous commençons par connaître les idées générales », parce que les racines primitives des mots expriment des idées générales. Mais Michel Bréal conteste cette assertion et pense que les racines, dont nous avons connaissance, ne sont pas primitives, mais dérivées de racines antérieures, dont nous ignorons le sens et qui ont pu être individuelles. La philologie laisse donc la question en suspens. Si la théorie de Max Müller était vraie, il en résulterait simplement que l'humain ne parle pas avant d'avoir des idées générales, mais non pas que les idées générales soient antérieures aux idées singulières. II. - Au point de vue psychologique, la question a été très discutée, Saint Thomas est pour l'antériorité des idées générales, Suarez pour la priorité des idées singulières. Voici ce qui ressort de ces débats : 1°, Il n'y a pas, à proprement parler, d'idées singulières. Celles qu'on nomme ainsi ne sont en réalité que des idées générales singularisées. La priorité revient donc aux idées générales. |
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