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L'Atlantide |
On
a donné le nom d'Atlantide à une île ou à un vaste continent
imaginaire qui aurait été situé au delà des Colonnes d'Hercule (détroit
de Gibraltar)
et qui se serait abîmé au fond de l'océan à la suite d'un soudain cataclysme.
Les traditions relatives à son existence et à sa destruction nous ont
été principalement conservées par Platon les
autres écrivains de l'Antiquité n'ont
jamais fait mention de la grande terre disparue qu'incidemment et presque
toujours en se référant à son témoignage. Tout ce qu'il dit sur
l'Atlantide est contenu dans le Timée
et dans le court fragment du Critias
qui est parvenu jusqu'à nous. Il met ces références dans la bouche de
Socrate
et celui-ci nous dit leur prétendue origine : son père Critias les avait
reçus de Solon, et Solon les avait recueillis
lui-même pendant son séjour en Égypte.
Voici le récit supposément fait au législateur d'Athènes
par les prêtres de Saïs :
« Nos livres racontent comment Athènes détruisit une puissante armée qui, partie de l'océan Atlantique, envahissait insolemment et l'Europe et l'Asie. Car alors on pouvait traverser cet océan. Il s'y trouvait, en effet, une île située en face du détroit que vous appelez dans votre langue les Colonnes d'Hercule. Cette île était plus grande que la Libye et l'Asie réunies; les navigateurs passaient de là sur les autres îles, et de celles-ci sur le continent qui borde cette mer vraiment digne de ce nom. Car pour tout ce qui est en deçà du détroit dont nous avons parlé, cela ressemble à un port dont l'entrée est étroite, tandis que le reste est une véritable mer, de même que la terre qui l'entoure a tous les titres à être appelée un continent.Le Critias semble avoir contenu une sorte d'histoire générale des Atlantes : ce qui subsiste de ce dialogue complète sur quelques points le récit du Timée. Platon y fixe d'abord à neuf mille ans avant l'époque où vécut Solon la date de la victoire remportée par les Athéniens sur les Atlantes, puis il nous donne la généalogie de leurs premiers rois, fils de Poseidon, et les plus sages pasteurs de peuples qui furent jamais; enfin il nous décrit l'île Atlantide, à laquelle il attribue une fécondité et une richesse merveilleuses. Dans les temps modernes, beaucoup d'auteurs se sont demandé quelles pouvaient être la portée et la valeur réelle des textes que nous venons de citer ou d'analyser. Les uns, assez avisés pour prendre le texte de Platon pour ce qu'il est, ne les ont considérés que comme les fragments d'une sorte de roman philosophique, et ils surent voir dans l'histoire de l'Atlantide quelque chose d'analogue à l'Utopie de Thomas More. Tel était, par exemple, l'avis de Th.-H. Martin dans son commentaire du Timée. Alexandre de Humboldt pensait à peu près de même et se considérait en présence d'un récit purement mythique (Les îles fantastiques). Mais d'autres, et en plus grand nombre, oubliant la prudence méthodologique la plus élémentaire, ont cru à la parole de Platon. Bien sûr ceux-là , qui en quelque sorte ont ajouté du mythe au mythe, sont aussi ceux qui ont eu -et ont encore - le plus d'audience. Dans ses Lettres sur l'Atlantide (1779), Bailly, le célèbre astronome, le premier maire de Paris pendant la Révolution, se laissant emporter par une imagination qui étonne un peu chez un personnage aussi raisonnable, plaçait le domaine primitif des Atlantes dans les terres boréales au Groenland, au Spitzberg et à la Nouvelle-Zemble; de là , il les faisait immigrer en Sibérie, puis dans l'Asie antérieure, où ils auraient été les ancêtres des Phéniciens et des Égyptiens. La plupart de ceux qui ont étudié la question de l'Atlantide nous proposent des théories en apparence moins invraisemblables, mais qui ont toutes le même défaut : elles prennent arbitrairement dans le récit de Platon ce qui va dans le sens de leurs postulats de départ, et rejettent ce qui les contredit. Ce que l'on démontre en s'y prenant ainsi, c'est toujours ce que l'on a pris pour hypothèse. Autrement dit rien. Quoi qu'il en soit, ceux, parmi les Modernes, qui ont cru que l'Atlantide a existé, sont d'abord allés la chercher au fond de l'Océan Atlantique qui l'aurait engloutie. Tournefort, s'appuyant sur un texte de Diodore, admet qu'elle a été détruite par une irruption de la Méditerranée après la séparation violente de l'Europe et de l'Afrique à Gibraltar; Bory de Saint-Vincent, qu'elle s'est abîmée sous les flots de la mer saharienne expulsée soudain de son lit primitif; Gaffarel la croyaitensevelie sous la végétation flottante de la mer des Sargasses. Tous ces auteurs se sont demandé si les Archipels semés dans l'Océan Atlantique, à l'Ouest de l'Ancien continent, n'étaient pas les débris de l'Atlantide, les parties les plus élevées du continent submergé, que le niveau de l'inondation n'avait pu atteindre; ils ont voulu voir dans les Guanches (les indigènes des Canaries, disparus depuis quatre siècles), les derniers restes des puissants Atlantes qui se seraient réfugiés au moment de la catastrophe suries sommets de leurs montagnes, comme les matelots d'un navire qui va sombrer se réfugient dans la mâture. Dans les dernières années du XIXe siècle, les gouvernements de France, d'Angleterre et des Etats-Unis, ont fait étudier par des commissions scientifiques les courants, le relief sous-marin, la flore et la faune de l'océan Atlantique, et on a pu espérer qu'en cette occasion le problème posé, il y a plus de deux mille ans, par Platon, recevrait une solution positive. Evidemment, les résultats des sondages ont été interprétés de la manière la plus contradictoire pour les uns, la constatation, même à 3000 mètres au-dessous du niveau de l'Océan, d'un système orographique d'une grande puissance, confirmait l'existence de l'Atlantide; pour les autres, la découverte de la profonde vallée mise en évidence entre les Açores et le Portugal et entre les Canaries et le littoral africain, autorisait suffisamment à ranger le récit de Platon au nombre des fables. Cependant, à d'autres points de vue, dès cette époque les scientifiques admettaient que l'Europe et l'Amérique du Nord avaient dû être unies à différentes périodes. Les géologues avaient déjà constaté que, pendant la période silurienne, une grande terre s'étendait du bassin du Mississippi au Groenland et du Groenland à la Russie d'Europe. ils avaient aussi reconnu de telles analogies entre le système Hercynien et les monts Alleghanys, qu'ils croiyaient pouvoir conclure à la continuité de ces chaînes à travers l'océan Atlantique. En outre, l'étude comparative de la faune et la flore des temps tertiaires et quaternaires en Europe et en Amérique, montrait qu'il y avait eu un grand nombre d'espèces communes aux deux continents. On en concluait qu'à une époque relativement récente que l'Amérique du Nord et l'Europe avaient dû être séparées par la disparition sous les eaux des terres qui les unissaient. Un point de vue qui correspondait à la manière dont on s'expliquait alors la formation des reliefs à la surface de la Terre par d'amples mouvements verticaux de soulèvement ou d'affaissement du sol. Ces "ondulations" permettaient ainsi de comprendre pourquoi on trouvait aujourd'hui des fossiles marins loin à l'intérieur des terres : au fil des âges l'eau des océans quittait une région en cours de surrection pour se déverser dans une régions en cours d'affaissement. Dans ce contexte, l'Atlantide engloutie, si l'on y croyait, apparaissait le pendant nécessaire des fossiles marins dont on avait découvert qu'ils étaient présents même sur de hautes montagnes. Mais le mythe de l'Atlantide ne relève pas seulement de la géologie. Il a aussi une composante humaine. Il est donc également concerné par les conceptions anthropologiques et ethnographiques du moment. De plus, à cette époque où l'Europeétait engagée dans son processus d'expansion coloniale, la question possèdait une dimension politique. Pour expliquer, par exemple, le haut degré de civilisation des populations de l'Amérique précolombienne, on était près a accueillir favorablement l'hypothèse d'influence occidentale (la Méditerranée n'était-elle pas le Berceau des civilisations?). Imaginer que l'Atlantide ait était le point de passage de cette civilisation entre l'Ancien et le Nouveau monde était très séduisant. Mais d'autres hypothèses pouvaient aussi s'écarter de ce point de vue, et se montrer tout aussi séduisante. Un bon exemple en est donné par la théorie proposée par Berlioux, dans le dernier quart du XIXe siècle. Alors que la France, qui avait déjà pris possession de l'Algérie, commençait à s'installer en Tunisie et lorgnait vers le Maroc, tout en discutant avec les autres Puissances européennes du partage de toute l'Afrique, l'histoire de l'Atlantide, insérée dans une histoire réécrite de l'Europe et de l'Afrique, pouvait apparaître comme une légitimation de plus plus de la Colonisation. La solution du problème que nous étudions proposée par Berlioux est très ingénieuse. Cet auteur ne veut plus qu'on cherche l'Atlantide au fond de l'Océan, mais tout simplement dans la région actuelle de l'Atlas... région encore si riche et si féconde aujourd'hui. Berlioux a remarqué d'abord que si, dans le Timée, Platon attribue à l'Atlantide une étendue égale à l'Afrique et l'Asie réunies, il donne le même nom dans le Critias à une île d'une superficie bien moindre, puisqu'il nous apprend que le canal la séparant de la terre ferme ne mesurait pas plus de 10 000 stades (1800 km). Il en conclut que le mot Atlantide, dans le premier sens, pourrait désigner le vaste empire conquis en Europe et en Afrique, par les Atlantes à l'apogée de leur puissance, et que, dans le second sens, l'Atlantide serait tout simplement le domaine primitif et principal des Atlantes, le siège et le centre de leur domination. Il retrouve les montagnes qui, d'après le récit du Critias, servaient de ceinture à l'île fabuleuse: « ces montagnes sans égales aujourd'hui pour le nombre, la grandeur et la beauté ». Elles se dressent sur la côte océanique du Maroc, entre le cap Ghir et le cap Nou, presque en face des Canaries, atteignant souvent, d'après l'estimation d'un explorateur, le docteur Lenz, des altitudes variant de 3500 à 4000 m. A l'époque où vivait Platon, et surtout aux époques antérieures, les Grecs n'avaient que les notions les plus incertaines sur les hautes montagnes de l'Europe et même sur les Alpes, et on comprend aisément, souligne Berlioux, qu'ils aient considéré les massifs de l'Atlas occidental comme renfermant les plus fiers sommets qui fussent au monde. C'est au pied de
ces cimes neigeuses, toujours selon notre auteur, que les heureux et puissants
Atlantes avaient élevé leur capitale, que Platon ne connaît pas, mais
dont Diodore nous a conservé le nom : Cerné.
L'Atlantide, selon A. Kircher (Mundus subterraneus, ca. 1665). Quant à la destruction de l'Atlantide en un jour et une nuit par l'action combinée d'un tremblement de terre et d'un déluge, elle devient beaucoup moins invraisemblable s'il ne s'agit plus d'un immense continent plus grand que l'Asie et l'Afrique, mais d'une île côtière formée probablement par les deltas de l'Oued Sous et de l'Oued Draa. Les contemporains de Berlioux avaitent pu se convaincre de cette possibilité avec une catastrophe aussi soudaine et aussi effroyable, dans le détroit de la Sonde, lors de l'éruption du Krakatoa en 1883 Mais Berlioux est encore plus intéressant à suivre dans ses tentatives pour reconstituer l'histoire même des Atlantes. Venus du Nord-Est par des migrations successives,ils seraient les proches parents des Celtes et des Pélasges (population méditerranéenne ancienne). Installés au pied de l'Atlas, ils auraient étendu leur domination depuis le bassin aurifère du Haut-Sénégal jusqu'aux îles Britanniques, depuis l'Espagne et la Gaule jusqu'à l'Italie du Nord et la Tyrrhénie, et ils auraient laissé dans tous ces pays les monuments mégalithiques pour témoigner de leur passage. (Voilà autre chose qui s'explique!). C'est encore à l'Égypte, qui, si l'on prend Platon au mot, a déjà fourni à Solon les premières traditions historiques sur les Atlantes, que Berlioux va demander les preuves nécessaires pour établir leur origine indo-européenne et le rôle qu'ils ont joué sur les bords de la grande mer intérieure. Il croit pouvoir les identifier avec les Libyens ou Lebous, qui ont envahi tant de fois la vallée du Nil et que les scribes et les artistes au service des Pharaons nous représentent toujours avec la peau blanche, les cheveux blonds et les yeux clairs. Les Lebous, aussi hardis marins qu'infatigables cavaliers, explique encore Berlioux, se sont alliés à d'autres peuples de même origine, aux Sardes, aux Achéens, aux Pelestas de Crète, aux Dardaniens ou Troyens, et ils ont, à plusieurs reprises, dans l'espace de trois siècles, essayé d'arracher leur domaine aux Égyptiens et aux Phéniciens. Un instant ils ont conquis et colonisé le Delta du Nil, et il a fallu toute l'énergie de Ramsès II pour les expulser ou les soumettre. Cette grande lutte a ou pour théâtre toute la Méditerranée orientale les Egyptiens et leurs alliés occupaient alors la Mer Egée et toutes les positions stratégiques du littoral hellénique. Sans doute, la garnison de l'Attique eut à combattre les Atlantes, et avec le concours de la population indigène remporta cette victoire que Solon et Platon célébraient comme le premier triomphe des armes athéniennes. Les vainqueurs prennent à leur tour l'offensive; les Lebous sont bientôt attaqués chez eux par terre et par mer; les flottes de Sidon débarquent sur leurs côtes; les Gétules, d'origine chamite, ancêtres des Berbères actuels, et qui menaient auparavant la vie nomade sur la lisière du grand désert, pénètrent dans le Tell et asservissent, l'un après l'autre, tous les groupes des Aryas africains. L'épouvantable catastrophe qui détruisit Cerné et l'île Atlantide, survenant à cette époque, achève leur désastre. Les Atlantes disparaissent comme peuple indépendant, mais subsistent encore aujourd'hui, en très petit nombre, il est vrai, au milieu de leurs vainqueurs, reconnaissables à leur type physique immuable. Les hommes aux yeux clairs et à la chevelure blonde que l'on a rencontrés dans quelques massifs montagneux de l'Algérie, et notamment dans l'Aurès, sont les arrière-petits-fils des anciens maîtres de l'Afrique et de l'Europe... Ainsi, tout concordait, les traditions, comme les résultats de sérieuses recherches scientifiques, à rendre possible, presque probable, l'existence du grand continent disparu. Berlioux espérait que l'exploration archéologique et ethnographique du Maroc, encore si peu connu et si convoité, lui fournirait des preuves décisives pour édifier sa géographie de l'Atlantide et son histoire des Atlantes. S'il en avait été ainsi, un point important des traditions historiques de l'Europe s'en serait trouvé modifié. On n'aurait plus eu à considérer les Berbères comme les premiers occupants du Nord-Ouest africain : ce beau pays aurait été, à l'origine, ce qu'il redevenait en cette fin du XIXe siècle : un des domaines de la race indo-européenne. Dans ces conditions, la Colonisation n'était plus une infâmie, c'était l'exercice du droit légitime. On ne volait plus un bien à autrui, on reprenait simplement possession de ce qui était notre depuis la nuit des temps. Ce qu'il fallait démontrer. Après la décolonisation, dans la seconde moitié du XXe siècle, cette vision de l'histoire n'avait plus véritablement d'objet. Les progrès de la chronologie, de l'archéologie, de et de l'ethnographie rendaient plus difficiles de telles révisions de l'histoire. De plus, la géologie elle-même semblait devoir porter un coup fatal à l'Atlantide. La théorie de la tectonique des plaques, qui s'est imposée dans les années 1960, explique la formation des reliefs de façon très différente des théories antérieures. Les déplacement verticaux du sol deviennent des conséquences de déplacements horizontaux de grande ampleur - le déplacement des plaques tectoniques - et, pour ce qui concerne l'érection des chaines de montagnes, des phénomènes de chevauchement entre ces plaques. Le fond des Océans, et spécialement celui de l'Atlantique qui nous intéresse ici, ne peut plus être assimilé à un ancien continent. Tout cela pourrait sembler amplement suffisant pour qu'on ait renoncé définitivement à croire à l'Atlantide. Mais Berlioux avait ouvert une brèche, en renonçant à la localisation dans l'Atlantique et en évoquant l'éruption du Krakatoa. Tout devenait dès lors possible. Le thème de l'Atlantide est passé dans les doctrines de mouvements sectaires de tout poil, dans des rêveries plus innocentes, dans les médias de masse, qui savent ce qui fait vendre et sont toujours prêts à enterrer tout sens critique pour quelques deniers. Des profondeurs de l'Afrique, aux confins de l'Asie et de l'Amérique du Sud, jusqu'en Antarctique, il n'y a sans doute plus aujourd'hui de centimètre carré sur la Terre que les uns ou les autres n'aient imaginé un jour avoir appartenue à l'Atlantide. Même certains spécialistes des sciences de la Terre - dépourvus au demeurant de tout outil pour lire Platon et pour comprendre la pensée grecque - s'y sont mis. La découverte des traces de l'éruption vers 1500 avant notre ère du volcan de l'île de Santorin (Thêra), en pleine Méditerranée, et la destruction de la ville qui s'y trouvait ont feint de remettre un peu de science dans le mythe. Un mythe qui, pourtant, plus que jamais reste un mythe, ne cessant de se nourrir de lui même, qui cherche toujours dans Platon une caution, mais qui ne doit plus grand chose aux textes. Un mot, en somme. (E. Salone).
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