Autrui

Dans la philosophie occidentale, la notion d'autrui a été développée dans des perspectives diverses. Edmund Husserl a examiné la manière dont autrui apparaît dans notre expérience consciente. Martin Heidegger a développé cette idée en soulignant que la présence des autres est une partie essentielle de notre existence quotidienne, et que nos relations avec autrui façonnent notre compréhension du monde. Jean-Paul Sartre et les existentialistes ont introduit le concept de regard de l'autre pour illustrer comment nous percevons nous-mêmes à travers le regard des autres, ce qui peut influencer notre identité et notre liberté. La question de l'autrui est également centrale en philosophie politique, notamment chez Jean-Jacques Rousseau et John Rawls, qui ont examiné la manière dont les individus interagissent dans la société et comment les principes de justice devraient guider ces interactions. Une place particulière dans le l'étude du concepts doit aussi être accordée à Emmanuel Lévinas (1905-1995) et à Martin Buber (1878-1965), qui ont mis l'accent sur l'importance éthique de l'altérité et de la responsabilité envers les autres. 

• Selon Lévinas, la rencontre avec autrui est une expérience qui transcende les catégories habituelles de la connaissance et de l'objectivité. L'autre est radicalement différent de moi et qu'il est la source d'une altérité infinie et irréductible. L'autre est un visage, une présence qui me fait sortir de moi-même et me met en question. Cette rencontre avec autrui est une expérience éthique qui m'oblige à me décentrer de moi-même et à assumer la responsabilité envers l'autre. Lévinas soutient que l'éthique authentique est fondée sur la reconnaissance de la vulnérabilité de l'autre et de son altérité. L'autre est un être vulnérable, exposé à la souffrance et à la violence, et notre responsabilité éthique consiste à répondre à cet appel de l'autre. Ainsi, pour Lévinas, l'autre est plus qu'un simple objet de connaissance ou d'utilité. Il représente une transcendance éthique qui m'oblige à sortir de mon égoïsme et à reconnaître la valeur infinie de l'autre en tant qu'être humain. Cette reconnaissance de l'autre ne peut être réduite à des règles morales abstraites, mais elle est inscrite dans ma responsabilité envers autrui et dans ma capacité à répondre à son appel.

• Selon Buber, l'essence de la relation authentique se trouve dans la rencontre "Je-Tu"plutôt que dans la relation "Je-Il". L'autrui ne peut être appréhendé comme un objet ou un moyen pour atteindre nos propres fins, mais doit être reconnu comme un être singulier, avec sa propre subjectivité et sa propre valeur. Dans la relation "Je-Tu", nous nous engageons dans une véritable rencontre avec autrui, où nous sommes ouverts à son altérité et le reconnaissons comme une présence unique et irremplaçable. Cette relation dialogique est caractérisée par la réciprocité, la responsabilité et l'authenticité. Elle implique une véritable écoute de l'autre, une ouverture à son expérience et une reconnaissance de sa dignité en tant qu'être humain. Dans la relation "Je-Tu", nous sommes engagés dans un échange mutuel où nous pouvons réellement rencontrer l'autre dans sa subjectivité et nouer des liens profonds. La relation "Je-Tu" s'oppose à la relation "Je-Il" en ce sens que cette dernière est une relation d'objectivation, où nous considérons autrui comme un objet utilitaire ou une abstraction conceptuelle. Nous ne sommes pas alors véritablement présents à autrui, mais nous nous engageons dans une approche instrumentale où nous cherchons à satisfaire nos propres besoins ou à manipuler l'autre pour atteindre nos propres objectifs.