| Ce furent les Grecs des îles qui occupèrent les côtes de Thrace et de Macédoine, exploitèrent les mines d'or et d'argent (Pangée, Skapté-Hyké), s'établirent en des points faciles à défendre, où les colons de l'Eubée achetaient aux Thraces leurs esclaves; on appelle Chalcidique la triple péninsule où des gens de Chalcis avaient fondé Olynthe et Potidée. Procédant par étapes, l'audace hellénique se porta plus loin, jalonna de postes de surveillance la route des blés de la mer Noire entre l'Europe et l'Asie; puis, sollicitée par les bancs de poissons, de thons, qui s'apercevaient, elle ne craignit pas de s'aventurer sur le vaste Euxin, sans île ni relais, chargé de brumes, bordé au Nord par les populations scythes, guerrières et méfiantes. Peu à peu un troc s'établit : ces nomades achetaient les produits manufacturés en Grèce et livraient leurs grains, leurs peaux, leurs laines. Milet, qui, plus que toute autre, mit à la voile vers ces parages, alimenta ainsi ses tissages réputés. En face, sur la côte d'Asie Mineure, on découvrit les minerais de cuivre, de fer, d'argent, l'or apporté du Caucase, l'étain du Turkestan. Les Doriens de Théra abordèrent à Cyrène, région d'élevage à la lisière des sables. En Égypte, le pharaon Amasis laissa naître dans le Delta une cité, Naucratis, fondée par plusieurs villes grecques d'Asie, dont chacune y avait son quartier. Vers l'ouest se développait l'archipel ionien, plus ou moins connu par l'épopée. Corinthe, à qui son golfe ouvrait la voie, créa Corcyre, si vite prospère qu'elle s'affranchit de sa métropole, lui fit une concurrence acharnée et fonda elle-même des comptoirs plus au nord, comme Epidamme. L'Italie méridionale et la Sicile avaient été visitées de bonne heure par les Crétois et les Cariens - les fouilles en ont témoigné; mais ces relations cessèrent et, bien plus tard, Doriens et Ioniens vinrent simultanément, trouvèrent des agriculteurs retranchés dans leurs villages escarpés, à quelque distance des rivages. Des gens de Mégare fondèrent Megara Hyblaea; des Corinthiens, Syracuse, dans l'île d'Ortygie; cette ville allait devenir une des premières du monde grec. Les populations locales asservies cultivèrent les champs pour les géomores, propriétaires aristocrates issus des fondateurs. Les Ioniens créèrent Zancle (Messine), Catane, Leontini et, sur la côte sud sans ports et parfois marécageuse de la Sicile, Crétois et Rhodiens appelèrent à la vie Gela, et celle-ci Agrigente. La plupart de ces fondations prospérèrent, parcoururent politiquement, mais plus vite, la même évolution que leurs métropoles; le souvenir de quelques tyrannies est estompé par une magnifique floraison littéraire et artistique. Le monopole punique si prolongé en Méditerranée occidentale n'empêcha pas l'essor précoce de Kymé (Cumes), d'où sortit Néapolis (Naples). Les habitants, hardis pirates, combattirent avec succès les flottes de Carthage. Moins loin, à la semelle de la « botte» italienne, des fugitifs, des criminels, disait-on, avaient fondé Sybaris, Crotone, Locres, Tarente. Cités très riches, gloires de la Grande Grèce, comme on appelait l'Italie du Sud, surtout Tarente où l'on tissait la laine, où les coquilles à pourpre du golfe permettaient de la teindre, et la bonne argile locale de répandre des poteries dans toute l'Apulie. Ces villes se perdirent par leurs luttes fratricides, s'exterminèrent entre elles, et la dernière survivante subit enfin le joug étranger. Non moins célèbre la colonie grecque de Phocée (Marseille), sortie d'une lente dépossession des Phéniciens déjà établis autour du Vieux port. Elle semble avoir reçu à plusieurs reprises des émigrants ioniens. Elle devint la souveraine de ces rivages, ouvrit des filiales à son commerce en Gaule, en Catalognes, donna le jour à des explorateurs hardis, qui se lancèrent dans l'Atlantique et la mer du Nord. Sa splendeur a duré plus d'un demi-millénaire. Riche, active, lettrée, elle attirait en foule les étrangers, et quand César la subjugua, c'était encore un îlot grec dans le monde romain qui l'entourait. Athènes, restée longtemps en dehors de ce mouvement, créa à son tour, peu après la chute de Clisthène, un type original, la clérouchie. Établissement de l'État sur des terres qui lui appartenaient, c'est une partie intégrante du territoire national, dont les colons demeurent citoyens. La cité se procure d'abord le terrain, par conquête, achat, cession amiable. Un décret règle en détail toute l'organisation; l'État finance l'expédition, choisit les colons, divise le sol en trois parts, pour les dieux, la cité, qui en attend un revenu, et les clérouques (« ceux dont les lots sont tirés au sort ») . A dix-huit ans, les fils des colons viennent à Athènes recevoir l'éducation éphébique. Ils devront à la métropole le service militaire, les impôts habituels et relèveront de ses tribunaux. La clérouchie garde une assez grande autonomie municipale, mais ne peut rien changer à ses cadres sans l'autorisation de la mère patrie, qui y délègue un épimélète, sorte de haut-commissaire. Il se fonda de ces établissements durant tout le Ve siècle : à Chalcis et Érétrie, en Eubée; dans l'île d'Égine et beaucoup d'autres de la mer Égée; en Chalcidique, dans la Chersonèse de Thrace et le Pont. Ils assuraient l'autorité religieuse et morale de la métropole, augmentaient sa force matérielle, favorisaient son commerce et facilitaient l'éloignement des éléments révolutionnaires, sans perte numérique. Ainsi Athènes devint-elle pour longtemps le centre véritable d'une grande partie du monde grec. (HGP). | |