| Chez les anciens philosophes, il semblait répugner à la perfection de la divinité, qu'elle-même eût mis en quelque sorte la main à l'oeuvre pour former le monde. Déjà Anaxagore, en reconnaissant une intelligence supérieure aux principes matériels, laissait à ceux-ci le soin de composer, en se rapprochant et se réunissant, tout l'univers. Aristote dira que la pensée divine, ayant besoin d'un objet digne de sa perfection, ne le trouve qu'en elle-même, et dédaigne de s'abaisser jusqu'à des choses imparfaites; et les Épicuriens ajouteront que rien ne serait plus contraire à la béatitude des dieux que de s'occuper de la nature et de l'humain. Toutefois, comme la divinité doit être considérée non seulement en elle-même, mais dans ses rapports avec les choses, cette seconde considération amena l'esprit à l'idée d'un Démiurge, sorte de dédoublement de Dieu, et qui, comme un ouvrier, accomplit la besogne d'organiser le monde. C'est dans la philosophie platonicienne qu'on voit apparaître pour la première fois le mot démiurge qui signifie ouvrier, artisan, architecte. Platon, concevant une cause première, intelligente et libre, mais ne pensant pas d'ailleurs qu'elle pût s'exercer sans la matière, a fait de cette cause l'ouvrier, l'artisan du monde, et, par une métaphore assez facile, il a transporté le nom de démiurge de la langue vulgaire dans le langage métaphysique. C'est dans le Timée que nous voyons le démiurge à l'ouvrage. "Tout ce qui a commencé, dit Platon, doit être corporel, visible et tangible. Or, rien n'est visible sans feu, ni tangible sans quelque chose de solide, ni solide sans terre. le Démiurge commença donc par composer le corps de l'univers de feu et de terre. Mais il est impossible à deux choses de bien se joindre l'une à l'autre sans une troisième; il faut qu'il ait au milieu un lien qui rapproche les deux bouts, et le plus parfait lien est celui qui de lui-même, et des choses qu'il unit, fait un seul et même tout [...]. Le Démiurge plaça l'eau et l'air entre la feu et la terre, et, ayant établi entre tout cela, autant qu'il était possible, des rapports d'identité, à savoir que l'air fut à l'eau ce que la feu est à l'air, et l'eau à la terre ce que l'air est à l'eau, il a, en enchaînant ainsi toutes les parties, composé ce monde visible et tangible. C'est de ces quatre éléments réunis de manière à former une proportion qu'est sortie l'harmonie du monde, l'amitié qui l'unit si intimement que rien ne peut le dissoudre, si ce n'est celui qui a formé ces liens. L'ordre du monde est composé de ces quatre éléments,. pris chacun dans sa totalité : le Démiurge a composé le monde de tout le feu, de toute l'eau, de tout l'air et de toute la terre, et il n'a laissé en dehors aucune partie ni aucune force de ces éléments; d'abord, afin que l'animal entier fût aussi parfait que possible, étant compose de parties parfaites; ensuite, afin qu'il fût un, n'y ayant rien de reste dont aurait pu naître quelque autre chose de semblable; en dernier lieu, afin qu'il fût exempt de vieillesse et de maladie; car le Démiurge savait que la nature des corps composés est telle que le froid, la chaleur et tous les agents extérieurs, en s'y appliquant à contre-temps, les dissolvent, amènent la décrépitude et les maladies, et les font périr." (Timée). Tel est le Démiurge du Timée : c'est l'amour (eros), disait Platon; d'autres diront l'intelligence (nous), ou bien l'âme du monde. C'est encore Dieu, ou plutôt un Dieu, inférieur cependant à la pure essence de la divinité, et qui se souille, semble-t-il, par son contact avec la matière. (Dans le Parménide on trouve une conception de Dieu différente : c'est l'unité ou le bien.) Plus tard la tâche du Démiurge à l'égard du monde physique sera remplie à l'égard du monde moral par un divin médiateur, qui sur les ruines du vieil homme, bâtit une humanité nouvelle, couvre de la grâce et non plus de la nature, fille du ciel et non plus de la terre, et participant ainsi à la perfection de Dieu. (C. Adam / PL). | |