|
Le mot Communisme,
jusqu'ici employé pour désigner indistinctement tous les
systèmes de réforme, élaborés
ou non, mais touchant l'économie sociale, doit proprement s'appliquer
à un état de production collectiviste,
qui aurait pour formule de répartition: à chacun suivant
ses besoins. Le Communisme a cette double base : l'appropriation collective
des instruments de production entraînant l'organisation unitaire
de la production, et la négation sur ce point particulier de la
répartition des produits du fait de l'égoïsme humain.
Cette négation radicale, qui seule
l'empêche de se confondre avec le collectivisme, fait à la
fois sa grandeur morale et sa faiblesse théorique.
Sa grandeur morale, puisqu'elle fait reposer la vie de la société
sur le seul principe du dévouement de l'individu
à la collectivité, puisqu'elle implique la réalisation
de l'idéal moral, le triomphe définitif des bons instincts
de l'humain sur ses mauvais. Sa faiblesse théorique, parce qu'en
niant l'égoïsme humain, en demandant
à tous indistinctement de préférer autrui
à eux-mêmes, le Communisme se place par trop manifestement
en dehors des conditions ordinaires et avouées de l'expérience
humaine. La force du collectivisme, c'est justement qu'il accepte les humains
tels et s'évertue à bâtir sur une psychologie en gros
exacte l'édifice de ses déductions économiques et
politiques.
Aussi constate-t-on qu'en fait l'idéal
communiste n'a guère été que le premier moment, le
moment trouble encore, sentimental des projets
de réforme, la protestation passionnée contre les maux et
les injustices sociales qui n'a pas eu le temps d'aboutir au projet ferme
et réfléchi. A mesure que le prétendu Communisme s'est
sérieusement enquis des moyens de réalisation, il lui a fallu
faire sa part à l'égoïsme humain et il a dû peu
à peu renier son principe. Le Communisme est insensiblement devenu
le collectivisme. Meslier, dom Deschamps, Morelly,
Mably, Brissot de Warville qui les résume
tous, sont communistes. Baboeuf l'est encore.
Fourier et ses disciples répètent
avec le XVIIIe siècle : à
chacun suivant ses besoins. Louis Blanc de
même. Mais Saint-Simon a déjà
trouvé la formule toute contraire : à chacun suivant sa capacité;
à chaque capacité suivant ses oeuvres. Et, à partir
de ce moment, se trouve complètement abandonnée la formule
communiste.
Les quelques peintures, ingénieuses
ou éloquentes, que nous a transmises l'histoire des lettres, d'une
société communiste (l'Utopie,
de Thomas More, 1516; la Cité du soleil,
de Campanella, 1630) n'ont d'autre valeur
que d'être la satire indignée des abus, l'éloquente
protestation de la conscience humaine. Une
seule, qui a servi de modèle du genre, semble faire exception et
avoir des rapports plus directs avec la réalité : la République
de Platon, ce tableau fantaisiste d'une situation
toute particulière. Dans la République, le Communisme
n'est, en effet, la loi que de l'aristocratie dominante. La masse des esclaves
et des humains libres voués aux occupations manuelles semble volontairement
abandonnée à l'impulsion de l'égoïsme naturel.
Seule, l'aristocratie dominante des guerriers et des magistrats, une aristocratie
se recrutant elle-même, trouve dans le parfait Communisme la condition
et le terme de son perfectionnement moral.
Ni propriété privée,
ni famille. A chacun suivant ses besoins, et des unions passagères
dont la courte durée empêche la formation de la famille et
cet égoïsme familial, principe si puissant de lutte et de désordre
au sein de la cité. Voilà la loi du petit groupe d'initiés
voués à la protection et à la direction du reste du
corps social, dont ils se distinguent nettement. Dans cette donnée
fondamentale de la République
de Platon, on peut trouver comme une lointaine
ressemblance avec la situation particulière de ces petits Etats
grecs, composés d'une poignée de citoyens ayant constamment
à se défendre contre une population de dépendants,
nombreuse, non soumise, et par cela même obligés de rester
étroitement unis. L'auteur semble se faire un jeu de pousser le
principe à ses dernières conséquences et ne s'aperçoit
pas ou fait semblant de ne pas s'apercevoir qu'il perd pied et que le terrain
se dérobe sous lui. Un seul moyen lui resterait de rendre la fantaisie
vraisemblable, de concilier l'idéal avec le réel; ce serait
d'arracher complètement au monde, à la vie inférieure
de l'instinct ses guerriers et ses sages, d'en faire dans toute la force
du terme des voués, renonçant à la chair et coupant
en eux l'égoïsme jusque dans sa racine. Il ne le fait pas.
Historiquement, c'est pourtant sous cette
forme de communautés volontairement constituées par des sages
ou aspirants sages qui sont morts ou ont commencé de mourir au monde
et à l'orgueil de la vie, et sous cette forme seule, qu'a pu se
réaliser l'idéal communiste. L'institut
pythagoricien de la Grande-Grèce,
les Esséniens des bords de la mer Morte, les Thérapeutes
d'Égypte,
dans l'Occident chrétien, les ordres monastiques, parmi lesquels
les ordres guerriers se laissent sans violence rapprocher de l'aristocratie
guerrière de Platon : voilà, et là seulement, le Communisme
en action. Du XVIe au XVIIIe
siècle, on trouve, chez les Frères
moraves des confins de la Bohème,
de la Moravie
et de la haute Lusace,
concilié jusqu'à un certain point le régime de la
vie commune et le maintien de la famille ; mais c'est là un fait
unique que rend seul possible une foi très vive et une ardente charité.
La même remarque s'applique à la très curieuse et très
intéressante tentative communiste des jésuites
au Paraguay
(1608-1767).
Ce qu'on appelle parfois Communisme tribal
ou Communisme agraire et dont on relève ou prétend relever
dans le passé lointain de plus ou moins nombreuses traces, - sauf
quelques cas très rares, - n'est guère qu'un certain droit,
le même pour chacun des membres de la tribu ou de la communauté,
à occuper temporairement la portion de territoire du groupe et les
autres moyens de production nécessaires à son exploitation
privée. Le seul organe, avec un caractère sensiblement communiste,
qu'on rencontre en Occident, c'est le groupe de la famille associée
qui semble particulièrement propre au monde slave (Zadruga),
qu'on rencontre cependant en Allemagne,
en France,
où elles ont survécu presque jusqu'à nos jours, surtout
dans les parties montagneuses du centre. Malheureusement, la famille associée
est trop près de la famille et le cercle en semble trop étroit
pour qu'il puisse venir à l'esprit de quelqu'un de faire de sa longue
persistance à travers le temps, même de loin, une expérience
communiste. (G. Platon, 1900). |
|