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L'esclavage
est la condition de l'humain qui est la propriété d'un autre
humain. Il implique une suppression totale de la liberté
personnelle; l'esclave est un objet, une chose, la chose de son maître;
on le range au nombre des instruments, avec les animaux domestiques, auxquels
on l'assimile.
L'esclavage est une institution à peu près universelle qu'on retrouve chez les peuples les plus divers et les plus éloignés les uns des autres. C'est même, au cours de l'histoire, la base de la division sociale du travail qui a été le plus répandue, et de loin. Cependant, il ne se constate pas de la même façon dans toutes les structures économiques. Dans les sociétés archaïques, qui vivent principalement de la chasse et de la cueillette, il est un aspect de la division sociale du travail et du patriarcat : l'ennemi vaincu est mis à mort; mais on s'approprie les femmes pour les ajouter à celles de la tribu sur lesquelles les mâles se déchargent de tous les travaux domestiques. Dans les sociétés d'éleveurs nomades, on ne fait guère d'esclaves que pour les revendre; le soin des troupeaux se confond presque avec les travaux domestiques, et les membres de la tribu y suffisent sans peine. C'est dans les sociétés sédentarisées et agraires que l'esclavage se développe. On en a l'indication dès l'apparition de l'écriture, à Sumer. En son temps, l'économiste Dunoyer a observé, conformément aux idées d'Auguste Comte, que le régime économique de toutes les sociétés qui viennent de se fixer, de passer à l'état sédentaire, repose sur l'esclavage, lequel alimente les professions industrielles. Quand la culture des champs devient le principal moyen d'alimentation, on introduit le travail servile pour nourrir la classe dominante et on lui fait une place de plus en plus grande à mesure que progressent la civilisation urbaine et les industries manufacturières. Rome a ainsi été la société esclavagiste par excellence. L'évolution ultérieure des sociétés industrielles élimine l'esclavage à mesure que le militarisme décroît et que l'importance politique des travailleurs augmente. Dans les sociétés modernes, l'esclavage n'est plus qu'un fait exceptionnel. Cependant, aujourd'hui encore, il se perpétue sous forme plus ou moins institutionnalisée dans la Péninsule arabique, dans une partie de l'Afrique, et même, pour ce qui concerne l'exploitation sexuelle des femmes, sur tous les continents. Les combats pour l'abolition de l'esclavage ont commencé au XVIIIe siècle, au temps des Lumières. La traite des esclaves et l'esclavage lui-même ont été interdits progressivement dans les principaux pays esclavagistes dès les premières décennies du XIXe siècle, mais dans dans pays où ce système d'exploitation nourrissait une part importante de l'économie (Etats-Unis, Brésil, etc.), il a fallu attendre le dernier tiers du siècle pour qu'il soit aboli officiellement. Sous la forme atténuée du servage, l'esclavage s'est maintenu jusqu'à la même époque en Russie et, à la fin du XIXe siècle en Allemagne même, vivaient encore des millions de personnes qui sont nés dans la condition servile. L'esclavage dans l'AntiquitéL'esclavage a été connu dès les temps les plus reculés de l'histoire, et les auteurs des premiers siècles y font souvent allusion. L'esclavage est mentionné dans les documents chinois dès le XIIIe siècle avant l'ère commune. Il exista chez les Assyriens, les Babyloniens et les Perses dès leurs premières conquêtes. Les Hébreux avaient déjà plusieurs formes d'esclavage.Sur le commerce des esclaves, pratiqué dès les temps les plus reculés, nous n'avons aucun détail précis. Chez les Grecs, le commerce des esclaves s'étendait en Egypte, en Thrace, en Phrygie, en Lydie, en Syrie et dans d'autres contrées. En Phénicie, ce commerce avait une grande extension. Les Phéniciens pratiquaient sur une vaste échelle l'enlèvement des hommes et des enfants; le commerce des esclaves était alors en pleine vigueur; les esclaves étaient employés dans toutes les branches d'industrie. Les Carthaginois faisaient un immense trafic avec l'intérieur de l'Afrique, et, on l'a dit, les Romains surpassèrent, sur ce point, toutes les autres nations de l'Antiquité. En Inde.
En Chine.
La dynastie Qin (221-206 av. JC), bien que courte, est notable pour son utilisation massive de la main-d'oeuvre forcée pour des projets de construction gigantesques tels que la Grande Muraille de Chine et le mausolée de l'empereur Qin Shi Huangdi. On compta, à certains moments, des centaines de milliers d'esclaves dans les domaines impériaux; plus d'une fois on les affranchit en masse. L'esclavage privé se développa à son tour; il s'alimentait par la guerre étrangère et, à l'intérieur, par la misère qui forçait les pauvres à vendre leurs enfants ou à se vendre eux-mêmes. Sous les Han (206 av. JC - 220 ap. JC), les esclaves étaient utilisés dans l'agriculture, la domesticité et pour des travaux publics. Les Han ont également utilisé des esclaves pour des activités commerciales. Les guerres civiles eurent parfois pour conséquence l'asservissement d'une foule de gens. La vente d'hommes libres, bien qu'interdite par la loi, avait lieu de temps à autre; il fut toujours permis de se vendre soi-même ou de vendre ses enfants; la femme accusée d'adultère et la fille qualifiée d'impudique étaient punies par la réduction en esclavage. Les ordonnances des Han, constatent cette situation. Le maître avait sur son esclave les droits d'une propriété entière; il peut les vendre ou vendre ses enfants; l'Etat n'intervient pas dans leurs rapports; Sous les Tang (618-907 ap. JC), les sources révèlent l'existence de marchés d'esclaves, et les esclaves étaient utilisés pour une variété de travaux domestiques et agricoles. Les esclaves étaient souvent des prisonniers de guerre, mais aussi des personnes vendues par leurs familles en période de famine. Une ordonnance des Tang qui affranchit tout esclave public ou privé qui atteint soixante-dix ans, était plus un moyen de s'en débarrasser qu'un bienfait pour eux. On cite pourtant des cas où le prince affranchit en bloc de grandes quantités d'esclaves, même privés, afin de réparer les vides faits par des guerres meurtrières. Sous les Song (960-1279 ap. JC), l'esclavage décline quelque peu en importance, mais il reste présent. Les lois des Song tentent de réguler et parfois de limiter l'esclavage, mais les pratiques continuent, notamment dans les régions rurales. Les Mongols, qui fondent la dynastie Yuan (1271-1368 ap. JC), ont des pratiques esclavagistes distinctes et introduisent de nouveaux aspects de l'esclavage en Chine. Les esclaves sont même utilisés dans l'administration. Les Ming (1368-1644 ap. JC) continuent encore à pratiquer l'esclavage, bien que la classe des esclaves devienne moins nombreuse comparée aux dynasties précédentes. Les esclaves sont principalement utilisés pour des tâches domestiques et agricoles. L'esclavage décline sous les Qing (1644-1912 ap. JC) pour finalement disparaître presque complètement en pratique, sinon en droit. Les Qing introduisent des réformes et des régulations qui réduisent l'ampleur de l'esclavage. Au cours du XIXe siècle, avec l'influence croissante des idées occidentales et la pression des puissances étrangères, la Chine commence à abolir progressivement l'esclavage. A ll'avènement de la République de Chine en 1912 marquent la fin officielle de l'esclavage. Des lois abolissant l'esclavage sont promulguées, bien que des formes de servitude et de travail forcé persistent dans certaines régions et secteurs. La
condition des esclaves en Chine.
« Parmi les créatures du ciel et de la terre, l'homme est la plus noble: ceux qui tuent leurs esclaves ne peuvent diminuer leur crime; ceux qui osent les marquer avec le feu seront jugés conformément à la loi; les hommes ainsi marqués rentrent dans la classe des citoyens. »L'esclave en Chine est une personne. Du moins, les moeurs sont plus douces que la loi. Dans la famille où il sert, l'esclave a presque la même vie que les membres subordonnés au chef de famille. « Dans cette vie intérieure, toute d'obéissance , les obligations diverses de la mère, des enfants, des femmes du deuxième rang, s'abaissaient comme par degrés du maître au serviteur, et, en ménageant les transitions, rapprochaient aussi Ies distances. Ainsi, les femmes esclaves ne différaient guère des épouses inférieures achetées comme elles et comme elles soumises à la femme principale; quant aux hommes, ils pouvaient s'élever jusqu'à partager les soins et la confiance du maître et, sans que la loi prescrivît rien, trouver dans certains bénéfices le moyen de se racheter. Ces bons traitements, établis par l'habitude, étaient encouragés par la morale pratique. Dans l'échelle des vertus théologales des Chinois, gronder fortement un esclave compte pour une faute; le voir malade et ne pas le soigner, l'accabler de travail, dix fautes l'empêcher de se marier, cent fautes ; lui refuser de se racheter, cinquante fautes. On ne trouve pas, du reste, que les esclaves en Chine aient tenté de s'affranchir par la force. Nulle révolte, nulle guerre civile n'est inscrite dans les annales. On y voit souvent, au contraire, les esclaves refuser la liberté par attachement pour leurs maîtres; les traits nombreux de leur dévouement font un article à part dans les collections historiques : enseignement pour les esclaves, mais plus encore pour les maîtres qui devaient, par leur humanité, mériter d'en être l'objet à leur tour. » (Wallon, I, p. 41.)Ce qui empêcha l'esclavage de dégénérer et d'arriver aux abus que l'on relève dans les sociétés européennes, c'est qu'il ne fut jamais qu'accessoire; le travail libre eut la prépondérance sur le travail servile, et celui-ci fut à peu près confiné dans le service domestique; et encore, pour celui-ci, la solidité du lien familial et la subordination des enfants et des femmes au père de famille dispensent d'avoir recours à l'esclave. Au besoin, on prend des serviteurs à gages, que l'on préfère. Il y eut, toutefois, vers le IIIe et le IVe siècle de notre ère, l'organisation d'un véritable servage; les Qin (Tsin) orientaux le réglèrent. Ces familles attachées à la glèbe furent affranchies de la taxe du service personnel; leur nombre fut limité proportionnellement au rang du seigneur qui tint un registre où il les inscrivit. Dans l'empire du Nord, sous les seconds Wei, l'esclavage se développe dans les campagnes. Une ordonnance prévoit que chaque couple de propriétaires libres aura huit esclaves mâles et femelles pour labourer la terre et veiller aux soins du ménage; le propriétaire foncier, célibataire, en aura la moitié; sur les terres affermées par le gouvernement, à défaut de boeufs, le fermier doit introduire des esclaves. Cet accroissement de la classe servile coïncidait avec celui de l'aristocratie des grands propriétaires fonciers; il fut combattu par les empereurs de la dynastie des Tang et par ceux des dynasties suivantes. En Egypte.
Dans l'Empire
perse
Chez les peuples de l'Iran, l'esclavage ne se développa qu'après un contact prolongé avec les civilisations plus avancées. Dans le Zend-Avesta, il en est à peine question. Les Mèdes ont des esclaves, aussi bien dans les campagnes que dans l'entourage des princes et des puissants; à côté de l'esclavage domestique, ils connurent, semble-t-il, le servage; Hérodote dit que Cyrus, fils présumé du berger Mithridate, était esclave d'Astyage. Les Perses, qui réunirent dans leur empire toutes les nations de l'Asie occidentale, n'en modifièrent pas les moeurs; ils connurent donc toutes les formes de la servitude : dans les sociétés pastorales de la Sogdiane et de l'Iran, dans les sociétés agricoles de Bactriane, de Mésopotamie et d'Asie Mineure, dans les grandes cités industrielles de Phénicie, de Lydie, dans les palais et les domaines du grand roi et des seigneurs. Le cérémonial asiatique qu'ils ont adopté suppose des légions d'esclaves. Un commerce régulier est organisé pour alimenter les harems de femmes, de jeunes garçons, d'eunuques. Ctésias dit qu'Annarus, officier du roi, esclave lui-même, réunit 150 esclaves dans un festin. La région de l'empire des Perses où l'esclavage est le plus développé est la région occidentale, la plus voisine du monde grec, Asie Mineure et Syrie, particulièrement la Syrie et la Phénicie, contrées de civilisation urbaine et industrielle. Dans la grande cité de Babylone, l'esclavage eut aussi une grande importance. La condition des esclaves se rapprochait de ce qu'elle fut dans les cités grecques. Chez les Hébreux.
La valeur moyenne d'un esclave est de 30 sicles; c'est le prix fixé pour celui qui est tué ou blessé par accident; l'homme de vingt à soixante ans vaut 50 sicles; la femme 30 sicles; l'homme âgé de plus de soixante ans ne vaut que 15 sicles; la femme 10; de quinze à. vingt ans, l'homme vaut 20 sicles et la femme 10; d'un mois à quinze ans, l'enfant mâle vaut 5 sicles et la fille 3 seulement. Malgré les efforts du législateur, l'esclavage n'est pas limité aux étrangers; on autorisa l'homme libre à se vendre lui-même et à vendre ses enfants; le voleur qui ne peut payer l'amende est réduit à l'esclavage. La loi accorde à l'esclave certaines garanties. Il est compté parmi les humains. Le maître qui le tue est puni de mort; celui qui le blesse est obligé de lui donner sa liberté, ne lui eût-il cassé qu'une dent. La castration est prohibée. La captive que le maître a fait entrer dans sa couche devient épouse, et s'il la renvoie il faut qu'il l'affranchisse : « Tu la renverras libre et tu ne pourras ni la vendre, ni la retenir en ta puissance, car tu l'as humiliée». (Deut., XXI,10-15.)Un esclave hébreu est affranchi de plein droit la septième année, et peut toujours se racheter. Cet esclavage temporaire est presque un louage. Le jour du sabbat, l'esclave se repose comme le maître; il s'assoit aux banquets religieux à côté de lui. L'esclave a le droit de se faire une famille. II est recommandé de ne pas renvoyer les mains vides celui que l'on affranchit. Et après chaque prescription revient comme un refrain : « Souviens-toi que tu as servi en Egypte, et que le Seigneur, ton Dieu, t'en a délivré. »L'esclavage ne devient perpétuel que si au bout de la sixième année l'esclave refuse de reprendre sa liberté. Il est présenté aux juges du peuple, amené à la porte de son maître, et là on lui perce l'oreille. Il ne faut pas oublier que toutes ces rectrictions à la servitude viennent de ce que les enfants d'Israël sont tous regardés comme les esclaves de Yahveh. L'esclavage en
Grèce.
Il y avait chez les Grecs deux catégories d'esclaves bien distinctes. Les uns étaient les anciens habitants du pays qui, vaincus par un peuple envahisseur, avaient été réduits en servitude et dépouillés de leurs biens au profit de ce dernier. Ils étaient tenus de cultiver la terre, de payer un cens annuel à leurs oppresseurs, et de les accompagner à la guerre, Ils ne pouvaient ni être vendus hors de pays, ni être séparés de leurs familles; ils étaient même capables de posséder. Tels étaient les Hilotes à Sparte, les Bithyniens à Byzance, les Pénestes en Thessalie, les Callyciriens à Syracuse,et les Aphamiotes dans l'île de Crète. L'autre catégorie comprenait les esclaves proprement dits , c.-à-d. ceux auxquels s'appliquait spécialement la dénomination de douloi. Cette classe se composait d'individus achetés. Ces derniers étaient la propriété absolue de leurs maîtres, qui pouvaient en disposer de la même manière que de toute autre partie de leur avoir. Dans les villes commerçantes, telles qu'Athènes et Corinthe, ces esclaves étaient en très grand nombre et jouaient le rôle de la population industrielle des cités modernes. On en trouvait peu, au contraire, dans les petites républiques uns industrie ou purement agricoles, comme la Locride et la Phocide. La plupart des esclaves, avons-nous dit, étaient achetés. Le nombre des esclaves nés de parents esclaves eux-mêmes élan peu considérable, parce que, d'un côté, le chiffre des hommes l'emportait de beaucoup sur celui des femmes, et que, de l'autre, les Grecs trouvaient plus économique d'acheter des esclaves adultes que d'élever des enfants d'esclaves. L'esclave qui était né chez son maître était appelé oikotrips, et celui qui avait été acheté oiketès. En outre, si ce dernier provenait d'un père et d'une mère esclaves, en le nommait amphidoulos. C'était une maxime du droit public de la Grèce que les prisonniers de guerre devinssent la propriété du vainqueur; mais, en général, les Grecs rendaient la liberté aux prisonniers d'origine hellénique moyennant le paiement d'une rançon. En conséquence de cet usage, presque tous les esclaves qui existaient dans les cités grecques étaient d'origine étrangère. Il semble résulter d'un passage du Timée, que les habitants de Chio furent les premiers qui se livrèrent au trafic des esclaves. Dans les temps primitifs, l'esclave était en grande partie alimenté par les pirates qui allaient faire des descentes sur les côtes pour surprendre et enlever les habitants. Plus tard ce furent les colonies grecques de l'Asie Mineure qui devinrent les grands marchés d'esclaves pour les pays helléniques : elles les tiraient, soit des contrées limitrophes, soit de l'intérieur de l'Asie. La Thrace fournissait également un fort grand nombre d'esclaves, car très souvent les parents y vendaient eux-mêmes leurs enfants. Comme dans les autres cités de la Grèce, il y avait à Athènes un marché spécialement destiné au commerce des esclaves on l'appelait le Cercle, parce que les malheureux exposés en vente étaient rangés en cercle. Quelquefois on les vendait aux enchères; dans ce cas, on les faisait monter sur une pierre, ou plutôt sur une plate-forme de pierre. Ce marché se tenait à des époques déterminées, ordinairement le dernier jour du mois. Quant au prix des esclaves, il variait nécessairement suivant leur âge, leur force, leurs compétences ou leur industrie. « Certains esclaves, dit Xénophon, valent 2 mines; d'autres à peine la moitié d'une mine; il en est qu'on paie de 5 à 10 mines. On assure même que Nicias, fils de Nice-ratus, acheta un directeur de mines au prix énorme d'un talent ».Un ouvrier mineur ordinaire coûtait de 125 à 150 drachmes. Parmi les 32 ou 33 armuriers qui appartenaient au père de l'orateur Démosthène, quelques-uns valaient 5 mines, d'autres 6, et les moindres 3; ses 40 ouvriers ébénistes valaient en moyenne mines chacun. Les courtisanes et les joueuses de cithare se payaient bien plus cher; 20 et 30 mines n'étaient pas des prix extraordinaires pour cette catégorie d'esclaves. La population esclave était considérable à Athènes. Lors du recensement fait sous l'archontat de Démétrios de Phalère (309 avant notre ère), l'Attique comptait 21,000 citoyens libres, 10,000 étrangers domiciliés (métèques) et 400,000 esclaves. Ce dernier chiffre a paru exagéré à plusieurs écrivains modernes à cause de la disproportion qui existe entre le nombre des hommes libres et celui des esclaves, mais cette disproportion n'est qu'apparente. En effet, des historiens ont fait remarquer qu'en dénombrant les citoyens et les métèques, on n'avait dû compter que les individus du sexe masculin parvenus à l'âge adulte, car il s'agissait de constater les droits politiques et les obligations des uns et des autres, tandis que pour les esclaves, comme ils constituaient une simple propriété, il avait fallu, pour connaître sa valeur réelle, comprendre dans le recensement les individus du tout sexe et de tout âge. Boeckh pensait que la population libre de l'Attique comparée avec la population esclave était dans la proportion de 1 à 4. Chez Ies Athéniens, le citoyen le plus pauvre avait un esclave pour tenir sa maison en ordre. Les familles aisées en avaient toujours plusieurs, chacun d'eux ayant sa fonction déterminée; l'un faisait le pain, un autre préparait les aliments, un troisième confectionnait les vêtements, etc. Les citoyens les plus riches de la Grèce n'eurent cependant jamais ces multitudes d'esclaves que nous voyons chez les Romains, à la fin de la République et sous l'Empire. Le père de Démosthène avait 53 esclaves. On cite encore Lysias et Polémarque qui en avaient, l'un et l'autre, 140, Philoménide qui en avait 300, Hipponicus qui en avait 600, et Nicias qui en avait un millier employé à l'exploitation de ses mines seulement. Une différence essentielle entre les Grecs et les Romains, c'est que les premiers n'entretenaient pas autour d'eux de nombreux esclaves par luxe et par ostentation : ils les employaient à toutes sortes de travaux industriels, afin d'en retirer un profit. A Athènes, les esclaves travaillaient tantôt pour le compte exclusif de leur maître, et tantôt pour leur propre compte; dans ce dernier cas, ils devaient à leur maître une redevance quotidienne fixe. D'autres fois le maître louait ses esclaves au dehors, soit comme domestiques, soit comme ouvriers aux divers entrepreneurs d'industrie. Enfin, la chiourme des navires était composée d'esclaves, les uns appartenant à l'État, les autres appartenant à des particuliers auxquels on payait pour cela une somme déterminée. Toutefois il y avait une exception pour la galère sacrée appelée Paralos; ses rameurs devaient être des hommes de condition libre. La rareté des documents rend fort difficile l'évaluation du profit moyen qu'un propriétaire d'esclaves retirait de leur travail. Les 32 on 33 ouvriers armuriers qui avaient coûté 190 mines, prix d'achat, au père de Démosthène, lui rendaient chaque année 30 mines de profit net, et les 20 ouvriers ébénistes qu'il avait achetés 40 mines, lui en rendaient 12. Les ouvriers tanneurs de Timarque rendaient à leur maître 2 oboles par jour ; et Nicias donnait une obole par jour par esclave qu'il louait pour exploiter les mines dont il était le fermier. Du reste, le bénéfice du propriétaire d'esclaves devait être nécessairement élevé relativement au prix d'achat, attendu que la valeur de cette sorte de propriété diminuait chaque année par les progrès de l'âge, et qu'il fallait remplacer les esclaves qui mouraient, ainsi que ceux qui prenaient le fuite, si l'on ne parvenait à rattraper ces derniers. Or, cette poursuite même des esclaves fugitifs entraînait des frais coûteux. Toutefois il y avait Athènes des gens qui assuraient contre la fuite des esclaves. Antigène de Rhodes fut le premier qui imagina ce genre d'assurances. Moyennant une prime annuelle de 8 drachmes par esclave, il s'engageait à en payer la valeur au moment de sa disparition. Les champs étaient surveillés par un régisseur, qui, pendant le séjour du maître à la cité, avait souvent la haute administration du domaine. Quant à ceux qui étaient attachés au service de la maison, ils avaient pour les diriger, les hommes un intendant, et les femmes une intendante. Les esclaves publics (dèmodioi) étaient achetés aux frais du trésor et employés à des services d'intérêt général. Ainsi, à Athènes, par exemple, il y en avait qui remplissaient dans les assemblées et les tribunaux certaines fonctions subalternes, telles que celles d'huissier, de scribe, etc. Nous savons par Ulpien que l'Etat leur faisait donner les connaissances dont ils avaient besoin pour s'acquitter de leur emploi. Il paraît, de plus, que la loi leur reconnaissait certains droits dont ne jouissaient pas les eslaves des particuliers. La force armée chargée de la police de la cité, était aussi composée d'esclaves publics on les appelait généralement archers, et Scythes à cause du pays d'où on les tirait pour la plupart, bien qu'il y eût parmi eux des Thraces el d'autres Barbares. Quelquefois encore on les appelait Speusiniens, du nom de celui qui avait organisé ce corps. Ils vivaient sous des tentes plantées d'abord sur la place du marché, et plus tard sur la colline de l'Aréopage. Leurs officiers portaient le titre de toxarques. Enfin, leur nombre, qui était primitivement de 300, fut élevé par la suite à 1200; Malgré cela, à Athènes, les esclaves n'étalent point soumis au service militaire, comme l'étaient les Hilotes de Sparte et les Pénestes de la Thessalie. Les batailles de Marathon et des Arginuses, où les Athéniens armèrent leurs esclaves, furent des exceptions à la règle générale. Le droit de propriété du maître sur ses esclaves ne différait en rien de celui qu'il avait sur ses autres biens; on pouvait même, comme tout autre bien meuble, les donner en nantissement d'une créance. Néanmoins le sort des esclaves n'était pas aussi dur chez les Grecs que chez les Romains, sauf cependant à Sparte où, suivant Plutarque, «-l'homme libre était le plus libre des hommes, et l'esclave le plus esclave des esclaves-». A Athènes en particulier, les esclaves semblent avoir joui de plus de liberté et avoir été traités avec plus d'humanité que dans les autres cités de la Grèce. L'entrée d'un nouvel esclave dans une famille y devenait l'occasion d'une sorte de fêle pendant laquelle on distribuait des gâteaux, comme on le faisait quand deux jeunes gens se mariaient. La vie des esclaves y était encore protégée par les lois. Celui qui les frappait ou les maltraitait encourait des poursuites. Un esclave ne pouvait être mis à mort qu'en vertu d'une sentence rendue régulièrement par le juge. Pour se soustraire aux mauvais traitements de son maître, il se réfugiait dans le temple de Thésée, d'où il pouvait demander à être vendu à un autre maître. Cependant la personne des esclaves n'était pas regardée comme aussi inviolable que celle d'un homme libre. Ainsi, par exemple, on leur infligeait constamment des punitions corporelles; ils n'étaient pas crus sur leur simple serment, et pour que leur témoignage fut admis en justice, il fallait qu'il leur fût arraché par les douleurs de la torture. Quoique l'esclavage fût bien moins cruel chez les Grecs que chez les Romains, la Grèce fut assez souvent le théâtre d'insurrections d'esclaves. Mais, dans l'Attique, on ne cite d'autres soulèvements que ceux des esclaves qui travaillaient aux mines, parce qu'ils étaient traités avec plus de sévérité que les autres. Une fois ils massacrèrent leurs surveillants, et s'emparèrent des fortifications de Sunium, d'où ils ravagèrent pendant longtemps le territoire environnant. A Athènes, les affranchissements d'esclaves étaient beaucoup moins fréquents qu'à Rome. En outre, l'affranchi ne devenait pas citoyen. Il prenait simplement rang parmi les étrangers domiciliés ou métekoi. Il était même obligé d'avoir son ancien maître pour patron et de lui rendre certains offices; et, si ce dernier avait à se plaindre de la conduite de son affranchi à son égard, il pouvait lui intenter une action particulière, et celui-ci, en cas de condamnation, retombait dans la servitude. Enfin, l'affranchi payait, outre l'impôt ordinaire établi sur les métèques, une capitation de 3 oboles; c'était également la taxe à laquelle étaient assujettis les esclaves. L'esclavage à
Rome.
La vente de 150,000 Epirotes fut une des conséquences des succès de Paul-Emile en Macédoine. Une grande quantité de prisonniers, faits à la conquête de Carthage, furent emmenés en esclavage; tous les citoyens de Corinthe subirent le même sort. Les conquêtes de Sylla, de Lucullus, et de Pompée, en Grèce et en Orient, approvisionnèrent largement les marchés d'esclaves, et les guerres des Gaules de Jules César en fourniront près d'un demi-million. On s'en procurait aussi par le commerce. Les enfants étaient quelquefois vendus par leurs parents : on acceptait des hommes pour payer ce qui était dû au trésor impérial et les pauvres gens purent se vendre eux-mêmes. Les Romains, coupables de crimes, punis de peines infamantes, devenaient esclaves : cela dura jusqu'au règne de Justinien, où cette forme d'esclavage fut abolie. Les fonctions des esclaves de Rome, tant publics que privés, étaient variées. Les uns s'occupaient a des travaux avilissants, d'autres cultivaient les arts mécaniques, d'autres étaient secrétaires, lecteurs, chirurgiens, précepteurs, artistes, etc. Pendant la Seconde Guerre punique, ils furent régulièrement incorporés comme soldats. La masse des esclaves était rudement traitée, et les lois et arrêtés les concernant étaient très sévères. Ils ne possédaient aucun droit, et la loi ne leur accordait même pas d'individualité. On leur permettait seulement une espèce de mariage (contubernium), mais ils n'avaient aucun pouvoir sur leurs enfants. On ne leur reconnaissait que bien peu les liens de la parenté, et ils ne pouvaient, posséder sans la sanction et l'autorisation de leurs maîtres. Sous l'Empire, la condition des esclaves devint un peu meilleure que sous la République. L'affranchissement n'était pas rare et beaucoup d'affranchis eurent une grande influence. La période impériale fut favorable à l'émancipation et les affranchis devinrent tellement nombreux que plusieurs des premiers empereurs, y compris Auguste, furent forcés de restreindre l'affranchissement. Les autres empereurs le favorisèrent et Justinien éloigna tout ce qui y faisait obstacle. Jules César n'employa aucun affranchi; Tibère et Caligula s'en servirent rarement. Mais les esclaves soumirent à leurs lois l'empereur Claude et par lui l'Empire tout entier. Les évaluations d'E. Gibbon portaient à 60 millions le nombre des esclaves sous le règne de Claude. Des insurrections et des guerres intestines éclatèrent fréquemment. En Sicile, deux soulèvements de ce genre furent noyés dans le sang de myriades d'hommes. La guerre des gladiateurs, sous Spartacus, dura plus de deux ans. L'esclavage au Moyen âgeLe servage.Au moment de l'invasion des Barbares le servage tend à absorber toutes les classes inférieures de la population. Le servage féodal peut être, jusqu'à un certain point, assimilé à l'esclavage antique (Le droit privé féodal); car, durant plusieurs siècles, il fut tout aussi barbare et inhumain. Le serf, étant attaché à la glèbe, appartenait au sol plutôt qu'au seigneur; mais, pendant longtemps celui-ci eut droit de vendre les serfs de son domaine, d'en disposer comme de bêtes de somme et de les revendiquer partout où ils se réfugiaient. « Au VIIIe siècle, les serfs de la glèbe pouvaient être distribués arbitrairement sur le domaine, transférés d'une portion de terre à l'autre, réunis dans la même case, ou séparés l'un de l'autre, selon les convenances du mettre, sans égard aux liens de parenté, s'il en existait entre eux.» (Augustin Thierry, Essai sur l'histoire du Tiers-Etat, chap. Ier).Ainsi, le pouvoir du seigneur sur ses serfs était alors sans limites; il pouvait les punir à son gré, les frapper, les torturer et les faire mourir, Celui-là était serf, qui était le fils d'un père ou d'une mère serfs. « Celui-là était encore serf qui était le fils d'un noble et d'une femme non affranchie. Celui-là était encore serf, qui était libre, mais qui avait habité un an et un jour dans des terres où le domicile faisait perdre la franchise. » (Alexis Monteil, Histoire des Français des divers états, XIVe siècle, Ep. 29).Les serfs ne possédaient rien en propre, et en conséquence ils ne pouvaient succéder ni tester. Il était interdit au serf de se marier avec une personne qui n'était pas de sa condition ou qui n'appartenait pas au même domaine. S'il en obtenait la permission du seigneur, il devait payer le droit de formariage. Quant à l'infâme droit de prélibation, que l'on nommait aussi droit de marquette, droit du seigneur, il a été nié par quelques panégyristes du bon vieux temps; mais des documents irréfutables constatent qu'il était pratiqué dans plusieurs pays de France. Le serf vivait de son travail sur la portion du sol dont la jouissance lui était concédée; il était tenu de cultiver les terres du seigneur, de suivre ce dernier à la guerre et de lui fournir gratuitement tous les services requis. La servitude corporelle fut interdite plusieurs fois par des édits sans qu'elle disparut. L'affranchissement des main-mortables fut prononcée en 1141 par Suger, régent du royaume, en 1315 par Louis X, et en 1553 par Henri Il, et néanmoins le servage a subsisté jusqu'à la Révolution. Les conditions de cette servitude différaient selon les coutumes locales; elles furent peu à peu adoucies, à partir du XIIIe siècle, dans les domaines du roi et dans ceux de quelques seigneurs. Les serfs restèrent cependant dans un état de vassalité plus ou moins rigoureux, et ils étaient soumis à de nombreux services gratuits ou corvées et à des redevances de toutes sortes. Eux et leurs biens, quand ils en eurent, étaient imposables à volonté ou, comme l'on disait alors, taillables à merci (ad misericordiam domini). Un grand nombre de serfs obtinrent leur affranchissement à prix d'argent, et ils constituèrent des familles libres. Quelques villes jouissaient du privilège d'affranchir de la servitude ceux qui venaient y demeurer. L'anoblissement et les charges de la magistrature produisaient les mêmes effets. La
fin servage en France à la Révolution.
Grâce au rayonnement des principes d'humanité que la Révolution française a apportés, le servage a disparu au XIXe siècle de l'Europe entière. Il a été supprimé successivement: en Bavière (1808), en Westphalie (1809), en Prusse (1811), en Autriche (1848); et enfin, il a été aboli en Russie (1863) par un ukase du 19 février 1861. (On trouve, à la fin du livre plein de verve et d'agrément, Impressions de voyage en Russie d'Alexandre Dumas père, une histoire abrégée, fort intéressante, du servage tel qu'il a existé chez les Romains, en France et en Russie). L'esclavage proprement
dit.
L'esclavage privé existait donc et sous sa forme la plus nette, celle de l'esclavage domestique. A partir du XIIIe siècle, il cessa avec le commerce des esclaves; les marchés de la Baltique se fermèrent. Dans les autres pays d'Europe, à côté du servage, on constate la persistance de l'esclavage alimenté par les prisonniers de guerre. Les Maures pris en Espagne sont revendus jusqu'en France où Lyon était le grand marché et les Juifs les trafiquants ordinaires. En Italie, le principal marché était Rome où les Vénitiens venaient acheter des Blancs qu'ils revendaient aux Musulmans. C'est en Espagne que le commerce des esclaves se prolongea le plus; il durait encore au XVIe siècle; cela s'explique par le contact permanent avec les pays musulmans. Pendant la longue lutte entre les Turcs et les Etats chrétiens, qui suivit la conquête de Constantinople, les parties adverses se partagèrent les possessions maritimes des Romains,et les rivalités de religion et de culture réduisirent, à l'esclavage une multitude de personnes. Un nombre énorme de prisonniers furent employés comme rameurs de galères, les Chrétiens sur les bancs de celles des Musulmans et ceux-ci sur les vaisseaux chrétiens. Les corsaires musulmans s'avancèrent jusqu'au Nord de l'Europe et s'emparèrent des gens qu'ils purent saisir sur les côtes d'Irlande. L'esclavage
dans les pays musulmans.
Ces moeurs se sont perpétuées dans l'Empire ottoman dont la constitution sociale a peu changé au cours des siècles de son existence, et où l'esclavage s'est maintenu à peu près le même. L'esclavage, qui n'y a représenté d'ailleurs qu'une imperceptible minorité de la population, s'y est maintenu par des achats de Noirs importés d'Afrique et de Blancs achetés dans les régions montagneuses du Nord de l'Euphrate. La cour comprend une quantité d'esclaves qui, de tout temps, ont pu s'élever aux plus hautes situations. Il y en a même qui leur sont nécessairement réservées, celles d'eunuques, dont les chefs sont de grands personnages. L'esclave turc privé peut sortir de sa condition et devenir un simple serviteur en embrassant l'Islam; on le laisse se marier et ses enfants sont traités comme ceux de la maison. Ils sont placés sous la protection des lois; une esclave qui a donné un enfant au maître est affranchie à sa mort. Au Maghreb, c'est-à-dire dans les pays musulmans de la côte septentrionale d'Afrique, qui étaient (sauf le Maroc) des dépendance de l'Empire Ottoman, l'esclavage s'est perpétué jusqu'au XIXe siècle dans des conditions bien plus dures qu'en Turquie même. Ces pays avaient à la fois des esclaves noirs et des esclaves blancs. Ces derniers, spécialement, étaient des prisonniers de guerre, plus exactement des victimes de la piraterie exercée dans toute la mer Méditerranée contre les Chrétiens depuis le IXe siècle. Les prisonniers étaient entassés dans de véritables bagnes, et ceux qu'on ne pouvait racheter achevaient leur vie dans l'esclavage. La prise d'Alger par les Français (1830) et l'abolition de l'esclavage en Tunisie (1845) y mirent un terme. Esclavage moderneTraite des Noirs.L'esclavage, tel que nous l'avons étudié jusqu'à présent, fut une institution résultant de l'état social des peuples chez qui elle apparut; elle joua un grand rôle dans leur évolution et s'effaça ou s'atténua en se transformant progressivement. Il n'en est pas ainsi de la dernière forme de l'esclavage dont nous avons à parler, l'esclavage des Noirs dans les colonies européennes d'Amérique. L'origine historique de cette dernière forme de l'esclavage doit être cherchée dans les pratiques des Espagnols et des Portugais qui, à la fin du Moyen âge, continuaient sur une petite échelle le commerce des esclaves. Le contact avec les Barbaresques entretenait ces habitudes. Les Portugais avaient joint ce trafic aux autres qu'ils pratiquaient le long des côtes d'Afrique. En 1541, deux officiers du prince Henri s'emparèrent de quelques Maures, qui furent amenés au Portugal. L'année suivante, on autorisa ces Maures à se racheter; parmi les biens qu'ils donnèrent pour leur rançon, figurèrent dix esclaves noirs, ce qui donna l'idée de la traite des Noirs. Ce genre de commerce fut commencé ouvertement en 1444, par une compagnie formée à Lagos dans ce but et un comptoir portugais fut, établi sur les îles Arguin; on enlevait des esclaves sur les côtes africaines et chaque année, 700 ou 800 esclaves noirs étaient envoyés de cette factorerie au Portugal où on les revendait sur le marché de Lisbonne, tandis que d'autres esclaves de même origine étaient vendus à d'autres marchands qui les conduisaient à Tunis et en Sicile. La découverte
de l'Amérique ouvrit à ce commerce un débouché
imprévu. Dès sa première expédition, Christophe
Colomb envisagea comme une des principales sources de bénéfice
le commerce des esclaves qu'on pourra prendre dans les Indes occidentales
(Antilles). Bientôt, les Espagnols
commencèrent-il ainsi à asservir les naturels. Plusieurs
furent envoyés en Espagne
dès 1495; un grand nombre d'entre eux périrent pendant l'assujettissement
des colonies et leur population entière fut exterminée dans
les îles. Dès 1503, quelques esclaves noirs furent amenés
à Hispaniola (Haïti); on s'aperçut
qu'ils étaient beaucoup plus vigoureux que les Indiens, en particulier
pour le travail des mines.
pour être vendus aux Européens sur les côtes. L'évêque Las Casas, défenseur des Indiens, qu'on faisait périr par milliers en les astreignant à un labeur excessif, proposa à Ximénès d'organiser pour les travaux des mines une population méthodique de Noirs; le cardinal-régent refusa, mais Charles-Quint fut moins scrupuleux. En 1517, il accordait à un gentilhomme flamand une patente l'autorisant à introduire annuellement 4000 esclaves noirs dans les îles de Porto-Rico, Hispaniola, Cuba et la Jamaïque. Celui-ci vendit ce privilège 25.000 ducats à des commerçants génois, lesquels achetèrent des esclaves aux Portugais. A partir de là, ce commerce de « pièces d'Inde » se généralisa; l'exemple des Espagnols fut suivi par tous les pays européens qui acquirent des colonies en Amérique.C'est à cette concession que remonte l'organisation de la traite des Noirs. Ce commerce ayant donné lieu à toute sorte de difficultés, à une organisation très complète. Le premier Anglais qui s'y livra fut Hawkins, qui approvisionnait les colonies espagnoles. Au temps des Stuarts, quatre compagnies anglaises furent établies pour transporter les esclaves d'Afrique; Charles Il et Jacques II furent membres de la quatrième. Après la révolution, ce trafic fut abandonné, mais, plus tard, la Compagnie royale africaine fut soutenue par le parlement, En 1713, le privilège de la traite des Noirs des colonies espagnoles fut assuré aux Anglais pour 30 ans, pendant lesquels on débarqua 144,000 esclaves. En 1620, un navire hollandais vendit une cargaison de 20 esclaves noirs aux planteurs de tabac de Virginie; ainsi fut introduit l'esclavage dans l'Amérique britannique. L'esclavage exista bientôt dans chaque partie du nord de l'Amérique, et les Indiens y furent assujettis aussi bien que les Noirs. La traite entre l'Amérique du Nord et l'Afrique fut poussée avec une grande vigueur. En 1689, ce commerce fut déclaré libre dans le Royaume-Uni. Comme il était très lucratif, les armements de négriers se multiplièrent chez les nations maritimes, Hollande, Angleterre, France; non contentes de porter des esclaves dans leurs propres colonies, elles se disputèrent la traite vers les colonies espagnoles. Au traité d'Utrecht, l'asiento, privilège d'importer 4800 Noirs par an, durant trente années, fut attribué à l'Angleterre; ce monopole fut conféré à une compagnie et, lorsque Philippe V le révoqua à cause des fraudes qu'il couvrait, Walpole fut forcé par l'opinion publique anglaise à déclarer la guerre à l'Espagne. A la fin du XVIIIe siècle, l'Angleterre possédait près de 800,000 esclaves répandus dans 19 colonies, à savoir : plus de 300,000 à la Jamaïque, 80,000 à la Barbade, 80,000 en Guyane, plus de 60,000 à l'île Maurice, le reste dans les petites colonies de la Trinité, de la Grenade, Antigua, Saint-Vincent, etc. La France, dans ses colonies des Antilles, de l'île de la Réunion, de la Guyane et du Sénégal, possédait 250,000 esclaves. Il y en avait 27,000 dans les petites colonies du Danemark et environ 600 dans l'île de Saint-Barthélemy, appartenant alors à la Suède. La Hollande, qui a su éviter le travail servile à Java, conservait plus de 50,000 esclaves au Surinam et à Curaçao. Mais ces nombres sont peu de chose, comparés au chiffre de la population asservie des colonies espagnoles et portugaises qui comptent au moins 600,000 esclaves, du Brésil qui en contient plus de 2 millions; enfin des Etats-Unis qui, au seuil de la guerre de Sécession, en posséderont à eux seuls 4 millions. En 1790, l'on évaluait à 74.000 le nombre de travailleurs noirs transportés chaque année dans les colonies d'Amérique; 38.000 par les Anglais (Liverpool étant le centre des négriers); 20.000 par les Français (de Saint-Malo, Nantes, etc.); 10.000 par les Portugais, 4000 par les Hollandais, 2000 par les Danois. Ce ravitaillement était nécessité par la mortalité excessive des esclaves; à la Jamaïque, on en comptait 40.000 en 1690 et 340.000 en 1820; dans l'intervalle, il en avait été importé 800.000; la mortalité était donc presque triple de la natalité. Mais les 74.000 Noirs qui arrivaient aux colonies n'étaient qu'une faible partie des victimes de ce barbare commerce de vies humaines. Les estimations les plus modérées admettent que pour un importé quatre étaient morts, succombant aux souffrances du trajet où les esclaves étaient enchaînés et parqués comme du bétail, mais surtout succombant au cours de ces chasses à l'homme qui s'organisaient sur le continent africain afin de pourvoir aux achats des négriers. De proche en proche la dévastation s'étendait; les villages disparaissaient; les populations étaient égorgées ou vendues; la traite était une prime au brigandage, aux guerres atroces, à l'anarchie qui, durant trois siècles, ont désolé l'Afrique occidentale et destructuré durablement l'organisation sociale et politique qui avait existé jusque là dans les Etats tout le long du Golfe de Guinée. L'abolition de
l'esclavage.
L'abolition
de la traite.
Le Congrès de Vienne décida, en principe, l'interdiction de la traite. Le traité anglo-français du 30 mai 1814 l'avait abolie pour les colonies françaises à partir du 1er juin 1819 : la traite était interdite aux étrangers et aux sujets français; en mars 1818, cette prohibition passa dans la loi. Le 16 mai 1792 le Danemark abolit la traite pour 1802. En 1813 la Suède, en 1814 la Hollande avaient supprimé la traite. Les Pays-Bas l'abolirent en 1818; en janvier 1815, le Portugal l'interdit à ses sujets au Nord de l'équateur, et partout à dater de 1830; l'Angleterre lui alloua une indemnité de 300.000 livres sterling; finalement l'exportation des esclaves noirs des possessions portugaises fut interdite le 10 décembre 1836. L'Espagne abolit la traite en 1820, moyennant 400.000 livres payées par l'Angleterre. L'abolition
proprement dite.
En Angleterre, ce commerce fut d'abord dénoncé par des particuliers. Des hommes éminents travaillèrent ainsi avec zèle à supprimer la traite. Le plus célèbre d'entre eux fut Granville Sharp, qui, pendant un demi-siècle, fit tous ses efforts en faveur de l'émancipation. Les Quakers présentèrent au parlement la première pétition pour l'abolition de la traite. Clarkson commença en 1786 ses travaux antiesclavagistes et Wilberforce se joignit à lui peu de temps après. En juin 1787, une commission de 12 membres, presque tous quakers, fut instituée pour abolir le commerce des esclaves; elle eut à soutenir une violente opposition des hommes les plus éminents du pays. La question fut soumise au parlement en 1788, mais ce ne fut qu'en 1807 que des mesures furent adoptées à ce sujet. En 1823, une société se forma pour l'adoucissement et l'abolition graduelle de l'esclavage dans les possessions anglaises. Ses principaux chefs furent Clarkson, Wilberforce et Buxton. Vers la même époque fut publié par la quakeresse, Elizabeth Heyrick, un pamphlet intitulé Immediate, not Gradual, Abolition. Ses opinions conduisirent plus tard la société à abandonner les doctrines et les mesures de gradation qui firent place à celles d'émancipation immédiate et sans réserve. A partir de ce moment, la question marcha avec une grande rapidité. En 1833, un acte d'émancipation ordonna un apprentissage de six ans pour les esclaves et le paiement aux propriétaires d'une somme de 20 millions de livres sterling, prise sur le trésor national. Le jour fixé pour l'émancipation fut le1er août 1834, et l'autorisation fut donnée respectivement à chaque législation locale d'adopter ou de rejeter le système d'apprentissage. Antigua et les Bermudes le rejetèrent, les autres îles l'acceptèrent. Ce système ne donna pas de bons résultats; aussi, dans plusieurs cas, les lois locales l'abolirent-elles, et, en 1838, un décret du parlement le supprima-t-il définitivement. En 1843, la Grande-Bretagne émancipa plus de 12 millions d'esclaves dans ses possessions des Antilles. En France, l'Assemblée (15 mai 1791), après beaucoup d'hésitations, accorda virtuellement des privilèges politiques égaux à tous les hommes libres, sans distinction de couleur. A Haïti, les Blancs résistèrent, et lorsque la Convention voulut faire exécuter le décret, ce conflit entre les Noirs et les Blancs, libres, amena les massacres que l'on a si faussement attribués à l'émancipation des esclaves, proclamée seulement à la fin de 1793 et confirmée par le décret du 4 février 1794, par lequel la Convention décréta d'enthousiasme l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies françaises. Napoléon rétablit l'esclavage et même la traite par la loi du 30 floréal an X. Mais il ne put y réussir à Haïti. En 1815, parut un ordre d'abolition immédiate de la traite, ordre que le gouvernement de Louis XVIII remit en vigueur, et la traite française cessa en 1810. L'esclavage fut aboli par le gouvernement provisoire (décret du 27 avril 1848) sans indemnité pour les propriétaires. La Suède abolit l'esclavage en 1846-1847, le Danemark en 1848 et les Pays-Bas en 1862. L'esclavage ayant été aboli
par eux, les pays européens se mirent d'accord pour assurer la répression
de la traite et mettre obstacle au recrutement des esclaves dans les pays
on subsistait l'esclavage, tels que le Brésil et les Etats-Unis.
Ils s'engagèrent à prendre chacun les mesures nécessaires
afin d'empêcher les armateurs de leur pays de se livrer à
ce commerce lucratif; en outre, dans certaines zones, les bâtiments
de guerre des diverses puissances contractantes furent autorisés
à visiter réciproquement les navires de commerce suspects
de faire la traite; celle-ci fut assimilée à la piraterie,
justiciable des mêmes tribunaux et passible des mêmes peines.
Toutefois, ce droit de visite réciproque et ses conséquences
subirent des restrictions; souvent on stipula que ce seraient seulement
les tribunaux de l'État dont le navire capturé portait le
pavillon qui seraient compétents pour le juger.
Les traités de commerce franco-anglais du 10 novembre 1831 et du 22 mars 1833 établirent ce droit réciproque de visite; en fait, aucun cas de traite sous pavillon français n'a été officiellement constaté depuis 1830; aussi, ce droit de visite, donnant lieu à d'inutiles vexations de la part des Anglais, devint très impopulaire en France et fut supprimé. On adopta le système libellé dans le traité Ashburton entre l'Angleterre et les Etats-Unis (1842), d'après lequel les deux puissances s'engagèrent simplement à organiser d'accord des croisières sur la côte Ouest d'Afrique. Des rapports annuels à la Chambre des communes relataient les mesures prises contre la traite. En 1853, la Grande-Bretagne avait à ce sujet 26 traités en vigueur avec les grandes puissances et 65 avec des chefs africains, auxquels étaient alloués des subsides et cadeaux annuels à la condition d'interdire la traite. Quant aux traités avec les Etats occidentaux, 10 stipulaient le droit de visite avec juridiction de tribunaux mixtes; 14 le droit de visite avec juridiction des tribunaux nationaux ; enfin ceux avec la France et les Etats-Unis excluaient le droit de visite mais contenaient l'obligation réciproque d'entretenir des croisières sur la côte Ouest d'Afrique. Mais ce ne fut que lors de la déclaration de la guerre civile américaine (Guerre de sécession) que ce commerce cessa, dès lors qu'il avait cessé d'être lucratif. Cette guerre et l'agitation causée par l'émancipation dans le Brésil mirent presque fin à la traite à travers l'océan Atlantique. Dans l'intérieur de l'Afrique, ce commerce continua avec beaucoup de vigueur et une constante activité. Sauf à Cuba, l'esclavage disparut de l'Amérique espagnole. Il continua de prospérer au Brésil jusqu'en 1871, époque à laquelle on décréta son abolition graduelle. L'abolition de l'esclavage
aux Etats-Unis et au Brésil,
en fermant les derniers débouchés aux négriers, a
supprimé la traite clandestine qui se faisait encore un peu.
Le commerce des esclaves n'a pas pris fin avec l'abolition juridique de l'esclavage par les puissance occidentales. Le commerce des esclaves continua encore dans l'Asie occidentale où la plupart sont importés d'Afrique. Dans ce continent, l'esclavage subsiste encore tout le long du XIXe siècle et donne lieu à un trafic considérable; on expédie encore des Noirs au Maroc, dans la Tripolitaine; les caravanes sahariennes se sont détournées de l'Algérie parce que l'esclavage y est aboli depuis 1848 et qu'on met en liberté les esclaves qui y arrivent. Mais dans les colonies et protectorats européens de l'Afrique noire, toutes les puissances ont toléré l'esclavage, institution sociale essentielle. On se borne à empêcher le commerce des esclaves et leur exportation hors d'Afrique. Du côté de l'Asie musulmane, elle continue, malgré les croisières, à traverser la mer Rouge et l'océan Indien. L'Egypte lui a été fermée tardivement. L'aristocratie militaire des mamelouks se recrutait parmi les esclaves étrangers. Plus tard, Mehemet-Ali recrutait son armée d'esclaves noirs qu'il se se procurait par de véritables chasses à l'homme en Nubie et dans les contrées voisines. Celles-ci sont encore à la fin du siècle dominées par les marchands d'esclaves, principaux soutiens du mahdisme. Le commerce des esclaves et les chasses à l'homme dont il était la cause ont été les causes de la désolation du continent africain. Ce commerce a encore traversé le XXe siècle. Le dernier pays a abolir l'esclavage officiellement est la Mauritanie, en 1981. Mais l'esclavage existe encore de nos jours sous diverses formes. L'esclavage aujourd'huiIl existe de nos jours de grandes catégories d'esclavage :1) l'esclavage traditionnel, ou esclavage par ascendance, qui correspond à la perpétuation des anciennes pratiques esclavagistes, et que l'on rencontre notamment en Mauritanie, au Niger, au Soudan et Soudan du Sud (où la traite constinue d'exister), dans certains pays du golfe Arabo-Persique, et en Inde (où l'esclavage est en relation avec le système des castes);Selon l'ONG Walk Free, qui a étudié la situation de 167 pays, il y aurait aujourd'hui (rapport 2016) 45,8 millions d'esclaves. Chiffre qui représente 0,65% de l'humanité en moyenne, mais la proportion est très variable selon les pays : en Corée du Nord, 4,37 de la population est dans l'esclavage; en Ouzbékistan, 3.97%; au Cambodge, 1,65 %, en Inde, 1,40 %; au Qatar, 1,36% (notamment dans le secteur de la construction des infrastructures sportives destinées à accueillir des événements internationaux en 2022 et en 2030). La Mauritanie, qui en 2014 avait encore le premier rang de ce classement est septième deux ans plus tard, avec environ 1% de sa population soumise à l'esclavage. En France (52e rang mondial sur 167), on dénombrerait 12 000 esclaves. Le travail forcé concerne plus des deux tiers des esclaves modernes, selon l'Organisation internationale du Travail (OIT). Près d'un tiers des esclaves sont des enfants (certains pouvant n'avoir pas plus de 5 ou 6 ans), selon un rapport de l'ONU. Plus de la moitié des victimes de l'esclavage sont des femmes et des jeunes filles. Tous les pays sont concernés à des degrés divers. 58% des esclaves vivent dans seulement cinq pays : l'Inde, la Chine, le Pakistan, le Bangladesh et l'Ouzbekistan. L'esclavage (travail
forcé, travail des enfants) est impliqué dans la production
d'au moins 136 biens de consommation courante, dans 74 pays, selon
le département américain du travail. Il génère
150 milliards de dollars par an. (A.-M. B. / Trt.
/ Vorepierre).
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