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Psychologie
(du grec psychè, âme, et logos, discours). -
Pour la philosophie classique, conformément à l'étymologie,
il s'agit de la science de l'âme.
La chose est presque aussi ancienne que la philosophie;
mais le nom ne date guère que du XVIIe
siècle. Wolf, s'il n'est pas absolument le
premier qui s'en soit servi, est du moins le premier écrivain de
quelque célébrité qui ait spécialement désigné
par là une des divisions de la philosophie. Il faut ajouter que,
si la science de l'âme est restée longtemps innommée,
cela tient à ce qu'elle n'était point traitée comme
une science distincte, mais demeurait pour ainsi dire incorporée
aux autres parties de la philosophie, dont elle était considérée
comme le soutien et le point de départ. Que, d'ailleurs, l'étude
de l'âme humaine ait attiré presque dès l'origine l'attention
des philosophes; que Socrate, Platon,
Aristote,
les Stoïciens, les Pères de l'Église,
les scolastiques, aient amassé sur
ce sujet, pour le transmettre à la philosophie moderne,un véritable
trésor d'observations, qui n'a fait que s'accroître et se
coordonner depuis que Descartes a établi
plus scientifiquement, plus méthodiquement qu'on ne l'avait fait
jusqu'alors, l'existence distincte du principe
pensant: il ne pouvait en être autrement, suivant l'idée
que l'on se fait ordianirement de la philosophie.
Si l'on se place
dans la perspective qui fait de l'âme humaine (c'est-à-dire
de sa nature intime, deses attributs essentiels, de ses différentes
fonctions, des lois auxquelles elle est soumise) l'objet de la psychologie,
dès le premier pas, elle se trouve en présence d'objections
plus ou moins spécieuses, bien vieilles au fond, mais sans cesse
renouvelées, qui ne vont à rien de moins qu'à nier
sa légitimité, son droit à exister comme science distincte.
L'âme, disaient les Épicuriens,
est une partie de l'humain au même titre que les mains, les pieds
et les yeux (Lucrèce,
de
Natura rerum, Ill, v. 95 et suiv.), et ils en concluraient que c'est
à la physique qu'appartient l'étude
de l'humain tout entier. Avec plus de science et moins de décision,
le matérialisme moderne dit, au fond,
la même chose, lorsqu'il proclame que le moral n'est que le physique
retourné (Cabanis),
que toutes les facultés de l'humain sont attachées à
son encéphale,
que la pensée n'est qu'une sécrétion du cerveau (Broussais),
et qu'il revendique à ce titre, pour la physiologie, l'analyse des
fonctions du moral humain, que la métaphysique et l'idéologie
ont déclaré devoir être de leur domaine exclusif.
Jouffroy,
dans une polémique spécialement dirigée contre Broussais,
a vivement combattu cette prétention, et établi par les raisons,
les plus fortes la légitimité de la distinction de la psychologie
et de la physiologie : c'est le titre de son Mémoire sur
ce sujet. Voici le résumé de son argumentation : Il ne suffit
pas, pour prouver que la psychologie a un objet qui lui est propre, de
s'appuyer, comme on le fait ordinairement, sur la différence des
phénomènes
de la vie morale et de la vie animale, et de conclure de cette diférence
celle des principes de l'une et de l'autre vie. La différence des
effets ne crée, en effet, qu'une présomption
et nullement une certitude en faveur de la différence des causes.
C'est à celles-ci qu'il faut remonter. Or, si l'on recherche la
cause des phénomèns de la vie animale, on en est réduit
aux hypothèses, comme lorsqu'il s'agit
des forces purement physiques. La respiration,
la digestion,
etc., ont une cause; mais cette cause, qu'est-elle en soi? Est-elle une
ou multiple? etc.
Le problème
se pose différemment à propos de la cause des pensées,
et surtout de la cause des volitions. L'enfant
lui-même, interrogé sur ce sujet, répondrait : C'est
moi
qui pense, c'est moi qui veux. Nous ignorons la cause des phénomènes
de la vie animale : nous avons conscience
d'être cause des phénomènes de la vie morale, et cette
perception
du sens intime embrasse à la fois la cause, l'effet, et l'opération
par laquelle la cause produit son effet. En même temps, la conscience
de l'activité personnelle est un fait permanent et non interrompu.
D'où il suit qu'il y aurait contradiction
à croire que la même cause tantôt eût conscience
d'elle-même dans quelques-uns de ses actes, tantôt s'ignorât
dans d'autres actes. Donc la cause des phénomènes physiologiques
n'est pas identique à la cause des phénomènes moraux
: donc, réciproquement, celle-ci ne se confond pas avec celle-là;
elle est un principe, un être distinct, sinon absolument indépendant,
ayant ses fonctions et son activité propre, et, à ce titre,
elle est et doit être l'objet d'une science distincte. Ainsi, expliquera-t-on,
se trouve établie :
1° la
légitimité de la psychologie, et, tout à la fois;
2° la portée
et la nature intime du principe qui en est l'objet, l'âme ou le moi.
La psychologie n'embrasse
pas seulement, comme on l'a cru et répété à
satiété, l'étude des phénomènes, à
l'exclusion du sujet de ces phénomènes : elle pénètre
ce sujet jusque dans sa nature intime. Dire que l'âme a conscience
de ses pensées et n'a pas conscience d'elle-même, ou que,
si elle en a quelque idée, ce n'est qu'une idée indirecte
comme celle que nous avons de la substance matérielle à propos
de ses qualités perçues, c'est jouer à plaisir sur
les mots pour arriver à une conclusion radicalement fausse. L'âme,
en réalité, se connaît mieux qu'elle ne connaît
quelque autre chose que ce soit : elle se connaît comme une force.
Toute la difficulté vient de notre penchant, naturel ou acquis,
à vouloir nous représenter par l'imagination
ce qui n'est pas susceptible de représentation.
Ces différents points fixés, il n'est bien difficile de déterminer
ni les limites ni la méthode de la psychologie,
ni ses rapports avec les autres sciences philosophiques. C'est un fait
que l'âme et ses modifications, passives ou actives, sont l'objet
d'une perception sui generis, que nous appelons conscience
ou sens intime. La conscience dirigée et concentrée par la
volonté
prend le nom de réflexion : la réflexion
est essentiellement la méthode de la psychologie. Quant à
ses limites, elles sont tracées par cela même. Où s'arrête
la conscience, là devra s'arrêter la psychologie.
"
Le monde interne, dit encore Jouffroy est de toutes parts délimité
par la conscience, et avec lui la psychologie, car l'objet de la psychologie
est d'éclaircir ce que la conscience sait de nous-mêmes, et
là où la conscience ne pénètre pas, il n'y
a rien à éclaircir." (Mélanges. De la science psychologique.)
La psychologie, dans
cette perspective, est évidemment, non pas toute la philosophie,
mais celle des parties de la philosophie à laquelle toutes les autres
viennent se rattacher; la logique et la morale,
"dont l'une nous enseigne à bien raisonner, et l'autre à
bien vouloir," supposent la connaissance
théorique de l'intelligence, des
passions, et de la volonté. Il en est
de même de la théodicée :
ce n'est que par la connaissance de nous-mêmes que nous pouvons nous
élever à la connaissance de Dieu.
L'âme humaine est, d'ailleurs, le centre commun ou naissent toutes
les idées, où viennent se réfléchir toutes
les connaissances. Elle ne peut être sûre de rien, si elle
n'est sûre d'elle-même. Ce ne sont donc pas seulement les sciences
philosophiques proprement dites, mais toutes les sciences, qui sont en
rapport plus ou moins direct avec la psychologie. Partout où un
système psychologique, c'est-à-dire une certaine solution
des questions psychologiques, a prévalu, les caractères de
ces systèmes se sont reflétés dans les autres sciences.
Le Cartésianisme, la philosophie
de la sensation ( Sensualisme;
Locke
et Condillac;), le Kantisme (Criticisme,
Philosophie
transcendantale), en offriraient les exemples les plus remarquables.
(B-e.).
Au cours des vingt
dernières années du XIXe
siècle (disons avec les travaux de Wilhelm Wundt
et de Sigmund Freud), la psychologie a quitté
le giron de la philosophie pour s'engager sur la voie des sciences expérimentales
et médicales. L'étude de l'âme, concept bien peu opérationnel
d'un point de vue scientifique, a cessé d'être son propos.
Désormais, elle se définira, selon les époques, les
leiux et les auteurs, principalement comme la discipline qui étudie
les phénomènes cognitifs (chez les humains et les autres
animaux), ainsi que leurs attitudes, conduites et comportements.
(A19).
--
Distinction
de
la psychologie et de la physiologie
« Une pierre
tombe, voilà un phénomène; donc il a une cause, voilà
la conséquence que l'intelligence en tire. Quelle est cette cause?
Nous la nommons, mais nous ne la connaissons pas. L'arbre végète,
voilà un autre phénomène. Que ce phénomène
ait une cause, cela est incontestable, et nous appelons cette cause «
force végétative ». Mais je n'entends exprimer par
là que ce que je sais, c'est-à-dire que le phénomène
a une cause. Je remue le bras, voilà un troisième phénomène;
ce phénomène a une cause, nul doute; quelle est cette cause?
L'enfant même répond que cette cause c'est moi. Le mot moi
n'est-il, comme le mot gravitation, qu'un signe représentant une
cause inconnue? Examinons.
Quand une pierre
tombe, je vois le phénomène; puis ma raison me force de croire
qu'il a une cause; puis je donne un nom à cette cause, qui m'échappe
: voilà tout. Quand je remue le bras, j'ai pareillement connaissance
du mouvement de mon bras; ma raison m'avertit pareillement que ce mouvement
doit avoir une cause; je puis pareillement donner un nom à cette
cause. Mais est-ce là tout? et ne se passe-t-il rien de plus? Il
se passe autre chose assurément, et si vous voulez vous en convaincre,
répétez l'expérience, et examinez attentivement ce
qui se passe en vous. Vous trouverez qu'avant la production du mouvement
vous aviez conscience d'une cause que vous appeliez moi, et que vous saviez
capable de produire ce phénomène; vous trouverez qu'au moment
où le phénomène s'est produit, vous avez eu conscience
de l'action de cette cause, et de l'énergie par laquelle elle l'a
produit; vous trouverez enfin qu'après la production du phénomène,
vous continuez d'avoir conscience de cette cause et de sa capacité
à le reproduire encore, s'il le fallait. Cette troisième
expérience contient donc d'autres faits que les deux premières
: dans celles-ci je ne connaissais que le phénomène, la cause
m'échappait; dans le mouvement du bras, je connais également
le phénomène, mais avant sa production je connaissais, pendant
sa production j'ai connu, après sa production je continue de connaître
la cause qui l'a mis au monde. Les cas ne sont pas identiques. Là
je ne saisis qu'un des termes du rapport, l'effet; quant à la cause,
elle me demeure inconnue; seulement l'effet me l'annonce, et je crée
un mot pour la représenter. Ici les deux termes m'apparaissent;
je ne conclus pas la cause de l'effet; je saisis l'un et l'autre, la cause
d'abord, l'effet ensuite; et non seulement l'un et l'autre, mais la production
de l'un par l'autre. L'effet est passager, il disparaît; la cause
est permanente, elle reste; aussi je continue de sentir la cause après
que l'effet s'est évanoui, comme j'avais commencé par la
sentir avant que l'effet fût produit. La double perception des deux
termes est amplement témoignée par toutes ces circonstances;
il est bien constant que ce n'est pas une illusion, et que, tandis que
toutes les autres causes naturelles m'échappent, en voici une dont
l'existence individuelle n'est pas comme la leur une hypothèse,
mais un fait.
[...] Les phénomènes
psychologiques sont saisis en nous immédiatement par la conscience,
tandis que, pour saisir les autres, il faut que nous sortions de nous,
et que, par des expériences détournées et difficiles
sur le corps humain ou sur celui des animaux, nous rendions visible à
nos sens cette vie qui n'est pas la nôtre, et dont notre conscience
ne nous dit rien. Cette double diversité achève de jeter
entre les deux sciences une séparation profonde; il est impossible
que deux études qui ont des objets si différents, qui exigent
des aptitudes et procèdent par des moyens si divers, s'identifient
jamais. Leur essentielle diversité ne se fait jamais mieux sentir
que dans les excursions obligées de chacune de ces sciences dans
le domaine de l'autre. Quand il arrive à un physiologiste d'introduire
sur la scène de la vie animale un phénomène psychologique,
ou réciproquement, à un psychologue sur la scène de
la vie intellectuelle et morale, un phénomène physiologique,
dans ces deux cas ce phénomène a l'air d'un étranger
qu'on appelle d'un pays dont on ne connaît ni la langue, ni les moeurs,
et qu'on traite avec embarras. »
(Jouffroy,
Nouveaux
mélanges).
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