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La pensée et ses outils > Philosophie > Théorie de la connaissance > La méthode scientifique |
Des
objets de nos connaissances,
les uns sont des phénomènes individuels,
des vérités particulières et contingentes;
les autres, des réalités supposées absolues,
des vérités que l'on considère comme universelles
et nécessaires. Celles-ci sont conçues
par la raison; ceux-là sont du ressort
de la conscience et des sens.
L'observation, c'est l'application d'abord spontanée, puis
réfléchie et méthodique de ces dernières facultés
aux objets auxquels elles sont naturellement propres. N'oublions pas qu'il
s'agit de faits; il n' y a pas d'autre manière de les connaître
que de les observer; il s'agit de faits différents : il faut les
observer avec des facultés différentes : les couleurs avec
la vue, les grandeurs et les formes avec le toucher, les idées
et les passions avec la conscience.
L'observation est l'acte par lequel le sujet de la connaissance s'applique à un fait ou à un ensemble de faits, en vue de le connaître et de l'expliquer. On petit donc dire que c'est un cas particulier de l'attention. Mais tandis que l'attention peut être éveillée par la façon toute particulière dont un objet affecte notre sensibilité ou par son accord ou son désaccord avec notre vouloir, l'observation n'est suscitée que par ce qui intéresse notre intelligence. Elle est comme la forme intellectuelle de l'attention. Elle en est même la forme scientifique, en ce sens qu'il n'y a pas observation véritable s'il n'y a pas un désir et même un pressentiment d'une explication ultérieure des faits observés. L'attention se contente du fait en lui-même, l'observation ne l'enregistre que dans l'espoir d'en dégager une loi, une régularité, ou d'y saisir un trait caractéristique d'une espèce. Nous distinguerons successivement l'observation extérieure qui porte sur les phénomènes du monde visible, et l'observation intérieure qui porte sur les faits de conscience. Quand nous aurons appris à connaître l'observation comme méthode, nous chercherons ce qu'elle exige en tant que faculté de l'esprit, pour se développer, c.-à-d. comment l'on peut acquérir et fortifier en soi l'esprit d'observation. Observation
extérieure
La première distinction que l'on
croie pouvoir faire, dit cet auteur, entre l'observation et l'expérience,
est celle de la passivité à l'activité. L'observateur
constaterait simplement des faits; l'expérimentateur les déterminerait.
Mais, dit Claude Bernard, l'esprit ne reste plus toujours inactif comme
la main dans l'observation. S'il y a des observations passives, faites
au hasard, sans idée
préconçue (l'observation d'une maladie endémique quelconque
qui se manifeste dans une contrée, ou d'une planète qui passe
par hasard dans le champ de la lunette d'un astronome), il y a aussi des
observations actives, faites « avec intention de vérifier
l'exactitude d'une vue de l'esprit ». Peut-être même
faut-il aller plus loin que Cl. Bernard et dire qu'il n'y a pas d'observation
absolument passive, que, si l'on peut observer sans idée préconçue
particulière, sans l'idée arrêtée d'une explication
déterminée, l'on n'observe jamais sans l'idée d'une
explication possible et de la nature même de cette explication. Observer,
c'est déjà, dans une certaine mesure, interpréter.
Toute observation consiste à faire un choix entre les nombreux faits
de détail qui constituent un phénomène particulier
et à ne noter que ce que l'on sait devoir être utile à
la connaissance : l'heure du passage de la planète observée,
par exemple, à un point du ciel. D'un autre côté, continue
Cl. Bernard, s'il y a des expériences actives, ou la main de l'expérimentateur
doit intervenir (pour établir une fistule gastrique, par ex.), il
peut y avoir des expériences en quelque sorte passives, où
l'opération est réalisée par un accident (la fistule
de l'estomac peut se produire à la suite d'une blessure).
Pour établir une distinction réelle entre l'observation et l'expérience, Cl. Bernard distingue le procédé d'investigation employé pour obtenir les faits du procédé intellectuel qui les met en oeuvre. Du point de vue de l'investigation, qui est le point de vue concret, celui de la recherche des faits, l'observation se distingue de l'expérience en ce qu'elle est l'investigation d'un phénomène naturel, tandis que l'expérience est l'investigation d'un phénomène modifié par l'expérimentateur. Cette définition diffère de la première des deux définitions que nous avons successivement rejetées en ce qu'elle ne laisse pas l'observateur passif, mais le considère au contraire comme ayant le devoir d'aller au-devant des phénomènes par tous les moyens qui sont en son pouvoir, de les analyser mentalement (non matériellement, comme l'expérimentateur) et en se servant même d'instruments spéciaux pour n'en garder que l'essentiel, l'instructif. ( à cet égard, Stuart Mill, Système de logique induction et déductive, I.III, ch. VII, § 1.) Et elle diffère de la seconde définition rejetée en ce qu'elle est moins exclusive, en ce qu'elle ne prétend pas établir une distinction absolue et unique entre l'observation et l'expérience, fondée sur l'action réelle que l'expérimentateur seul a sur les phénomènes; en ce qu'elle laisse au contraire place à une autre définition, fondée sur l'analyse du raisonnement expérimental. Du point de vue du raisonnement expérimental, qui est le point de vue logique, abstrait, observation et expérience ne diffèrent plus comme deux méthodes différentes, mais comme deux moments différents d'une même méthode. L'observation alors est, ou bien le fait qui sert de point de départ au raisonnement, ou bien l'action de l'esprit qui montre ce fait initial, tandis que l'expérience est, ou bien « le fruit d'un raisonnement juste appliqué à l'interprétation des faits », ou bien le fait décisif qui nous instruit, qui sert de contrôle ou de conclusion au raisonnement expérimental. L'expérience, considérée ainsi comme un fait permettant de contrôler une hypothèse et comme le dernier moment du raisonnement scientifique, peut être simplement une observation, au premier sens du mot, c -à-d. un fait qui se sera produit naturellement, sans que nous ayons eu le besoin, ni même parfois le pouvoir de faire varier expérimentalement ses conditions. C'est précisément ce qui se produit dans les sciences d'observation pure, comme l'astronomie, dans les sciences où nous ne pouvons pas expérimenter et où nous avons à retrouver les causes par les effets sans pouvoir faire varier les effets en agissant sur les causes (S. Mill, loc. cit., 3 et 4). Dans ces sciences, comme le fait remarquer S. Mill, nous ne pouvons atteindre qu' « une antecédance invariable dans les limites de l'expérience, mais non une antécédence inconditionnelle ou la causation ». L'observation étant ainsi définie et distinguée de l'expérience et de l'expérimentation, il nous reste à faire remarquer avec, Cl. Bernard (loc. cit., § 5 et 6) que dans l'expérience même l'observation reprend ses droits. Toute expérience, en effet, au sens de fait contrôlant une hypothèse, est, ou bien une observation invoquée pour le contrôle (dans les sciences d'observation pure), ou bien une observation provoquée par l'expérimentateur (dans les sciences d'expérimentation), c.-à-d. qu'une fois l'expérience commencée, il reste à observer ce que la nature répondra. Pour cela, il faut que le chercheur se débarrasse de toute idée préconçue, qu'il prenne bien soin d'observer réellement ce qui se passe, de ne pas faire d'inférences hâtives ( S. Mill, loc. cit., I. IV, ch. 1, § 2, et V, IV, 5) et d'éviter tous ces sophismes. (ibid., V, IV) qui viennent, ou bien de ce que l'on oublie de noter certains faits, ou bien de ce que l'on néglige des circonstances importantes d'un fait donné. L'observation devra être exacte, c.-à-d. qu'on ne devra rien ajouter ni omettre; elle devra être précise, c.-à-d. qu'on devra autant que possible apprécier la quantité de faits observés, les mesurer ; elle devra enfin être méthodique, c.-à-d. « procéder régulièrement d'un objet à un autre » (Rabier, Logique, ch. VII, § 2). Pour cela l'observateur ne devra négliger aucun instrument qui puisse étendre la portée ou augmenter la précision de ses sens, on même les suppléer avantageusement. Observation
intérieure ou psychologique.
1°) Observation scientifique ou
introspection. La méthode d'observation intérieure en
psychologie fait surtout préconisée à la fin du XVIIIe
siècle et au commencement du XIXe
par l'école écossaise (Reid,
Dugald Stewart, etc.). Elle s'introduisit en France,
principalement sous l'influence, de cette école (Boutroux,
Etudes d'histoire de la philosophie) et par réaction contre
la méthode constructive
Avec l'école anglo-américaine
(James Ward, William James), la psychologie d'observation intérieure,
reprise surtout en France par Bergson,
s'occupe non plus de rechercher des lois de composition ou de combinaison
entre des faits internes déterminés, mais de saisir, sous
les déformations abstraites que les nécessités de
la vie pratique introduisent dans notre conscience, la réalité
psychique fondamentale ( J. Ward,
art. Psychology de l'Encyclopédia Britannica; W. James,
Psychology, - surtout ch. IX du 1er
vol. ; Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience; Matière et Mémoire). Pour reprendre
la très intéressante distinction de W. James, il y a dans
la conscience des parties substantielles (images, sentiments), érigées
par l'ancienne psychologie en réalités indépendantes,
et des parties transitives qui sont surtout les processus psychiques, l'activité
mentale continue aboutissant à ces sentiments on à ces images.
Les parties substantielles sont comme des choses dans la pensée;
c'est dans les parties transitives que l'observation intérieure
doit s'efforcer de ressaisir la pensée même. Or elle ne le
peut qu'en faisant appel à la connaissance immédiate que
nous avons des réalités psychiques, en nous déshabituant
des formes arrêtées, délimitées dans l'espace
et dans le temps, que les nécessités
de l'action nous font donner aux phénomènes,
en nous faisant retrouver sous ces formes ce qu'il y a de fluide dans les
états de conscience, la multiplicité vivante de transformations
qualitatives qui se pénètrent réciproquement. Mais
cette méthode nouvelle, par cela même qu'elle consiste à
prendre conscience de la vraie nature de la pensée,
suppose que nous avons l'idée de cette vraie nature. En prendre
conscience, ce sera confronter toutes les déformations inférieures,
toutes les expressions inexactes de la pensée avec cette idée
que nous en avons ; ce sera réfléchir sur elles et juger
dans quelle mesure elles s'en approchent ou s'en éloignent. Il semble
donc qu'il n'y ait pas là observation proprement dite, mais interprétation,
réflexion.
L'observation morale n'a pas seulement pour but la connaissance théorique des humains ou le plaisir esthétique que l'on goûte à les faire revivre dans une oeuvre d'art. Elle peut avoir aussi un intérêt pratique. Cet intérêt est double. Nous pouvons nous observer et observer les autres, ou bien dans l'intention morale de devenir nous-mêmes et de rendre les autres meilleurs, ou bien dans l'intention prudente de nous conduire habilement et d'user d'autrui pour des fins particulières Cette seconde forme de l'observation morale est ce que l'on entend ordinairement par la connaissance des autres. C'est celle que nous exigeons des politiques et que nous pratiquons à des degrés divers dans la vie quotidienne. Mais elle n'aboutit le plus souvent qu'à connaître les faiblesses d'autrui et repose au fond, si l'on en fait une règle de l'action, sur un certain mépris des humains qui seul peut permettre de les traiter comme des moyens, c.-à-d. comme des choses. En ce sens, observer les humains, c'est observer ce que nous croyons qu'ils sont, et nullement ce qu'ils peuvent être en réalité ou ce qu'ils sont capables de devenir. La véritable observation morale tient compte de ce progrès toujours possible : elle est limitée par la conscience de ce que nous ne pouvons observer. Elle est fondée sur la connaissance de notre devoir et porte sur les moyens pratiques que nous avons de le réaliser. Elle tire aussi un grand parti de la connaissance des sentiments que font naître chez les autres nos propres actions, et des résultats réels, que souvent, en dépit de nos intentions, nous avons atteints. De
la faculté d'observer.
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