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Considérée dans sa manifestation, la volonté est le pouvoir de prendre une détermination; dans sa nature, c'est la liberté spontanée éclairée et conseillée par l'intelligence. Vouloir, c'est se diriger soi-même au lieu de se laisser diriger; c'est, à la place d'une détermination qui vient du dehors, en prendre une qui vient de nous; c'est user de nos facultés pour atteindre un but. La volonté a dû s'éveiller en nous spontanément; il faut que nous ayons voulu spontanément, pour savoir que nous pouvons vouloir; mais il suffit d'un seul fait pur nous l'apprendre à toujours, et pour que la conscience nous atteste que, même quand nous ne voulons pas, nous pouvons toujours vouloir. La volonté se confond avec l'existence et la causalité du moi; aussi, comme dit Descartes, elle est ce qu'il y a en nous de plus proprement nôtre, ou plutôt elle est nous-même, et constitue pour ainsi dire à elle seule la personne humaine. C'est par la volonté que l'humain est réellement cause et responsable; c'est ce qui la distingue de la sensibilité et de l'intelligence, qui sont de leur nature fatales. C'est par suite de cette différence qu'on oppose la volition qui est libre et imputable, au désir qui est instinctif, spontané, non imputable en lui-même. L'être humain a la volonté, pour qu'il tende lui-même à son bien; il en résulte qu'elle est en rapport constant avec les autres facultés, dont elle subit l'influence et sur lesquelles elle réagit d'une manière puissante. La volonté peut être envisagée, et, de fait, l'a été, soit comme une des facultés, la plus importante peut-être chez les humains, soit comme un principe possible d'explication universelle. Nous l'examinerons successivement à ces deux points de vue dont le La volonté selon la psychologie. Ainsi Socrate n'admet que deux grandes facultés, les sens et l'intelligence, qui l'une et l'autre inclinent et déterminent l'humain à l'action. Platon, il est vrai, entre les sens qu'il ne distingue pas de l'appétit ou du désir et la raison qu'il identifie avec l'intelligence, intercale un troisième terme qu'il nomme le coeur ou le courage et qu'il décrit comme une activité généreuse et irréfléchie, tour à tour soumise aux influences de l'appétit et de la raison; et il est facile de reconnaître dans le thumos platonicien quelques-uns des traits de la volonté; mais cette conception s'efface à peine ébauchée. Aristote, en effet, fonde toute sa psychologie sur la distinction et l'opposition des facultés sensitives et des facultés intellectuelles. L'activité n'est pas considérée comme une troisième puissance de l'âme humaine, mais comme un simple aspect des deux autres : intelligence et sensibilité. Pour mieux dire, la volonté résulte d'une sorte de rencontre et de fusion des facultés sensitives et des facultés intellectuelles : elle est une synthèse de l'appétit et de la raison; c'est un « appétit rationnel ». Néanmoins, Aristote attribue à la volonté un pouvoir tout à fait singulier, qui n'appartient à aucun des éléments dont elle est la résultante, à savoir : la liberté, comme si l'instinct, en devenant éclairé, changeait de nature. En un sens, la volonté n'est pas libre, car elle tend nécessairement et universellement au bien, mais le choix des moyens propres à la conduire à cette fin dépend de son libre arbitre. Telle est la doctrine qui prévaut dans la philosophie scolastique, en particulier chez saint Thomas. C'est seulement à partir de Descartes que la volonté commence à se séparer de l'intelligence et à se poser en quelque sorte en face d'elle, comme une puissance distincte et autonome. A l'antithèse : sensibilité et intelligence, se substitue l'antithèse : intelligence et volonté. L'intelligence, en effet, d'après Descartes, est passive et par conséquent ne se distingue pas, au fond, de la sensibilité. Il n'y a de véritable activité que dans la volonté. D'autre part, l'intelligence est bornée et fatale, la volonté est infinie et libre; et sa liberté consiste en ceci : « que nous pouvons faire une chose ou ne la faire pas ».Les successeurs de Descartes, Pascal, Malebranche, Leibniz, etc., adopteront cette; vue fondamentale de la dualité des facultés intellectuelles et des facultés morales. Pour Condillac et son école, la volonté était la réunion de la sensation agréable ou désagréable, du besoin, du malaise, de l'inquiétude, du désir, de la passion, de l'espérance, et du phénomène spécial que l'espérance, jointe à la passion, détermine. La psychologie du XIXe siècle réconciliera en quelque sorte les conceptions opposées d'Aristote et de Descartes en ramenant toutes les facultés de l'âme humaine à ces trois facultés principales : sensibilité, intelligence, volonté, et en considérant la volonté comme le point culminant où viennent se rejoindre et se pénétrer les deux autres. La délibération est plutôt affaire d'intelligence ou de sensibilité, et l'on peut même remarquer que, parmi les humains, les uns délibèrent plutôt avec leur intelligence « dans leur tête », les autres avec leur sensibilité « dans leur coeur »; ou plus exactement un même individu peut, selon les circonstances délibérer d'une manière à un certain moment, et de l'autre à un autre moment. L'acte propre de la volonté réside dans la détermination qu'on appelle encore volition, résolution, décision, etc. Quelque nom qu'on lui donne, elle consiste essentiellement dans un choix; deux actes possibles sont en présence - se déterminer ou se résoudre, c'est choisir celui des deux qui se réalisera. D'autre part, si l'on considère que de ces deux actes possibles, il y en a presque toujours un vers lequel l'âme se sent plus fortement inclinée par le désir, on peut dire encore que la détermination consiste essentiellement dans un consentement ou un refus. L'exécution ou l'acte proprement dit est l'effet extérieur et final de la volonté. Elle manque parfois quand l'acte se trouve devenu impossible par suite de quelque changement imprévu dans les circonstances extérieures. Parfois aussi elle est séparée de la détermination par un plus moins long intervalle : c'est le cas des projets, des intentions, des velléités. D'ordinaire, cependant, vouloir et agir ne font qu'un, et la détermination coïncide avec le point de départ de l'exécution. Au moment même où on se décide, on a conscience d'un effort qui est le commencement et comme le signal de l'action. Dans les cas très simples, l'acte volontaire se réduit à ces trois éléments : l'idée de l'acte possible, le consentement et l'effort. J'ai besoin de consulter un livre qui est devant moi sur ma table : penser à prendre ce livre, le vouloir et le faire, tout cela se passe en un clin d'oeil. Aussi n'est-il pas surprenant que certains psychologues, surtout ceux de l'école empirique ou associationniste, aient cru pouvoir ramener la volonté, soit au jugement, soit au désir. Cette dernière théorie est celle de Condillac, qui définissait la volonté comme « un désir prédominant et absolu ». Toutefois, il reste toujours, entre le désir et la volonté, cette grande différence, que le désir nous apparaît comme fatal, et la volonté comme libre. Ainsi que le plaisir et la douleur, ainsi que toute sensation et toute passion, le désir naît sans notre consentement , souvent à l'improviste, dès qu'un certain objet se présente ou qu'une certaine idée se réveille. Le plus honnête homme du monde ne peut pas répondre qu'il n'éprouvera jamais de mauvais désirs. Au contraire, nous nous croyons libre de céder au désir ou de lui résister, de vouloir ou de ne pas vouloir l'action à laquelle il nous sollicite.
Si nous considérons la volonté, nous disent les auteurs du XIXe siècle, non plus dans ses conditions internes, mais dans ses effets plus ou moins extérieurs, nous pouvons dire qu'elle exerce tout d'abord son empire sur l'organisme, par l'intermédiaire des nerfs moteurs, les muscles étant les seules parties du corps qui paraissent directement soumises à son influence. A l'origine, les contractions musculaires et les mouvements qui en résultent sont des effets de la spontanéité ou de l'instinct. L'enfant aux premiers jours de la vie remue tous ses membres sans le vouloir, inconsciemment, sous l'impulsion du plaisir, de la peine, du désir ou de quelque autre sensation, parfois aussi, sans cause apparente, comme pour dépenser le trop plein de ses forces. La volonté sort par degrés de cette activité primitive. Il faut, en effet, que nous apprenions à mouvoir nos différents organes, c.-à-d. à refaire volontairement ce que nous avons d'abord fait par instinct. Aussi remarque-t-on que les premiers mouvements volontaires de l'enfant sont souvent incertains et maladroits : par exemple, les mains se portent plus loin ou plus près qu'il ne faut pour saisir les objets. On en pourrait dire autant des yeux qui ne s'accommodent pas dès les premiers jours aux distances. La grande difficulté dans cet apprentissage de la volonté, c'est d'arriver à dissocier, à isoler des mouvements qui tendent d'eux-mêmes à se produire ensemble. Celui qui apprend à écrire, à jouer du piano, etc., fait toujours beaucoup plus de mouvements qu'il ne faut : aussi doit-il s'exercer à supprimer tous les efforts inutiles pour concentrer en quelque sorte toute sa force dans un mouvement unique. La volonté n'a pas seulement sur les muscles une action positive. Elle peut empêcher aussi bien que produire le mouvement. Cette action négative exige parfois une dépense de forces considérable. Suspendre sa respiration, retenir ses cris, ses sanglots, rester immobile malgré la fatigue ou la peur, voilà autant d'exemples de la volonté considérée comme puissance d'inhibition, selon le mot des physiologistes. L'exercice et l'habitude accroissent en quelque sorte indéfiniment l'empire de la volonté sur les organes. On en trouverait des preuves sans nombre dans tous les prodiges de force ou d'adresse accomplis par les professionnels de la gymnastique, des différents sports, de la musique, etc. Si on envisage les effets produits par la volonté sur l'intelligence, on voit tout d'abord qu'elle est le principe de l'attention et par conséquent la condition nécessaire de la connaissance claire, et distincte. Quelle que soit sa vivacité naturelle, l'intelligence n'irait pas bien loin sans la volonté : elle ne s'appliquerait qu'aux objets qui se présentent d'eux-mêmes aux sens et n'y percevrait que les qualités les plus apparentes et les plus superficielles. Elle s'arrêterait donc au premier degré de la généralisation et du raisonnement, et c'est à peine si les germes de raison qu'elle contient réussiraient à éclore. La volonté a été aussi considérée par Descartes comme le principe de la croyance, et par conséquent du jugement et de l'erreur, et cette doctrine a été reprise par un assez grand nombre de philosophes ultérieurs : Sécrétan, Renouvier, Brochard. Croire, selon Descartes, c'est donner ou refuser son assentiment à une synthèse d'idées que l'intelligence propose, mais n'impose pas, car cet assentiment est libre. D'autre part, la croyance, de même que la volonté, confère aux idées une réalité objective : tant que l'idée n'est pas encore crue ou voulue, elle n'est qu'un pur possible. Croire ou vouloir, c'est faire qu'elle se réalise; et de là vient que toute croyance tend à passer dans les actes et se manifeste dans la conduite bien plus fidèlement que dans le discours. Ainsi croire qu'une chose est un bien et vouloir posséder ou acquérir cette chose, c'est tout un. A l'égard de la sensibilité l'influence de la volonté est presque toujours indirecte. Nous ne pouvons en effet supprimer à notre gré les sensations et les désirs, mais nous pouvons du moins nous opposer à leurs manifestations extérieures et à leur satisfaction; en détournant notre pensée vers d'autres objets, nous pouvons les affaiblir ou même les annuler. Il est même en notre pouvoir de susciter et de développer en nous certains sentiments si nous recherchons volontairement toutes les occasions qui peuvent les faire naître, si nous évoquons et maintenons dans notre esprit les idées auxquelles ils sont attachés, si enfin nous nous complaisons à les manifester et à les satisfaire. C'est ainsi qu'on peut se rendre soi-même courageux ou peureux, affectueux ou égoïste, gai ou mélancolique, etc. Au point de vue de l'éthologie, c.-à-d. de la psychologie des caractères, les humains ne sont pas moins différents et différents entre eux sous le rapport de la volonté que sous le rapport de la sensibilité et de l'intelligence; et ces différences tiennent en partie à la nature originelle, en partie aussi à l'éducation et aux circonstances. Si on essaie de concevoir un type idéal de volonté parfaite, on peut, ce semble, distinguer trois ordres de caractère relatifs aux trois éléments dont se compose l'acte volontaire : délibération, détermination, exécution. En premier lieu, la volonté sera évidemment imparfaite, soit si la délibération est absente et insuffisante, soit si elle se prolonge au point de rendre impossible la détermination finale. De ce type s'écartent également, mais en sens contraire, les étourdis et les impulsifs d'une part, de l'autre les hésitants et les indécis. A l'égard de la résolution il y a lieu de distinguer, d'abord la facilité plus ou moins grande avec laquelle on se résout, ensuite le plus ou moins de force avec laquelle on maintient la résolution une fois prise. Il y a des gens qui ne s'engagent pas volontiers dans une entreprise nouvelle et qui redoutent et fuient les occasions de prendre parti. Ceux-là ont une volonté à qui non seulement fait défaut l'initiative, mais, à qui l'action même répugne. D'autres, au contraire, sont volontiers entreprenants; il ne leur en coûte guère d'ébaucher toutes sortes de projets, mais leurs décisions hâtives manquent de fixité et de constance. L'idéal, à ce point de vue, serait une volonté qui toujours prête à s'exercer resterait ferme dans ses décisions. Enfin, la principale qualité que la volonté peut déployer dans l'exécution est sans doute la persévérance. A mesure que le temps s'écoule, que les difficultés grandissent ou se multiplient, la force de la résolution primitive tend à décroître à moins qu'elle ne soit sans cesse renouvelée par le fond même d'où elle est sortie, c.-à-d. par l'énergie constitutive de la faculté de vouloir. En somme, tous ces caractères de la volonté idéale pourraient se ramener à un seul, à savoir la force, de même que toutes les imperfections ou insuffisances de la volonté ont pour origine sa faiblesse. A quoi tient maintenant la force ou la faiblesse de la volonté chez les divers individus? Il est vraisemblable, nous disent toujours les mêmes auteurs, qu'une des conditions principales de la puissance native de la volonté réside dans l'organisation corporelle, dans ce qu'on appelle le tempérament. En général, la volonté est plus forte chez une personne robuste, vigoureuse qui peut dépenser sans fatigue une grande somme d'activité physique, dont le système nerveux, modérément excitable, ne s'épuise qu'avec une extrême lenteur et reconstitue rapidement ses réserves. Toutefois, comme la volonté est inséparable de la sensibilité et de l'intelligence, il arrive souvent qu'elle compense, et même au delà, ce qui lui manque de force du côté de ses conditions physiques par ce qu'elle en reçoit de ses conditions intellectuelles et morales. Ainsi une intelligence très haute et très nette, ou bien encore une sensibilité ardente et passionnée peuvent montrer une volonté héroïque dans un corps infirme ou maladif. Rappelons d'ailleurs que la force originelle de la volonté n'est pas une quantité fixe qui reste invariable pendant toute la durée de la vie, mais qu'elle peut au contraire croître ou décroître selon l'usage même que nous en faisons. Plus on s'exerce à vouloir, plus la volonté se fortifie. Celui qui recule trop souvent devant l'action devient à la longue incapable d'agir. Les rapports que la volonté entretient avec l'état de l'organisme expliquent les maladies auxquelles elle est sujette et qu'un psychologue, Ribot, a étudiées dans son livre intitulé les Maladies de la volonté. Elles ne sont d'ailleurs que l'exagération des défauts que nous avons indiqués ci-dessus. On leur donne le nom générique d'aboulie (mot à mot impuissance de vouloir), et on peut, ce semble, les ramener à trois grands types correspondants aux trois éléments de l'acte volontaire, selon que le malade est un impulsif, un suggestible (aboulique par impuissance de délibération), ou qu'il est en proie à la manie du doute (aboulique par impuissance de détermination) ou qu'il est comme paralysé par l'idée même de l'action (aboulique par impuissance d'exécution). La volonté selon la métaphysique. Mais ce problème se pose d'une manière plus générale encore en dehors et au-dessus du matérialisme, entre deux philosophies opposées qu'on pourrait appeler, l'une philosophie de l'intelligence, et l'autre philosophie de la volonté. Il y a, en effet, un idéalisme intellectualiste qui subordonne la volonté à l'intelligence, ou plutôt qui considère la volonté comme une simple conséquence de l'intelligence. Telle est la doctrine de Leibniz, telle aussi celle de Hegel. Le principe des choses serait alors un entendement éternel, où toutes les idées s'engendreraient et se détermineraient les unes les autres selon les nécessités évolutives d'une logique inflexible : la volonté n'apparaîtrait au cours de cette évolution que comme un produit des idées mêmes. Mais on peut aussi concevoir un idéalisme supra-intellectualiste, si toutefois ce nom d'idéalisme peut encore convenir ici, pour lequel le premier principe serait la volonté absolument libre, indéterminée, ayant en quelque sorte pour devise le sum qui sum du Yahveh hébraïque. Il semble que telle ait été la doctrine de Descartes attribuant à Dieu tout ensemble l'entendement et la volonté, mais affirmant que la volonté en lui est antérieure et supérieure à l'entendement. Kant lui-même semble être revenu à cette conception, lorsqu'il a placé dans le noumène le principe suprême, d'ailleurs inconnaissable pour nous, de l'univers phénoménal, et lorsqu'il a opposé ce principe comme une liberté absolue au déterminisme universel de la nature. Il n'est donc pas surprenant qu'après lui Schopenhauer ait délibérément affirmé la volonté comme étant, à l'exclusion de l'intelligence, le véritable principe métaphysique des choses. On retrouve, quoique sous des formes bien différentes, la même tendance à affirmer la primauté de sa volonté sur l'intelligence chez un grand nombre de philosophes du XIXe siècle et du début du siècle suivant, particulièrement en France (Renouvier, Sécrétan, Lachelier, Boutroux, Bergson, etc.), et l'on peut considérer la philosophie des idées-forces de Fouillée comme une tentative pour concilier les deux principes opposés de la volonté et de l'intelligence dans une ingénieuse synthèse. (E. Boirac).
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