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Histoire de la philosophie > Philosphie grecque > Aristote |
La doctrine d'Aristote,
l'Aristotélisme, est aussi connue dans l'histoire de la philosophie
sous le nom de Péripatétisme (du grec Peripatein,
se promener) parce que ce philosophe avait l'habitude
d'enseigner en se promenant dans les galeries du Lycée.
Pour résumer la philosophie d'Aristote, et la saisir dans ses traits généraux, il faut d'abord bien entendre la théorie qui la domine et qu'il a exposée dans le traité connu sous le nom de Métaphysique. II est nécessaire à qui veut avoir, de quelque chose que ce soit, une science accomplie, d'en connaître : 1° la substance ou matière première, c.-à-d. ce dont la chose est faite;Ainsi, d'une statue, nous savons tout ce que nous en pouvons savoir lorsque nous en connaissons la matière, la forme, l'auteur, la destination. Comme cela est également vrai des plus grands et des plus vastes objets, et du monde entier, toute science en définitive se résout dans la science des principes, et tel est en effet le caractère, telle est la nature de la philosophie première. Elle est la science des premières causes et des premiers principes. Les principes sont au nombre de quatre : la Matière, la Forme, la Cause motrice ou efficiente, la Cause finale. Mais en y regardant de plus près, on voit qu'ils sont susceptibles de simplification; effectivement, si la matière existe indépendamment de la forme; si le marbre, avant de devenir, sous la main du sculpteur, Dieu, table ou cuvettle (La Fontaine), existait à l'état de bloc informe, la forme que celui-ci lui communique n'est indépendante ni de son travail, ni de la pensée dans laquelle il l'a exécuté. Donc, en réalité, le nombre des principes doit être réduit de quatre à deux : 1° la Matière par elle-même indéterminée;En raison de cette aptitude à devenir indifféremment tel ou tel objet, Aristote nomme la matière, considérée dans son universalité, la Puissance des contraires, ou simplement la Puissance; là cause qui lui donne l'être actuel, il la nomme l'Acte. Tout ce qui existe réellement (et, disons-le en passant, ce qui existe réellement, suivant Aristote, et contrairement à l'opinion de Platon, ce sont les êtres individuels) existe par l'union de l'Acte et de la Puissance C'est en cela que consiste l'Entéléchie péripatéticienne. Ces principes posés, il s'agit d'en saisir les rapports, et d'en suivre les développements dans la nature, dans les animaux, dans l'humain, dans son âme, dans les différentes fonctions de celle-ci. De là une physique, une histoire naturelle, une psychologie, une logique, une morale, une politique, toutes en relation plus ou moins étroite avec la métaphysique : c'est la métaphysique qui fait le lien et l'unité de toute la doctrine péripatéticienne. La physique d'Aristote, trop systématique, trop en dehors de l'observation, a fini par perdre tout crédit. Il n'en est pas de même de la philosophie proprement dite; le Traité de l'âme et les petits écrits qui s'y rattachent, les écrits logiques réunis sous le nom d'Organon. les deux traités de morale dédiés à Eudème et à Nicomaque, la Métaphysique surtout, contiennent des parties acquises à tout jamais à la science philosophique réelle a été d'ailleurs, en durée et en puissance, l'autorité du Péripatétisme, que ses erreurs mêmes sont de celles dont il faut tenir compte. Nous indiquerons ici un petit nombre de résultats positifs, les solutions données par ce système aux questions fondamentales de la philosophie: sur la nature de l'âme, elle est, non seulement dans l'humain, mais dans tout être vivant, le principe intérieur du mouvement et de la vie, "l'acte d'un corps naturel qui a la vie en puissance". C'est à elle surtout qu'Aristote applique le nom d'entéléchie. Distincte du corps sans pouvoir en être séparée, elle préside ans fonctions de la nutrition et de la génération, de la sensibilité, de intelligence, sans qu'on puisse affirmer bien décidément (c'est un des côtés les plus faibles de la philosophie d'Aristote) si l'on doit entendre qu'il y a, dans l'humain par exemple, trois âmes différentes : une âme nutritive, une âme sensible, une âme raisonnable; ou seulement trois fonctions du même principe. Même incertitude en ce qui concerne l'immortalité,qui, en tout cas, ne serait le partage que de l'âme raisonnable. Les parties vraiment expérimentales de la psychologie péripatéticienne, la description de la sensibilité, des appétits, des passions, de la raison, etc., sont plus satisfaisantes., "Aristote, dit H. Martin, a signalé l'entendement et le libre arbitre comme conditions de la Morale. Mais, au lieu de s'adresser à l'entendement et à la conscience, qui lai auraient donné le devoir comme principe de la morale, il a demandé le principe à l'empirisme, et il a cru le trouver dans le désir du bonheur. Suivant lui, le bonheur, et par conséquent le devoir de l'être intelligent c'est de faire passer autant que possible toutes les facultés de la puissance à l'acte; c'est de les développer complètement et simultanément. Ce développement des facultés doit résulter, non d'efforts isolés, mais d'une habitude durable, qui est la vertu."Aristote distingue des vertus intellectuelles et des vertus morales. II fait consister toutes ces dernières dans un juste milieu, entre deux excès contraires, ce qui exclut du nombre des vertus morales le désintéressement absolu et le dévouement sans bornes. Pourtant sa morale se recommande par d'excellentes observations et de profondes analyses. Sa Politique est fondée de même empiriquement sur le principe de l'utile. Elle est la conclusion de sa morale, où il s'est proposé moins de donner des règles de conduite que de montrer quelles sont les qualités qu'il faut développer dans l'humain. Dans sa Politique, il enseigne, dune part, comment l'ordre social sert à ce développement; d'autre part, comment le politicien doit se conduire sous diverses formes de gouvernement, pour en tirer la meilleur parti possible, et non pour le réformer. II approuve l'esclavage comme un fait utile et consacré par l'usage; il semble même le considérer comme un fait fondé sur la nature. Aristote érige ainsi en lois des faits condamnables. Comme doctrine philosophique, c'est incontestablement
dans la théodicée qu'Aristote a
été le plus loin et le plus haut; non pas que sa science
soit parfaite et irréprochable de tout point; nous allons en signaler
les principales erreurs : la matière y est indépendante de
Dieu
pour son existence; elle est éternelle comme Dieu. Dieu, quoique
moteur universel, reste enfermé dans sa
pensée
solitaire, parce qu'il meut, c.-à-d. gouverne la monde, non comme
cause efficiente, par un acte exprès de volonté, mais comme
cause finale et comme objet de désir, toutes
choses gravitant vers lui comme vers leur fin et leur bien suprême.
Mais en réduisant la matière à n'être que la
puissance des contraires, c.-à-d. en la rapprochent autant que possible
du non-être, en repérant sans cesse que Dieu est le premier
moteur, malgré la fausse interprétation quo l'on vient de
signaler, en affirmant enfin de la manière la plus explicite l'identité
de Dieu, du bien et de la cause finale, Aristote a propagé dans
la philosophie des idées qui auront une immense
et durable influence; de là cette tradition qui, après avoir
exercé son action sur les autres écoles anciennes, modifié
le Platonisme, pénétré
chez les Épicuriens, les Stoïciens,
les Alexandrins, s'étendit avec
tant de force à la scolastique et à la philosophie arabe,
et provoqua, au moment de la Renaissance, des luttes furieuses; qui, enfin,
malgré la réaction dont elle devint alors l'objet, loin de
s'effacer dans la philosophie moderne, a fait naître encore une foule
de savantes et excellentes recherches qui résument, condensent,
rectifient, tant au point de vue historique qu'au point de vue dogmatique,
tout ce que les générations précédentes ont
entassé sur Aristote d'interprétations, de commentaires et
de polémiques.
Pour tracer cette esquisse, il faut se débarrasser de deux conceptions toutes modernes ou tout au moins absolument étrangères au monde grec. En premier lieu, sous l'influence des idées judaïques, selon lesquelles celui-là seul est un vrai disciple qui accepte intégralement les doctrines du maître et des idées romaines, selon lesquelles toute nouveauté est condamnable, nous sommes tentés de voir dans le disciple un penseur qui n'affirme en toutes choses ni plus ni moins que le maître. Chez les Grecs, au contraire, tout philosophe croit faire honneur à celui dont il a suivi l'enseignement en pensant par lui-même, en continuant et parfois même en combattant le maître. Platon se dit disciple de Socrate, comme Euclide, Antisthène ou Aristippe; Aristote se dit platonicien. En second lieu, on a, de nos jours, accordé avec raison une grande importance à la Métaphysique d'Aristote; mais on a été amené plus d'une fois à ne pas considérer comme de vrais péripatéticiens ceux qui n'ont pas après lui et comme lui abordé les questions métaphysiques. Or, chez Aristote, les idées ne sont pas, comme chez Platon, un monde à part; elles se trouvent dans les choses : il faut donc étudier celles-ci en elles-mêmes et dans leurs rapports. Aussi Aristote est-il, en même temps qu'un métaphysicien, un érudit et un savant, dont les recherches ont porté surtout le domaine de la connaissance positive ou historique. Ses ouvrages, exotériques ou acroamatiques, constituaient une véritable encyclopédie, dont les parties principales, logique, physique et astronomie, histoire naturelle, psychologie, morale, économique et politique, esthétique, monographies critiques ou historiques, servent de base, de confirmation ou de complément à ses doctrines sur la philosophie première. Nous devrons donc tenir pour péripatéticiens tous ceux qui, se réclamant du maître ou parfois même le combattant, lui ont emprunté certaines de ses doctrines ou «se sont promenés» à sa suite dans les sciences diverses, à la recherche de vérités nouvelles. De ce point de vue, on s'aperçoit que la première période de l'école - qui va de 322 av. J.-C. au 1er siècle avant l'ère chrétienne - est des plus fécondes dans l'histoire du péripatétisme. D'abord le stoïcisme et l'épicurisme tirent, à l'origine, une bonne partie de leurs théories logiques, physiques et morales, du péripatétisme. Comme l'a bien vu Ravaisson, ils pourraient en ce sens passer, tout aussi bien que, certains scolarques du Lycée, Straton, par exemple, pour des continuateurs d'Aristote. Et quand le stoïcisme pénètre à Rome, Panétius s'appuie sur Aristote, Théophraste et Dicéarque, comme sur Platon, Xénocrate et les stoïciens. Posidonius mêle à son tour le platonisme et le péripatétisme. De même, il serait aisé de signaler chez Carnéade, notamment sur la liberté, des affirmations qui rappellent Aristote. Et Antiochus d'Ascalon - de qui l'on répète qu'il fit entrer le portique dans l'Académie - soutient l'identité de l'ancienne Académie et du péripatétisme, en attribuant d'ailleurs à celle-là bien des doctrines morales qui viennent de celui-ci. Mais si nous prenons l'école péripatéticienne, qui continue au Lycée l'enseignement ou les recherches d'Aristote, nous constatons une succession ininterrompue de scolarques dont les plus célèbres sont Théophraste (322-287), Straton de Lampsaque (287-269), Critolaüs qui - vient en ambassade à Rome en 155 avec Carnéade et Diogène, Andronicus de Rhodes qui, vers 50 av. J.-C., donne une édition méthodique des ouvrages du maître. Autour d'eux se groupent de nombreux chercheurs qui, à Athènes notamment, continuent l'oeuvre positive d'Aristote. Malheureusement, il ne nous reste guère de la plupart d'entre eux que des fragments, leurs oeuvres ayant été oubliées ou dédaignées par les philosophes, surtout théologiens, qui ont dominé aux époques ultérieures. Si nous examinons successivement les divers domaines du savoir antique, nous voyons que les successeurs d'Aristote les ont tous explorés, en commentant, en continuant, en complétant le maître et en conservant pour la plupart une certaine originalité, comme l'avouent d'ailleurs implicitement la plupart des historiens, qui les accusent d'avoir modifié plus ou moins les doctrines péripatéticiennes. En métaphysique même, il y aurait bien des travaux à mentionner, notamment ceux de Théophraste, d'Eudème, de Pasiclès de Rhodes, à qui l'on a attribué le second livre de la Métaphysique, même de Straton, qui la mêle à la physique. Pour la logique, Prantl, qui a plus de cinquante pages pour les anciens péripatéticiens, montre que leurs recherches ont été recueillies et mises en oeuvre par les commentateurs ultérieurs, auxquels nous sommes trop souvent disposés à en faire honneur. En particulier, nous savons par Boèce, que Théophraste et Eudème ont ajouté cinq modes à la première figure, un septième à la troisième. L'école fait une grande place aux mathématiques, à l'astronomie (Eudoxe, Callippe), à la théorie de la musique, qui acquiert, avec Aristoxène, un haut degré de perfection. Elle étudie la physique dans son ensemble et dans ses divisions, dont elle tend à augmenter le nombre, comme l'établissent surtout les titres des ouvrages de Théophraste et de Straton. Les sciences naturelles s'enrichissent de monographies et de travaux considérables, parmi lesquels nous avons conservé ceux de Théophraste sur les plantes. Il en est de même pour la médecine, pour la psychologie empirique et métaphysique. Il y a des péripatéticiens moralistes qui décrivent les moeurs telles qu'elles sont et qui cherchent ce qu'elles devraient être. D'autres s'occupent d'éducation et de politique. L'histoire, divisée en domaines spéciaux, s'attache aux institutions, aux gens et aux événements, aux lettres et aux arts, aux sciences, arithmétique, astronomie. géométrie, musique, à la médecine et à la philosophie. La géographie se joint à l'ethnographie. L'esthétique porte surtout sur la rhétorique et la poétique, mais s'appuie parfois sur ce que l'on appellera dans la suite les beaux-arts. C'est Démétrius de Phalère qui organise la bibliothèque d'Alexandrie, où se formeront des érudits et des exégètes, des poètes et des savants, des grammairiens et des philosophes. A Pergame et à Rhodes, on pourrait constater de même l'influence péripatéticienne. Du Ier siècle av. J.-C. au IXe siècle de l'ère chrétienne, c'est dans l'empire romain, puis en Occident et en Orient, chez les défenseurs du polythéisme et chez les chrétiens, qu'il faudrait suivre l'aristotélisme. D'abord, il y a des exégètes, des commentateurs et de purs péripatéticiens, Andronicus de Rhodes, Nicolas de Damas, Alexandre d'Egée. Adraste et surtout Alexandre d'Aphrodise, l'exégète par excellence qui occupe à Athènes la chaire de péripatétisme (198-211). Puis il y a des éclectiques qui mêlent, comme on le voit nettement chez Cicéron et ses successeurs. des doctrines aristotéliques au stoïcisme, au platonisme et même à l'épicurisme. C'est ce que l'on constate également chez les platoniciens pythagorisants (Pythagorisme) et éclectiques, Eudore d'Alexandrie, Arius Didymus, Théon de Smyrne, Apulée de Madaure, Alcinoüs, surtout chez le médecin Galien, qui suit, en logique, Aristote, Théophraste et Eudème (4e fig.) et même, en métaphysique, admet les quatre principes, matière et forme, cause efficiente et cause finale. Les néoplatoniciens font la synthèse du platonisme, du stoïcisme, du péripatétisme, qu'ils unissent au mysticisme oriental. « La Métaphysique d'Aristote, dit Porphyre, est condensée tout entière dans les Ennéades... On lit dans les conférences de l'école les ouvrages des péripatéticiens, d'Aspasius, d'Adraste, d'Alexandre d'Aphrodise et des autres qui se rencontraient.»Et Bouillet a montré, par des citations typiques, tout ce que Plotin a emprunté à Aristote. Au temps de Porphyre, la lutte éclate contre les chrétiens. Ceux-ci, avec Origène, unissent l'Ancien et le Nouveau Testament. Porphyre soutient, en sept livres, que la philosophie de Platon et celle d'Aristote sont identiques; il commente les Catégories et l'Interprétation; il écrit l'Isagoge, dont l'influence sera si grande à l'époque qu'on est convenu d'appeler le Moyen âge. Thémistius (317-387) commente Aristote plus encore que Platon. Pour l'école d'Athènes, l'étude d'Aristote prépare à celle des doctrines pythagorico-platoniciennes; elle constitue, selon Syrianus, des «prote leia » ou des « mikra mysteria ». Proclus dit de Platon qu'il est theios, d'Aristote qu'il est daimonios. Hiéroclès soutient qu'Ammonius, le fondateur du Néo-Platonisme, avait proclamé l'identité des théories platoniciennes et péripatéticiennes. Aristote est commenté et paraphrasé jusqu'à la fermeture de l'école, en 529, par Justinien. Tous ces commentateurs, de Porphyre à Simplicius et à Boèce, ne sauraient, à coup sûr, être considérés comme de fidèles disciples d'Aristote - ainsi qu'on l'a fait trop souvent depuis le Moyen âge - puisqu'ils l'interprètent avec les théories néo-platoniciennes; mais leur oeuvre témoigne de l'importance qu'on accorde alors au péripatétisme. Et tous ceux qui, par la suite, étudieront directement ou indirectement les néo-platoniciens, relèveront d'Aristote, comme tous ceux qui liront Aristote l'expliqueront en suivant ses commentateurs néo-platoniciens. En ce sens, les chrétiens néo-platoniciens, saint Basile, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse, saint Augustin, Synésius, Nemésius, Enée de Gaza relèvent d'Aristote. Quand la rupture est complète entre les deux directions religieuses, les chrétiens continuent à s'occuper d'Aristote et s'efforcent de faire entrer, dans leur philosophie, tout ce que le christianisme peut accepter de ses doctrines. Jean Philopon, David l'Arménien, commentent Aristote et, tout en faisant bon nombre d'emprunts au Néo-platonisme, transmettent à leurs successeurs des ouvrages et des doctrines du maître. Boèce - que le Moyen âge a considéré comme chrétien - traduit et commente les ouvrages logiques d'Aristote et l'Isagoge de Porphyre. Avec Cassiodore,
Isidore
de Séville et Bède le Vénérable,
il fournira aux scolastiques occidentaux,
du IXe au XIIe
siècle, le cadre dans lequel ils feront entrer des théories
chrétiennes et néo-platoniciennes. Enfin Jean
Damascène, qui vit vers 700, donne, dans la Pègè
gnôseôs, une exposition des doctrines chrétiennes
où la logique et l'ontologie péripatéticiennes tiennent
une place considérable. Son influence n'a jamais cessé dans
l'Orient chrétien et elle se fait sentir sur l'Occident à
partir du XIIe siècle.
Dans la première, la philosophie compte des représentants chez les Byzantins, les Arabes, les juifs et les chrétiens d'Occident. Sans parler des doctrines aristotéliques, qui se propagent à Byzance par les Pères et les docteurs chrétiens de l'époque antérieure - car en un temps où l'on fait si souvent appel à l'autorité, la question des origines et des influences est d'une complexité infinie - Photius, Psellos, Jean Italus, Michel d'Ephèse, Eustrate, bien d'autres encore, exposent ou commentent les théories logiques, parfois métaphysiques d Aristote. Les Nestoriens(Nestorius)de Syrie font connaître en Perse la philosophie d'Aristote comme celle de Platon. De même les monophysites syriens ou jacobites s'appliquent à l'étude d'Aristote, Sergius de Resaina le traduit en syriaque. Et les médecins syriens le font connaître aux Arabes. Des écoles de traducteurs, au IXe siècle, mettent en arabe les oeuvres d'Aristote, celles de certains péripatéticiens, spécialement d'Alexandre d'Aphrodise et de Théophraste, etc.; celles des néoplatoniciens, qui avaient interprété Aristote, Porphyre, Thémistius, Jean Philopon, etc. Avicenne, en Orient, Averroès, en Espagne, témoignent une vive admiration pour Aristote : ils le paraphrasent, le commentent, le continuent. Mais l'Aristote des philosophes arabes est un Aristote que l'on voit à travers le néo-platonisme et à qui l'on attribue déjà des ouvrages, dont l'essentiel vient des continuateurs de Plotin, de Proclus et de ses disciples. Et à côté de ces péripatéticiens - qui sont bien souvent, en fait, des néoplatoniciens - Al-Kindi, Alfarabi, Avicenne, en Orient, Avempace, Abubacer, Averroès, en Occident - il y a : des atomistes qui combattent le péripatétisme; des mystiques comme Algazel qui combattent toute philosophie; des théologiens qui usent de la logique péripatéticienne contre leurs adversaires; des théologiens qui ne veulent rien avoir de commun avec la philosophie et qui, à la fin du XIIe siècle, deviennent les maîtres dans le monde de l'Islam et font détruire ou brûler les oeuvres des philosophes. Les travaux des Juifs - dont les plus célèbres sont Ibn Gabirol et Maïmonide - peuvent être rapprochés de ceux qu'on a appelés les péripatéticiens arabes, mais dénotent une infIuence bien plus grande encore du néo-platonisme. Toute fois, ils ont conservé et transmis, à l'Occident chrétien, les oeuvres arabes et contribué ainsi à lui faire connaître leur péripatétisme néo-platonicien. L'Occident chrétienn connaît directement d'abord que certaines parties de l'Organon d'Aristote, Catégories et interprétation - les Analytiques et la théorie de la démonstration ne seront connus qu'au XIIe siècle, au temps de Jean de Salisbury - ;il a les commentaires de Boèce, saint Isidore, Martianus Capella, Apulée, Bède, etc., certains pères latins, comme saint Augustin, ou grecs, comme ceux dont use Jean Scot Erigène, qui lui donnent un péripatétisme mêlé de néo-platonisme et dominé par le christianisme. A la fin du XIe siècle, vers 1090 et au XIe siècle, la querelle des universaux avec Roscelin, Guillaume de Champeaux, Abélard, le «péripatéticien palatin» et leurs successeurs, met en présence des philosophes qui se disent et qu'on dit disciples d'Aristote, mais qui ne connaissent et ne reproduisent que peu de choses du maître, puisque Abélard lui-même ne possède que les Catégories et l'Interprétation. Du XIIIe au XVe siècle, il n'y a rien à signaler chez les Arabes, il y a peu de chose chez les Juifs. On trouve encore, chez les Byzantins, des commentateurs d'Aristote. Mais c'est surtout dans l'Occident chrétien que l'aristotélisme prend une importance considérable. D'abord, on y connaît la plupart des oeuvres d'Aristote et de ses commentateurs néo-platoniciens, puis tous les travaux arabes, juifs et chrétiens de l'époque antérieure. Des traducteurs, comme Constantin l'Africain, comme Gundisalvi et Jean d'Espagne, à Séville, sons la direction de l'archevêque Raymond, ceux qui figurent à la cour de Frédéric II, ceux qui travaillent, comme Guillaume de Moerbecke, sur des manuscrits grecs qui viennent de Byzance après l'établissement de l'empire latin (1204), font de cette époque une de celles où il a été le plus facile de réunir toutes ses théories scientifiques et philosophiques. Toutefois, Aristote ne fut jamais, dans cette période, le maître incontesté dont parlent les manuels modernes. D'abord il a des adversaires. On condamne sa physique et sa métaphysique en 1210; si le pape en autorise l'étude après 1231, il ne manque pas de philosophes, comme Roger Bacon, qui tendent à penser par eux-mêmes ou à invoquer l'expérience, plutôt qu'à reproduire purement et simplement ses doctrines; il y a des mystiques et des platoniciens. Puis ceux qui le commentent, comme Albert le Grand et saint Thomas, l'interprètent, en se servant des commentateurs néo-platoniciens et surtout en mettant ses doctrines en accord avec le dogme chrétien. Enfin, il y a un pseudo-Aristote, dont les éléments viennent surtout de Plotin et de ses disciples, a été des plus considérables, En somme, on connaît Aristote, mais on le complète, on le corrige, on l'adapte au christianisme. Au XIVe siècle et au début du XVe, les études philosophiques, comme toutes les recherches spéculatives, fléchissent par suite des guerres, des pestes, des famines. Aristote est lui-même beaucoup moins étudié qu'au XIIIe siècle. Toutefois, avec Occam et ses contemporains, qui reprennent la question des universaux, les doctrines fondamentales du péripatétisme reviennent au premier plan. La Renaissance est l'époque où l'Occident reçoit à la fois des manuscrits et des savants de Byzance. Elle compte de purs humanistes - pour qui la forme vaut infiniment plus que la pensée - des néo-platoniciens qui unissent Platon, Plotin, Proclus et ses successeurs, des philosophes qui renouvellent les théories stoïciennes, académiciennes, sceptiques et épicuriennes; des adversaires passionnés d Aristote, comme Ramus, mais aussi des péripatéticiens averroïstes ou alexandristes, qui essaient de reconstituer la doctrine du maître, qui entendent parfois rester chrétiens, tout en indiquant que les doctrines d'Aristote ne s'accordent pas avec le christianisme. La Réforme se prononce d'abord, avec Lutter, contre Aristote; mais avec Mélanchthon, celui-ci reprend sa place dans les écoles protestantes, comme avec les Jésuites, qui remettent en honneur le thomisme, tout en le modifiant, qui commentent à leur tour les écrits péripatéticiens, Aristote reste un maître respecté dans les écoles catholiques. Il faut d'ailleurs se rappeler que si l'imprimerie a multiplié les chefs-d'oeuvre de l'antiquité païenne, elle a surtout, pendant le XVe et la XVe siècle, publié les textes et les commentaires, les traductions, les paraphrases et les exposés dogmatiques qui avaient, à l'époque médiévale, fondé, conservé on accru l'influence péripatéticienne. Avec le XVIIe siècle naît la philosophie moderne, qui, par delà l'époque théologique où se développèrent christianisme et le néo-platonisme, rejoint la philosophie des anciens péripatéticiens, fondée sur les recherches positives. Mais les sciences d'observation, aidées par des instruments puissants, font des progrès aussi grands que les sciences mathématiques. Et, chose curieuse, ce sont les savants ou les philosophes comme Galilée et Bacon, Descartes, Gassendi, Pascal ouMalebranche, en qui l'on verrait avec raison les vrais continuateurs d'Aristote, qui l'attaquent avec le plus d'énergie et aussi d'injustice. C'est que ceux qui se disent alors ses disciples, qu'ils enseignent chez les jésuites ou dans l'Université, en ont fait ce qu'il ne fut jamais auparavant, un maître dont les doctrines doivent être acceptées sans discussion, comme on reçoit, sans y rien changer, les dogmes catholiques. C'est que le Parlement de Paris défend, en 1624, sous peine de mort, d'enseigner rien de contraire à la doctrine d'Aristote. Et il faut, vers 1670, que Boileau et ses amis composent l'Arrêt burlesque, pour empêcher le Parlement de reproduire sa condamnation de 1624. Aussi l'influence d'Aristote va-t-elle en diminuant, au XVIIe et au XVIIIe siècle, sur les penseurs et les savants qui dédaignent le péripatétisme des écoles. Certes, bon nombre de philosophes, comme Descartes, Spinoza, même les logiciens de Port-Royal et Pascal, sont parfois beaucoup moins éloignés qu'ils ne le croient du véritable Aristote, dont les doctrines leur sont arrivées par des voies indirectes. Mais Leibniz presque seul cherche à faire une part à Aristote dans son système éclectique. Ses disciples l'imitèrent et il n'y eut jamais, dans l'Allemagne protestante, une rupture complète entre les écoles où Mélanchthon avait installé le péripatétisme et le monde des savants et des penseurs. Kant parle, comme Aristote, d'une table des catégories et d'une distinction de la matière et de la forme. Et les philosophes de l'Allemagne contemporaine, qui, en dehors des mystiques, se rattachent, plus ou moins étroitement, à Kant, ont travaillé à publier le texte exact des oeuvres d'Aristote et de ses commentateurs, à les éclaircir, à les rendre plus accessibles, parce qu'ils ont cru que les bien connaître était nécessaire, non seulement à l'historien, mais encore à celui qui poursuit l'explication dernière des choses. Les savants français du XVIIIe siècle, en lisant Aristote et non plus ceux qui prétendaient l'interpréter dans les écoles, s'aperçurent que ses recherches positives méritaient de figurer dans l'bistoire des sciences. Des philosophes, comme Ravaisson, ont estimé, au XIXe, que l'étude de la Métaphysique d'Aristote peut nous être fort utile et qu'elle constitue la partie la plus importante de son oeuvre. Dès lors, Aristote a été lu et cité par les naturalistes, par les psychologues, par les logiciens et les historiens des arts et des institutions, par les métaphysiciens, les moralistes et les politiques. On l'a édité, traduit et commenté eu France comme en Allemagne. Enfin, depuis l'encyclique Aeterni Patris, adressée par Léon VIII aux catholiques, le néo-thomisme a trouvé des adhérents ou augmenté le nombre de ceux qu'il avait conservés en Belgique et en Hollande, en Allemagne et en France, en Autriche et en Hongrie, en Italie et même en Amérique. En résumé, Aristote compte des disciples originaux, des disciples qui ont commenté et conservé sa doctrine. Les philosophes qui l'ont suivi dans le monde polythéiste lui ont fait des emprunts considérables. Des chrétiens orientaux et occidentaux, des Arabes et des Juifs, ont vu dans sa philosophie une introduction, un complément ou un élément important pour la constitution d'une philosophie, orthodoxe ou non, mais plus profonde on plus compréhensive; dans sa logique, un cadre ou une méthode puissante d'argumentation contre leurs adversaires religieux ou théologiques. Les savants de tout ordre l'ont salué comme un initiateur, même comme un guide. Les historiens de la civilisation, au sens large du mot, s'accordent à dira que nul penseur n'a exercé une influence plus considérable et plus continue sur le développement de la pensée humaine. (F. Picavet).
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