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Le mot idéalisme
a diverses significations au sein de la philosophie
moderne. L'acception la plus répandue, non seulement dans la langue philosophique,
mais dans la langue littéraire, est celle que lui a donnée Cousin
dans sa Classification des systèmes
de l'histoire de la philosophie, d'après
les tendances fondamentales de l'esprit humain.
En opposition à l'empirisme ou au sensualisme,
l'idéalisme désigne en général tous les systèmes qui ont pour tendance
d'élever la raison au-dessus des sens
et de l'expérience. Les systèmes idéalistes
sont ceux, par exemple, qui, dans le monde extérieur, au lieu de s'arrêter
aux phénomènes attestés par les sens et
aux rapports de ces phénomènes, s'efforcent
de pénétrer dans le monde invisible des substances
et des
causes dont ces phénomènes sont la manifestation,
et jusqu'aux types immuables dont ils sont l'imagé mobile. Dans l'âme
humaine, les systèmes idéalistes admettent des idées-absolues
qui ne viennent pas de l'expérience, mais de la raison : telles sont les
idées du bien, du beau absolu, de l'être infini.
Par ces idées, ils s'élèvent jusqu'à la réalité suprême, jusqu'Ã
l'infini, dans la contemplation duquel ils oublient plus ou moins le monde
des sens, la réalité du fini et du contingent.
Parménide,
Platon,
Plotin, dans l'Antiquité; Descartes,
Malebranche,
Leibniz,
dans les temps modernes, voilà les philosophes idéalistes par excellence.
Idéalisme se prend aussi, en un sens plus
spécial et plus restreint, pour désigner des doctrines
qui aboutissent à la négation du monde extérieur. C'est en ce sens que
les philosophes écossais accusent les
idées représentatives de conduire à l'idéalisme; c'est en ce sens qu'ils
qualifient d'idéalisme les systèmes de Berkeley
et de Malebranche.
Ce terme joue aussi un grand rôle dans
l'histoire des systèmes de la philosophie après la fin du XVIIIe
siècle.
"C'est l'idéalisme,
dit Fichte le fils, qui est le fondement sur lequel ils reposent, et le
fil conducteur qui les relie les uns aux autres."
Mais c'est surtout dans la philosophie allemande
que l'idéalisme a reçu des sens divers et même opposés en apparence.
Ainsi il faut bien distinguer l'idéalisme subjectif de Kant
et de Fichte, et l'idéalisme objectif de Schelling.
Ces deux sortes d'idéalisme ont cependant un caractère commun, qui est
la prétention de ramener à l'unité et à l'identité,
au sein de l'idée, les deux termes opposés de la connaissance,
le moi et le non-moi, le subjectif
et l'objectif, l'esprit et la nature,
l'idéal et le réel. Mais Kant et surtout Fichte
entendent par idée une forme purement subjective de notre esprit: ils
nient l'existence des
objets
en soi, ils ramènent tout au moi et à des formes du moi. C'est le moi
qui, d'après Fichte, produit le non-moi, c'est-à -dire le monde; donc
rien n'existe que dans le moi et par le moi. Voilà ce qui constitua l'idéalisme
subjectif. L'idéalisme objectif de Schelling prend aussi pour point de
départ la pensée. Mais cette pensée n'est plus
la pensée de l'humain, forme purement subjective de notre esprit; c'est
la pensée absolue identique avec l'être absolu, d'où sortent également
par deux émanations parallèles, la nature et l'esprit, le réel et l'idéal.
Ainsi, cet idéalisme, en plaçant son point de départ plus haut que le
moi et la pensée de l'humain, a la prétention de concilier avec l'unité
de son principe le réel comme l'idéal, et de rétablir la nature dans
sa dignité et dans ses droits méconnus par Kant et par Fichte.
Quoi qu'il en soit de ces diverses sortes
d'idéalismes, on y reconnaît toujours cette même tendance générale
à subordonner les sens et l'expérience
à la raison aux idées, à faire prédominer
la réalité invisible sur la réalité visible, par laquelle nous avons
en commençant défini l'idéalisme. Tel est donc le lien commun qui rattache
ensemble les diverses significations de l'idéalisme en France, en Angleterre
et en Allemagne; tel est le caractère le plus général par où il s'oppose
aux systèmes sensualistes ou empiriques. Plus d'une fois, comme on peut
le voir d'après ce qui précède, l'idéalisme s'est perdu dans la panthéisme.
Néanmoins nous ne pensons pas qu'il soit légitime de confondre l'idéalisme
avec le panthéisme, et de faire ces deux termes synonymes l'un de l'autre.
( DV.). |
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