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La tradition classique
disparut avec la société dont elle avait été l'idéal. Les Romantiques
firent le
1789 littéraire et proclamèrent
la liberté de l'écrivain. Au XIXe siècle
il y a bien encore des « écoles » et des coteries, mais il n'y a plus
de règles ni de prétendu bon goût tyranniques. Le public qui lit n'est
plus limité à la haute société. Il devient chaque jour plus nombreux
et plus divers, si bien que toutes les théories, tous les genres, tous
les tons peuvent avoir leurs partisans.
Libre, la littérature est aussi tout entière
moderne dans son esprit. Les attaches sont rompues avec l'Antiquité
grecque ou
latine. Ou bien l'on
imite les auteurs contemporains et les littératures du Nord (Angleterre,
Allemagne,
plus tard Russie et Scandinavie); ou
bien l'on subit la contagion des méthodes et de la mentalité des savants
qui réalisent chaque jour de nouveaux prodiges. Mais à cela se réduit
l'unité du siècle. Il est au contraire très nettement divisé, par les
mouvements dominants (à défaut d'être exclusifs), en trois périodes
de caractère divergent :
1° Une période romantique,
jusqu'aux abords de 1848. En France, on ne la fait guère commencer qu'en
1820, l'influence de Chateaubriand
et de Mme de Staël
ne s'étant pas exercée sur l'époque
impériale, classique avec obstination. Mais, à cette date, le romantisme
est déjà en plein roulement sur l'autre rive de la Manche,
et il a presque terminé son cycle de l'autre côté du Rhin;
2° Une période réaliste et naturaliste,
qui va de 1848 à 1880 environ. Au romantisme, ou du moins à l'élément
sentimental du romantisme s'oppose le goût de l'objectivité, de la pérennité,
de la rigidité scientifique prétendue, de la plasticité de l'art;
3° Une période symboliste, qui
revient à ce que le romantisme avait de subjectif, enveloppé, et aux
méthodes de suggestion plutôt qu'à celles de description et d'analyse.
On peut la faire durer jusqu'à 1900 et même quelques années au delà ,
puisqu'elle fait la transition avec la littérature du XXe
siècle, dont elle est aussi une composante.
Au seuil du XXe
siècle, la production littéraire n'a jamais été plus intense, mais
aussi plus variée et plus confuse. Deux faits pourtant sont à noter.
D'abord le public qui lit s'est considérablement accru, mais aussi très
divisé. Chacun se spécialise selon ses goûts ou ses besoins. On lit
pour s'instruire, et alors des ouvrages techniques, ou pour se distraire,
hâtivement. De plus en plus, dans la vie moderne, si haletante, le temps
manque (déjà !) pour une lecture prolongée et désintéressée. Les périodiques,
revues ou journaux, font au livre une concurrence d'autant plus redoutable
qu'un certain nombre ne sont guère que des entreprises industrielles.
Ensuite, et par suite, le domaine littéraire
s'est sensiblement rétréci. Tandis qu'au XVIIIe
siècle il comprenait même la philosophie,
l'art et la science, il
semble désormais s'être réduit au théâtre
et au roman. Les publications
philosophiques ou scientifiques ont un caractère purement professionnel.
On publie encore des vers, mais ils ne trouvent plus beaucoup de lecteurs.
L'histoire et la critique
achèvent de se constituer en sciences et se détachent de la littérature.
-
Les Salons
au XIXe siècle
Les
Salons littéraires n'ont pas eu, au XIXe siècle, la même importance
qu'au temps des Lumières. Mais plusieurs méritent
encore d'être mentionnés :
Salon
de Mme de Staël.
Fille
du ministre Necker, très liée avec l'élite
de la société intellectuelle de Paris. Mme de Staël (1766-1817) exerça
une réelle influence sur la littérature, en faisant de son salon, sous
le Premier Empire, le foyer
des hommes de lettres de toutes nationalités. Lorsqu'elle fut exilée
par Napoléon, qui la craignait. elle se retira
à Coppet, près de Genève et ne rouvrit ses salons qu'à la Restauration.
Salon
de Mme Récamier.
Amie
de Mme de Staël, Mme Récamier (1777-1849)
fut longtemps à la tête d'une sorte de club littéraire. à tendances
libérales mais modérées. Ses réceptions étaient très fréquentées.
C'est elle qui fit connaître l'écrivain mystique Ballanche (1776-1847).
Salon
de la Princesse Mathilde.
Fille
de Jerôme Bonaparte, cousine de
Napoléon
III, elle eut sous le Second
Empire un salon qui se piquait de tendances littéraires. Il est difficile
de savoir quelle influence ce petit club privé eut sur les lettres Ã
une époque où les meilleurs écrivains étaient opposés à la politique
napoléonienne.
Salon
de Mme Adam.
Bien
plus nette est l'influence de ce salon où Juliette Lamber, veuve du Préfet
de la Seine Ed. Adam, reçoit toutes les notabilités de la littérature.
Née en 1836, elle a consacré pour ainsi dire sa vie à l'avancement des
idées féministes. |
Epoque romantique
Le romantisme a régné
dans la littérature française pendant toute la première moitié du XIXe,
siècle. Il a enrichi et retrempé la langue
française, régénéré la poésie, vivifié l'histoire, transformé
le théâtre, rajeuni enfin la critique.
On appelle romantiques
les écrivains qui, au début du XIXe
siècle, s'affranchirent des règles de composition et de style établies
par les auteurs classiques. En France, le romantisme fut une réaction
contre la littérature classique nationale, tandis qu'il fait, en Angleterre
et en Allemagne, le fonds primitif et essentiel de la culture nationale.
De traditions gréco-latines, la littérature française avait été
classique depuis la Renaissance.
Au contraire, la littérature anglaise et la littérature allemande ne
s'asservirent que momentanément à la discipline du classicisme; et ce
qu'on appelle proprement romantisme chez les Anglais et chez les
Allemands, c'est la période littéraire où la littérature de ces pays
reprenant conscience d'elle-même, répudia l'imitation française.
En France, le romantisme
procède de la révolution morale qui, après la révolution sociale et
politique, transforma toutes les façons de penser et de sentir. Il avait
déjà eu, pendant le XVIIIe
siècle, maints précurseurs, entre autres J.-J.
Rousseau. Ses deux principaux initiateurs furent Mme de Staël et Chateaubriand.
Si différents qu'ils puissent être l'un de l'autre, Chateaubriand et
Mme de Staël n'en concoururent pas moins à une oeuvre commune. Tous deux
remirent en honneur la religion chrétienne,
le Moyen âge, les antiquités indigènes;
tous deux inaugurèrent la renaissance du lyrisme, opprimé depuis Malherbe
par la discipline classique; tous deux enfin répandirent la connaissance
des littératures étrangères, et, par là , ils acclimatèrent la culture
française à des beautés jusqu'alors inconnues ou dédaignées.
Les romans historiques
de Walter Scott, les poésies de Byron
et des lakistes, le Faust
de Goethe, les drames de Schiller,
la Divine Comédie, le romancero espagnol,
toutes ces oeuvres, traduites, imitées, commentées, stimulèrent vivement
l'inspiration des poètes français, sans parler des récits de voyages
ou des ouvrages d'érudition littéraire, qui ouvraient à l'esprit de
nouveaux horizons.
Ce qui caractérise
essentiellement le romantisme, c'est la prédominance de la sensibilité
et de l'imagination sur la raison;
en un mot, l'individualisme. De là , dans
tous les genres qui reproduisent la vie humaine, comme le genre romanesque
et le genre dramatique, la substitution du particulier à ce général
que le rationalisme classique avait ou pour
domaine propre; de là , le réveil de la poésie
lyrique; de là enfin la rupture définitive avec les règles et les
modèles, avec tout ce qui restreint l'expansion du génie individuel.
Les principales étapes
du mouvement romantique sont marquées par la publication des Méditations
de Lamartine
(1820), des Poèmes antiques et modernes
d'Alfred de Vigny (1822), des Odes de Victor
Hugo (1822) ; par l'apparition de la brochure de Stendhal
: Racine et Shakespeare (1822), qui mène l'attaque contre les classiques;
par la formation du premier cénacle autour de Charles
Nodier, à l'Arsenal (1823), la fondation de la Muse française
(1823), puis du Globe (1824), journaux sympathiques aux novateurs;
par la préface de l'édition de 1826 des Odes et Ballades, où
Hugo
revendique la liberté dans l'art; par la publication
de la préface de Cromwell
(1827), où il demandait l'union du sublime et du grotesque, et où il
affirmait que « tout ce qui est dans la nature est dans l'art » ; par
la réunion du second cénacle autour de Victor Hugo.
-
Les souvenirs
de la vieillesse
« Le plus doux privilège
que la nature ait accordé à l'homme qui vieillit, c'est celui de se ressaisir
avec une extrême facilité des impressions de l'enfance. A cet âge de
repos, le cours de la vie ressemble à celui d'un ruisseau que sa pente
rapproche, à travers mille détours, des environs de sa source, et qui,
libre enfin de tous les obstacles qui ont embarrassé son voyage inutile,
vainqueur des rochers qui l'ont brisé à son passage, pur de l'écume
des torrents qui a troublé ses eaux, se déroule et s'aplanit tout Ã
coup pour répéter, une fois encore avant de disparaître, les premiers
ombrages qui se soient mirés à ses bords. A le voir ainsi, calme et transparent,
réfléchir à sa surface immobile les mêmes arbres et les mêmes rivages,
on se demanderait volontiers de quel côté il commence et de quel côté
il finit. Il faut qu'un rameau de saule, dont l'orage de la veille lui
a confié les débris, flotte un moment sous vos yeux pour vous faire reconnaître
l'endroit vers lequel son penchant l'entraîne.
Demain, le fleuve
qui l'attend à quelques pas l'aura emporté avec lui, et ce sera pour
jamais.
Tous les intermédiaires
s'effacent ainsi dans les souvenirs de la vieillesse, reposée des passions
orageuses et des espérances déçues, quand les longs voyages de la pensée
ramènent l'homme, de circuits en circuits, parmi la verdure et les fleurs
de son riant berceau. Cette volupté est une des plus vives de l'âme,
mais elle dure peu; et c'est la seule d'ailleurs que puissent envier Ã
ceux qui ont le malheur de vivre longtemps ceux qui ont le bonheur de mourir
jeunes. »
(Ch.
Nodier, Souvenirs de jeunesse; Séraphins).
|
Le mouvement romantique
s'incarna ainsi dans quatre grands poètes
: Lamartine, qui fut un révolutionnaire sans le savoir, simplement parce
que sa nature le rendait antipathique à la versification sèche et fade
de ses devanciers; A. de Vigny, qui donne à la poésie romantique sa forme
philosophique et symbolique; Victor Hugo, esprit fougueux et exclusif,
qui se posa en réformateur ardent et entreprit de tout renouveler, le
vers et la langue; Alfred de Musset, le poète
de la fantaisie, l'écrivain aimé des jeunes gens et des femmes, unissant
à un égal degré l'esprit et la passion. Après
ces grands maîtres, qui symbolisent admirablement leur génération Ã
la fois rêveuse et enthousiaste, viennent se placer Auguste
Barbier, Brizeux, Théophile
Gautier, Sainte-Beuve,
etc.
Au théâtre,
la période romantique, annoncée par Cromwell (1827), commence
réellement avec le Henri III et sa Cour d'Alexandre
Dumas père (1829) et le More de Venise d'A. de Vigny (même
année), a pour date culminante la représentation d'Hernani
(25 février 1830) et s'étend jusqu'à celle des Burgraves
(1843), et cette période d'une quinzaine d'années fut remplie par les
grands drames de Victor Hugo, par ceux d'Alexandre Dumas, inférieurs comme
style, mais plus habilement construits, par le Chatterton
(1835) d'Alfred de Vigny, par les délicieuses comédies et les spintuels
proverbes de Musset. Les romantiques dédaignèrent généralement la comédie,
dont le grand « fournisseur » fut Eugène Scribe.
La chute retentissante des Burgraves marqua la fin du romantisme
au théâtre, la faveur de Ponsard et d'Émile Augier.
Le roman est le genre
dominant de la période : Adolphe, Notre-Dame de Paris
et les Misérables,
la Chronique de Charles IX, Cinq-Mars,
les romans si divers de George Sand et d'Alexandre
Dumas donnent une idée suffisante des qualités et des faiblesses de l'école.
Déjà le roman de moeurs, avec Honoré de
Balzac, prépare l'avènement du réalisme.
L'histoire bénéficia
du mouvement littéraire et artistique, les études historiques prirent
un remarquable essor avec Guizot, Tocqueville,
Michelet
et Augustin Thierry. Ce dernier est l'historien
romantique par excellence; il introduisit la vie et le mouvement dans l'exposé
des origines nationales françaises.
Si, vers le milieu
du XIXe siècle, l'esprit positiviste,
succédant à l'esprit romantique, détermina une réaction, c'est que
le romantisme, ayant exalté tous les aspects de la sensibilité humaine,
fut vite dévoré par ses ardeurs et ses transports. Mais il serait facile
de retrouver son influence chez ceux-là mêmes que l'on considère Ã
juste titre comme les initiateurs et les maîtres du réalisme, non seulement
chez des poètes tels que Leconte de
Lisle et Sully-Prudhomme,
mais chez des historiens tels que Renan, chez des
romanciers tels que Gustave Flaubert
et Emile Zola.
(NLI).
Philosophie, théologie,
politique.
Les
idéologues.
Le sensualisme
ou, comme on disait sous l'Empire, l'idéologie,
fait place à un spiritualisme mitigé,
dont les principaux représentants s'appellent Maine
de Biran (1766-1824), Royer-Collard
(1764-1843) et Jouffroy (1796-1842).
Victor
Cousin.
Le chef de l'école éclectique,
Victor
Cousin (1792-1867), maître précoce, commence par enseigner en Sorbonne
la psychologie
écossaise; mais sa jeunesse
évolue dans le rayonnement de Mme de Staël et deux voyages d'enquête
outre-Rhin le convertissent à l'idéalisme allemand. Ceux qui ne connaissent
que le Cousin de 1850, docteur gourmé de l'éclectisme
officiel, se figurent mal le brillant professeur de la Restauration,
audacieux jusqu'à paraître inquiétant, alliant au spiritualisme reçu
un panthéisme interdit et prônant en un
langage d'hiérophante les manifestations de la raison impersonnelle dans
l'histoire. C'est le cours de 1818, retouché, qui devint le livre :
du Vrai, du Beau et du Bien, resté longtemps une Bible universitaire.
Plus ou moins directement, son spiritualisme peu cohérent agit sur Lamartine,
sur Hugo, sur Michelet, sur Quinet,
sur toute une époque avide d'une large aération.
En dehors de la bataille presque sereine
des systèmes philosophiques, cette époque
voit aux prises, dans l'éloquence, l'essai,
le pamphlet, le journal, les deux grandes
forces contraires : la Révolution et la Tradition. En France, ou du moins
en français, la Tradition a pour elle Joseph de Maistre et Lamennais.
Joseph
de Maistre.
Plus papiste que monarchiste, Joseph
de Maistre (1752-1821), qui fut ministre du roi de Sardaigne
à la cour de Russie, a donné l'essentiel
de sa doctrine dans les Soirées de Saint-Pétersbourg,
dont le sous-titre : Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence,
dit assez l'esprit. Tempérament de révolutionnaire au service des puissances
de réaction, apologiste du passé qui s'avère le plus profond des voyants,
«-l'impeccable de Maistre-»,
comme l'appelle Baudelaire, se rend vite Ã
charge aux causes qu'il soutient et meurt à temps pour n'être pas frappé
des foudres qu'il a replacées dans les mains du pouvoir spirituel.
Lamennais.
Féli Lamennais
(1782-1854) n'évita pas ce destin. Compatriote de Chateaubriand et, comme
lui, au début, champion de l'autorité avec la même inaptitude à subir
une discipline, il combat, dans l'Essai sur l'indifférence en matière
de religion, l'athéisme, le protestantisme,
le déisme. Mais il vient rapidement au catholicisme
libéral. Dans la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre
politique et civil, il dénonce l'asservissement de Rome
à la monarchie. En 1828, il fonde avec Lacordaire,
Montalembert
et l'abbé Gerbet le journal l'Avenir pour la défense d'une sorte
de théocratie populaire. Quatre ans plus tard,
il publie les Paroles d'un croyant, première affirmation - toute
lyrique - du socialisme chrétien : l'encyclique
Singulari
vos le condamne expressément et il rompt, cette fois, définitivement
avec Rome.
Chateaubriand,
Mme de Staël, Benjamin Constant
Une évolution analogue, sur le plan de
la politique, dans l'oeuvre de Chateaubriand, entre la Monarchie selon
la Charte (1816) et les dernières pages des Mémoires d'outre-tombe.
A lui s'opposent, plus francs du collier, Mme de Staël, avec ses Considérations
sur la Révolution française (1817), et son ami Benjamin
Constant, avec les Mélanges de littérature et de politique
(1829). On peut ranger à leur suite deux écrivains, l'un de haute valeur
littéraire, l'autre de grande importance sociale : Paul-Louis Courier
et Henri de Saint-Simon.
P.-L.
Courier.
Ex-officier de l'Empire, devenu vigneron
tourangeau, Paul-Louis Courier (1772-1825), qui mourut assassiné par ses
serviteurs, a pendant les neuf dernières années de sa vie harcelé le
gouvernement légitismiste de ses pamphlets. Classique de goût, libéral
d'opinion, c'était, de surcroît, un helléniste zélé, à qui nous devons
une délicieuse traduction de Daphnis et Chloé.
H.
de Saint-Simon.
Le comte de Saint-Simon(1760-1825)
est un héritier direct des philosophes du XVIIIe
siècle. Rêvant au bonheur universel et industrialisant en rêve la coopération
des activités humaines, il est le vrai fondateur du socialisme, non seulement
en France, mais en Europe et, par Auguste Comte,
qu'il eut pour disciple, le précurseur d'un nouvel âge de la pensée.
Sur le terrain propre de la sociologie, il prépare Fourier
(1772-1837), le chef des phalanstériens, et Proudhon
(1809-1862), dont les deux célèbres mémoires sur la Propriété
datent de 1840 et 1841.
L'érudition,
l'histoire.
L'histoire, durant
cette période, connaît des jours glorieux. L'esprit romantique l'anime,
et la personne des historiens, si scrupuleuses que soient leurs investigations,
ne se tient pas à l'écart de leurs oeuvres. On trouve dans l'Histoire
de la civilisation, d'ailleurs si savante et si probe, de Guizot
(1789-1874); l'influence discrète de Mme de Staël. Le libéralisme d'Augustin
Thierry (1795-1856), qui affirme avoir dû sa vocation à Chateaubriand
et à Walter Scott, n'apparaît pas seulement dans l'Essai sur le tiers
État, mais jusque dans les plus pittoresques de ses Lettres sur
l'histoire de France, dans les pages plus colorées que savantes de
la
Conquête de l'Angleterre par les Normands, dans les plus dramatiques
Récits
des temps mérovingiens, où il s'inspire surtout de Grégoire
de Tours.
H.
Martin, Mignet, Tocqueville.
Henri Martin (1810-1883)
est sincère, mais sans profondeur, et attaché à une idée contestable,
à savoir la persistance constante du fonds celtique dans la formation
et l'évolution de la patrie française.
Thiers
(1797-1877) est superficiel dans son Histoire de la Révolution française,
très inférieure à son Histoire du Consulat et de l'Empire, où
se retrouvent sa naturelle pondération bourgeoise et sa sûreté de jugement.
Mêmes qualités avec un plus grand souci du style dans les divers écrits
de son ami Mignet (1796-1884), représentant comme
lui de l'école narrative. Si l'on admire un bel effort d'objectivité
dans la magistrale étude d'Alexis de Tocqueville
(1805-1859) sur l'Ancien Régime et la Révolution et dans ses vivantes
observations sur la Démocratie en Amérique, par contre c'est de
la poésie et de la politique que l'Histoire des Girondins de Lamartine.
J.
Michelet.
Jules
Michelet (1798-1874), sorti du peuple et du Paris révolutionnaire,
aperçoit la France à la lueur de l« l'éclair de Juillet »; il
la voit « comme une âme et une personne-»,
qu'il veut étudier dans sa complexité réelle. « La résurrection de
la vie intégrale du passé », tel est son but. Les six premiers volumes
de son Histoire, qui suffiraient à asseoir sa réputation, y répondent
pleinement (1833-1844). Puis il interrompt sa tâche d'historien pour entreprendre
cette série de publications ardentes que sont : le Prêtre, la Femme
et la Famille (1845), le Peuple (1846), de ces essais d'un naturalisme
lyrique qui ont nom : l'Insecte, l'Amour, la Mer,
la Montagne, où il y a peut-être plus de son épouse que de lui-même.
Après quoi il revient à l'histoire de France, mais désormais la passion
politique imprègne ses oeuvres; il traite les faits et les individus en
symboles; son style admirable, qui se rythme sur la sensation même, est
le modèle le plus exemplaire (avec quelques ouvrages de Carlyle,
en Angleterre) de l'histoire satirique, lyrique et, pour dire le mot, romantique;
mais s'il a la fougue d'un apôtre et d'un voyant, sa pensée est toujours
haute et généreuse.
E.
Quinet.
Pour Edgar
Quinet (1803-1875), l'histoire confine à la philosophie à la politique,
au prophétisme. Ses Révolutions d'Italie, sa Révolution
ont prolongé dans ce domaine l'ère romantique, à laquelle appartenaient,
par les dates comme par les tendances, ces grandes fresques symboliques
: Ahasvérus, Prométhée, Merlin l'Enchanteur. Plus clairvoyant
sur ce point que Michelet, après des années de germanophilie enthousiaste
il a dénoncé, dans Allemagne et Italie (1839), la collectivité réaliste
que la Prusse dressait, par la haine, à l'écrasement de la France.
L'histoire des
lettres. La critique.
En France, la critique
de combat a pour organes l'éphémère Muse française,
le Globe,
qui veut être impartial, des préfaces et des manifestes : tels le Racine
et Shakespeare, de Stendhal (1823); la
Guerre en temps de paix, d'Émile Deschamps
(1824); la préface de Cromwell, de Victor Hugo (1827) et, dans
le ton de l'histoire littéraire, le Tableau de la poésie française
au XVIe
siècle, de Sainte-Beuve (1828).
Nisard.
Le classicisme se
défend par une contre-offensive avec Désiré Nisard
(1806-1888) qui, dans les Poètes latins de la décadence, attaque
Victor Hugo et ses émules à travers Sénèque,
Stace
et Lucain, publie en 1833 son Manifeste contre
la littérature facile (entendez la littérature romantique) et aborde
en 1844 son Histoire de la littérature française, où il essaie
de donner un fond solide au mot classique en le faisant à peu près synonyme
de français.
Villemain.
Avec plus de sérénité
Villemain
(1790-1870), professeur disert et brillant que sollicite l'esprit nouveau,
est le premier, dans son Cours de la Littérature française, Ã
appliquer en France les méthodes de la critique historique et de la littérature
comparée.
Sainte-Beuve.
Ch.
A. de Sainte-Beuve (1804-1869), tant qu'il fut également romancier
et poète, fut en critique l'un des champions du romantisme. C'est l'époque
de sa collaboration au Globe et à la Revue de Paris, de
ses débuts à la Revue des Deux Mondes, que Buloz
venait de fonder et qui était d'abord une manière de « Journal des Voyages
». Peu à peu il se replie, sans se retirer tout à fait, et quand paraît,
en 1840, le premier volume de son Port-Royal, l'évolution est terminée.
Il n'est plus tout à fait un romantique et il n'est pas davantage un néoclassique,
au sens qu'on donne alors à ces mots, mais simplement un réaliste, une
des lumières de l'âge nouveau. Sans le dominer autant que Nisard, le
XVIIe siècle l'a affranchi de la tyrannie
de l'actualité; le critique des Portraits est devenu celui des
Lundis.
Ses études sont « une série d'expériences de physiologie morale par
lesquelles il s'essaie à déterminer les lois de formation des familles
intellectuelles et à constituer une sorte d'histoire naturelle des esprits
». A ce titre, cet « amateur d'âmes » est le maître de
Taine,
avec moins d'esprit de système, plus de nuances dans l'observation.
La poésie.
La poésie
- ou, pour mieux dire, le lyrisme - est la
spécialité romantique par excellence. L'avènement du lyrisme fut plus
tardif qu'en Allemagne et en Angleterre, malgré des antécédents non
moins anciens, parce que la tradition classique y était plus forte et
que l'Empire l'avait encore raffermie; mais, dès que les Méditations
de Lamartine ont vu le jour, le romantisme va de conquête en conquête.
Lamartine.
Alphonse
de Lamartine (1790-1869) ne se pose pas, tout d'abord, en adversaire
de la tradition, ni en chef d'école soucieux d'accorder sa doctrine et
son exemple, et certaines élégances apprises le rattachent au XVIIIe
siècle. Mais, disciple de Jean-Jacques, de Bernardin
de Saint-Pierre, de Chateaubriand, d'Ossian,
et aussi de Parny, il prend surtout conseil de
ses propres émotions et de la campagne mâconnaise, où il vit jusqu'Ã
trente ans, avec des échappées en Dauphiné,
en Savoie, en Italie. Élégiaque
et lyrique dans les Méditations et les Nouvelles Méditations,
dans les Harmonies,
dans les Recueillements, il va de l'épopée
rustique à l'épopée cosmique dans Jocelyn et la Chute d'un
ange, pour revenir, avec la Vigne et la Maison, qui est son
chant du cygne, au lyrisme le plus pur et le plus simplement magnifique.
Nul mieux que lui n'a exprimé le surcroît d'émotion que l'amour reçoit
de la splendeur des choses, ni ce qu'il a dans le souvenir de délicieuse
langueur ou de mélancolie dans l'espérance. Son sentiment, aussi dégagé
que possible des circonstances de lieu et de temps, dresse un corps de
poésie chaste et presque immatérielle. C'est un joueur de harpe qui précipite
ses
notes avec une divine facilité, parfois avec une négligence seigneuriale.
C'est aussi, par moments, un orateur en vers, qu'on sent prêt à devenir
effectivement un tribun.
Deux ans après les
Méditations
paraissaient les Poèmes d'Alfred de Vigny et les Odes de
Victor Hugo.
A.
de Vigny.
L'oeuvre poétique
de Vigny (1797-1863) est courte, mais de qualité
rare, et il pouvait en dire, sans trop d'inexactitude, qu'elle avait «
devancé en France toutes celles du même genre dans lesquelles une pensée
philosophique est présentée sous une forme épique ou dramatique ».
Elle exprime le plus sombre pessimisme, uni au culte le plus fervent de
la poésie, au respect le plus déférent pour le nom de poète. L'homme,
selon Vigny, est isolé dans la nature indifférente ou hostile; la femme
est une compagne peu sûre; Dieu est trop loin,
si tant est qu'il soit; le juste se partage entre la pitié pour ses frères
et un désespoir calme; seule la science nous offre son réconfort austère.
Tels sont les principaux thèmes du Livre mystique, du Livre
antique, du Livre moderne et des Destinées. Vigny ne
les a pas developpés avec un art toujours égal, toujours sûr; mais,
en ses réussites, il obtient une plénitude et une suavité uniques. Sa
technique annonce tantôt le Parnasse et tantôt le symbolisme.
V.
Hugo.
Victor
Hugo (1802-1885) fut en quelque sorte le pape du romantisme, son représentant
le plus somptueux, sinon le plus original. Il a revêtu d'images splendides
et de musique admirablement orchestrée la pensée dont il fut le témoin
attentif. Il s'est défini lui-même un « écho sonore » et, de fait,
il renvoie le son amplifié. Lyrique, il ne s'est pas détaché de son
temps; s'il a pris l'attitude du contemplateur, c'est surtout pour en traduire
les tendances successives, les grands mouvements d'opinion. Catholique
et royaliste dans les Odes, moyenâgeux
dans les Ballades, philhellène dans les Orientales, napoléonien
de sentiment dans les Feuilles d'automne et les Chants du crépuscule,
sans refuser son souvenir à la légitimité ni un salut à la branche
cadette, prêtant tour à tour sa voix éclatante au Progrès et à la
Tradition, il devint à la fin démocrate
et libre penseur, mêlant la satire au lyrisme, à l'épopée, dans les
Châtiments,
la Légende des siècles
et la plupart des recueils qui suivirent. D'ailleurs, toute son oeuvre
lyrique - notamment les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres,
les Contemplations,
l'Art
d'être grand-père - fait une place importante aux intimités, et
moins à celles le l'amour qu'à celles de la famille. Populaire encore
par l'abondance et le bonheur de cette poésie filiale ou paternelle, il
le fut enfin par l'évidence même de ses procédés techniques et par
une habileté verbale prodigieuse.
-
Le Pain sec
« Jeanne était
au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque,
et, manquant au devoir,
J'allai voir la
proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans
l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois.
Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut
de la société,
S'indignèrent,
et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai
plus mon nez avec mon pouce;
Je ne me ferai plus
griffer par le minet. »
Mais on s'est récrié
: - Cette enfant vous connaît;
Elle sait à quel
point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours
rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement
possible. A chaque instant
L'ordre est troublé
par vous; le pouvoir se détend;
Plus de règle.
L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez
tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : -
Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui,
c'est avec ces indulgences-lÃ
Qu'on a toujours
conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au
pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra.
- Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas,
levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité
des douces créatures
- Eh bien, moi,
je t'irai porter des confitures. »
(V.
Hugo, L'Art d'être grand-père, 1877).
|
A.
de Musset.
A la fin de 1829,
Alfred
de Musset, âgé de dix-neuf ans (1810-1857), publia son premier recueil.
Il devint très vite l'enfant gâté du siècle. Le pittoresque de son
décor, emprunté à une Espagne, à une
Italie,
à un Moyen âge plus fantaisistes que réels, la grâce impertinente de
la forme, un mélange de dandysme et de libertinage
avaient séduit le public. Musset était déjà le chérubin du romantisme,
lorsque Rolla déchaîna l'enthousiasme. Pour nous, il est surtout
le poète qu'a renouvelé la crise de sa liaison tapageuse avec George
Sand (1833-1834), celui des Nuits, de la Lettre à Lamartine,
des Stances à la Malibran, de
l'Espoir en Dieu, du
Souvenir.
Pur romantique par son individualisme sans restriction, par le culte du
coeur, - source unique, dit-il, du génie, - il possède quelques-unes
des qualités les plus classiques : la netteté, l'esprit, l'ingéniosité,
le goût, et il ne ménage pas, sur le tard, son admiration à quelques
maîtres d'autrefois : Mathurin Régnier,
La
Fontaine, Molière,
Racine
même et Corneille, tels qu'ils apparaissent
à travers le jeu de Rachel.
P.
Borel, A. Bertrand. G. de Nerval.
L'extrême romantisme
est représenté par des poètes moins considérables, tels que Pétrus
Borel et Aloysius Bertrand. Il faut mettre Ã
part et plus haut Gérard
de Nerval (1808-1855), un des rares poètes
germanisants qui font la liaison entre le romantisme d'outre-Rhin et le
symbolisme français. C'est seulement dans les premières années du XXe
siècle qu'on s'est avisé de découvrir, sous le clair-obscur de l'expression,
les concordances secrètes qu'il établissait entre les choses.
Et
les autres...
Moins hermétique,
poète qui n'est qu'une âme, âme qui n'est que souffrance, l'élégiaque
Marceline Desbordes-Valmore (1785-1859)
a gardé jusqu'à nous des fidèles qui passent sur les insuffisances fréquentes
de la forme, le «-lâché-»
de ses poèmes, pour n'en retenir que l'accent douloureux.
On revient au fatalisme
maladif ou macabre avec les Poésies de Joseph Delorme, qui
sont de Sainte-Beuve, et avec les premières oeuvres de Théophile
Gautier, Albertus, la Comédie de la mort, España, encore
que ces deux derniers recueils annoncent une orientation vers un art parnassien
qui s'affirmera dans Émaux et camées (1852). Et Sainte-Beuve,
dans les Consolations et les Pensées d'août, dépouille
ses premières outrances, vise a la poésie simplement analytique.
Le romantisme est
plus sensible d'abord chez Auguste Barbier (1805-1882), l'auteur des Iambes,
et s'affirme dans ses autres formes jusqu'à la fadeur; mais il est, dès
l'origine, mesuré et comme canalisé chez le Breton Auguste Brizeux (18061858),
qui peut passer, avec sa délicieuse
Marie (1831), pour le père
de la poésie régionaliste en France.
Seule, la chanson
reste toute classique avec Béranger (1780-1857),
le représentant le plus populaire en poésie, et non seulement en France,
mais à l'étranger, de la Révolution
dans sa lutte contre le régime instauré par la Sainte-Alliance.
Le théâtre.
En France, où la
tragédie
pseudo-classique elle-même s'orientait vers la formule du drame avec Pierre
Lebrun,
Guiraud,
Soumet,
surtout avec Casimir Delavigne
(1794-1843), poète de transition, mais constructeur habile, creusant ses
personnages sans défigurer la réalité (les Vêpres siciliennes, Marino
Faliero, Louis XI, les Enfants d'Édouard), le véritable drame romantique,
irrégulier, pittoresque, frénétique, tout rutilant de « couleur locale
» qu'il prend pour la couleur de l'histoire, s'empare de la scène en
1839 avec le Henri III et sa cour d'Alexandre
Dumas et l'Othello
d'Alfred de Vigny.
Chez Dumas (1803-1870),
le drame incline au mélodrame, aux effets
de gros pathétique, dont Antony
offre le parfait modèle; avec tous ses défauts, Dumas a pourtant la science
innée de la scène; les personnages, peu compliqués, donnent l'illusion
de la vie, et la charpente de l'oeuvre, chez lui comme chez Scribe, est
toujours de main d'ouvrier.
En 1830, Hernani,
de Victor Hugo, déchaîne une bataille restée célèbre. Les drames les
plus célèbres de Victor Hugo sont établis sur des antithèses violentes
et simplistes, pleins de tirades romantiques et de monologues déclamatoires,
mais ils sont riches de lyrisme, ils ont l'incomparable musique de leurs
vers d'amour. Et les Burgraves eux-mêmes rendent à la lecture
un son d'épopée.
Chatterton
(1835) est probablement le chef-d'oeuvre du théâtre romantique, à coup
sûr l'un de ses plus beaux succès. Mais c'est aussi, dans la forme, la
moins romantique de toutes ces pièces, la plus sobre, la plus nourrie,
la plus vigoureusement et simplement pathétique. Elle dramatise le conflit,
tel que le voyait Vigny, entre le poète et la société.
Qu'est-ce, près
de ce modèle hautain, que le drame vaudevillesque de Scribe
(1791-1851)? Mais il est si merveilleusement cuisiné que tous les palais
en raffolent, et cette génération ne s'aperçoit pas qu'elle possède
dans Alfred de Musset un génie charmant, capable d'unir à la fantaisie
la plus libre, au modernisme le plus avéré, un sens très parisien du
dialogue. Il faut qu'une comédienne émigrée, Mme Allan Despréaux, les
rapporte de Saint-Pétersbourg,
pour que : un Caprice, Fantasio, Carmosine, le Chandelier,
soient enfin, et seulement après 1847, joués à Paris. Mais déjà le
pur romantisme avait fait son temps sur la scène. L'échec des Burgraves
en 1843, le succès de la Lucrèce,
de Ponsard, la même année, clôturent un règne
d'Ã peine quinze ans.
Le roman.
Si, dans presque
toutes les littératures européennes du XIXe
siècle, la fortune du roman apparaît extraordinaire,
c'est qu'on ne l'entend plus comme au XVIe,
au XVIIe et au XVIIIe
siècles; il n'est plus un simple genre; il est tous les genres à la fois.
C'est un roman
d'analyse qui, en 1816, ouvre pour la France cette période féconde,
l'Adolphe
de Benjamin Constant (1767-1830), oeuvre romantique,traitée à la manière
classique, sans autre préoccupation que l'exactitude de l'anatomie mentale.
Ch.
Nodier.
Mais presque aussitôt
Charles
Nodier (17831844), qui avait fait ses débuts en 1802, donne aux «
jeune France » les modèles du roman frénétique avec Jean Sbogar
(1818), de la nouvelle fantastique avec Smarra, Trilby, Iñès de las
Sierras. Fantastique et frénésie tempérés de malice, romantisme
d'imagination plus que d'expression : Nodier a trop d'esprit pour être
sa propre dupe.
A.
de Vigny.
Le romantisme est
plus franc dans le roman historique, dont Vigny a exposé la théorie dans
la préface de la dixième édition de Cinq-Mars. Pour lui, si le
rôle de l'historien consiste à ramasser le butin toujours incomplet des
documents, celui du romancier consiste à ranimer, intuitivement, les grandes
figures disparues. Théorie séduisante, mais qui laisse toute place Ã
l'arbitraire. Ce qui fait encore aujourd'hui la valeur de Cinq-Mars
(1826), davantage celle de Stello, mais surtout de Servitude
et grandeur militaires, celle aussi de
Daphné, roman posthume
(1913), c'en est moins la véracité que le symbolisme, le parti pris de
traiter l'anecdote non pour elle-même, mais comme soutien, une pensée
très haute et très désespérée.
V.
Hugo.
Victor
Hugo a débuté par le roman d'aventures étrange et fantastique avec
Han
d'Islande et Bug Jargal, puis il a connu le succès éclatant
avec Notre-Dame de Paris (1831), un roman historique qui renferme
toutes les beautés et toutes les horreurs, toutes les réussites et toutes
les invraisemblances dont le genre est susceptible. Au vrai, tous les romans
de Victor Hugo, comme tout son théâtre, les Misérables
ou l'Homme qui rit, les Travailleurs de la mer'ou
Quatre-vingt-treize,
qu'ils soient historiques ou sociaux, manifestent la même personnalité,
les mêmes effets de contraste. Ce qui est déshérité ou difforme y représente
une vertu ou un génie; ce qui passe pour noble ou sacré, un vice ou un
ridicule. Et cela a peut-être fait pour la diffusion de ses romans autant
que la grandeur épique de certains épisodes et la richesse du vocabulaire.
--
Cosette et
la nuit
[C'est
la nuit. Cosette, fillette de huit ans, va chercher de l'eau pour la méchante
Thénardier...]
« Quand elle eut
passé l'angle de la dernière maison, Cosette s'arrêta. Aller au-delÃ
de la dernière boutique, cela avait été difficile; aller plus loin que
la dernière maison, cela devenait impossible. Elle posa le seau à terre,
plongea sa main dans ses cheveux et se mit à se gratter lentement la tête,
geste propre aux enfants terrifiés et indécis. Ce n'était plus Montfermeil,
c'étaient les champs. L'espace noir et désert était devant elle. Elle
regarda avec désespoir cette obscurité où il n'y avait plus personne,
où il y avait des bêtes, où il y avait peut-être des revenarts. Elle
regarda
bien, et elle
entendit les bêtes qui marchaient dans l'herbe, et elle vit distinctement
les revenants qui remuaient dans les arbres. Alors elle ressaisit le seau,
la peur lui donna de l'audace : - Bah! dit-elle, je lui dira qu'il n'y
avait plus d'eau! - Et elle rentra résolument dans Montfermeil.
A peine eut-elle
fait cent pas qu'elle s'arrêta encore, et se remit à se gratter la tête.
Maintenant, c'était la Thénardier qui lui apparaissait; la Thénardier
hideuse avec sa bouche d'hyène et la colère flamboyante dans les yeux.
L'enfant jeta un regard lamentable en avant et en arrière. Que faire?
Que devenir? Où aller? Devant, le spectre de la Thénardier; derrière,
tous les fantômes de la nuit et des bois. Ce fut devant la Thénardier
qu'elle recula. Elle reprit le chemin de la source et se mit à courir.
Elle sortit du village en courant, elle entra dans le bois en courant,
ne regardant plus rien, n'écoutant plus rien. Elle n'arrêta sa course
que lorsque la respiration lui manqua, mais elle n'interrompit pas sa marche.
Elle allait devant elle, éperdue. »
(V.
Hugo, extrait des Misérables, III, chap. V).
|
A.
Dumas.
L'art n'est pas
le premier souci d'Alexandre Dumas, dans ses romans
dits historiques, qui, à partir de 1836, et à l'aide de collaborations
discrètes, notamment celle d'Auguste Maquet (1813-1888), firent de lui
un Walter Scott français, également populaire,
mais sensiblement inférieur, truquant la vérité avec innocence, par
une aptitude rare à revêtir ses propres fictions du caractère de l'authenticité.
Mérimée.
Prosper
Mérimée (1803-1870) avait au contraire commencé, dans le drame et
la poésie, par la mystification la plus consciente, avec ces jeux d'artistes
que sont le Théâtre de Clara Gazul et la Guzla. Le même
goût du pastiche se retrouve dans son amusante Chronique du règne
de Charles IX (1829). Il passe bientôt de l'histoire à l'exotisme,
utilisant tour à tour le décor italien, espagnol, polonais, corse, pour
écrire des récits violents et pittoresques, mais d'un pittoresque étudié,
d'une violence sans déclamation, d'un style sobre, comme Colomba
et Carmen, qui sont les modèles du genre dépouillé.
Les
romans autobiographiques.
Le roman autobiographique
n'avait pas épuisé sa sève avec René,
Corinne,
Obermann
et Adolphe. C'est un roman autobiographique que Volupté
(1834), qui nous présente la crise de Sainte-Beuve, mystique, romantique
et amoureux, souffrant tout ensemble dans sa foi littéraire, sa foi religieuse
et sa foi sentimentale, avant de se tremper de scepticisme pour la vie.
Romans autobiographiques
encore, l'Arthur d'Ulric Guttinguer, auquel Sainte-Beuve projeta
de collaborer; la Confession d'un enfant du siècle (1836),
récit dramatisé d'une illustre aventure d'amour à laquelle Musset donna
un portique d'épopée; les Confidences
et les Nouvelles Confidences (1849-1851), où Lamartine projetait
sur le plan de la prose le dessin de ses idéales Méditations.
George
Sand.
L'autobiographie
est plus dissimulée peut-être, sans en être plus absente, dans les romans
de jeunesse d'une George Sand (18041876),
Indiana,
Valentine, Lélia, contemporains de sa liaison avec Musset; mais les
thèmes lyriques, sentimentaux et révolutionnaires y abondent déjà :
thème de la passion éducatrice et des droits du coeur, thème de la mélancolie,
thème du doute, thème de la désespérance, tous développés dans un
sens favorable à l'individu et particulièrement à la femme, victime
d'une société oppressive.
De là l'auteur passe
naturellement, avec l'aide de ses nouveaux amis, Michel de Bourges,
Pierre
Leroux, au romantisme humanitaire et au roman politico-social (Consuelo,
le Compagnon du tour de France, le Meunier d'Angibault). Ensuite, ou
simultanément, pour s'être un moment retrempée, à Nohant, dans l'air
natal, elle aborde le roman rustique et c'est alors qu'elle va donner ses
chefs-d'oeuvre :
François le Champi, la Mare au Diable,
la Petite Fadette, les Maîtres sonneurs (1844-1852).
Après quoi, ce sont
encore des romans à thèse, des romans psychologiques, voire des romans
historiques, comme les Beaux Messieurs de Bois-Doré, ou, enfin,
des romans tout court, où elle est uniquement soucieuse de plaire et d'émouvoir,
comme le Marquis de Villemer. La mort seule lui fait tomber la plume
des mains. En exaltant l'individualisme, elle a exercé, surtout hors des
frontières, une influence profonde. Mais elle est aussi celle qui a montré
en France la noblesse des vieilles disciplines paysannes et réveillé
l'âme de la province.
G.
de Nerval, M. de Guérin, Topffer, X. de Maistre.
Mentionnons ici
Gérard
de Nerval (1808-1855), pour ses
Filles du feu, où tant de poésie
se mêle au récit et tant de romantisme allemand à l'air du Valois; Maurice
de Guérin (1810-1839), pour le Centaure, un petit roman lyrique
qui est un grand chef-d'oeuvre; le Génevois Topffer (1799-1846), pour
ses Voyages en zigzag, qui, Ã mi-chemin de la nouvelle et de l'essai,
continuent un genre déjà illustré par
le Voyage sentimental de
l'Anglais Sterne; et le Voyage autour de ma chambre du Savoyard
Xavier
de Maistre.
Stendhal.
Vers 1835, en pleine
vogue du romantisme, on voit, non sans surprise, le roman s'orienter subitement
vers le réalisme. En France, Henri Beyle, plus connu sous son pseudonyme
de Stendhal (1783-1842), fait d'abord figure
d'isolé. C'est seulement en 1882, quand déjà Taine l'avait signalé
et que Tolstoï avait appris de lui à peindre les batailles, que Paul
Bourget lui donne sa vraie place dans l'histoire de la sensibilité
française. Ancien officier de l'Empire et italianophile résolu, qui se
plaît dans les salons parisiens a être bien « atroce », parrain de
« l'égotisme », du « tourisme » et, naturellement, du « beylisme
», Stendhal, dans le Rouge et le Noir,
dans la Chartreuse de Parme,
dans les Chroniques italiennes, a développé sous une apparente
sécheresse de style le culte de la passion et de l'énergie. « Barrésien
» avant l'heure, il voyait dans Napoléonle
plus admirable professeur de cette vertu. Il lui a donné d'inoubliables
disciples, Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) et Fabrice del Dongo
(La Chartreuse de Parme).
Balzac.
Honoré
de Balzac (1799-1850), qui fut le premier à remarquer l'originalité
de Stendhal, commença, sans gloire, par le roman pseudo-historique, mais
fut réaliste dans toute la série de la Comédie humaine.
Malgré ce nom de « comédie », il est, comme historien des moeurs de
son temps, matérialiste et déterministe dans l'application, quoique catholique
en théorie. Estimant qu'il existe « des espèces sociales comme il y
a des espèces zoologiques », Balzac fait du roman ce que Sainte-Beuve
faillit faire de la critique : une dépendance de l'histoire naturelle.
Son tableau de la société n'est pas édifiant, mais l'auteur dégage
sa responsabilité, qui est tout juste celle d'un enregistreur. Ce n'est
pas sa faute, explique-t-il lui-même, s'il y a dans ses romans plus de
barons Hulot, de Gobsek et de cousines Bette que d'Eugénie Grandet
et de cousins Pons. Il n'a pas impunément vécu, cependant, au temps du
romantisme : des personnages démesurés comme Vautrin, ou chimériques
comme le Raphaël de la Peau de chagrin,
en sont le témoignage. S'il lui manque parfois la finesse de l'homme de
goût et les délicatesses du pur artiste, du moins est-il le plus étonnant
créateur d'hommes qui soit venu après
Shakespeare.
L'époque réaliste
et naturaliste
En littérature (et
dans les beaux-arts) on appelle réalisme tout système qui consiste Ã
reproduire la nature telle qu'elle est, ou telle qu'on croit la voir, avec
ce qu'elle peut avoir de laid ou de vulgaire. Si aucun théoricien réaliste
n'a jamais soutenu que l'art dût être une transcription telle quelle
de la réalité, il n'y a pas eu non plus d'école
digne de ce nom, en tout cas pas avant le XXe
siècle, qui non seulement ne prenne la réalité pour point de départ,
mais ne propose à l'artiste d'en rendre une image fidèle. Seulement,
il faut, dans chaque école, compter avec les conventions et les préjugés
contemporains. Ces préjugés et ces conventions masquent souvent le réel;
et de là vient que, les classiques, puis les romantiques, s'étant également
réclamés de la nature, on n'en a pas moins vu soit les romantiques reprocher
aux classiques ce qu'ils voyaient de factice dans leur art, soit les réalistes
modernes opposer aux romantiques cette nature au nom de laquelle ceux-ci
s'étaient insurgés contre les classiques.
L'école proprement
réaliste est celle qui, vers 1850, prétendit ramener l'art à l'observation
directe du réel. Même dans la première moitié du XIXe
siècle, quelques écrivains peuvent être déjà considérés, du moins
à certains égards, comme des réalistes. Stendhal par exemple, Mérimée,
surtout Balzac. Mais, lorsque le romantisme eut été dévoré par ses
ardeurs, à une littérature essentiellement lyrique, qui procédait de
l'imagination et de la sensibilité,
en succéda une autre, toute positive, laquelle s'imposait de reproduire
la vie ambiante, sans autres modifications que celles dont les lois mêmes
de l'art font à l'artiste une nécessité. Tous les genres furent alors
renouvelés : la critique, l'histoire, voire la poésie, et surtout les
deux genres prédominants, roman et théâtre. Ce qui s'appela d'abord
réalisme
prit un peu plus tard le nom de naturalisme. Et, du reste, naturalisme
et réalisme sont des termes à peu près équivalents. Mais le premier
fait entendre, outre certains procédés d'art, une doctrine philosophique
et morale fondée sur la science.
Le nom de naturalisme
s'applique plus spécialement à l'école littéraire dont Emile
Zola est le chef, et qui se propose de reproduire la nature, la réalité,
aussi exactement que possible. Le naturalisme a lancé le théâtre dans
une voie nouvelle en le rapprochant le plus possible de la vie, en le libérant
de toutes les conventions qui ne sont pas inhérentes au genre : là , son
principal représentant fut Henry Becque, l'auteur des Corbeaux
(1882). Mais c'est surtout le roman que cultivèrent les naturalistes,
Il ne faut pas ranger parmi eux des romanciers tels que les Goncourt
et Alphonse Daudet, dont l'impressionnisme est
directement contraire au naturalisme. Zola lui-même, qui défini la méthode
naturaliste, ne s'y est jamais astreint : son imagination incoercible,
son tempérament de poète et de visionnaire déforment la nature. Guy
de Maupassant est sans doute, parmi tous les romanciers de ce siècle,
celui qui mérite le mieux le nom de «-naturaliste
», parce qu'aucune théorie, aucun
système,
aucune sollicitation philosophique et morale n'altèrent en son « moi
», les images de la réalité. Si l'on voulait définir le naturalisme
aussi brièvement que possible, on pourrait le ramener tout entier à l'application
des procédés scientifiques dans l'oeuvre littéraire.
Pour en exposer la
discipline, Zola n'a guère fait, lui-même le déclare, que transcrire
l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (texte
en ligne), de Claude Bernard,
en substituant au mot de médecin celui d'artiste. Et, sans doute, il ne
saurait y avoir de naturalisme absolu, car ce qui fait la différence de
la nature et, de l'art, c'est justement la modification que l'art imprime
à la nature. Mais un écrivain est plus ou moins naturaliste, suivant
qu'il reproduit les choses avec plus ou moins d'exactitude. Nous devons
dégager le naturalisme de violences et de crudités gratuites, d'un matérialisme
et d'un
pessimisme systématiques, qui lui
cachèrent trop souvent une moitié de la vie, une moitié de l'Humain.
Quand on parle de sa « banqueroute », il ne s'agit que de l'école naturaliste.
A la chute de l'école, survit ce que le naturalisme avait en soi de bon
et de sain, ce qui assura jadis sa victoire contre un « idéalisme
» conventionnel.
(NLI).
Philosophie, théologie,
sociologie.
A.
Comte.
En pleine fièvre
romantique, l'ancienne logique expérimentale ressuscite sous des traits
nouveaux avec Auguste Comte (17981857), dont le
Cours
de philosophie positive se développe entre 1831 et 1842. Comte, qui
distingue dans l'histoire de l'humanité trois états successifs - théologique,
métaphysique et scientifique - croit commencée l'ère du troisième et
n'admet plus que l'étude des faits, sans mélange d'aucun
finalisme
conception dont il est lui-même sorti en déclarant que « le sentiment
doit toujours dominer l'intelligence », mais qui avait l'avantage de restaurer
les droits de la vérité objective et de la raison. Sa philosophie se
répandit non seulement en France, où Émile Littré
(1801-1881) fut son disciple le plus exclusif, mais aussi au dehors.
Au positivisme
d'Auguste Comte, de ses disciples et de ses exemples, on rattachera l'oeuvre
de Renan et de Taine.
H.
Taine.
Ennemi de la philosophie
officielle, comme il ressort de son Étude sur les philosophes français
du XIXe siècle (1857), Hippolyte
Taine (1828-1893) se conforme aux leçons de Comte, fonde la « physique
sociale », assimilant les lois du monde moral à celles du monde matériel,
et déclarant : « Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol
et le sucre. » Son oeuvre, si diverse, applique cette analogie de principe
à la psychologie (De l'intelligence),
à l'esthétique (Philosophie de l'art),
à l'histoire littéraire (La Fontaine et ses Fables, Essai sur Tite-Live,
Histoire de la littérature anglaise), à l'histoire politique (Origines
de la France contemporaine). Sa théorie de « la faculté maîtresse
» et des trois grands facteurs primordiaux - race, milieu, moment - ne
pouvait pas lui livrer le secret de l'individu supérieur, le
quid proprium
du génie. Mais la rigueur de sa logique, qui se traduit dans un style
volontairement tendu, éclatant, fut la principale raison de sa grande
influence. A ceux même qui le combattent, il a fourni une méthode et
ouvert des chemins.
Renan.
Breton évadé du
séminaire, Ernest Renan (1823-1892) ne s'est consolé
d'aller de la piété à l'incrédulité que par une adhésion quasi religieuse
à la puissance de la raison humaine. Dans l'Avenir de la science,
publié en 1890, mais achevé en 1849, il montre l'ardeur juvénile de
son positivisme. L'exégète des Origines du christianisme, l'historien
du Peuple d'Israël et d'Averroès, le philologue du Corpus
inscriptionum semiticarum est, avant tout, un savant. Mais, dans ses
Essais
de morale et de critique, ses Dialogues philosophiques, ses
Drames
philosophiques, dans les morceaux d'autobiographie idéalisée dont
se composent les Souvenirs d'enfance et de jeunesse et les
Feuilles
détachées, on le voit allier à son rationalisme
une poétique réserve de rêves, d'illusions,
de subtile métaphysique et même de mysticisme,
en un style qui n'a pas d'égal pour le naturel, le nuancé, la souplesse
enveloppante, la fine pointe d'ironie, et qui a singulièrement fortifié
son empire sur la génération symboliste. Admirateur de l'Allemagne
jusqu'en 1870, Renan lui doit en partie
son savoir en philologie, « la science exacte de l'esprit », disait-il,
son dilettantisme, dont Goethe lui offrait le partait modèle, l'intuition
de devenir et un esprit de synthèse qui concilie
les contradictoires selon la formule hégélienne. Sa complexion ondoyante
se trouvait naturellement à l'aise dans l'hégélianisme.
Taine et Renan, tout
en rendant un culte à la science, ont été des artistes; car, si le scientisme
est le caractère le plus apparent de cette époque, l'esthétisme en est
un autre.
F.
Le Play
En sociologie, l'esprit
positiviste est représenté avec force en Europe par Karl
Marx. En France, Frédéric Le Play (1806-1882)
est à l'antipode de Karl Marx, mais il exclut, comme lui, toute considération
de sentiment. Dans les Ouvriers européens, dans la Réforme
sociale en France, il se pose en adversaire déterminé de l'égalitarisme
dogmatique et, sans croire inéluctable l'antagonisme du capital et du
travail, il fonde l'économie sociale sur le respect de la famille, de
la religion et de la propriété.
Gobineau.
Il faudrait ici
placer le comte de Gobineau (1816-1882), diplomate et voyageur, théoricien
du racisme, esprit hardi et paradoxal qui s'est répandu en des écrits
très variés, puisqu'ils vont de la poésie à l'ethnographie. Mais Gobineau,
comme Nietzsche, n'est devenu illustre qu'après
sa mort, et tout d'abord en Allemagne, où le servirent à la fois l'amitié
de Wagner et le profit que le pangermanisme crut
tirer du gobinisme, en interprétant au mieux de ses intérêts l'infâme
Essai
sur l'inégalité des races humaines (1855).
Fustel
de Coulanges.
Le savant qui, Ã
cette époque, représente le mieux, en France, l'esprit d'objectivité,
d'impartialité et de soumission aux textes, sans être le moins du monde
réfractaire aux vues d'ensemble, est Fustel
de Coulanges (1830-1889). Dans la Cité antique, s'il s'est
placé à un point de vue exclusif; il a eu l'originalité d'affirmer,
à partir des méthodes les plus positives, que la force morale - la religion
en l'espèce - est supérieure à la force matérielle pour la formation
et l'évolution des sociétés; dans son Histoire des institutions politiques
de l'ancienne France, il a défendu l'idée que les assises du régime
qui s'est fondé sur les ruines de l'Empire
d'Occident ne sont pas essentiellement germaniques.
L'éloquence
: Prévost-Paradol, Veuillot.
Le barreau, la tribune,
la chaire, la presse offrent de beaux noms à cette époque, surtout dans
les pays parlementaires. Sauf un Prévost-Paradol,
et davantage un Louis Veuillot, ils ne s'incorporent
pas dans l'histoire générale des lettres. Si Prévost-Paradol a des parties
de moraliste et un art classique des nuances, l'écrivain dru, solide,
sorti de la rude matrice populaire et qui, sur le plan de la défense et
souvent de l'attaque ultramontaine, prolongera jusqu'au XXe
siècle la tradition des écrivains de la pure lignée gauloise, c'est
ce Veuillot, dont l'oeuvre énorme et d'un seul jet, joviale et douloureuse,
incisive et puissante, rappelle les cariatides de Puget.
L.
Ménard.
Chimiste, helléniste
et poète, Louis Ménard (1822-1901), qui
se définissait « un païen mystique », n'a peut-être pas exercé sur
son temps la part d'influence qui lui revenait, mais il reste pour nous
l'une des figures les plus représentatives de cet âge essentiellement
positiviste et artiste.
La
critique.
Le goût de l'information
exacte, qui souvent fait défaut au romantisme, favorisa les travaux de
la critique. Sous sa forme littéraire, elle est particulièrement brillante
en France, où Taine lui applique sa méthode, tandis qu'avec plus de souplesse,
Sainte-Beuve, ayant à peu près dépouillé l'homme du Cénacle, se voue
entièrement à l'étude des esprits de tous les temps.
A la critique d'art
revient principalement le mérite d'avoir, dans un âge entre tous positif,
assuré le respect et le goût de la beauté. En France, Taine, outre sa
Philosophie
de l'Art, a écrit un Voyage en Italie, qui est surtout un voyage
dans les musées italiens. Il y a moins de doctrine et plus de technique
dans les Maîtres d'autrefois d'Eugène
Fromentin (1820-1876), un de ceux qui ont créé
le vocabulaire de la critique d'art.
La littérature de
voyage (on l'a vu pour Taine) est toute proche de la littérature d'art,
si proche qu'elle se confond parfois avec elle. C'est le cas de
Flaubert,
que son ami Maxime du Camp promène en Bretagne
et en Égypte; de Théophile Gautier, qui
demande des visions neuves à l'Espagne et à la Russie.
La poésie.
Ni Lamartine, ni
Vigny n'ont encore abdiqué, et Hugo publie ses trois chefs-d'oeuvre :
les
Châtiments,
les Contemplations, la Légende des Siècles.
Ces grands poètes se sont depuis longtemps affranchis de ce que le romantisme
avait d'étroit.
Gautier.
Banville.
Théophile Gautier
(1811-1872), qui fut peintre avant d'être poète, et qui reste un visuel,
un sensuel « pour qui le monde extérieur existe », exprime, dans Émaux
et Camées (1852), son culte de l'art difficile et de la perfection
formelle.
Concurremment, Théodore
de Banville (1823-1891) unit à la fantaisie
romantique les virtuosités du pur artiste dans les Cariatides, les
Stalactites, les Odelettes et les Odes funambulesques, où la
poésie, affranchie des contingences de l'espace et du temps, n'obéit
plus qu'aux lois de son mécanisme intérieur; où le poète, ne voulant
découvrir aux choses aucun sens spirituel, se contente de déployer Ã
leur égard ses magnifiques orfèvreries.
Baudelaire.
Charles
Baudelaire (1821-1867), qui n'a pas été moins encensé que vilipendé,
se sépare violemment du romantisme, quoiqu'il y tienne par son satanisme,
son fantastique et son goût du macabre, auquel l'admiration d'Edgar
Poe a sensiblement contribué. Dans son recueil de vers, les Fleurs
du mal
(1857), la poésie est un sanctuaire aménagé en boudoir et les voluptés
y ont une odeur de sacrilège. Chrétien déchu, il fut moins, dit Anatole
France, « le poète du vice que celui du péché ». Sa forme laborieuse
est parfois toute classique. Avec Vigny et Nerval, et d'une façon plus
insistante, il a enseigné à la génération qui montait le sens des correspondances
secrètes entre les âmes et les choses. Son influence, très limitée
d'abord, s'élargit ensuite progessivement : peut-être est-il venu trop
tôt .
Leconte
de Lisle.
Par sa doctrine
comme par son génie, et Victor Hugo mis à part, Leconte de Lisle (1818-1894)
est le représentant le plus autorisé de la poésie française à cette
époque. Ennemi de la poésie confidentielle et tout près de traiter Baudelaire
de petit garçon, il veut remonter aux sources pures de l'hellénisme,
où Louis Ménard, avant lui, avait bu à longs traits. Impassibilité
et beauté sont sa règle et son credo tout sculptural. Présentant Ã
la file, dans les Poèmes antiques, barbares,
tragiques,
les dieux de l'Olympe, ceux de l'Égypte,
de l'Inde, de la Germanie
et de la Scandinavie primitives, son oeuvre est une manière de musée
des religions, donnant sur un vestibule décoré de figures symboliques.
Au pessimisme douloureux de sa contemporaine Louise
Ackermann (1813-1890) correspond son nihilisme
hautain; détaché des vaines agitations, réfugié en artiste dans le
passé et dans l'exotisme (il était né à la Réunion,
de souche bretonne), c'est un Vigny réalisé et parvenu au stade suprême
du renoncement bouddhique ou stoïcien,
comme à la parfaite expression plastique de sa pensée.
Les
Panassiens.
Sous l'autorité
de son nom, et grâce aux efforts combinés de l'éditeur Lemerre, des
poètes Xavier de Ricard et Catulle Mendès,
se fonda le groupe du Parnasse, dont les membres communiaient dans le culte
de la forme précise, du rythme vigoureux et de la rime riche. Les principaux
d'entre eux furent Sully Prudhomme (1839-1909), qui restaura l'élégie
par la double vertu de l'expression et de la généralisation philosophique;
François
Coppée (1842-1908) qui, ayant commencé par
être, avec une sobriété analogue, le poète des intimités, s'orienta
ensuite vers la poésie à mi-côte où s'était essayé Sainte-Beuve,
et devint le poète familier des humbles; José-Maria
de Hérédia (1842-1905), artiste impeccable, à l'éclat dur, qui
a illustré splendidement, en des sonnets d'une perfection unique, réunis
sous le nom des Trophées
(1893), quelques brillantes étapes de l'histoire humaine; Léon Valade
(1854-1884), dont certains petits poèmes égalent les
lieder de
Heine;
Catulle Mendès (1841-1909), poète de reflet, original seulement dans
les petits genres libertins.
Les
littératures régionales.
On ne saurait oublier,
dans ce tableau d'ensemble, la poésie des Félibres. La résurrection
littéraire de certaines langues régionales est, en France, un des effets
intéressants du régionalisme. Hersart de Villemarqué
avait donné l'exemple avec son recueil bas breton Barzas-Breiz.
Le poème de Mireille (1859), bientôt suivi de Calendal
et du Poème du Rhône, valut à Frédéric
Mistral (1830-1914), après le salut de Lamartine, une réputation
mondiale, et Théodore Aubanel (1829-1886), dans la Grenade entr'ouverte,
fut le poète élégiaque de la Provence,
dont Mistral avait écrit l'épopée familière et agreste. Quelles que
soient les destinées du félibrige, de tels chefs-d'oeuvre suffisent Ã
justifier l'initiative d'un Jasmin et d'un Roumanille.
Le Théâtre.
Après la chute
des Burgraves et le succès de Lucrèce, un auteur d'une
autre taille que Ponsard (1814-1867) aurait peut-être
restauré la tragédie. Il ne réussit qu'à rafraîchir un peu la manière
de Casimir Delavigne; si médiocre que fût l'instrument, Henri
de Bornier (1822-1901) en tira d'assez beaux accents patriotiques dans
sa Fille de Roland (1875), comme François Coppée dans
le Passant,
Severo Torelli, Pour la couronne. La fantaisie ailée de Banville sauva
ses pièces du naufrage.
Le vrai théâtre
de cette époque réaliste, c'est la comédie de moeurs, initiée par Scribe
et telle que l'ont entendue avec des principes et des idées différentes,
Émile Augier et Alexandre Dumas fils.
Émile
Augier.
Augier
(18201889) avait débuté par des pièces en vers ; dans la prose souple
et résistante qui est le meilleur vêtement de sa pensée, en des actions
solidement construites, l'auteur du
Gendre de Monsieur Poirier
(écrit en collaboration avec Jules Sandeau),
du Mariage d'Olympe, des Lionnes pauvres, des Effrontés,
a, sans jamais convertir la scène en tribune, stigmatisé la plupart des
vices de son temps, la vanité du bourgeois parvenu, les calculs du gentilhomme
ruiné, le culte de l'argent, l'ironie dissolvante, la fausse respectabilité,
la laide politique. C'est de l'excellente satire dialoguée et quelquefois
de l'excellente étude de caractère.
A.
Dumas Fils.
Alexandre
Dumas fils (1824-1893), après des drames dont les thèmes sont parfois
très personnels, tels que la Dame aux Camélias,
le
Fils naturel, Un père prodigue, suivis d'un silence de six
ans, inaugure en 1864, avec l'Ami des femmes, le régime des pièces
à thèse, où, s'attribuant le rôle de directeur de conscience, il combat
la décomposition sociale avec une logique parfois déclamatoire et raide,
mais toujours puissante (Francillon, Denise).
V.
Sardou.
Victorien
Sardou (1831-1908) n'est pas seulement l'heureux continuateur de Scribe,
le prodigieux représentant du mélodrame et de la comédie
historique dans Patrie, Fédora, Théodora,
la
Tosca, Madame Sans-Gêne. Il avait commencé par se faire un
nom avec des comédies d'une dextérité remarquable, telles que la
Famille Benoîton, Nos bons Villageois, et son Rabagas reste
encore, avec la Popularité de Casimir Delavigne, la meilleure des
comédies politiques du temps.
H.
Meilhac. L. Halévy. É. Pailleron. Th. Barrière
Henri
Meilhac (1831-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908),
qui triomphèrent dans l'opéra-bouffe avec Orphée aux Enfers et
la
Belle Hélène, ont donné dans Froufrou
le chef-d'oeuvre de leur répertoire léger, spirituel et subversif.
Édouard
Pailleron (1834-1899) a donné le sien dans le Monde où l'on s'ennuie,
fine caricature des salons littéraires. Le nom de Théodore Barrière
(1823-1877) est attaché à deux pièces-:
les
Faux Bonhommes et les Filles de marbre, restées célèbres
parce qu'il y a créé un type de raisonneur, Desgenais.
E.
Labiche.
Au demeurant, le
plus assuré de survivre, dans la foule des auteurs qui approvisionnèrent
le théâtre sous le Second Empire,
est assurément Eugène Labiche (1816-1888),
qui, mieux que l'esprit, que l'ironie ou que son succédané, la blague,
eut le don par excellence - qu'avait Molière
et dont héritera Courteline - le comique
franc et naturel qui jaillit des situations : Monsieur Perrichon
n'est pas si loin de Monsieur Jourdain et fait la chaîne avec Boubouroche.
Le roman.
Le positivisme n'est
peut-être pas très favorable à un certain romanesque. Mais le roman
d'observation et de documentation n'en est pas gêné, et le fait est qu'il
se développe brillamment, en France,
en Angleterre (Dickens,
Thackeray,
G. Meredith), en Russie (Tourgueniev,
Dostoïevski,
Tolstoï).
En France, on a vu, dès la période romantique, se préciser le réalisme
de Stendhal, de Balzac, de Mérimée.
Gustave
Flaubert.
Le type achevé
du roman réaliste, c'est cette Madame Bovary,
qui parut en 1857, la même année que les Fleurs du mal, et ne
fit pas moins scandale. Son auteur, Gustave Flaubert
(1821-1880), n'était peut-être pas exclusivement réaliste de tempérament;
il ne cessa d'osciller entre le romantisme, dont procèdent surtout Salammbô,
deux des Trois Contes, la Tentation de saint Antoine, et
le réalisme, qui domine dans Madame Bovary, l'Éducation sentimentale,
Bouvard
et Pécuchet. D'une part le pittoresque, l'histoire, l'exotisme, l'étrange,
voire le monstrueux; d'autre part, la médiocrité, la platitude de certaines
vies. Dans les deux cas, un culte exaspéré de la forme, un style châtié,
laborieux, forgé, modelé, damasquiné, une dévotion entière à l'oeuvre
d'art. Aussi bien, la misanthropie de l'observateur, voilée sous des airs
d'impassibilité, explique toutes les fugues de son imagination.
Les
Goncourt.
Les frères Goncourt,
Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870), annexèrent au réalisme l'impressionnisme.
Modeler le style sur l'impression, tel est le but. Le résultat, c'est
« l'écriture artiste », toute en frissons, violente et précieuse Ã
la fois, suprême refuge pour la sensibilité et la nervosité d'écrivains
théoriquement impersonnels comme la vérité.
A.
Daudet.
Avec Alphonse
Daudet (1840-1897), le réalisme est plus libre, plus aéré, plus
imprégné de sentiment, et peut-être, au bout du compte, plus véridique.
En dépit d'une esthétique entièrement fondée sur l'observation, Daudet
a réussi à émouvoir et à charmer, tout en créant des types comme Sapho,
Delobelle, Numa Roumestan et l'immortel Tartarin.
É.
Zola et le courant naturaliste.
Émile
Zola (1840-1902), au contraire, a encore accusé la formule du réalisme
en y introduisant une biologie inspirée de Taine, de Darwin,
de Claude Bernard, et ce fut le naturalisme. Ses Rougon-Macquart
(1871-1893), « histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second
Empire », ne seraient d'ailleurs, sous des dehors documentaires, qu'une
oeuvre chimérique, sans la puissance du tempérament épique qui les anime,
sans le mysticisme à rebours de l'auteur, sans sa divination géniale
de l'âme des foules.
Autour de lui, le
naturalisme groupe de nombreux talents : Guy de
Maupassant (1850-1893), excellent conteur, le plus naturellement réaliste
de tous; J.-K. Huysmans (1848-1907), qui conduisit
le naturalisme, par des voies imprévues, au mysticisme catholique, et
le Belge Camille Lemonnier (1845-1913), truculent, coloré, déclamatoire,
qui le ramène sans trop de difficulté au romantisme.
-
Comment écrire?
« Il faut être
bien fou, bien audacieux, bien outrecuidant ou bien sot, pour écrire encore
aujourd'hui! Après tant de maîtres aux natures si variées, au génie
si multiple, que reste-t-il à faire qui n'ait été fait, que reste-t-il
à dire qui n'ait été dit? Qui peut se vanter, parmi nous, d'avoir écrit
une page, une phrase, qui ne se trouve déjà , à peu près pareille, quelque
part. Quand nous lisons, nous, si saturés d'écriture française que notre
corps entier nous donne l'impression d'être une pâte faite avec des mots,
trouvons-nous jamais une ligne, une pensée qui ne nous soit familière,
dont nous n'ayons eu, au moins, le confus pressentiment? »
(G.
de Maupassant, extrait de la préface de Pierre et Jean).
|
Encore
des romanciers et des romans...
Les récits à l'éclat
sombre de Barbey d'Aurevilly (1808-1889)
mêlent le dandysme, le satanisme, le régionalisme, et deux ou trois d'entre
eux sont des chefs-d'oeuvre (le Chevalier des Touches, Une vieille maîtresse).
L'esprit romantique qui les anime se retrouve dans les romans satiriques,
politiques, anarchistes de Jules Vallès (1830-1870).
Il faut noter le succès, à la même époque, des
Misérables de
Victor Hugo, roman romantique s'il en fut, démesuré et inégalable, et
celui des romans mondains et quelquefois raciniens d'Octave
Feuillet (1821-1890). De la même époque est le Dominique (1862)
de Fromentin, roman d'analyse, tout subjectif,
baigné d'une tiède atmosphère saintongeoise, l'oeuvre la plus délicate
du genre après Adolphe.
L'époque symboliste
Le symbolisme fut une réaction contre l'art
des Parnassiens, art tout représentatif, qui consiste soit dans la reproduction
des formes et des couleurs, soit dans la transcription logique des idées.
Telle que la conçurent les nouveaux poètes, la poésie devait traduire
ce que l'âme recèle de plus profond et presque d'inconscient. Le symbole
est fondé sur une correspondance entre deux objets dont l'un, généralement,
appartient au monde physique, et l'autre au monde moral. D'ailleurs, le
symbolisme ne consiste pas à faire des symboles en forme, suivis et longuement
développés. Pour être symboliste, il suffit d'exprimer les secrètes
affinités des choses avec nos émotions.
Si l'école parnassienne se rattachait
au réalisme, si son art était une représentation directe, le symbolisme
s'y oppose comme étant une sorte d'évocation. La poésie des symbolistes
ressemble à la musique par son objet, cet objet étant de rendre les sentiments
et les émotions qui échappent à l'analyse, par ses moyens, les rythmes
et les sons. Parallèlement, les symbolistes revendiquèrent de grandes
libertés dans la forme : libertés avec la syntaxe, avec le vocabulaire,
avec la rime, qu'ils s'attachèrent à atténuer, et surtout avec la métrique
: leur vers libre, dont la longueur dépasse parfois celle de l'alexandrin,
se distingue souvent à peine de la prose.
Si l'on considère l'histoire du mouvement
symboliste, on peut constater que les littératures allemande et anglaise,
la musique wagnérienne, le préraphaelisme
ne furent pas sans influence sur son développement. Mais il eut en France
des précurseurs dans Alfred de Vigny et surtout dans Charles Baudelaire.
L'initiateur et le législateur de l'école fut
Stéphane
Mallarmé. Le maître dont elle se réclamait est
Paul
Verlaine, dont l'inspiration originale et sincère dépasse, à vrai
dire, l'esthétique du groupe. H.enri de Régnier
ne fit qu'y passer. Sorti de l'école symboliste,
Jean
Moréas l'abandonna pour fonder l'école romane. Parmi les poètes
symbolistes, citons encore Gustave Kahn, Jules Laforgue, et un certain
nombre de poètes d'origine étrangère, tels que Viélé-Griffin, Rodenbach,
Verhaeren. (NLI).
Philosophie. Sociologie.
Vers 1880, une réaction
se produit non contre l'observation, non contre les sciences, mais contre
les abus du naturalisme et du scientisme. Déjà , chez Renan, le rationalisme
incline à l'idéalisme, et les influences wagnérienne, ibsénienne, tolstoïenne
s'ajoutent à celle de Renan. C'est aussi le temps où le Génevois Frédéric
Amiel (1821-1881) est révélé par la publication posthume et fragmentaire
de son Journal intime (1883), dont la sensibilité maladive et anxieuse
contribuera à accroître le malaise dont souffrent les intellectuels.
Tandis que Charles
Renouvier (1815-1903) rajeunissait la philosophie de Kant en fondant
le néo-criticisme, Alfred Fouillée(1858-1912)
se faisait le théoricien du volontarisme et de l'idée-force, et Émile
Boutroux (1845-1921), par son livre De la contingence des lois de
la nature, se classait parmi les défenseurs de l'idéalisme métaphysique,
en réaction contre les doctrines déterministes.
Puis Henri
Bergson, né en 1859, éclectique à la façon de Leibniz,
non de Cousin, tenta, comme il l'a dit lui-même, de « porter la métaphysique
sur le terrain de l'expérience » en faisant appel à la science et Ã
la conscience, en développant la faculté d'intuition. Il a exposé les
principes de sa « métaphysique expérimentale » dans l'Essai sur
les données immédiates de la conscience (1889). Il distingue deux
mondes : celui de la durée intuitivement saisie, qui est toute réalité,
toute qualité, toute liberté, et celui de l'espace, de la quantité,
de la géométrie, de l'idéologie, du langage. Une telle doctrine, servie
par le plus beau style, devait séduire les champions d'un art de pure
spontanéité et l'on devine tout le parti qu'allait en tirer le néo-romantisme.
Bergson est un pur
philosophe; Charles Maurras (né en 1868) est un politique méditerranéen
épris de raison et d'ordre. Pur et vigoureux écrivain, monarchiste par
positivisme, il a exprimé l'essentiel de son système dans l'Enquête
sur la monarchie et dans l'Avenir de l'Intelligence. Il n'a
pas seulement fondé une école, mais un parti (d'extrême droite).
La critique.
Qu'elle se dise
impressionniste ou subjective avec Jules
Lemaître (1853-1914) et Anatole
France (1844-1924); qu'elle se montre, avec Paul
Bourget, soucieuse d'objectivité et d'analyse; qu'elle soit plus dogmatique
avec Ferdinand Brunetière (1849-1907), qui
applique aux faits littéraires la théorie darwinienne de l'évolution;
qu'elle tende à la lecture commentée avec Emile
Faguet (1847-1916), à la leçon de goût avec René Doumic et Gustave
Lanson, ou qu'elle soit poussée par l'esprit de la découverte avec Melchior
de Vogüé, André Chevrillon et André Bellessort, la critique française,
même si elle prétend jouir, se donne surtout pour mission de comprendre,
mais elle ne s'interdit pas toute liaison avec une poétique ou une doctrine
générale, avec Paul Souday, l'abbé Henri Brémond, Pierre Lasserre,
Henri Massis. Et l'on pourrait encore citer, sous cette rubrique, Léon
Bloy (1846-1917), « très humble, très ingénu vociférateur ».
L'histoire.
Après le renouveau
que provoqua le romantisme dans l'étude du passé, l'histoire s'organisa
scientifiquement, entendit rester objective et cessa d'être un genre proprement
littéraire. Il conviendrait cependant, parmi tant de travaux et pour s'en
tenir à la France, de mentionner quelques oeuvres qui ne sont pas de pure
érudition, où le souci de la forme s'unit à la solidité du fond : celles
de
Gaston Maspero, de Victor Duruy, de Gaston
Boissier, de Camille Jullian, de Pierre Imbart de la Tour, de Gabriel Hanotaux,
de Mgr Baudrillart, du duc Albert de Broglie, de Pierre de Nolhac, d'Aulard,
de Pierre de la Gorce, d'Albert Sorel, de Frédéric Masson, d'Albert Vandal,
de Henri Houssaye, de Paul Thureau-Dangin, de
Rodolphe Dareste.
La tendance générale
des historiens fut pendant longtemps à la monographie,
mais à l'ère des grandes synthèses, qui paraissait à peu près close,
semble se rouvrir, sous la forme collective, avec l'Histoire de France
d'Ernest Lavisse, l'Histoire de la nation française de Gabriel
Hanotaux, l'Évolution de l'humanité de Henri Berr, l'Histoire
du monde de Godefroy Cavaignac, l'Histoire universelle de Glotz,
Peuples et civilisations de Louis Halphen et Henri Sagnac.
La poésie.
Ce qui, après 1880,
caractérise un peu partout le mouvement poétique, c'est son subjectivisme
de plus en plus hardi et hautain. Comme l'art, et sous les noms simultanés
de symbolisme, d'esthétisme, de décadentisme, d'impressionnisme, en attendant
ceux de futurisme, d'imagisme, d'expressionnisme, d'ultraïsme, de dadaïsme,
de surréalisme, qui appartiennent en propre au XXe
siècle, la poésie tend à donner le pas, dans l'exécution de l'oeuvre,
aux forces obscures de l'âme, et non plus seulement au sentiment, mais
à l'instinct sur la raison.
Cette tendance a
contre elle les écoles de tradition, qui, d'ailleurs, ne s'entendent pas
toujours : derniers Parnassiens, poètes hors groupe - les plus nombreux
-, tenants d'un classicisme rajeuni et exclusif, comme l'École romane
en France. Entre la révolution et la réaction, on démêlerait des échanges
nombreux, curieux, imprévus. L'interpénétration va quelquefois jusqu'Ã
la confusion.
Corbière,
Rimbaud, Verlaine, Lautréamont.
Victor Hugo, dont
l'ombre planait encore sur le Parnasse, a été délogé par Baudelaire.
L'impatience du joug parnassien se trahissait, au lendemain de la guerre
franco-allemande de 1870, par les révoltes d'un Tristan Corbière (1845-1875),
le spleenétique et tout celtique auteur des Amours jaunes, et par
celles d'un Arthur Rimbaud (1854-1891), le poète
précoce, brutal et raffiné d'Une saison en enfer, le technifantaisiste
du sonnet des Voyelles.
Déjà , son aîné
et ami Paul Verlaine (1844-1896) avait écrit
les Poèmes saturniens, les Fêtes galantes et la Bonne
Chanson; acclamé « prince des poètes » à la mort de Leconte de
Lisle, il connut, dans ses dernières années, une gloire qui le vengea
des dédains officiels. Poète de l'instinct avec le goût de la mysticité,
ami de la nuance plus que de la couleur, de l'atmosphère plus que du contour,
moins soucieux de décrire que de suggérer, d'analyser que de deviner,
il fut un artiste assez subtil pour se créer une prosodie personnelle
en disloquant tous les rythmes sans sortir de la tradition métrique.
-
Il pleure
dans mon coeur
« Il pleure dans
mon coeur
Comme il pleut sur
la ville;
Quelle est cette
langueur
Qui pénètre mon
coeur?
Un bruit doux de
la pluie
Par terre et sur
Ie toits!
Pour un coeur qui
s'ennuie
Ô le chant de la
pluie!
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui
s'écoeure;
Quoi! nulle trahison?...
Ce deuil est sanjs
raison.
C'est bien la pire
peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans
haine
Mon coeur a tant
de peine! »
(P.
Verlaine, Romances sans paroles :
Ariettes
oubliées, 1874.).
|
L'énigmatique Isidore
Ducasse (1846-1870) publie en 1868, sous le pseudonyme de Lautréamont,
les Chants de Maldoror, en 1869, singulière épopée en prose,
inaperçue de son temps et que redécouvriront les surréalistes.
Mallarmé.
Afin de faire de
la poésie la langue de toute synthèse, Stéphane
Mallarmé (1842-1898) voulut « donner un sens plus pur aux mots de
la tribu » et n'atteignit qu'à l'indéchiffrable, qui est peut-être,
après tout, une forme de l'ineffable, mais en restant, lui aussi, et plus
strictement encore que Verlaine, fidèle à la versification usuelle.
J.
Laforgue.
Tout change avec
Jules Laforgue (1860-1887). Cet humoriste sensationnel, « Breton né sous
les Tropiques, » tire du vers libéré, en accord avec les rythmes populaires,
des effets d'ironie transcendante. Autant que d'Arthur Rimbaud et plus
que de Tristan Corbière, c'est de lui que les nouvelles écoles se réclament;
il forme avec eux la trinité secondaire immédiatement placée dans leur
culte au-dessous de Baudelaire, et, dans une zone plus nébuleuse, de Nerval
et de Mallarmé, parce que, nourri de la philosophie d'Hartmann,
il a le premier signalé l'immense domaine que l'inconscient ouvrait Ã
la poésie, les ressources illimitées qu'elle pouvait trouver dans ces
« forêts vierges » de l'âme.
Kahn,
Viélé-Griffin, Merrill, Régnier.
Dans le groupe qui
se forme et qui n'obéit encore que faiblement à ses directions, l'histoire
littéraire distingue les noms de Gustave Kahn (1859-1936), métricien
consommé et le premier inventeur du vers libre proprement dit; de Viélé-Griffin
(1864-1937) et de Stuart Merrill (1863-1915), tous deux nés en Amérique
: l'un, d'une sensibilité raffinée, créateur ou rénovateur de beaux
mythes antiques et moyenâgeux; l'autre, moins puissant et mal dégagé
encore des bandelettes hérédiennes; de Henri de Régnier (1864 -1936
) surtout, qui, du vers libre, passera progressivement à une foi moins
exclusive, conciliant le Parnasse expirant et le symbolisme dans les poèmes
de sa maturité.
L'École
romane et les indépendants.
Jean Moréas (1856-1910)
a décrit une courbe encore plus longue, mieux dessinée aussi, pour aboutir
aux Stances (1900), le chef-d'oeuvre et I'oeuvre-type de cette École
romane, dont Charles Maurras fut le Du Bellay, et qui comprenait à l'origine,
outre les poètes précédents, Raymond de la Tailhède, Maurice du Plessys,
Ernest Raynaud.
Petite par le nombre,
grande par l'influence qu'elle exercera même sur les dissidents, l'École
romane, restauratrice des grands principes essentiels de la poésie, fera
de brillantes recrues en Joachim Gasquet (1873-1921), Fernand Mazade, Jean-Marc
Bernard, Xavier de Magallon, André Thérive, Lucien Dubech, Paul Alibert,
Henry Charpentier, mais elle ne tentera ni Charles
Péguy (1873-1914), figure de voyant et d'apôtre, homme de la glèbe,
d'où il peine à faire jaillir une poésie lourde, puissante et informe;
ni Francis Jammes (1868-1938), Virgile béarnais, chantant la vie rustique
en vers ingénus et subtils, qui sentent le froment, la résine et l'encens
pascal; ni Paul Claudel (1868-1955), mystique
et lyrique jusque sur la scène, parfois obscur, parfois sublime, spécialiste
des versets assonancés qui sont un moyen terme entre les libertés de
la prose et les exigences du vers; ni le Champenois Paul Fort (1872-1960),
dont les Ballades françaises sont pétries de grâce et de malice,
au point de prendre la figure typographique de la prose pour tromper le
lecteur non averti; ni Valéry Larbaud, dont on commence à s'apercevoir
que le Barnabooth (1908) fut une date, et qui découvrit à ses
contemporains la poésie des transatlantiques et de l'Orient-Express. Larbaud
est déjà un «-Européen-».
Toutes les traditions
helléno-latines en France s'accordent, au contraire, chez Auguste Angelier,
lyre dorienne, qu'on voudrait seulement parfois un peu moins souple; chez
Frédéric Plessis (1851-1942), poète citoyen, humaniste et croyant, de
forme toujours parfaite; chez son émule Pierre de Nolhac (1859-1936),
que l'Auvergne et Rome
se disputent et qui les honore également; chez Charles Guérin (1873-1907),
âme inquiète, venue des brouillards germaniques à l'appel du dogme chrétien;
chez Louis Le Cardonnel (1862-1936), pour qui semble avoir été créé
le mot « séraphique », dévot, comme un des Renaissants de sa
chère Italie, à Virgile et à Platon
presque autant qu'Ã
Jésus.
-
Réminiscences
« Je sens confusément,
l'hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal
ou plante, j'ai souffert,
Lorsqu'Adonis saignant
dormait pâle en sa tombe;
Et mon coeur reverdit
quand tout redevient vert.
Certains jours, en
errant dans les forêts natales,
Je ressens dans
ma chair les frissons d'autrefois,
Quand, la nuit grandissant
les formes végétales,
Sauvage, halluciné,
je rampais sous les bois.
Dans le sol primitif
nos racines sont prises;
Notre âme, comme
un arbre, a grandi lentement;
Ma pensée est un
temple aux antiques assises,
Où l'ombre des
dieux morts vient errer par moment.
Mon âme a trop dormi
dans la nuit maternelle.
Pour atteindre le
jour, qu'il m'a fallu d'efforts!
Je voudrais être
pur : la honte originelle,
Le vieux sang de
la bête est resté dans mon corps.
Et je voudrais pourtant
t'affranchir, ô mon âme,
Des liens d'un passé
qui ne veut pas mourir;
Je voudrais oublier
mon origine infâme
Et les siècles
très longs que tu mis à grandir.
Mais c'est en vain
: toujours en moi vivra ce monde
De rêves, de pensers,
de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi
ma naissance profonde,
Et l'ombre d'où
je sors, et le peu que je fus;
Et que j'ai transmigré
dans des formes sans nombre,
Et que mon âme
était, sous tous ces corps divers,
La conscience, et
l'âme aussi, splendide ou sombre,
Qui rêve et se
tourmente au fond de l'univers. »
(J.
Lahor, L'Illusion)
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L'exemple d'une même
fidélité, sinon à la tradition helléno-latine, du moins à la langue
et au vers traditionnel, est donné par Jean Lahor (1840-1909), bouddhiste
et grand poète du néant, dans l'Illusion; par Léon Dierx (1830-1912),
né à l'île de la Réunion comme Leconte de Lisle et que les porte-lyre
élurent pour leur prince au décès de Paul Verlaine; par Jean
Richepin (1849-1926), le « touranien » à l'éloquence débridée
et rutilante, à la langue plantureuse, à la versification éclatante
et sonore; par Raoul Ponchon (1848-1947), dyonisiaque et léger comme un
fils de Pan; par Maurice Bouchor (1855-1929), dont la muse adolescente
baignait dans le clair de lune shakespearien; par Edmond Haraucourt (1857-1941),
qui, après l'Ecclésiaste, dénonce la misère et la solitude de
l'homme; par Albert Samain (1859-1900), tout en demi-teintes dans son Jardin
de l'Infante, poète de la pénombre et du clair-obscur de l'âme:
par Jules Tellier (1863-1887), mort à vingt-six ans et qui mieux que dans
ses vers, s'est livré avec tout son pathétique amer dans ses « Proses
» sombres, cadencées et puissantes. La comtesse Anne de Noailles (1876-1933)
est la plus célèbre des muses du temps. Romantique au lyrisme jaillissant
dans le Coeur innombrable (1900) et dans ses autres recueils, il
semble qu'elle se soit repliée sur elle-même à partir la Grande
Guerre, qu'elle soit devenue plus soucieuse d'intellectualiser l'émotion
en des vers plus sobres, plus condensés, plus classiques.
Traditionalistes
encore (et comment ne le seraient-ils pas ?) sont les poètes qu'inspirèrent
les petites patries : Maurice Rollinat (1846-1903 ), chantre du Berry;
François Fabié (1846-1928), chantre du Rouergue;
Gabriel Vicaire (1848-1900), chantre de la Bresse;
Anatole Le Braz (1859-1926), chantre de la Bretagne.
Mais en Belgique,
et sauf chez George Rodenbach (1855-1898), le fil est rompu, et ce sont
de purs symbolistes qu'Émile Verhaeren (1855-1916) et Maurice
Maeterlinck (1862-1949) : l'un, poète visionnaire et tumultueux des
« campagnes hallucinées », des « villes tentaculaires », de la guerre
moderne à forme industrielle; l'autre, poète du mystère, expert à rajeunir
la figure du Destin, Ã livrer la faiblesse humaine au jeu des grandes
forces ténébreuses qui mènent le monde.
Un autre animateur
de la jeune poésie, celui qui a le plus orienté le lyrisme cubiste et
dadaïste vers l'humour, la bizarrerie, la mystification, Guillaume Apollinaire
(1880-1918), était d'origine slave.
Le travail de désagrégation
auquel les Romances sans paroles de Verlaine avaient donné l'expression
la plus accessible et la plus touchante, d'autre part l'effort de construction
et de condensation, l'espèce de géométrie poétique dont l'École romane
offrit l'exemple, semblent avoir trouvé leur accord dans les poèmes de
Paul
Valéry (1871-1945), représentant depuis longtemps consacré - après
un long silence où il se recueillait - de la « poésie pure », entendue
comme une métaphysique sous forme de chant.
Le roman.
La vogue du roman
n'a pas diminué, bien au contraire, si difficile qu'il parût d'innover
après les romantiques
et les réalistes. Les deux pays qui, au début XXe
comme au XIXe siècle, ont le plus fourni
au genre, sont la France et l'Angleterre.
En France, le roman
naturaliste se prolonge en se diversifiant, et c'est encore lui qu'on reconnaît
sans trop de peine sous la plume d'Octave Mirbeau,
de Lucien Descaves, des frères Margueritte,
de Barbusse. Mettons à part le naturalisme condensé et ironique de Jules
Renard (1864-1910). Mais d'autres voies ont été ouvertes par Villiers
de l'Isle-Adam (1838-1889), le romancier du rêve, de la féerie, de
l'idéal, du sarcasme et du paradoxe, sans parler d'un esthétisme verbal
qui fait penser à Oscar Wilde. A la même époque,
Paul Bourget (1852-1935), après s'être essayé comme critique, donne
coup sur coup les romans d'analyse psychologique qui l'imposent comme un
Stendhal modernisé (Mensonges, Cruelle énigme, Notre coeur et
surtout le Disciple). Sans renoncer à sa méthode, il fait hommage
des suivants à la tradition catholique et sociale, telle qu'on la trouve
« concrétisée » dans l'Étape et le Démon de Midi.
Non moins traditionalistes
sont René Bazin (1853-1932), le meilleur peintre
et le plus fin observateur de la vie provinciale (la Terre qui meurt),
et Henry Bordeaux (1870-1963) qui, fondant sur le foyer sa théorie de
la cité (la Croisée des chemins, les Roquevillart), atteint au
grand pathéthique dans la Maison morte. Tous deux sont également
régionalistes : le premier pour l'Anjou, le second pour la Savoie, comme
Émile Pouvillon pour le Quercy, Erckmann-Chatrian
pour l'Alsace,
Ferdinand Fabre pour le Languedoc,
René Boylesve pour la Touraine, Lucie Delarue-Mardrus pour la Normandie,
Georges Lecomte pour la Bourgogne, Henri Pourrat pour l'Auvergne, Anatole
Le Braz pour la Bretagne. Francis Carco excelle à restituer les bas-fonds
parisiens, d'un trait sobre, presque classique.
Une autre façon
de sortir du naturalisme, c'est d'emporter l'imagination en pays lointain.
Pierre
Loti (1850-1923) a satisfait mieux que personne cette disposition nouvelle
: il n'est guère de pays ou de mer où il n'ait conduit son lecteur. Romantique
peu objectif, sauf dans Pêcheurs d'Islande et Ramuntcho,
il est le principal personnage de ses récits. Mais de quel clavier, de
quels nerfs il dispose et quelle musique en tire ce prodigieux sensitif!
Voyageurs aussi,
mais plus préoccupés du document, plus soucieux d'une vérité objective
sont Claude Farrère (1876-1957), marin comme Loti et dont la Bataille
a tout le caractère d'un chef-d'oeuvre; Louis Bertrand (1866-1941), épris
de vie forte et de civilisation latine; les frères Tharaud, Jérôme (1874-53)
et Jean (1877-1952), spécialistes de l'enquête romanesque à travers
les pays et les âges, conduite dans un style ferme qui épouse directement
la pensée; Louis Hémon (1880-1913), dont il suffit de citer Maria
Chapdelaine.
La manière de Pierre
Louÿs (1870-1925) confine à l'esthétisme ; celle de Paul
Adam (1862-1920) est pénétrée de nietzschéisme. Les écrivaines,
notamment Colette (1873-1954) et Gérard d'Houville
(Marie de Heredia, 1875-1963), font d'indiscrets appels à l'autobiographie:
confidences charmantes, ailées et quelquefois profondes. Le roman romanesque
est la spécialité de Marcel Prévost (1872-1941), dont l'oeuvre contient,
malgré des apparences parfois contraires, d'excellentes leçons de sagesse
bourgeoise; d'Abel Hermant, observateur pénétrant, écrivain subtil et
spirituel; de Marcelle Tinayre (1872-1948), dont
la Maison du péché
est l'oeuvre la plus profonde, et, dans la note humoristique, de Georges
Courteline (1860-1929) et de Henri Duvernois (1875-1937). Henri
Lavedan (1859-1940), après avoir mis en scène sous la forme dialoguée,
la société parisienne, avec les cinq volumes de son Chemin du salut,
a écrit de nouveaux Misérables.
Les frères Boex
(J.-H. Rosny aîné, 1856-1940, et J.-H. Rosny
jeune, 1859-1948), longtemps collaborateurs, ont montré une belle ardeur
de sensualité, une rare fraîcheur de naturel, un sens singulier du merveilleux
dans leurs romans réalistes, primitifs ou d'anticipation. Édouard Estaunié
(1862-1942) s'avère dans l'Empreinte, le Ferment, l'Infirme
aux mains de lumièreun analyste aigu de la vie secrète. Et Jean Giraudoux
(1882-1944) s'ingénie à « styliser chaque acte, chaque passage, chaque
émotion » de ses personnages en leur appliquant une formule neuve, inattendue
et qui fait école.
Forme indéfiniment
malléable, le roman devient le genre d'élection dans une époque qui
confond tous les genres, et il s'est prêté à l'expression des idées,
selon une tradition d'ailleurs vénérable et abondamment illustrée par
Voltaire
et Diderot. Touché par l'esprit de Renan, Anatole
France (1844-1924), lettré supérieur et d'une constance unique dans la
perfection, esprit souple et complexe, est avant tout un dilettante aux
curiosités érudites ou doctrinales, avec tendance progressive à remplacer
le scepticisme ou l'épicurisme de Sylvestre Bonnard ou de Jérôme Coignard
par le socialisme de Monsieur Bergeret et de Crainquebille, non sans allumer,
en passant, la flamme de passion qui brûle dans Thaïs et le
Lys rouge.
Renanien émancipé,
Maurice Barrès (1862-1923), après avoir exprimé un égotisme absolu
dans ses « romans idéologiques » et discipliné sous une Minerve intérieure
toutes les puissances du romantisme, se laissa conduire par une logique
qui lui appartenait à l'égoïsme sacré de la patrie, qui lui paraissait
la seule fraternité possible, et devint un organisateur d'intelligences,
un conducteur d'hommes. Son idéologie d'extrême droite allait être très
active dans la société de l'entre-deux guerres.
Parmi ceux qui combinent
également la fiction et l'idéologie, nous citerons Marcel Schwob (1867-1905),
essayiste et humaniste; Charles Maurras, avec son Anthinéa et ses
beaux mythes du Chemin du Paradis; Rémy
de Gourmont (1858-1915), autre essayiste un peu égaré dans le roman;
Romain
Rolland (1868-1944), le puissant auteur de Jean-Christophe,
analyste subtil, cultivant les antinomies comme des fleurs rares dans le
jardin secret de son moi, un de ceux dont l'inquiétude intellectuelle
et le style dépouillé ont le plus agi sur la jeune génération, rêvant
- à la veille de la tragédie de 1914 - d'une Europe où se fondraient
passionnément les qualités foncières de la France, de l'Italie et de
l'Allemagne.
Après lui,
Marcel
Proust (1871-1922) s'est surtout appliqué à éclairer le travail
subsconscient de l'esprit, grâce à sa lucidité de malade et à des sens
suraigus. Mais cette littérature, aboutissant à une abondance minutieuse
et souvent fastidieuse, ramena par réaction la vogue du roman d'aventures,
dont Pierre Benoît a donné les plus attirants spécimens.
De la Grande
Guerre cependant, toute la littérature semble avoir sombré, sauf
les épiques Croix de bois de Roland Dorgelès,
les Martyrs de
Georges Duhamel, et, en Bretagne, les lais celtiques du barde Calloc'h.
Le théâtre.
En France, selon
une tradition bien établie, le théâtre est toujours le plus florissant.
Le naturalisme n'y aurait eu qu'un succès mitigé, avec les Goncourt et
Zola, si un homme de métier n'avait donné figure de vie à cette formule;
le succès de Henri Becque (1837-1899), avec les Corbeaux et la
Parisienne, précéda de peu l'effort d'Antoine dans le sens du réel,
du jeu vrai, de la diction familière. Le Théâtre-Libre (1887-1894) s'ouvrit
largement aux auteurs étrangers (Ibsen, Bjoernson,
Strinbderg, Tolstoï, Verga, Hauptmann), et le
théâtre de Oeuvre, sous Lugné-Poé, poursuit le même effort d'art.
Cependant la tradition
créée par Émile Augier et Dumas fils se perpétuait, avec des rajeunissements,
dans la comédie de moeurs. A force d'ingéniosité et d'élégance, Jules
Lemaître (1853-1914) tenait la gageure de rester dilettante, tout en présentant
des conflits du coeur et des conflits de classes. Paul
Hervieu (1857-1915) écrivait d'un style sec
des tragédies en prose, dont les Tenailles resteront le type. Eugène
Brieux (1858-1932) s'attaquait, dans ses pièces-conférences, à certaines
tares sociales. Henri Lavedan (1859-1940), après avoir été le moraliste
léger du Vieux Marcheur, s'élevait progressivement à la noblesse
cornélienne du Duel et de Servir. Alfred Capus (1858-1922),
sur un mode plus familier, montrait qu'avec de l'intelligence, et surtout
de l'indulgence, « tout s'arrange » en ce monde, surtout à Paris. Robert
de Flers (1872-1927), en collaboration avec Arman de Caillavet (1869-1915),
puis avec Francis de Croisset (1877-1937), se partageait avec un égal
bonheur entre la comédie de sentiment et le vaudeville
satirique.
Le théâtre d'amour,
toujours populaire en France, fut spécialement représenté par George
de Porto-Riche (1849), le Racine du sensualisme,
chez qui l'observation fine et profonde s'allie à un fourmillement de
mots spirituels d'une vérité un peu amère. Dans la voie ouverte par
ce maître ont marché Pierre Wolff, Romain Coolus, Henry Bataille (1872-1922),
dont l'oeuvre tout entière est un beau cri d'angoisse amoureuse. Chez
Henri Bernstein (1876), le conflit s'exaspère, tous les vieux instincts
sont déchaînés : c'est la lutte pour la proie, comme aux premiers âges
du monde.
Maurice Donnay (1860-1945),
spirituel, malicieux et tendre, établit, en des pieces comme Amants,
le passage de la tradition française à ce théâtre tout physiologique.
En 1910, le symbolisme
apparaît sur la scène avec l'Intruse de Maeterlinck, une pièce
d'atmosphère et de fatalisme, suivie des Aveugles et de Pelléas
et Mélisande. Le Voile de Rodenbach relève de la même technique.
Combiné avec le réalisme, le symbolisme aboutit au théâtre de François
de Curel (1854-1928), théâtre viril, sans complaisance, dédaigneux
de l'habileté et auréolé de poésie. Au symbolisme encore peuvent se
rattacher les pièces mystiques et lyriques de Paul Claudel, sauf l'Otage,
conçu dans la formule courante.
Le théâtre en vers
a été cultivé avec succès par François Coppée, Jean Richepin, François
Porché, surtout par
Edmond Rostand (1868-1918),
qui connut le grand triomphe avec Cyrano de Bergerac
(1897). Les pièces de Rostand ne sont pas toutes de la même veine heureuse,
une école d'héroïsme chevaleresque et précieux, exaltant l'honneur,
le sacrifice, la bravoure spirituelle à la gasconne; c'est du théâtre
selon la formule empanachée des prédécesseurs de Corneille,
et Cyrano lui-même est une sorte de prototype du Cid.
Parmi les comiques
purs, Georges Courteline (1860-1929) nous
présente dans Boubouroche, le Gendarme est sans pitié, la Conversion
d'Alceste, les plus savoureuses combinaisons de misanthropie et d'humour,
une largeur d'observation et un sens du ridicule qui rappellent Molière;
Jules Renard (1864-1910) a la verve plus acidulée dans Poil de Carotte
et le Plaisir de rompre. Tristan Bernard (1866-1947), délicieux
d'ironie dans l'Anglais tel qu'on le parle, excelle à mettre en
scène des types d'ahuris. (Ch. Le Goffic, A. Dupouy). |
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