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Littérature française
La littérature française au XVIe siècle
La Renaissance des lettres
L'Humanisme
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La poésie. - La Pléïade
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Marot
Ronsard

Le théâtre

La prose

Rabelais (Gargantua et Pantagruel)

Montaigne (Les Essais)

La Satire Ménippée

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On peut dire que le XVIe siècle, par l'affranchissement des idées, en brisant le moule étroit qui enserra les intelligences au XVe, fut comme le précurseur, comme l'avant-garde du XVIIIe siècle.

Les deux grands facteurs de cet affranchissement de la pensée furent la Renaissance, dont la découverte de l'imprimerie grandit la portée, et la Réforme, qui décupla l'importance de la Renaissance. Au XIVe et au XVe siècle, nous assistons à l'ébranlement et à la division de l'Europe, à la ruine de l'unité du Moyen âge : l'Eglise, en perdant l'empire universel, laisse chaque peuple reprendre sa vie indépendante et personnelle. Une société nouvelle se fonde, dont il ne reste plus à affranchir que les esprits : ce sera précisément l'oeuvre du XVIe siècle. Les époques de transition, comme le XVe siècle, sont généralement peu littéraires, et la littérature qui avait eu un si grand développement en France au XIIIe siècle et delà avait rayonné sur toute l'Europe, se ressentant de la situation politique de la France, était restée malingre et chétive. Au contraire, l'impulsion que va donner aux esprits l'étude de l'Antiquité en élargissant l'horizon, l'impulsion de la Réforme en affirmant le droit de l'intelligence humaine au libre examen vont créer une littérature vivace et forte, à laquelle il ne manquera, pour être vraiment grande, que la forme parfaite qu'atteindra le XVIIe siècle.

La Renaissance. Ses causes en France

Il convient de définir ce mot Renaissance : ce fut un mouvement littéraire considérable produit en Occident par la découverte, l'exégèse et l'imitation des chefs-d'oeuvre des deux Antiquités, grecque et latine. « Le mot, admirablement choisi, rappelle par une heureuse métaphore le soudain renouvellement produit dans les sciences, les arts, la philosophie, les lettres, par le retour à la lumière de monuments longtemps oubliés, la vive et féconde passion qu'inspira leur beauté, et le rajeunissement qu'y puisa l'esprit humain. » Il y avait déjà eu au IXe et au XIIe siècle deux renaissances, au sens historique du mot; mais, dit un critique, celles-ci, qui n'avaient eu pour éducatrice que la seule littérature latine, n'avaient eu que des résultats incomplets et sans rapport avec la floraison touffue des intelligences au XVIe siècle : les esprits alourdis de scolastique n'avaient pu non plus être mis en mouvement par le mince filet de science et de philosophie grecques qui par les Arabes avait coulé jusqu'en Occident.

Influence de l'Italie. 
Ce fut en Italie que se fusionnèrent harmonieusement les traditions du goût et du savoir antiques avec les éléments de la civilisation chrétienne cette fusion ne se fit en France que par l'influence de l'Italie. Gebhardt a très heureusement expliqué comment la Renaissance avait échappé à la France : 

« Au siècle même de Dante et de Pétrarque, la France perdit à la fois les deux causes sérieuses de toute vie morale : l'indépendance de la pensée et la vie politique. Les âmes, découragées et attristées par les misères de la patrie, alanguies par l'éducation scolastique, laissèrent s'affaiblir les qualités généreuses du génie national. La civilisation en France fut frappée en pleine adolescence au moment où elle s'apprêtait à donner ses plus beaux fruits. »
L'Italie, au contraire, grâce à son indépendance philosophique et religieuse, offrait un terrain plus favorable à l'éclosion de ce mouvement littéraire. Dante, en créant une langue, avait façonné l'instrument qui lui était nécessaire pour s'exprimer; le Florentin Giotto dans l'ordre artistique avait affranchi l'art italien de l'imitation, et le dérobant à la convention l'avait remis à l'école de la nature. Enfin Pétrarque, qui avait si largement bu aux sources latines, marquait déjà l'aurore de cette Renaissance qu'allaient précipiter les événements politiques. L'empire de Constantinople s'était écroulé en 1453, et cette chute de Constantinople valut à l'Italie, outre un nombre considérable de manuscrits, la présence d'un groupe de Grecs d'élite qui firent de celle-ci et de Florence en particulier leur nouvelle patrie. La culture hellénique, qui en résulta pour les Italiens, s'alliant à la culture latine, devait engendrer cette Renaissance des lettres. 

Ce fut la contribution de la culture grecque, accueillie par Cosme de Médicis, qui établit une nouvelle académie platonicienne à Florence, où l'on célébra la fête de Platon, qui depuis douze siècles n'existait plus dans Athènes. Ce culte de Platon rayonna dans l'Italie entière : bientôt la curiosité fut sans bornes; on rechercha avec passion les manuscrits, et les bibliothèques se fondèrent ; celle du couvent de San Marco coûta à Cosme de Médicis une fortune. Nicolas V (Thomas Parentucelli) fondait la bibliothèque Vaticane et tous les plus petits princes voulurent avoir la leur. Quel concours l'imprimerie, par la découverte des caractères mobiles que fit Gutenberg en 1450, ne devait-elle pas apporter à cet extraordinaire mouvement des esprits? Alde Manuce l'Ancien donnait à Venise l'édition princeps des oeuvres d'Aristote, dont le cardinal Bembo ne dédaignait pas de corrifer les épreuves.

L'Italie était dans la pleine floraison littéraire causée par ces études nouvelles, quand éclatèrent sous Charles VIII et Louis XII les Guerres d'Italie. Il s'ensuivit pour la France un contact fécond, et l'enthousiaste curiosité, qui animait l'Italie, passa les Alpes. Ce fut comme une révélation de l'art, et cette révélation porta ses premiers fruits dès le règne de Louis XII, où l'on vit le cardinal Georges d'Amboise donner le signal d'une des plus belles périodes de l'architecture. Sans l'imprimerie, le mouvement créé eût été moins rapide ; la Réforme vint lui prêter encore un concours puissant.

La Réforme.
Celle-ci fut l'oeuvre du Nord, qui de tout temps avait avec impatience subi le joug antipathique du Midi. Jamais les Romains n'avaient pu dompter la Germanie qui avait fini par envahir et détruire l'empire de Rome : au Moyen âge la lutte sous des noms différents s'était continuée pour éclater bientôt en une scission complète. Ce que n'avait pu faire Arnaud de Brescia en Italie, Wyclif en Angleterre, Jean Huss en Allemagne déjà, Luther l'accomplit et brisa à jamais l'unité catholique, affranchissant les esprits du joug despotique de l'Eglise. Ce fut là un des plus grands faits des Temps modernes, et, pour l'importance, on ne peut guère comparer à la Réforme que la Révolution française. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer les conséquences politiques durables qui découlèrent de ce fait inouï.

Au point de vue littéraire, les conséquences n'en furent pas moins étendues; en agitant les redoutables problèmes de la conscience religieuse, la Réforme jetait les bases du libre examen, qui succéda à la foi. Les querelles théologiques du XVe siècle devinrent philosophiques, et la nécessité de s'adresser à tous détermina l'emploi de la langue commune en théologie comme en philosophie. Et de même qu'en Allemagne Luther donnait une traduction de la Bible, qui reste le premier monument de la langue littéraire allemande, ainsi en France la langue française succéda au latin dans l'exposition et la discussion des idées religieuses : en effet, Calvin, le 1er août 1535, dédiait à François ler, son Institution de la religion chrétienne.

A la cour, on adopta les idées nouvelles tandis que la Sorbonne fulminait contre elles. Le roi, qui plus tard devait persécuter les Calvinistes, ne vit d'abord dans la Réforme que l'occasion de railler sorbonnistes et moines. Marguerite, soeur du roi, et Louise de Savoie, sa mère, se montrèrent quelque temps favorables à ces idées, et dès lors paraître les accepter fut de bon ton. Comme expression populaire de la Renaissance, la Réforme trouva également faveur auprès des lettrés dont le centre d'ailleurs était la cour : les uns acceptaient plus ou moins les dogmes luthériens ou calvinistes, comme Berquin, Roussel, les deux Cop, Robert Estienne et Marot; d'autres, tout en restant catholiques, se montraient tolérants, tels Budé, Du Bellay; d'autres, enfin, qui sans doute allaient au delà, ne s'en embarrassèrent pas comme, Etienne Dolet et Rabelais.

Causes locales.
Les Guerres d'Italie avaient mis la France en contact avec la Renaissance sur le sol même où elle s'était développée; la découverte de l'imprimerie avait permis la dissémination des oeuvres anciennes, et la Réforme, en affranchissant les esprits et en leur donnant le libre examen, avait prêté un puissant secours à l'avide curiosité engendrée par l'influence des auteurs helléniques.

D'autres causes dont la plus importante fut certainement la vie de cour sous les Valois et l'accueil que fit François Ier aux artistes et aux lettrés hâtèrent la Renaissance en France. « Le roi aimait à s'entourer d'hommes savants, de poètes et d'artistes; il en remplissait sa cour et ses conseils. Il consultait Lascaris et Budé, écrivait à Erasme, s'égayait avec Marot et comblait d'honneurs les trois frères Du Bellay. » Pour donner aux artistes français l'expérience qui leur manquait, il fallait des modèles et des maîtres que François Ier ne craignit pas d'emprunter à l'Italie. On connaît cette brillante réunion d'architectes, de sculpteurs et de peintres, dénommée parfois Ecole de Fontainebleau, parce que tous concoururent à l'embellissement du château dont François Ier et Henri Il firent leur séjour favori.

Fichet, recteur de la Sorbonne, avait dès 1469, introduit l'imprimerie à Paris et, dès 1500, près de 750 ouvrages avaient déjà été publiés : pénétrés de la dignité de leur mission, les imprimeurs marchèrent de pair avec les plus grands savants du siècle, et les Estienne, succédant aux Badius Ascensius, aux Gourmont, aux Colines, aux Dolet, portaient à la perfection l'art de la typographie. Nous rappellerons plus loin la place tenue dans l'histoire de la philologie par ces hommes éminents.

L'enseignement lui-même se sécularisa le roi, laissant à la Sorbonne ses stériles enseignements, créait, en 1531, le Collège royal ou des Trois Langues, où s'enseignèrent l'hébreu, le grec, le latin, la médecine, les mathématiques et la philosophie (Collège de France). Ce fut là un important facteur, qui joua un rôle prépondérant. La génération, déjà habituée aux idées anciennes, fit moins pour le développement de la Renaissance que la jeunesse, dont l'enthousiasme fut rapidement favorisé par cet enseignement nouveau.

Caractères généraux de la Renaissance en France.
 La Renaissance produisit, en France, un retour au paganisme par la directe imitation des Anciens. Sans doute le Moyen âge connaissait en grande partie du moins les textes anciens; mais, préoccupé avant tout d'un idéal religieux ou d'un art local, il manquait essentiellement de liberté et de critique dans sa façon de comprendre ou d'imiter les Grecs et les Latins. Il cherchait dans Virgile un prophète du christianisme et habillait en chevaliers les héros d'Homère. Les esprits, affranchis et élargis par le contact de l'Humanisme italien, commencèrent à chercher dans les anciens une beauté propre, indépendante de tout parti pris, à les admirer en eux-mêmes et à les imiter.

Une fois en possession de la langue, grâce aux enseignements de maîtres comme Grégoire Tifernas et Hermonyme de Sparte, les érudits exercèrent leur critique, et Erasme, puis Budé, qui mérita le nom de restaurateur des études grecques en France, donnèrent à l'hellénisme un éclat que la docte Allemagne n'a jamais éclipsé. Avec les immenses travaux de critique, de grammaire et de lexicographie qui voient alors la lumière, « en face des modèles antiques, à l'aide de Platon et aussi par suite d'une émulation féconde entre les écrivains et les artistes, l'idée de perfection, inconnue au Moyen âge, pénétra dans les esprits. On chercha dans Horace et dans Aristote les règles qui permettraient de réaliser cette perfection ou au moins de la goûter pleinement. » 

De là naquit l'Humanisme français si bien défini par Émile Faguet

« L'Humanisme français a fondé le classicisme français comme l'humanisme latin du IIe siècle av. J.-C. a fondé la littérature classique latine. Dans les deux cas, la marche est la même : admiration, imitation, émulation; et quand on en est à l'émulation, c'est partie gagnée ou en train de l'être; c'est le grand effort pour mettre toutes ses puissances à la poursuite et à la conquête d'un idéal qu'on désespère toujours d'atteindre et qu'on maudit en l'adorant, qu'on maudit d'être adorable; c'est la grande fièvre artistique, c'est un des états douloureux les plus exquis et les plus nobles et les plus féconds que l'humanité puisse connaître. »
De là encore procède l'individualisme; chaque écrivain eut sa valeur toute personnelle; il n'y eut pas de disciples; chacun eut son génie qui, pour se faire entendre, adopta sa méthode et sa langue. Chacun, grâce à la Réforme, qui ne laissa à la tradition religieuse qu'un respect tout formel, fut doté d'une indépendance morale et religieuse et conserva cet esprit de libre examen qui, refoulé un instant au XVIIe siècle, se continuera du moins en s'élargissant au XVIIIe.

Telle fut brièvement résumée, et dans la mesure où elle touche à l'histoire littéraire, la double révolution intellectuelle qui devait engendrer au XVIe siècle un nombre d'écrivains considérable, théologiens et écrivains politiques, moralistes et conteurs, historiens, traducteurs et érudits, enfin toute une pléiade de poètes. Nous allons les passer rapidement en revue et, afin de faciliter cette tâche, nous établirons deux divisions que nous subdiviserons ensuite : poésie et prose.

La Poésie française au XVIe siècle

On peut dire que la galanterie fut la note dominante de la poésie au XVIe siècle. Mais, pour bien saisir l'influence de la Renaissance, il convient de dire ce qu'elle était lorsque se produisit cette grande manifestation littéraire. A la poésie sérieuse de la féodalité, aux chansons de geste et aux merveilleuses fictions d'Arthur (Le cycle de la Table ronde), avaient succédé les allégories ingénieuses, mais froides, du Roman de la Rose (La Littérature courtoise). En dépit des efforts et des mérites des trouvères et des chansonniers, la poésie, ne pouvant atteindre à la pensée sérieuse dont la société cléricale semblait se réserver le monopole exclusif, resta un jeu brillant et comme le complément nécessaire des fêtes, passes d'armes ou festins. N'étant plus inspirée par l'enthousiasme guerrier et exclue du domaine de la pensée pour ne rester que dans celui de la foi, la poésie laïque ne devait chercher qu'à tresser des paroles, à saisir et à dépeindre ingénieusement des sentiments à fleur de peau et à inventer des allégories. Au XVe siècle, Villon lui fit faire un pas, et, « mêlant aux saillies de sa joyeuse humeur des traits nombreux d'une sensibilité rêveuse et quelquefois éloquente, il fut le premier qui saisit et dégagea la poésie que récèle la plus vulgaire et la plus misérable des conditions ». En enlevant à l'Église le domaine de la pensée et en la sécularisant, la Renaissance va permettre à la poésie d'atteindre à l'élévation morale qui lui manque.

Au XVIe siècle, la poésie peut se diviser, pour la commodité de l'exposé, en trois époques distinctes : la première période, où l'on sent le besoin d'une réforme littéraire, est marquée par Marot, qui fait suite au Moyen âge, hérite de Villon et de son esprit. Cette période dure jusqu'au milieu du règne de Henri II. Puis, pendant la seconde période, une école nouvelle se forme, qui va tenter l'accomplissement de la réforme littéraire : c'est l'école de Ronsard. Cette période va presque jusqu'à Henri IV. Enfin, nous entrons dans la troisième période : Malherbe est venu et la réforme est accomplie; nous sommes sur le seuil même du XVIIe siècle.

Première période. 
C'est avec le nom de Clément Marot que s'ouvre au XVIe siècle la poésie française. 

Marot.
Clément Marot (1495-1544) fut surtout un poète aimable, qui, comme véritable poète de transition, résume en lui toutes les qualités de la vieille poésie française. « On retrouve en lui la couleur de Villon, la gentillesse de Froissart, la délicatesse de Charles d'Orléans, le bon sens d'Alain Chartier et la verve mordante de Jean de Meung : tout cela est rapproché, concentré dans une originalité piquante et réuni par un don précieux, qui forme comme le fond de cette broderie brillante, l'esprit ». Mais Marot n'a pas élargi le cercle tracé par ceux dont il est l'héritier direct; en effleurant tous les genres, églogue, épître, élégie, ballade, chanson, cantique, épigramme, il a eu leur même but, l'amusement sans la moindre idée d'enseignement : du moins a-t-il des sentiments plus nobles et plus grands. Au contraire de ce qu'a dit Boileau, Marot n'a pas montré pour rimer des chemins tout nouveaux; il n'a pas fait de révolution littéraire; il n'a fait que vulgariser et étendre le mélange des rimes avec l'emploi plus particulier du vers de dix syllabes. Poli par l'usage de la cour, il est aussi plus délicat que Villon; il sut donner un tour heureux de galanterie à l'expression de l'amour. Mais il n'a fait que donner une expression définitive à la poésie familière, ingénieuse et sensée du Moyen âge.
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Clément Marot.
Portrait gravé de Clément Marot.

Marot eut des disciples, dont les principaux furent Mellin de Saint-Gelais, Théodore de Bèze, Victor Brodeau, Charles Fontaine et Marguerite de Valois. Saint-Gelais mérite une mention plus spéciale; il avait reçu une éducation soignée; il avait étudié la littérature ancienne et italienne. C'est lui qui a inauguré le sonnet. Il est plus correct, mais moins naïf que Marot; il eut moins de naturel et rechercha les contrastes et les antithèses.

Deuxième période. 
Mais l'amusement ne pouvait rester l'éternel objet de la littérature française et, tandis que Marot se croyait au faite de la puissance, une troupe de jeunes poètes accomplissaient une réforme littéraire. Jusque-là l'étude de l'Antiquité avait été négligée; on se contentait de suivre les traditions du Moyen âge : des poètes comprirent qu'il y avait une autre voie à suivre. On vit une troupe d'écrivains sortir de l'école de Jean Dorat et marcher à la conquête de la poésie. Dorat, professeur de Baïf, eut aussi pour élèves Ronsard, Lancelot, Du Bellay, Muret. C'est Joachim du Bellay qui se mit à la tête de cette révolution littéraire, et qui, entre 1549 et 1550, écrivit l'Illustration de la langue française. Il voulait faire faire un pas à la langue française qui, du reste, depuis François Ier, avait bien progressé. Du Bellay passe le Rubicon et déclare la guerre a l'école de Marot. Ronsard, Ponthus de Thard, Remy Belleau, Etienne Jodelle, Baïf font la guerre aux Modernes et plaident pour les Anciens, auxquels ils gagnent Maurice Scève et Théodore de Bèze. Cette jeune école, animée des plus nobles désirs, proscrit le rondeau, le triolet et introduit les grands genres, l'ode, la tragédie, l'épopée. La langue gagna beaucoup à ce généreux effort; elle s'enrichit de mots, de tours nouveaux et de formes poétiques.

Du Bellay.
Joachim du Bellay (1524-1560) a su mériter le surnom d'Ovide français, mais son plus grand litre de gloire est d'avoir écrit l'oeuvre qui donna le signal de la lutte contre l'ancienne école. Après avoir sonné la charge, il se retira du champ de bataille, et, lorsque la querelle s'envenima, il tenta de la pacifier. Le manifeste de la nouvelle école avait paru cinq ans après la mort de Marot et deux ans après l'Art poétique de Sébilet; ceux qui s'y enrôlèrent furent appelés la brigade, et une fois victorieux ils se mirent de leurs propres mains au ciel et s'appelèrent la pléiade. Du Bellay avait l'esprit juste et clair et comprit ce qu'il avait à faire. Lui, du moins, n'a pas encouru le reproche que fait Boileau à Ronsard d'avoir en français parlé grec et latin. C'est un critique judicieux et exact qui s'emportera contre Baïf, lorsque celui-ci s'élèvera jusqu'à l'emphase, et il lui reprochera de pindariser. Les sonnets, l'Olive, les Regrets et les Antiquités de Rome, ont un charme qui consiste dans un vif sentiment de la réalité. Il mourut jeune, ayant acquis une certaine réputation, mais sa renommée se perd dans celle de Ronsard.

Ronsard.
Pierre de Ronsard (1524-1585) fut le véritable créateur de la pléiade, où, à côté de Dorat, son maître, vinrent se ranger Baïf, Bellay, Remy Belleau, Etienne Jodelle, Pontus de Tyard. Cette pléiade, bien qu'elle comptât des poètes médiocres, fut couverte d'applaudissements unanimes, et Ronsard fut célèbre jusqu'à l'étranger. Elisabeth d'Angleterre lui adressa des éloges, et le Tasse, lorsqu'en 1571 il vint à Paris, voulut être présenté à Ronsard et lui lire son Godefroy. Plein de l'étude de l'Antiquité qu'il voulait introduire en France, Ronsard a écrit des odes, des sonnets, des églogues, des idylles gothiques et un poème héroïque, la Franciade; mais, si beaucoup de ces oeuvres sont lourdes, bizarres, pleines d'emphase, du moins au XVIe siècle reste-t-il maître dans l'élégie. 

Ronsard ne se contente pas de cultiver les genres : il règle tout, mais en brouillant tout; il se livra à un véritable pillage de l'Antiquité. Ne trouvant pas la langue suffisamment noble ni riche, il emprunta les mots eux-mêmes à l'Antiquité grecque et latine, et, prenant même les patois pour des dialectes, il conseilla de leur faire des emprunts. Ses tentatives d'enrichissement aboutirent à un amalgame de langues savantes et de patois provinciaux, bariolé d'italien, de mots grecs et latins, de mots savants et de mots de boutique, vrai pêle-mêle qui a donné à Ronsard une sorte d'immortalité étonnante. Mais si dans l'âge suivant, comme le dit Boileau, on devait voir tomber de ses grands mots le faste pédantesque, il n'en a pas moins mérité, par un certain côté, les honneurs que lui prodigua son siècle et jusqu'à la statue de marbre qu'on lui éleva. Jusque-là on s'était contenté de traduire les anciens, il sentit qu'on pouvait les imiter, et l'on doit également lui savoir gré d'avoir le premier visé à la noblesse et à l'éclat du langage.

Laissant de côté les poètes les moins importants de la pléiade, tels que Baïf, Remy Belleau, Amadis Jamyn, il convient de retenir le nom de Jodelle, qui s'était donné une mission spéciale.

Jodelle.
Etienne Jodelle (1532-1575), entre tous les poètes de la pléiade, se proposa de restaurer la tragédie en France. Les mystères, qui, au Moyen âge, avaient tenu lieu de théâtre, s'étaient transformés en pièces allégoriques ou moralités: celles-ci bientôt ne pouvant plus tirer les larmes des yeux des spectateurs, on les remplaça par la farce, qui fut heureusement exploitée par les Enfants-sans-Souci. Du mélange de la farce et de la moralité naquit la sotie, où l'allégorie règne encore souveraine et sous le manteau de laquelle les divers ordres de l'Etat donnaient lieu à d'audacieuses bouffonneries. François Ier, établit la censure théâtrale et proscrivit les farces et les soties. Mais une autorité plus puissante allait leur donner le coup de grâce : le goût du public les abandonna pour les tragédies et les comédies qui prétendaient imiter le théâtre antique. Avant Jodelle, quelques poètes guindés et médiocres avaient fait représenter des tragédies. On cite d'Harcourt et de Beauvoix; Lazare de Baïf avait fait représenter une Electre et une Hécube, qui dénotent du moins une grande connaissance du grec; enfin Ronsard avait mis en vers le Plutus d'Aristophane. Jodelle choisit d'abord Cléopâtre, qui fut, dans l'hôtel de Reims, représentée devant Henri II et la cour en 1552. Didon suivit Cléopâtre. Ce ne sont pourtant pas là des chefs-d'oeuvre, et ces tragédies sont dépourvues à la fois d'originalité et de vie.

Du Bartas.
La pléiade avait ramené la poésie à la mythologie païenne. A côté de cette école se forma par réaction une nouvelle association qui ramenait la littérature à la poésie chrétienne. A la tête se trouvait Guillaume de Saluces, seigneur du Bartas, connu par des sujets bibliques, notamment Judith, poème écrit en six livres.

Guillaume Du Bartas (1544-1590), outre ce poème que nous venons de citer, écrivit la Semaine, dans laquelle il raconte la création selon la Bible et qui renferme des tirades éloquentes. Ce poète se distingue surtout par son mauvais goût; homme de moeurs simples, il devenait ampoulé dès qu'il prenait la plume, et il a malheureusement emprunté à Ronsard la manie des mots composés. 

D'autres poètes...
Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné méritent également une mention spéciale. Et il convient encore de citer comme appartenant à cette deuxième période Vauquelin de La Fresnaye, Desportes et Bertaut. Ceux-ci évitent l'obscurité et une érudition exagérée; mais, s'ils évitent les défauts de la pléiade, il faut reconnaître que leurs qualités sont moindres. Desportes vise au joli et tombe dans la mignardise, tandis que Bertaut, pour son style noble et correct, est le direct précurseur de Malherbe.
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Les roses, d'A. de Baïf (1573)

On reconnaîtra dans ce poème d'A. de Baïf le thème de la célèbre petite pièce de Ronsard : « Mignonne, allons voir si la rose... » Peut-être la comparaison ne serait-elle pas désavantageuse pour Baïf? Les douze premiers vers ont une grâce mélancolique vraiment pénétrante. 
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« O nature, nous nous pleignons 
Que des fleurs la grace est si breve 
Et qu'aussi tost que les voyons 
Un malheur les dons nous enlève.

Autant qu'un jour est long, autant
L'âge des Roses a duree;
Quand leur jeunesse s'est montree
Leur vieillesse accourt à l'instant. 
Celle que l'étoille du jour 
A ce matin a veu naissante,
Elle-mesme au soir de retour 
A veu la mesme vieillissante [1]. 
Un seul bien ces fleurettes ont,
Combien qu'en peu de temps périssent, 
Par succés [2] elles refleurissent
Et leur saison plus longue font.

Fille, vien la Rose cueillir 
Tandis que sa fleur est nouvelle : 
Souvien-toy qu'il te faut vieillir 
Et que tu fletriras comme elle [3]. »
 

(OEuvres en Rime de J.-A ..de Baïf 1573. Livre des poèmes).


Notes :  1. Il faut remarquer l'harmonie fine et précise de ces vers, et l'agencement des rimes, alternées dans les couplets impairs, opposées dans les couplets pairs. Baïf était excellent musicien, et une mélodie naturelle se dégage de cette romance. - 2. Par succés (per successus). Elles se succèdent l'une à l'autre et se remplacent. - 3. Cf. Ronsard : « Comme à cette fleur la vieillesse Fera ternir votre beauté. »

Troisième période.
Il n'était que trop évident que la réforme de Ronsard et de la pléiade n'était pas définitive. A une grande torpeur succédait un effort violent qui, sans l'atteindre, avait dépassé le but. Il lui fallait, dit un critique, un modérateur ; elle en eut deux : Régnier et Malherbe. Ni l'un ni l'autre n'eurent pleine conscience de leur oeuvre; Mathurin Régnier crut défendre Ronsard : en réalité il défendit et reproduisit Marot; par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, il revint dans ses Satires au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitations. Malherbe crut ruiner l'école de la pléiade et ses innovations gréco-latines; il en assura le succès en les réglant. Tout en biffant Ronsard, il n'accomplit pas moins ce que Ronsard avait tant souhaité; il donna à l'idiome vulgaire toute la noblesse des langues antiques et, ce faisant, rendit possible Corneille, Boileau et Racine.

On le voit, les poètes en tous genres abondèrent au XVIe siècle : doit-on s'en étonner, quand on songe qu'ils furent favorisés par les divers souverains qui se succédèrent durant cette période. Ce n'est pas là le moindre titre de gloire de Louis XII, de François Ier, de Charles IX, de Henri III et de Henri IV. Ces rois furent non seulement amis des muses; ils étaient eux-mêmes des lettrés, et suivant les expressions de Pasquier parlant de la pléiade, « vous eussiez dit que ce temps-là estoit du tout consacré aux Muses ».
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Les effets de la poésie, selon Montaigne 

« Nous avons bien plus de poëtes que de juges et interpretes de poësie; il est plus aysé de la faire que de la cognoistre. A certaine mesure basse, on la peult juger par les preceptes et par art; mais la bonne, la supreme, la divine, est au dessus des regles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d'une veue ferme et rassise, il ne la veoid pas, non plus que la splendeur d'un esclair : elle ne practique [ = elle ne met pas en oeuvre] poinct nostre jugement; elle le ravit et ravage. La fureur qui espoinçonne celuy qui la sçait penetrer, fiert [ = frappe] encores un tiers, à la luy ouyr traicter et reciter; comme l'aimant non seulement attire une aiguille, mais infond [ = verse; latinisme (infundit)] encores en icelle sa faculté d'en attirer d'aultres : et il [ = cela] se veoid plus clairement aux theatres, que [ = où] l'inspiration sacree des Muses, ayant premierement agité le poëte à la cholere, au dueil, à la hayne, et hors de soy, où elles veulent, frappe encores par le poëte l'acteur, et par l'acteur consecutivement tout un peuple; c'est l'enufileure de nos aiguilles [ = aiguilles aimantées] suspendues l'une de l'aultre [images empruntées à l'Ion de Platon]. »
 

(Montaigne, extrait des Essais, I)

La prose française au XVIe siècle

Pendant le Moyen âge, la prose fut dans l'enfance : son développement avait été moins rapide que celui de la poésie. Il lui avait manqué d'abord les idées générales. Tous les chroniqueurs (il faut toutefois en excepter Commines) avaient peint des faits physiques sans remonter aux causes ou aux idées. Or, les idées générales peuvent seules assurer la durée aux oeuvres, car seules elles sont de nature à intéresser les lecteurs de tous les siècles et de tous les pays : comme le dit Pascal, elles ne sont pas bornées à une époque, mais grandissent avec les siècles. Toutefois, si ces idées manquaient au Moyen âge, elles n'étaient qu'assoupies et s'allaient réveiller avec la Renaissance.

Mais de multiples influences s'exercent sur elles, et, comme le dit Henri Estienne dans la préface de la Précellence du langage français, « il se fit un grand remuement de mesnage dans notre langue »; si les efforts louables et un peu confus des grammairiens pour la réglementer n'avaient pas encore abouti, les règles du moins furent ébauchées. Ce qui contribua surtout à rehausser la prose française, c'est qu'elle fut écrite par quelques auteurs dont le personnalité prévaudra contre tous les ferments de corruption. D'ailleurs, pour donner issue au torrent d'idées et de sentiments formés par la Renaissance, l'heureuse complaisance de la langue devenait une nécessité; si la prose de cette époque renferme des provincialismes, des incorrections, un arrangement de mots trop libre et des obscurités même qui nous choquent, n'est-elle pas aussi une source de tours  vifs et séduisants et ne peut-on pas déjà escompter ses prochaines perfections?

L'abondance du vocabulaire et la liberté de la syntaxe faisaient de la langue un outil facile à manier; aussi les écrivains au XVIe siècle sont-ils légion. Pour donner une idée de cette prodigieuse fécondité, il nous faudra diviser cette foule de prosateurs et les grouper, d'après leur genre, sous quatre titres : 1° théologiens et écrivains politiques; 2° moralistes et conteurs; 3° historiens; 4° traducteurs et érudits. 

Théologiens et écrivains politiques. 
L'étude passionnée de l'antiquité grecque n'avaient pas tardé à porter ses fruits. Ce fut le droit qui servit de transition entre l'érudition pure et la philosophie: la pratique du droit romain n'avait d'ailleurs pas péri au Moyen âge, lorsque l'histoire et la littérature vinrent avec la Renaissance se mettre à son service et lui prêter un nouvel éclat. A Ange Politien, favori des Médicis, qui le premier appliqua aux textes des jurisconsultes les secours de la philologie classique, à André Alciat, appelé à Bourges par François Ier, succéda un glorieux héritier, le grand Cujas, qui restitua à chaque partie de la législation le caractère de l'époque et des circonstances qui l'avaient fait naître. Dumoulin donna au droit français la même impulsion et prépara les travaux de Pothier. Bientôt après la magistrature et le barreau parvenait à sa plus haute gloire avec les Pasquier, les Talon, les Séguier, les Harlay, les de Thou.

Ces études, naturellement, devaient aboutir à la recherche des fondements de la société et engendrer des écrivains politiques tels que La Boétie. Mais la politique s'étant mêlée à la religion par suite des luttes qu'amena la Réforme, avant d'étudier ceux-ci, peut-être convient-il d'examiner l'influence que, par l'intermédiaire de Calvin, la Réforme devait avoir en France.

Calvin.
Jean Calvin (1509-1564) en 1532, à Paris, abjura solennellement la foi catholique, et par ses prédications et ses écrits, qui, avant qu'il ne rentrât en maître à Genève d'où il avait été chassé une première fois, lui avaient valu d'errer de Paris à Bâle, puis à Strasbourg, il créa le Protestantisme ou Calvinisme en France. Nous n'avons pas à rechercher son rôle politique : son influence sur la langue fut considérable. Son Institution chrétienne, d'abord écrite en latin et qu'il traduisit lui-même en français, offre trois grandes nouveautés : la méthode, la matière et la langue. La matière est philosophique, niais à la portée du vulgaire. C'est, dans une exposition savante et simple à la fois de la religion réformée, un trésor d'idées nouvelles et générales. La méthode est nouvelle : il procède avec ordre et par divisions précises. Enfin la langue était nouvelle, car, dans les sujets de cette nature, la langue latine était seule employée. Mais si son style est dur, s'il lui manque la sensibilité, il est du moins serré, pressant, abondant.

La réaction catholique.
En face des progrès de la Réforme, il restait au catholicisme à défendre la continuité de la tradition religieuse, et c'est alors que don Iñigo Lopez de Recalde y Loyola, quittant les armes, prit l'habit d'ermite au Montserrat et fonda une société à tout jamais célèbre, la Compagnie de Jésus (1533). Parmi les théologiens, il convient de ne pas oublier le nom de François de Sales (1567-1622).

Les écrivains politiques.
Les travaux sur la science du droit et le droit au libre examen dont la Réforme avait doté l'homme devaient donner naissance à un esprit nouveau dont les tendances audacieuses se manifestèrent dans quelques pages courtes et énergiques dues à un jeune homme, La Boétie (1530-1563), que les regrets de Montaigne devaient non moins contribuer à rendre célèbre. C'est en 1548, l'année même de l'insurrection de Bordeaux et des terribles représailles du farouche Montmorency après la prise de la ville, que La Boétie écrivait contre la royauté une brûlante philippique Discours sur la servitude volontaire ou le Contre un. Ç'avait été une inspiration, un élan émotionnel. Il fallait à la philosophie politique une expression plus calme et plus scientifique que lui donna Jean Bodin (1530-1596) dans son principal ouvrage, son livre sur la République : mais la philosophie sociale n'est encore qu'une science naissante, et cette noble tentative de Bodin pour soumettre les faits à la conception absolue de leurs lois est entachée d'inexpérience.

Les luttes religieuses politiques, dans lesquelles le fanatisme religieux devaient jouer un rôle considérable et qui se terminèrent par l'avènement de Henri IV au trône de France, eurent aussi une grande influence sur la littérature. C'est à ces luttes qu'est dù la naissance du pamphlet, qui fut comme l'improvisation de la presse et de la Satire Ménippée (1594): ces luttes encore inspirèrent les prédicateurs de la Ligue, Jean Boucher, curé de Saint-Benoît, Launay, Prévôt, Rose, évêque de Senlis, Pelletier, Guincestre, etc. Ils furent l'âme de la Ligue; le sermon était à la fois le club et le journal, et, du haut de la chaire, ils communiquaient au peuple l'enthousiasme de la résistance. En dépit des résultats obtenus, il ne faut pas cependant se faire une trop haute idée de leur éloquence, où l'esprit, l'érudition, l'invective, la religion et une certaine verve triviale formaient un tout incohérent, qui savait entraîner, mais « n'avait même pas le pressentiment de ce goût sobre et sévère, dont les écrivains de Louis XIV allaient trouver le secret. 

La satire Ménippée.
La meilleure inspiration produite par ces luttes fut certes la Satire Ménippée (1594), à laquelle contribua la fleur des érudits, Pierre Le Roy, Gilles Durand, Nicholas Rapin, P. Pithou, Passerat, et qui eut le mérite de l'à-propos. Guise venait de tomber sous le poignard des satellites du roi et Henri III sous le couteau de Jacques Clément; l'Espagne, la faction lorraine voulaient imposer un roi à la France, tandis que Henri IV revendiquait ses droits. La Satire Ménippée, qui acheva de ruiner Ia Ligue, est un tableau de moeurs, un modèle d'ironie dans lequel on trouve de vifs accents au service d'une cause nationale.
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Jean Passerat.
Jean Passerat.

Moralistes et conteurs. 
Notre classification des auteurs de cette période correspond à peu près à l'importance des matières, mais elle est nécessairement superficielle « pour une époque dont le caractère principal est justement pour tous les esprits l'universalité des aptitudes ou au moins l'ambition de toutes les connaissances ». Ainsi Rabelais, que nous allons ranger parmi les moralistes et les conteurs, par les multiples côtés de son génie, ne pourraitil pas revendiquer tous les titres énumérés ci-dessus?

Rabelais.
François Rabelais (1483-1553) fut non seulement le premier helléniste de son temps et entretint une correspondance avec Budé, mais professa à Lyon les aphorismes d'Hippocrate et les Notions de Gallien. Avant d'être nommé à la cure de Meudon, il avait été médecin et c'est à cette époque qu'il avait publié les deux premiers livres de Gargantua et de Pantagruel. Rabelais a puisé dans l'Antiquité avec ardeur : son savoir était prodigieux, son érudition immense. Mais son livre est bien plutôt le fruit de son humeur que l'oeuvre fortement conçue de son jugement. Sans entrer dans les détails, il nous revient de dire ici l'influence qu'il eut sur la langue : or Rabelais a surtout enrichi celle-ci, qu'il a maniée avec souplesse et variété. Dans son ouvrage, débauche d'esprit jointe à une ivresse d'imagination, au milieu de sa gaieté et de sa bouffonnerie, il a plus que tout autre contribué à émanciper les idées générales par ses grandes vues sur l'éducation, la paix, la guerre, les devoirs des princes, etc.

Les autres conteurs.
Si Rabelais échappe par l'ampleur même de son génie, qui a touché tous les genres, à une classification, du moins devons-nous, sous le titre de conteurs, ranger Marguerite de Navarre et Despériers.

L'Heptaméron de la reine de Navarre, où se fait à chaque pas sentir l'influence des nouvellistes italiens, ont de l'intrigue et de l'action, mais elles n'ont plus le poétique éclat des récits de Boccace, et le vif sentiment de l'art qui les anime est ici remplacé par le bon sens et l'esprit bourgeois des grands seigneurs de France. Despériers, dans les Nouvelles Récréations et joyeux devis, montre un esprit tout rabelaisien;il est simple, hardi et souvent licencieux ; traits d'esprit et joyeuses répliques y abondent.

Ces conteurs d'ailleurs furent nombreux et aux côtés de la reine de Navarre, Marguerite de Valois, et de Despériers, il convient de citer en une sèche énumération Nicolas de Troyes, Guillaume Bouchet, Beroalde de Verville, Herberay des Essarts, traducteur d'Amadis des Gaules.

Montaigne.
Les moralistes sont représentés par Montaigne et Charron, qui fut son disciple et le plus souvent son copiste. Toutefois, même lorsqu'il le transcrit, Charron ne ressemble pas à son maître : il est grave, compassé et méthodique, il n'a ni l'originalité du génie de Montaigne, ni la vivacité de son expression.

Michel de Montaigne (1533-1592), s'il faut mesurer la gloire des écrivains au nombre de ceux qui profitent de leurs écrits, est le premier auteur dans l'ordre des temps. Celui dont Duperron appelait l'oeuvre le bréviaire des honnêtes gens fut cependant peu connu de son temps et très attaqué au XVIIe siècle; le XVIIIe l'admira pour ses idées et le XIXe pour son style. Ses Essais sont une profonde et sérieuse étude de l'humain : en se peignant lui-même, il a trouvé des idées si générales, des peintures si vraies et si vives qu'il semble l'homme de tous les temps. Sa devise est : Que sais-je? mot prudent qui résume toute sa doctrine. Il a ainsi défini lui-même son style : 

« Le parler que j'ayme, c'est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné que véhément et brusque... » 
Il ose tout exprimer et traite la langue comme sa propriété personnelle. Son grand titre de gloire est d'avoir mis en oeuvre, sous une forme immortelle, l'indépendance de la pensée que Ramus avait proclamée en principe.

Historiens.
Parmi ceux-ci en dehors de Du Haillan, historiographe de France, de l'infatigable et diffus François de Bellefort, de Lancelot de La Popelinière, du chroniqueur Palma Cayet, de Claude de Seyssel, des Gaquin et des Nicole Gilles, imitateurs et compilateurs crédules, nous retiendrons les noms de D'Aubigné et du président de Thou.

D'Aubigné.
La vie d'Agrippa d'Aubigné (1550-1630), passée dans les camps, fut un roman de chevalerie. Mais d'Aubigné fut non seulement un soldat, il fut encore poète, négociateur, historien, romancier, théologien et sectaire. En prose, nous avons de lui la Confession de Sancy, qu'il a composée pour flétrir ceux qui se convertissent par politique. Dans son Histoire universelle, il a joint le talent du peintre à celui du narrateur; enfin, par ses Mémoires, il a mérité le nom de Saint-Simon du XVIe siècle.

De Thou.
Jacques de Thou (1553-1617) fut l'historien du XVIe siècle. Président, il confondit la justice des tribunaux et la justice de l'histoire et porta dans celle-ci l'impartialité de ses autres fonctions. Malheureusement, de Thou n'eut pas pour exprimer les faits de son époque l'instrument qu'il eût fallu, et l'usage de la langue latine a nui à la popularité de son oeuvre. C'est d'autant plus regrettable que « ce vaste récit, qui embrasse dans son étendue immense les annales du monde policé, pendant toute la seconde moitié du XVIe siècle, reproduit le mouvement, l'agitation, la diversité mais aussi le désordre de son sujet ».

Les mémoires qui, au XVIe siècle, tiennent, pour ainsi dire, lieu d'histoire, furent en nombre considérable depuis la mort de François Ier à la soumission de Paris (1547-1594); il nous reste vingt-six ouvrages de ce genre écrits par des contemporains qui furent mêlés aux événements qu'ils racontent. Outre le Loyal Serviteur, dont la modestie nous a dérobé le nom, outre Fleurange, retenons du moins Blaise de Monluc et, parmi les compilateurs, Brantôme.

Monluc.
Blaise de Monluc (1503-1577), dont les commentaires ont grandi la gloire tout en consolant sa vieillesse, fut surtout un homme de guerre qui, dans son livre, est pratique avant tout. On voit briller chez lui la verve gasconne : ses récits sont pleins de bon sens et de bonne humeur; il est brusque, mais pittoresque et plein de spirituelles boutades; son style est énergique et entraînant.

Brantôme.
Pierre de Brantôme (1527-1614) a écrit les Souvenirs de son temps, qui sont pleins de piquant et d'anecdotes souvent scandaleuses. Il a de la naïveté, de la variété, mais une vanité sans pareille et se croit le premier homme de son temps. Son meilleur ouvrage est la Vie des hommes illustres et des grands capitaines de France : il s'inspire d'Amyot et sait unir la force et la délicatesse; on trouve chez lui des traits d'histoire curieux à noter.

Traducteurs et érudits.
Parmi les érudits, la première place est aux traducteurs, qui ont étiré et ployé la langue sur le patron de leurs modèles. Mais cet honneur, ils le doivent surtout à ce fait qu'ils comptent Amyot parmi eux.

Amyot.
Jacques Amyot (1513-1593), après s'être fait, afin de pouvoir faire ses études, le domestique de ses condisciples, était devenu, après un séjour en Italie, précepteur des enfants de Henri Il, puis grand aumônier de France. Il dédia à Henri Il sa traduction de Plutarque, qui fut un des événements du XVIe siècle. Il avait auparavant traduit Théagène et Chariclée, pastorale de Longus. Par sa traduction de Plutarque, Amyot se proposa deux choses : poursuivre l'oeuvre de Ronsard et enrichir la langue. Il y a réussi : il a donné au style plus de souplesse et, en donnant à Plutarque sa propre physionomie, il a fait d'un rhéteur un auteur naïf et agréable. Il a mérité cet éloge de Montaigne : 

« Je donne la palme à J. Amyot sur tous les écrivains de son temps, pour la naïveté et la pureté du langage. »
Les autres traducteurs.
Les autres traducteurs, sans atteindre à la gloire du bonhomme Amyot, ont cependant, par leur travail, mérité la reconnaissance de leurs contemporains : Estienne de La Boétie, Guillaume du Vair, Dolet, Lefèvre d'Etaples, Pierre Saliat ont le droit de ne pas voir leur nom oublié et la gloire d'avoir contribué au mouvement littéraire de leur temps. 

A la tête des érudits et bien au-dessus se placent Estienne Pasquier et Henri Estienne

Pasquier.
Estienne Pasquier (1329-1615), esprit ingénieux, fin et spirituel dans ses Recherches, fut un jurisconsulte éminent, un avocat célèbre et brillant. Son érudition eut des lacunes; elle a cependant fait faire de grands progrès à la science. Nous avons dit déjà comment l'étude du droit sans l'impulsion de la Renaissance avait pu servir de transition entre l'érudition pure et la philosophie.

Estienne.
Henri Estienne (1532-1598) appartient à cette illustre famille des Estienne qui, par ses éditions savantes et aussi admirables par la correction que l'impression, a laissé un nom dans l'imprimerie. Il a passé sa vie à copier les vieux manuscrits, à rétablir et à discuter les textes. Son principal ouvrage est le Thesaurus poeticus linguae graecae. Ses discussions sont pleines de vie et d'intérêt. On a encore de lui : Apologie d'Aristote et la Précellence du langage français, que nous avons eu déjà l'occasion de signaler.

Les hommes de l'art.
D'autres noms doivent encore être cités ici : le faïencier Bernard Palissy, le voyageur et déjà ethnographe Jean de Léry, le voyageur et naturaliste Pierre Belon, le chirurgien Ambroise Paré, l'agronome Olivier de Serres. (George Elwall).

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