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Rosny

Léon Louis Lucien de Rosny est un orientaliste et ethnographe français, né à Loos (Nord) le 5 août 1837. Elève de l'École des langues orientales (1852), il s'intéressa spécialement à l'histoire, à la géographie et aux langues de l'Orient. Professeur de japonais à la Bibliothèque impériale, il fut, en 1863, attaché comme interprète aux ambassadeurs japonais qu'il accompagna à Paris, en Hollande, en Angleterre, en Russie.

Il remplit diverses missions scientifiques, et fonda en 1858 la Société d'ethnographie américaine et orientale (dont il rédigea le bulletin), ainsi que la Société d'ethnographie et du Comité américain d'archéologie, à l'établissement desquels il contribua. Secrétaire perpétuel de la Société asiatique, il démissionna au bout de quelques années; en 1868, il obtint la chaire de japonais créée à l'Ecole des langues orientales. En 1836, il est devenu directeur adjoint à l'Ecole des hautes études ou il professsa sur les religions de l'extrême Orient; en 1881, ses leçons ont eu pour objet les religions de l'Amérique précolombienne. Il a fondé le congrès international des orientalistes et a été à Paris l'un des propagateurs des idées bouddhiques

Parmi les nombreuses publications de Léon de Rosny, nous citerons : Introduction à l'étude de la langue japonaise (1857); Aperçu général des langues sémitiques et de leur histoire (1858); Dictionnaire japonais-français-anglais (1858-1870); Manuel de la lecture japonaise (1859); les Ecritures figuratives et hiéroglyphiques des différents peuples (1870); Recueil de textes japonais (1863); Dictionnaire des signes idéographiques de la Chine (1864-1866); Etudes asiatiques de géographie et d'histoire (1864); Aperçu de la langue coréenne (1867); Vocabulaire chinois-coréen-aino (1867); Variétés orientales (1872); Cours de japonais (1869); Archives paléographiques de l'Orient et de l'Amérique (1871); l'Interprétation des anciens textes mayas (1875); Guide de la conversation japonaise (1883); les Peuples de l'Indo-Chine (1874); les Peuples orientaux connus des anciens Chinois (1882); les Populations danubiennes (1882-1885); le Pays des dix mille lacs, tableaux de voyages de Finlande (1886); la Morale de Confucius (1893); le Taoïsme (1892); Taureaux et mantilles, tableaux de voyages en Espagne et Portugal (1894). Il a publié dans la Bibliothèque ethnographique des études sur le Siam, la Corée, la Roumanie, etc. (Ph. B.)

Joseph-Henri-Honoré Boex, dit J.-H. Rosny Aîné, est un romancier français, né à Bruxelles le 17 février 1856 et mort à Paris  le 15 février. Il a appartenu d'abord à l'école naturaliste; ses connaissances très étendues en philosophie, économie sociale et science, donnent un caractère particulièrement intéressant à ses romans auxquels on a reproché, surtout au début, d'être écrits trop laborieusement et dans un style hérissé de termes techniques ou scientifiques qui les rendent parfois un peu obscurs. 

Son premier roman, Nell Horn, membre de l'armée du Salut (1885), inspiré par un séjour à Londres, est une étude très attachante de la vie anglaise, où l'émotion, beaucoup plus sobre et plus profonde que la sentimentalité de Daudet, se rapproche pourtant de la manière de ce romancier. Le second livre de Rosny, le Bilatéral (1886), est une étude très virante, minutieuse et impartiale du socialisme français et du parti anarchiste, alors presque inconnu : ce roman se rapproche plutôt du naturalisme de Zola, dont il a toute la puissance. Ces deux livres, où l'on sent que l'auteur a mis la substance même de sa vie, sont peut-être ses chefs-d'oeuvre malgré le grand talent qu'il n'a cessé de montrer depuis. En 1887, parurent l'Immolation, roman de la vie des paysans; les Xipéhuz (1887), un premier roman de science-fiction - plusieurs autres suivront. 

Rosny s'associa, en 1887, aux quatre naturalistes qui publièrent dans le Figaro un manifeste contre les exagérations du réalisme de Zola dans la Terre; il se sépara dès lors du chef du naturalisme français et s'attacha à l'école littéraire dont les Goncourt ont été les chefs. Il publia, en 1888, les Corneilles, et Marc Fane, en 1890 le Termite, tableau très curieux de la vie littéraire à Paris.

A partir de 1891, il a publié ses romans sous la signature de son frère cadet, Justin [J.-H. RosnyJeune, pseudonyme de Séraphin Justin François Boex, 1859-1948], en même temps que sous la sienne, imitant ainsi les Goncourt dans leur collaboration fraternelle. Daniel Valgraive parut en 1891, Vamireh en 1892 : cet essai de roman préhistorique a montré une fois encore la grande puissance littéraire des Rosny. L'Impérieuse bonté, qui date de 1894, et est une émouvante peinture de la Charité parisienne, obtint un légitime succès et est considérée par beaucoup de critiques comme l'oeuvre la plus complète du romancier. 

Ensuite vinrent l'Indomptée (1894), roman d'une étudiante en médecine, Renouveau (1894), l'Autre femme (1895), le Serment (1896), d'où les Rosny ont tiré une pièce de trois actes jouée à l'Odéon en 1897; la Promesse, les Ames perdues (1899), où il y a d'admirables peintures de l'état d'âme anarchiste. Et on peut encore mentionner : la Charpente (1900); l'Héritage (1902); le Docteur Harambur (1904); Thérèse Degaudy (1905); le Testament volé (1906).

A partir de 1907, ils se séparent et Rosny aîné publie seul : Marthe Baraquin (1909); Contes de l'Amour et de l'Aventure (1909); La Mort de la Terre (1910) ; la Guerre du feu (1911); les Rafales, les Trois Rivales (1913); la Force mystérieuse (1914); l'Aube du futur (1917); le Félin géant (1720); le Trésor dans la neige (1922); l'Amour d'abord (1923), l'Assassin surnaturel (1924); La Terre noire (1924); Les Navigateurs de l'infini (1925); Les Conquérants du Feu (1929); Les Hommes-Sangliers (1929); Les Compagnons de l'Univers (1933); Le Vampire de Bethnal Green (1935); etc.

La puissance et l'originalité des frères Rosny, qui sont incontestables, ont été parfois masquées par l'abus des termes scientifiques et la complication de la langue. On a excellemment exprimé les critiques et les louanges dont leurs lecteurs les accablent tour à tour : 

« Ils ont mis, dit Charles Maurras, leur signature au bas de livres parfaitement illisibles, soit à cause du pédantesque brouillis qui s'y montre, soit même à cause de la fadeur qui s'en élève. La Bonté d'une part, la Science de l'autre ont joué aux frères Rosny les plus méchants tours... Ils sont aussi poètes, ces savants et ces philosophes , ils savent l'histoire des choses, mais ils tiennent aussi à nous en révéler l'amour. Ils mélangent sans cesse à leur cours détaillé de cosmogonie agnostique, une grande, vague et très noble mythologie anthropomorphique, proportionnée aux besoins, aux désirs, aux appels de toutes les âmes humaines. »-
Les temps sauvages

 « D'abord, les loups rôdèrent autour de la carcasse, avec cette prudence excessive qui ne laisse rien au hasard. Enfin, les impatients se risquèrent. Ils portèrent leurs gueules près de la tête du tigre, près du grand mufle entr'ouvert, par où soufflait naguère une vie empestée et formidable; explorant le corps, ils léchèrent les plaies rouges. Toutefois, aucun ne se décidait à porter la dent sur cette chair âpre, pleine de poison, pour qui seuls les estomacs du vautour et de l'hyène ont assez de véhémence.

Une clameur accrut leur incertitude - des plaintes, des hurlées, des ricanements. Six hyènes surgirent au clair de lune. Elles progressaient d'une allure équivoque, avec leurs avant-trains robustes, leurs torses qui s'abaissent et s'effilent pour finir par des pattes grêles. Cagneuses, le museau court et d'une puissance à broyer les os des lions, la prunelle triangulaire, l'oreille pointue et la crinière rude, elles viraient, biaisaient, ou sautelaient comme des locustes. Les loups sentirent s'accroître la puanteur affreuse de leurs glandes.

C'étaient des rôdeuses de haute stature qui, par la force énorme de leurs mâchoires, eussent tenu tête aux tigres. Mais elles ne faisaient face qu'acculées, ce qui n'arrivait guère, aucun rôdeur ne recherchant leur chair fétide et les autres mangeurs de charogne étant plus faibles qu'elles. Quoiqu'elles connussent leur supériorité sur les loups, elles hésitaient, elles tournaient dans la lueur nocturne, approchant et reculant, enflant, par intervalles, des clameurs déchirantes. A la fin, elles montèrent à l'assaut toutes ensemble.

Les loups ne tentèrent aucune résistance, mais, sûrs d'être les plus agiles, ils demeuraient à courte distance. Parce qu'elle leur échappait, ils regrettèrent la proie dédaignée. Ils rôdaient autour des hyènes avec des hurlements soudains, avec des feintes d'attaque, avec des gestes malicieux, contents d'inquiéter les ennemies.

Elles, sombres et grondantes, attaquaient la carcasse : elles l'eussent voulue putride, grouillante, mais leurs derniers repas avaient été pauvres, et la présence des loups excitait leur voracité! Elles savourèrent d'abord les entrailles; broyant les côtes de leurs dents indestructibles, elles extirpèrent le coeur, les poumons, le foie et la langue râpeuse, que l'agonie avait fait saillir. C'était tout de même la volupté de refaire la chair vive avec la chair morte, la douceur de se repaître au lieu de rôder le ventre vide et la tête inquiète. Les loups le comprenaient bien, eux qui pourchassaient en vain, depuis le crépuscule, les émanations de l'air et du sol.

Dans leur fureur déçue, plusieurs allèrent flairer les blocs erratiques. L'un d'eux glissa sa tête par une ouverture; Naoh, avec dédain, lui allongea un coup d'épieu. Atteinte à l'épaule, la bête sautillait sur trois pattes, avec un hurlement lamentable. Alors, tous clamèrent, de façon éclatante et farouche, où la menace était un simulacre. Leurs corps roux oscillaient dans le clair de lune, leurs yeux reluisaient de l'ardeur et de la crainte de vivre, leurs dents jetaient des lueurs d'écume, tandis que leurs pattes fines rasaient le sol, avec un petit bruit frissonnant, ou se roidissaient dans l'attente : le désir de se repaître devenait insupportable. Mais sachant que, derrière le basalte, gîtaient des êtres astucieux et solides, qui ne succomberaient que par surprise, ils cessèrent leur rôderie. Agglomérés en conseil de chasse, ils échangèrent des rumeurs et des gestes, plusieurs assis sur leur train d'arrière, la gueule en attente, certains agités, s'entre-frottant les échines. Les vieux appelaient l'attention, surtout un grand loup au pelage blême, aux dents d'ocre on l'écoutait, on le regardait, on le flairait avec déférence.

Naoh ne doutait pas qu'ils eussent un langage : ils s'entendent pour dresser des embuscades, cerner la proie, se relayer pendant les poursuites, partager le butin. Il les considérait avec curiosité, comme il eût considéré des hommes; il cherchait à deviner leur projet.

Une troupe passa la rivière à la nage ; les autres s'éparpillèrent sous le couvert. On n'entendit plus que les hyènes acharnées sur le cadavre du tigre.

La lune, moins vaste et plus lumineuse, alanguissait les étoiles; les plus faibles demeuraient invisibles, les brillantes semblaient mal allumées et comme noyées sous une onde; une torpeur équivoque couvrait la forêt et la savane. Parfois une effraie sillonnait l'atmosphère bleue, extraordinairement silencieuse sur ses ailes d'ouate, parfois les raines clapotaient en bandes, posées sur les feuilles des nymphéas ou hissées sur les ragots; les noctuelles, s'élançant en courses tremblotantes, se heurtaient à quelque chauve-souris soubresautant à travers les pénombres.

Enfin, des hurlements retentirent. Ils se répondaient le long de la rivière et dans les profondeurs des fourrés; Naoh sut que les loups avaient cerné une proie. Il n'attendit pas longtemps pour en avoir la certitude. Une bête jaillit sur la plaine. On eût dit un cheval au poitrail étroit; une raie brune soulignait son échine. Elle s'élançait, avec la vélocité des élaphes, suivie de trois loups, qui, moins lestes qu'elle, n'auraient pu compter que sur leur endurance, ou sur un accident, pour la rattraper. D'ailleurs, ils ne donnaient pas toute leur vitesse, ils continuaient à répondre aux hurlements de leurs compagnons embûchés. - Bientôt, ceux-ci surgirent; l'hémione se vit investi. Il s'arrêta, tremblant sur ses jarrets, explorant l'horizon avant de prendre un parti. Toutes les issues étaient barrées, sauf au nord où l'on n'apercevait qu'un vieux loup gris. La bête traquée choisit cette voie. Le vieux loup, impassible, la laissa venir. Quand elle fut proche et qu'elle se disposa à filer en oblique, il poussa un hurlement grave. Alors, sur un tertre, trois autres loups se montrèrent.

L'hémione s'arrêta avec un long gémissement. Il sentit tout autour de lui la mort et la douleur. L'étendue était close, où son corps agile avait su déjouer tant de convoitises : sa ruse, ses pieds légers, sa force, défaillaient ensemble. Il tourna plusieurs fois la tête vers ces êtres qui ne vivent ni des herbes ni des feuilles, mais de la chair vivante; il les implora obscurément. Eux, échangeant des clameurs, resserraient le cercle; leurs yeux dardaient trente foyers de meurtre : ils affolaient la proie, craignant ses durs sabots de corne; ceux de face mimaient des attaques, afin qu'elle cessât de surveiller ses flancs... Les plus proches furent à quelques coudées. Alors, dans un sursaut, recourant une fois encore aux pattes libératrices, la bête vaincue se lança éperdument pour rompre l'étreinte et la dépasser. Elle renversa le premier loup, fit trébucher le deuxième : l'enivrant espace fut ouvert devant elle. Un nouveau fauve, survenant à l'improviste, bondit aux flancs de la fugitive; d'autres enfoncèrent leurs dents tranchantes. Désespérément, elle rua ; un loup, la mâchoire rompue, roula parmi les herbes; mais la gorge de l'hémione s'ouvrit, ses flancs s'empourprèrent, deux jarrets claquèrent au choc des canines il s'abattit sous une grappe de gueules, qui le dévoraient vivant.

Quelque temps, Naoh contempla ce corps d'où jaillissaient encore des souffles, des plaintes, la révolte contre la mort. Avec des grondements de joie, les loups happaient la chair tiède et buvaient le sang chaud ; la vie entrait sans arrêt dans les ventres insatiables. Parfois, avec inquiétude, quelque vieux se tournait vers la troupe des hyènes : elles eussent préféré cette proie plus tendre et moins vénéneuse, mais elles savaient que les bêtes timides deviennent braves pour défendre ce qu'elles doivent à leur effort ; elles n'avaient pas ignoré la poursuite de l'hémione et la victoire des loups. Elles se résignèrent à la dure carcasse du tigre.

La lune fut à mi-route du zénith. Naoh s'étant assoupi, Gaw avait pris la veille; on entrevoyait confusément la rivière coulant dans le vaste silence. Le trouble revint; les futaies rugirent, les arbustes craquèrent, les loups et les hyènes levèrent tous ensemble leurs gueules sanglantes, et Gaw, avançant sa tête dans l'ombre des pierres, darda son ouïe, sa vue et son flair... Un cri d'agonie, un grondement bref, puis des branches s'écartèrent. Le Lion Géant sortit de la forêt, avec un daim aux mâchoires. Près de lui, humble encore, mais déjà familière, la tigresse se coulait comme un gigantesque reptile. Tous deux s'avancèrent vers le refuge des hommes.

Saisi de crainte, Gaw toucha l'épaule de Naoh. Les nomades épièrent longtemps les deux fauves : le lion-tigre déchirait la proie d'un geste continu et large, la tigresse avait des incertitudes, des peurs subites, des regards obliques vers celui qui avait terrassé son mâle. Et Naoh sentit une grande appréhension resserrer sa poitrine et ralentir son souffle. ».
 

(J.-H. Rosny Aîné, extrait de  La Guerre du feu).

 
René Pellos (d'après JH. Rosny-Aîné), La Guerre du feu, Glénat (BD), 2005.
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Il y a cent mille ans le feu était le bien le plus précieux des hommes. La Guerre du Feu raconte l'histoire du courageux Naoh qui parviendra à faire revivre la précieuse flamme tout en découvrant l'amour auprès de la jolie Gammla. 

Ce roman écrit en 1911 par J.H. Rosny a été adapté sous forme de bande dessinée en 1950 et 1951 par le grand René Pellos dans les pages de l'hebdomadaire Zorro. La puissance de son trait, fait revivre nos lointains ancêtres, soutenue par les couleurs chaudes et encore artisanales de l'époque. Publiée pour la première fois dans sa présentation originale, cette oeuvre prouve avec éclat que René Pellos était aussi un grand dessinateur réaliste. (Couv.).

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