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On ne badine pas avec l'amour
pièce d'Alfred de Musset
On ne badine pas avec l'amour est une pièce de théâtre d'Alfred de Musset (1840), représenté avec quelques modifications au Théâtre-Français en 1861. 

Le baron attend Perdican, son fils, et sa nièce Camille, tous deux absents depuis plusieurs années, et qui doivent revenir au château le jour même. Perdican a fait son droit à Paris, Camille sort du couvent, et le baron nourrit l'espoir d'unir les deux jeunes gens. Ils arrivent, en effet, mais Camille se rappelle à peine son cousin, et lorsque son oncle lui dit d'embrasser Perdican, c'est tout au plus si elle ne se signe pas : 

" Quoi, Camille, lui dit Perdican, pas un souvenir? pas un battement de coeur pour notre en-. fance, pour tout ce pauvre temps passé, si bon, si doux, si plein de niaiseries délicieuses? - Les souvenirs d'enfance ne sont pas de mon goût ",  répond la jeune fille; 
et Perdican, le coeur gros de tristesse, s'en va revoir tout seul sa chère vallée, ses noyers, ses sentiers verts et sa petite fontaine, tout le monde mystérieux des rêves de son enfance. Puis, tout à coup, il entend la voix d'une jeune fille qui chante à sa croisée derrière les grands arbres. C'est Rosette, la soeur de lait de sa cousine Camille. Il l'appelle, et celle-ci, sans se faire prier, descend vite tendre ses mains et ses joues à Perdican. Le lendemain, Perdican revoit Camille, toujours aussi froide, aussi réservée et refusant toujours de mettre sa main dans celle de son cousin : elle n'aime pas les attouchements!
"Je vois ce que c'est, lui dit Perdican, tu ne veux pas qu'on nous marie. Eh bien! ne nous marions pas, mais soyons amis et, bras dessus brus dessous, comme dans notre enfance, allons nous promener sous les marronniers et revivre un quart d'heure de la vie passée. " 
Camille Consent enfin, et voilà les deux jeunes gens qui vont s'asseoir au bord de la petite fontaine témoin de leurs jeux enfantins.
"La raison pour laquelle je dois vous quitter dès demain, dit Camille, c'est que je vais prendre la voile. " 
Et, là-dessus, elle se met à raconter longuement ce qui l'a poussée à prendre cette détermination. La plupart des femmes qui sont dans son couvent lui ont raconté ce qui les y avait amenées : l'inconstance et l'hypocrisie des hommes.
"Elles ont aimé et elles ont souffert; moi, dit-elle, je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir; je veux aimer d'un amour éternel et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. "
Et elle montre son crucifix. 
"Eh bien! donc, lui répond Perdican, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses et dépravées; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux." 
Et, là-dessus, les deux jeunes gens se séparent et Perdican apprend bientôt, par une lettre adressée à une amie de couvent par Camille, que celle-ci croit son cousin réduit au désespoir. Aussitôt l'orgueil de Perdican se révolte; il va chercher Rosette et fait en même temps prévenir Camille qu'il veut la revoir, une fois encore, à la fontaine. Celle-ci vient et, voyant arriver Rosette au bras de Perdican, elle se cache derrière un arbre. Alors Perdican se met à faire la cour à Rosette de manière que Camille l'entende :
" Par la lumière du soleil, je t'aime, Rosette ! On n'a pas flétri ta jeunesse, on n'a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d'un sang affadi? Tu ne veux pas te faire religieuse, toi; je t'aime, Rosette! je t'aime. " 
Mais Camille, elle aussi, est piquée au vif à son tour. Et elle va reprocher à Perdican la honteuse comédie qu'il a jouée :
"Tu as voulu te venger de moi, n'est-ce pas? Eh bien! apprends-le, tu m'aimes; mais tu épouseras cette fille ou tu n'es qu'un làche". 
Et Perdican se prépare, en effet, à donner son nom à Rosette; déjà la pauvre enfant a cru s'apercevoir qu'elle n'était aimée que par dépit, mais Perdican l'a rassurée et il va la mener à son père lorsqu'une dernière fois il veut entrer chez Camille et laisse Rosette l'attendre dans une salle voisine; mais, cette fois, l'amour revient, plus violent que jamais, au coeur du Perdican; Camille elle-même s'émeut et se jette aux bras de son cousin lorsque, tout à coup, l'on entend un grand cri. Camille sort et revient effarée :
"Eh bien! demande Perdican. - Rosette est morte adieu, Perdican », répond Camille.
Cette pièce est une de celles dans lesquelles l'auteur a le plus fouillé la sentiment qu'il voulait peindre. La donnée en eut dramatique et il a su en tirer un excellent parti; dzux types grotesques, le pédant Blazius, précepteur du jeune homme, et dame Pluche, gouvernante de Camille; des choeurs de paysans, parodie des choeurs grecs en style d'un poétique guindé, atténuent ce que les situations ont d'un peu violent. 

La pièce écrite, telle qu'on la trouve dans les Comédies et proverbes (1856, 2 vol. in-18), est très supérieure à l'arrangement joué au Théâtre-Français. (PL).
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Maître Blazius et dame Pluche

« LE CHOEUR
Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s'avance dans les bleuets fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire au côté. Comme un poupon sur l'oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi et, les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater poster dans son triple menton. Salut, maître Blazius; vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique.

MAÎITRE BLAZIUS
Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance m'apportent ici premièrement un verre de vin frais.

LE CHOEUR
Voilà notre plus grande écuelle; buvez, maître Blazius; le vin est bon, vous parlerez après.

MAÎTRE BLAZIUS
Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d'atteindre à sa majorité et qu'il est reçu docteur à Paris. Il revient aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d'or; il ne voit pas un brin d'herbe à terre qu'il ne vous dise comment cela s'appelle en latin et, quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà de le voir dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs de ses propres mains et sans en rien dire à personne. Enfin c'est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l'âge de quatre ans; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou; la bête est tant soit peu rétive, et je ne serai pas fâché de boire encore une gorgée avant d'entrer.

LE CHOEUR
Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n'était pas besoin, du moment qu'il arrive, de nous en dire si long. Puissions nous retrouver l'enfant dans le coeur de l'homme!

MAÎTRE BLAZIUS
Ma foi, l'écuelle est vide, je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu; j'ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont ,à monseigneur; je vais tirer la cloche.

(Il sort).

LE CHOEUR
Durement cahotée sur son âne essouflé, dame Pluche gravit la colline; son écuyer transi gourdine à tour de bras le pauvre animal, qui hoche la tête, un chardon entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que de ses mains osseuses elle égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche; vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois.

DAME PLUCHE
Un verre d'eau, canaille que vous êtes! un verre d'eau et un peu de vinaigre!

LE CHOEUR
D'où venez-vous, Pluche, ma mie? vos faux cheveux sont couverts de poussière; voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu'à vos vénérables jarretières.

DAME PLUCHE
Sachez, manants, que la belle Camille, la nièce de votre maître, arrive aujourd'hui au château. Elle a quitté le couvent sur l'ordre exprès de monseigneur pour venir en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu'elle a de sa mère. Son éducation, Dieu merci, est terminée, et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion. Jamais il n'y a rien eu de si pur, de si ange, de si agneau et de si colombe, que cette chère nonnain; que le Seigneur Dieu du ciel la conduise! Ainsi soit-il! Rangez-vous, canaille; il ne semble que j'ai les jambes enflées.

LE CHOEUR
Défripez-vous, honnête Pluche, et, quand vous prierez Dieu, demandez de la pluie, nos blés sont secs comme vos tibias.

DAME PLUCHE
Vous m'avez apporté de l'eau dans une écuelle qui sent la cuisine; donnez-moi la main pour descendre; vous êtes des butors et des malappris.

(Elle sort).

LE CHOEUR
Mettons nos habits du dimanche et attendons que le baron nous fasse appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l'air d'aujourd'hui. »
 

(A. de Musset, extrait de On ne badine pas avec l'amour
acte 1, scène I).
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