| Pierre Jean de Béranger est un chansonnier né à Paris en 1780, mort en 1857, avait pour père un agent d'affairés, ardent royaliste, qui se compromit dans la Révolution et qui fut obligé de se cacher. Recueilli par une tante, aubergiste à Péronne, il suivit quelque temps dans cette ville l'institut patriotique organisé d'après les idées de J. J. Rousseau, et y puisa quelque instruction, mais sans s'initier aux lettres anciennes, entra à 14 ans comme apprenti chez un imprimeur de Péronne, qui faisait des vers et lui en donna le goût, revint à 16 ans à Paris pour être commis chez son père, qui faisait alors la banqué, se livra en même temps à la poésie, s'essayant successivement dans l'épopée, l'idylle, le dithyrambe, la comédie, et né s'attacha qu'assez tard au genre qui devait l'immortaliser. Il luttait contre la gêne lorsqu'en 1803 Lucien Bonaparte, à qui il avait adressé ses poésies manuscrites, apprécia son talent naissant et assura son existence en lui abandonnant son traitement de l'Institut. En 1809, sur la recommandation d'Arnault, il fut attaché comme expéditionnaire aux bureaux de l'Université. Tout en s'acquittant de sa besogne de copiste, il faisait de joyeuses et piquantes chansons, qui le firent admettre en 1813 au Caveau moderne, où il devint le rival de Désaugiers. Sous la Restauration, qui blessait tous ses sentiments, il composa des chansons d'un genre nouveau, où il combattait les tendances antinationales du gouvernement, frondait les ridicules du jour et célébrait les gloires de la République et de l'Empire. Il fut en 1821 privé de son modeste emploi, poursuivi et condamné à 3 mois de prison et 500 F d'amende; en 1828, il se vit condamné de nouveau, mais cette fois à 9 mois de prison et 10000 F d'amende. Ces condamnations ne firent que rendre son nom plus populaire : l'amende fut acquittée par souscription. La révolution de 1830 ayant en grande partie donné satisfaction à ses voeux, il renonça à la chanson politique, et ne traita plus guère que dés sujets philosophiques ou humanitaires. Ses amis, arrivés au pouvoir, le pressaient d'accepter un emploi avantageux : il refusa constamment, ne voulant pas aliéner son indépendance. Élu en 1848 à l'Assemblée nationale, il refusa également de siéger; jamais non plus il ne voulut se mettre sur les rangs pour l'Académie française. Aussi bienfaisant que désintéressé, il n'usa de son crédit que pour rendre service. Il mourut pauvre : le gouvernement impérial fit les frais de ses funérailles. Après avoir débuté par des chansons bachiques, licencieuses et même impies, qui l'auraient laissé confondu dans la foule, Béranger sut se créer un genre à part : il éleva la chanson à la hauteur de l'ode. Dans les pièces où il traite des sujets patriotiques ou philosophiques, il sait le plus souvent unir à la noblesse des sentiments l'harmonie du rythme, la hardiesse des figures, la vivacité et l'intérêt du drame. On remarque surtout la Sainte Alliance des peuples, le Vieux Drapeau, le Vieux Sergent, les Enfants de la France, l'Orage, le Cinq mai, les Souvenirs du Peuple, le Champ d'Asile, les Adieux à la Gloire, le Dieu des Bonnes gens, le Bon Vieillard, les Hirondelles, les Quatre âges, le Déluge. Béranger avait publié son premier recueil en 1815 sous le titre malicieux de Chansons morales et autres; il en publia trois nouveaux en 1821, 1825 et 1833. Ce dernier, qui parut sous le titre de Chansons nouvelles et dernières, est dédié à Lucien Bonaparte, pour lequel il avait conservé une vive reconnaissance. Il a laissé une centaine de chansons inédites, qui forment une sorte de romancero napoléonien; sa propre Biographie, et une Correspondance : Béranger a été apprécié dans le Cours familier de littérature de Lamartine et dans les Causeries du lundi de Sainte-Beuve. On a de J. Janin Béranger et son temps, 1865. -- Les souvenirs du peuple « On parlera de sa gloire Sous le chaume bien longtemps; L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaîtra plus d'autre histoire. Là viendront les villageois Dire alors à quelque vieille : « Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encor le révère, Oui, le révère. Parlez-nous de lui, grand'mère, Parlez-nous de lui. » « Mes enfants, dans ce village, Suivi de rois, il passa. Voilà bien longtemps de ça Je venais d'entrer en ménage. A pied grimpant le coteau Où pour voir je m'étais mise, Il avait petit chapeau Avec redingote grise. Près de lui je me troublai; Il me dit : « Bonjour, ma chère! Bonjour, ma chère! » - Il vous a parlé, grand'mère! Il vous a parlé! » « L'an d'après, moi, pauvre femme, A Paris étant un jour, Je le vis avec sa cour Il se rendait à Notre-Dame. Tous les coeurs étaient contents; On admirait son cortège. Chacun disait : « Quel beau temps ! Le ciel toujours le protège. » Son sourire était bien doux D'un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. - Quel beau jour pour vous, grand'mère! Quel beau jour pour vous! » « Mais quand la pauvre Champagne Fut en proie aux étrangers, Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper à la porte; J'ouvre. Bon Dieu! c'était lui, Suivi d'une faible escorte. Il s'assoit où me voilà, S'écriant : « Oh! quelle guerre! Oh! quelle guerre! » - Il s'est assis là, grand'mère! Il s'est assis là! » « J'ai faim, » dit-il; et bien vite Je sers piquette et pain bis : Puis il sèche ses habits, même à dormir le feu l'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, Il me dit : « Bonne espérance! Je cours de tous ses malheurs Sous Paris venger la France. » Il part; et, comme un trésor, J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. - Vous l'avez encor, grand'mère! Vous l'avez encor! » « Le voici. Mais à sa perte Le héros fut entraîné. Lui, qu'un pape a couronné, Est mort dans une île déserte. Longtemps aucun ne l'a cru On disait : « Il va paraître. Par mer il est accouru; L'étranger va voir son maître. » Quand d'erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère, Fut bien amère! - Dieu vous bénira, grand'mère, Dieu vous bénira. » (Béranger). | | |