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Littérature française
Le théâtre au XIXe siècle
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De la tragédie au drame romantique

Les chefs-d'oeuvre des poètes romantiques avaient rallié sans trop de peine le public à la poésie nouvelle. Au théâtre les conquêtes furent plus difficiles et plus précaires.

La bataille d'Hernani. 
Il y eut à la Comédie Française de rudes batailles livrées aux classiques : Henri III et sa cour (1829) d'Alexandre Dumas, et surtout Hernani de Victor Hugo (1830), qui triompha grâce à la coalition des rapins et des poètes :

« Il suffisait de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu'il ne s'agissait pas là d'une représentation ordinaire; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même - ce n'est pas trop dire - étaient en présence. On s'entassa du mieux qu'on put aux places hautes, aux recoins obscurs du cintre [...] à tous les endroits suspects et dangereux où pouvait s'embusquer clans l'ombre une clef forée, s'abriter un claqueur furieux, un prudhomme épris de Campistron [...]. Les autres non moins solides, mais plus sages, occupaient le parterre, rangés en bon ordre sous l'oeil de leurs chefs et prêts à donner avec ensemble sur les philistins au moindre signe d'hostilité [...]. L'orchestre et le balcon étaient pavés de crânes académiques et classiques. » (Th. Gautier, Histoire du Romantisme, Première représentation d'Hernani).
Et on se battit réellement, surtout pendant les entractes.
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Déclin de la tragédie. 
Pourtant la tragédie était comme morte. On sait comment Voltaire, du Belloy avaient essayé de la renouveler en prenant leurs sujets ailleurs qu'en Grèce on à Rome, en lui faisant porter des théories philosophiques; comment elle était agonisante sous la Révolution et l'Empire; comment enfin le drame et son héritier, le mélodrame, lui avaient fait une concurrence victorieuse. L'accord était presque unanime sur la nécessité d'un renouvellement dramatique par l'histoire :
« Les sujets grecs sont épuisés; un seul homme, Lemercier, a su mériter encore une nouvelle gloire dans un sujet antique : Agamemnon; mais la tendance naturelle du siècle, c'est la tragédie historique. » (Mme de Staël, De l'Allemagne, ch. IV).
Goût du public pour l'histoire au théâtre. 
Justement on publiait une foule de mémoires et quelques auteurs, à l'imitation du président Hénault (François II, 1747), s'appliquaient à reconstituer l'histoire sous forme de scènes historiques, entre autres de Fongeray, pseudonyme de Dittmer et Cavé
(Les Soirées de Neuilly, 1827), Vitet (Les Barricades, 1827-1829), Mérimée (la Jacquerie, 1828). Walter Scott et le roman historique faisaient fureur. Il était tout naturel qu'on désirât voir sur le théâtre les scènes qui plaisaient dans le roman. C'était répondre au désir du public que de tirer comme le fit V. Hugo Marion Delorme du Cinq-Mars de Vigny, et Le Roi s'amuse des Deux Fous de Paul Lacroix.

La question de forme.
Seulement toute une partie des spectateurs lettrés voulaient, en acceptant le renouvellement du fond, rester fidèles à la forme classique : renoncer aux unités, à la séparation du comique et du tragique, à la noblesse de l'alexandrin, c'était laisser escalader la grande scène dramatique par le mélodrame populaire [A la suite de la représentation de Henri III et sa cour, sept auteurs adressèrent une pétition à Charles X]. Telle était en somme la partie qui se jouait à la bataille d'Hernani. Mais déjà l'assaut avait été commencé par les étrangers. L'Allemand Schlegel, après Lessing, avait, dans son Cours de Littérature dramatique, traduit par Albertine Necker de Saussure en 1814, fait la critique du système classique français. L'Italien Manzoni, dans une lettre préface de son Théâtre, traduit en 1823 par Fauriel, avait attaqué les unités. Une collection des Chefs-d'oeuvre des théâtres étrangers (1822) avait un vif succès. Les applaudissements que recueillirent en 1828 à la Porte-Saint-Martin des acteurs anglais jouant Shakespeare, après s'être fait siffler en 1822, montrèrent bien l'évolution déjà en train dans le public.

Théories et caractères généraux du drame romantique.
Les romantiques ont prétendu apporter au théâtre plus de vérité, plus d'idées et plus de liberté. Malgré le fracas des théories révolutionnaires, le drame nouveau n'a été sur bien des points qu'un aboutissement ou un compromis.

La vérité.
C'est presque toujours un drame historique conformément au goût du public et au conseil de Stendhal :

« C'est à Grégoire de Tours, à Froissart, à Tite-Live, à la Bible, aux modernes Hellènes que nous devons demander des sujets de tragédie [...]. Mme du Hausset, Saint-Simon, Gourville, Dangeau [...] nous donneront des sujets de comédie. (Racine et Shakespeare).
a) La peinture du passé. - On demande à ces sources des détails pittoresques de mise en scène, de costumes, de langage, de moeurs, dont l'ensemble doit constituer « la couleur locale » ou vérité historique :
« Le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps; elle doit en quelque sorte y être dans l'air. » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).
On va de préférence aux époques peu connues ou méconnues, sur lesquelles paraissent les documents, le Moyen âge, le XVIe siècle et le début du XVIIe, en Angleterre (Victor Hugo, Marie Tudor), en Allemagne (Victor Hugo, Les Burgraves), en Italie (Victor Hugo, Lucrèce Borgia; Musset, Lorenzaccio), en Espagne (Victor Hugo, Hernani), en France surtout (Dumas, Henri III et sa cour, Charles VII chez ses grands vassaux, La Reine Margot, La Tour de Nesle, La Jeunesse des Mousquetaires; Vigny, La Maréchale d'Ancre; Hugo, Le Roi s'amuse, Marion Delorme).

b) La peinture des passions. - Les romantiques aiment aussi ces époques de violences et de troubles, parce qu'ils peuvent y déchaîner, dans un drame sombre, sous prétexte de vérité psychologique, des passions brutales qui ne se masquent pas, comme dans la tragédie, sous la décence et la politesse des manières. La débauche de François Ier (Le Roi s'amuse) ou de Marguerite de Bourgogne (La Tour de Nesle) s'étale sans remords. Le duc de Guise (Henri III et sa cour), don Salluste (Ruy Blas) combinent d'atroces vengeances. L'amour d'Antony n'hésite pas devant un crime. La clémence de Charles-Quint, l'hospitalité de Ruy Gomez (Hernani), ou même l'honnêteté de Chatterton sont des exceptions. D'ordinaire la sympathie va au couple d'amoureux, souvent coupable. Le héros c'est le personnage conventionnel du « beau ténébreux », mystérieux et fatal :

« La tendresse, la passion, la beauté même ne suffisaient pas pour faire un amoureux accompli, il fallait encore une certaine fierté dédaigneuse; [...] derrière l'amant on devait sentir un héros inconnu en butte aux injustices du sort et plus grand que son destin. » (Th. Gautier, Histoire du Romantisme, La reprise d'Antony).
c) La peinture de la vie. - Enfin, dans le drame comme dans la vie, le comique et le tragique, le grotesque et le sublime se côtoient :
« Le corps y joue son rôle comme l'âme; et les hommes et les événements, mis en jeu parce double agent, passent tour â tour bouffons et terribles, quelquefois terribles et bouffons fout ensemble [...]. Car les hommes de génie, si grands qu'ils soient, ont toujours en eux leur bête qui parodie leur intelligence. C'est par là qu'ils touchent à l'humanité, car c'est par là qu'ils sont dramatiques. » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).
Dans la tragédie en effet le pathétique était purement moral. Les romantiques ont tiré de la douleur physique des effets faciles de terreur. Il suffit de comparer par exemple à la mort instantanée des héroïnes classiques l'agonie de doña Sol empoisonnée :
«                                                               Ma raison
S'égare. Arrête! Hélas! mon don Juan, ce poison 
Est vivant! ce poison dans le coeur fait éclore 
Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore! 
Oh! je ne savais pas qu'on souffrît à ce point!
Qu'est-ce donc que cela? C'est du feu! Ne bois point! » (Hernani, V, 6).
Mais les romantiques tenaient surtout au mélange des genres. C'est pourquoi la conjuration contre Cromwell est égayée par les mésaventures de Lord Rochester contraint de consentir à épouser l'affreuse dame Guggligoy (Cromwell, III, 9); c'est pourquoi, au moment où les ténébreux desseins de don Salluste vont s'accomplir, don César dégringole par la cheminée pour faire gaiement un bon dîner et remplir ses poches. (Ruy Blas, IV).
Les idées.
Tous ces procédés étaient déjà ceux du mélodrame. Le drame romantique voulut se distinguer de lui par une ambition plus haute, et ne pas seulement émouvoir, mais instruire :
« Aujourd'hui plus que jamais, le théâtre est un lieu d'enseignement. Le drame, comme l'auteur de cet ouvrage le voudrait faire, et comme le pourrait faire un homme de génie, doit donner à la foule une philosophie, aux idées une formule, à la poésie des muscles, du sang et de la vie. » (Victor Hugo, Préface d'Angelo).
Aussi les personnages sont-ils le plus souvent symboliques : Ruy Blas, c'est le peuple; Triboulet, le père; Chatterton, le poète; Yaquoub (dans Charles VII chez ses grands vassaux) la servitude, etc. Les Burgraves sont « le symbole palpitant et complet de l'expiation » (Préface). De là, à côté des tirades lyriques, de longues dissertations comme le monologue politique de don Carlos dans Hernani (IV, 2), etc.

La liberté.
Ces drames historiques et symboliques, où l'on aimait une intrigue touffue, ne pouvaient s'accommoder des vingt-quatre heures et de l'unité de lieu.

a) Abolition des règles. - Successivement, Vigny (Lettre à Lord *** sur la
soirée du 24 octobre 1829 et sur un système dramatique) et Hugo proclamèrent les règles abolies :
« Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes [...]. Il n'y a ni règles ni modèles; ou plutôt il n'y a d'autres règles que les lois générales de la nature, qui planent sur l'art entier, et les lois spéciales qui, pour chaque composition, résultent des conditions propres à chaque sujet.-» (Victor Hugo, Préface de Cromwell).
Les nécessités inéluctables de l'unité d'action empêchèrent d'éparpiller le drame. (Charles VII chez ses grands vassaux est même conforme aux trois unités). Et la pièce y gagna un important mouvement scénique où les escaliers dérobés et les portes secrètes jouent un rôle trop fréquent, mais où la mise en scène atteignait enfin un pittoresque et une exactitude qui lui avaient par trop manqué jusque-là.

b) Affranchissement de l'alexandrin. - Sur ce point encore, le drame romantique suivait l'exemple du mélodrame. Qu'il fût écrit en prose, comme le demandait Stendhal dans Racine et Shakespeare, et la confusion risquait de s'établir

« La prose, lorsqu'elle traduit les passages épiques, a un défaut bien grand [...] c'est de paraître tout à coup boursouflée, guindée et mélodramatique, tandis que le vers, plus élastique, se plie à toutes les formes : lorsqu'il vole, on ne s'en étonne pas; car, lorsqu'il marche, on sent qu'il a des ailes. » (Vigny, Lettre citée).
Avertis par leur instinct de poètes, Vigny et Hugo sentirent qu'il fallait garder de la tragédie le principe du vers, mais en dépouillant l'alexandrin de sa noblesse obligatoire et de sa coupe monotone :
« Nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche [...) sachant briser à propos et déplacer la césure [...] plus ami de l'enjambement qui l'allonge que de l'inversion qui l'embrouille; fidèle à la rime, cette esclave reine [...] lyrique, épique, dramatique, selon le besoin [...] Il nous semble que ce vers-là serait bien aussi beau que de la prose. » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).
Soi-disant historique dans le fond, mélodramatique dans les moyens, poétique dans la forme, voilà ce que fut dans ses grandes lignes le drame romantique.

Le drame d'Alexandre Dumas.
Alexandre Dumas inaugura le genre et le fit se survivre à lui-même.

L'auteur et les oeuvres. 
Expéditionnaire dans les bureaux du duc d'Orléans, Alexandre Dumas (1803-1870) fut célèbre le lendemain d'Henri III et sa Cour (1829). Servi par une constitution de géant, aidé par divers collaborateurs qui lui fournissaient surtout des renseignements historiques, il mit au jour allègrement une foule de pièces dont les principales sont parmi les drames :

Henri III et sa Cour (1829), Antony (1831), Napoléon Bonaparte, Charles VII
chez ses grands vassaux (1831), La Tour de Nesle (1832), Kean (1836), Mademoiselle de Belle-Isle (1839), Les Trois Mousquetaires (1844), La Reine Margot (1845), Le Chevalier de Maison-Rouge (1847), Monte-Cristo (1848), l'Orestie (1856), La Dame de Montsoreau (1860).- Parmi les comédies : Les Demoiselles de Saint-Cyr (1843), Le Verrou de la Reine (1856).

Le mouvement dramatique. 
Dumas eut la gloire d'avoir, avec Henri III et Antony, le premier et le plus grand succès romantique au théâtre, parce que ses personnages joignent à la fougue de la passion l'énergie dans l'action.

• Henri III et sa Cour. - Le duc de Guise soupçonne des relations coupables entre la duchesse et Saint-Mégrin. Il oblige sa femme, en lui brisant, le poignet dans son gantelet de fer, à écrire à Saint-Mégrin pour lui fixer un rendez-vous. Il y aposte des gens et lui, qui le tuent.

• Antony. - Antony est plus encore le héros romantique par excellence. Enfant sans nom, en marge d'une société qu'il hait, il ne peut épouser Adèle qu'il aime. Il la retrouve par hasard, en arrêtant ses chevaux emportes, trais mariée au colonel d'Hervey. Il la domine par la puissance de sort autour, triomphe de ses remords, et, quand ils vont être surpris par le mari, il n'hésite pas à la tuer pour lui sauver l'honneur :  « Elle me résistait, je l'ai assassinée! »

Ainsi la pièce est entraînée dans un mouvement haletant vers les situations les plus poignantes. Cette intensité dramatique assure encore à telle autre pièce de
Dumas, comme La Tour de Nesle, Les Trois Mousquetaires, La Dame de Montsoreau, mélodrames historiques, où l'histoire, selon le mot de Dumas (Avertissement de Catherine Howard) « n'est qu'un clou où le tableau est accroché », un très vif succès populaire.

Le drame de Victor Hugo.
Le mouvement est au contraire ce qui manque le plus aux drames de Victor Hugo.

L'invraisemblance des sujets.
On y trouve bien du mouvement scénique et des situations à effet, mais dans des intrigues compliquées et invraisemblables. 

C'est le cas d'Hernani :

• Hernani. - Doña Sol est aimée de son auteur don Ruy Gomez, du roi don Carlos et du bandit Hernani. C'est le bandit qu'elle aime. Hernani a deux raisons de tuer le roi : venger sort père mis à mort par celui de don Carlos, et se défaire d'un rival; il commence par lui sauver la vie. Puis il monte une conjuration contre lui, où Ruy Gomez entre par jalousie. On doit frapper Carlos à Aix-la-chapelle le jour de l'élection à l'empire. Mais les conjurés sont découverts, arrêtés et pardonnés : Charles- Quint n'exécute pas les vengeances de don Carlos. Hernani, qui est en réalité Jean d'Aragon, grand d'Espagne, recouvre son titre et ses biens : il épousera doña Sol. Par malheur, sa vie appartient à Ruy Gomez depuis le jour où le vieillard a refusé de le livrer aux soldats parce qu'il était réfugié sous son toit. Le son du cor vient, le soir des noces, lui rappeler son serment. Il s'empoisonne avec doña Sol, et Ruy Gomez se tue sur leurs corps, dénouement sanglant d'une pièce où les générosités égalent les haines et où l'on passe son temps à sauver la vie de gens dont on voudrait la mort.

Ruy Blas est plus étrange encore :

• Ruy Blas. - Don Salluste veut se venger de la reine d'Espagne. Il substitue son valet Ruy Blas à don César, et Ruy Blas devient premier ministre, favori de la reine, se révèle grand homme d'État. Il oublie seulement de se défier de don Salluste qui, à l'heure choisie par lui, veut lui faire reprendre sa casaque, heureux d'avoir appris à la reine qu'elle aimait son domestique!

Invraisemblance des caractères. 
On peut juger par ces pièces, les deux meilleures de Victor Hugo, que l'action marche par bonds, selon le caprice du poète, au lieu d'être menée par la logique des caractères ou des passions. Comment en serait-il autrement puisque les personnages, au lieu d'être pris dans la vérité et la vie, sont construits par l'auteur d'après son procédé favori du contraste. Hernani, Ruy Blas, Triboulet (Le Roi s'amuse), Lucrèce Borgia, sont des antithèses vivantes :

Donc le ciel m'a fait duce, et l'exil montagnard. (Hernani, IV, 4).

J'ai l'habit d'un laquais et vous en avez l'âme. (Ruy Blas, V, 3).

Ainsi la paternité sanctifiant la difformité physique : voilà Le Roi s'amuse. La
maternité purifiant la difformité morale : voilà Lucrèce Borgia. (Préface de Lucrèce Borgia).

Les protagonistes sont donc partagés entre le bien et le mal; Hernani entre ses habitudes de bandit et sa générosité de grand seigneur; Triboulet entre son
avilissement de bouffon et son désespoir de père qui retrouve sa fille déshonorée par François Ier, etc. Ils ne sont ni des volontés agissantes comme les personnages de Corneille, ni des sensibilités complexes comme ceux de Racine : ce sont des êtres d'exception, imaginaires. Les personnages de second plan, comme don Salluste, comme la sorcière Guanhumara des Burgraves, qui prépare le meurtre du vieux burgrave Job par son fils Otbert pour se venger d'avoir été autrefois vendue par lui, sont en un sens plus dramatiques, parce qu'ils représentent un seul sentiment : la haine en action.

Les beautés lyriques.
Mais qu'on admette sujets et caractères comme des hypothèses justifiant un développement lyrique, et tant de tirades qui semblent interminables parce qu'elles interrompent l'action, apparaîtront dans toute leur beauté : dans Hernani, la scène des portraits (III, 2), la méditation de don Carlos au tombeau de Charlemagne (IV, 2), le duo d'amour d'Hernani et de doña Sol (V, 3); dans Ruy Blas, l'invective aux ministres, indignation de l'honnête homme voyant sa patrie déchirée par des coquins (III, 2); dans les Burgraves, le tableau de l'Allemagne en proie à l'anarchie (II, 1), les reproches sanglants de l'empereur Barberousse à ces princes qui se sont faits bandits, page de la Légende des Siècles où passerait un peu du souffle des Châtiments :

« Vils, muets, accroupis, un poignard à la main,
Dans quelque mare immonde au bord du grand chemin, 
D'un chien qui peut passer redoutant les morsures, 
Vous épiez le soir près des routes peu sûres 
Le pas d'un voyageur, le grelot d'un mulet... 
Et vous osez parler de vos pères! - Vos pères, 
Hardis parmi les forts, grands parmi les meilleurs,
Etaient des conquérants; vous êtes des voleurs! » (II, 6). 
C'est pourquoi on a continué de jouer avec succès Hernani, Ruy Blas, et même Les Burgraves, malgré leur célèbre échec en 1843. Le public lettré se laisse aller au charme de la poésie; le public populaire s'intéresse au mouvement scénique et aux machinations des « traîtres ».

Le drame de Vigny.
Il y a plus de vérité dramatique dans le chef-d'oeuvre d'Alfred de Vigny, Chatterton.

Les essais.
Vigny avait d'abord cherché la formule qui lui convînt. Il avait rendu le service de faire jouer une traduction assez exacte de Shakespeare, Othello. Puis dans un drame historique assez compliqué, La Maréchale d'Ancre, il avait mis à la scène l'assassinat de Concini.

Chatterton.
Il fut mieux inspiré en donnant la forme dramatique à un des récits de Stello, la mort du poète anglais Chatterton.

a) Analyse. - Chatterton est dans la plus extrême misère et habite une chambre que lui loue un commerçant, John Bell. Il s'est épris de la femme de Bell, Ia douce Kitty, qui, dans sa pitié pour l'infortuné, s'est mise à l'aimer sans s'en douter. Un seul espoir reste à Chatterton : il a écrit pour demander du secours au lord maire, M. Beckford, ancien ami de son père. Celui-ci offre au poète, avec de bons conseils, une place de valet de chambre chez lui. Chatterton, fou de honte et de désespoir, s'empoisonne, et ose avouer à Kitty son amour. Elle, espérant lui donner le courage de vivre, ne lui cache plus le sien. Il est trop tard. Elle tombe morte en voyant le cadavre de Chatterton.

b) Le symbole et l'analyse psychologique. - Vigny n'avait fait, comme dans ses poèmes, que donner une forme dramatique à un symbole :

« J'ai voulu montrer l'homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste, où le calculateur avare exploite sans pitié l'intelligence et le travail.» (Dernière nuit de travail).
C'était l'idée chère aux romantiques du rôle social du poète :
« Vous n'avez rien pu faire que vos maudits vers, et à quoi sont-ils bons, je vous prie? - L'Angleterre est un vaisseau... et nul n'est inutile dans la manoeuvre de notre glorieux navire. - Que diable peut faire le poète dans la manoeuvre ? - Il lit dans les astres la route que nous montre du doigt le Seigneur. » (Chatterton, III, 6).
Mais la pièce, d'une simplicité classique, s'enfermait aisément dans les unités : 
« C'est l'histoire d'un homme qui a écrit une lettre le matin, et qui attend la réponse jusqu'au soir; elle arrive et le tue. » (Dernière nuit de travail).
Ni mise en scène, ni déguisement, ni traître; mais des analyses de caractère : l'égoïsme dur de John Bell, l'austère charité du Quaker, surtout le désespoir de Chatterton auquel la société ne fait pas la place qu'il mérite; l'amour si chaste de Kitty qui ne s'exprime que par des réticences : c'était en somme une excellente tragédie bourgeoise.

Le théâtre d'Alfred de Musset.
Quand Mme Allan, à son retour de Saint-Pétersbourg, joua un Caprice à la Comédie-Francaise, après l'avoir vu applaudir en Russie, et qu'on mit successivement à la scène les différentes pièces d'Alfred de Musset parues dans la Revue des Deux Mondes, on s'aperçut que les chefs-d'oeuvre du théâtre romantique n'avaient pas encore été représentés.

Lorenzaccio
Lorenzaccio a sur les autres drames la supériorité d'une étude de caractère.

Cette fois le traître est le héros du drame : c'est le pâle Lorenzo, qui, pour délivrer Florence de Ia tyrannie d'Alexandre de Médicis, s'est fait le ministre de ses plaisirs infâmes. Il l'attire ainsi dans un guet-apens et le frappe. Mais il ne peut plus ôter le masque de débauché qui le déguise : le vice ne lâche pas su proie.

« Il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau. Je suis vraiment un ruffian. » (Lorenzaccio, III, 3).
Les comédies d'amour. 
Musset ne connaissait que trop la triste hantise de la vie de plaisirs. Quand il eut fait la douloureuse expérience de la passion, il étudia l'amour au théâtre en même temps qu'il le chantait dans les Nuits.

Une jeune femme, Marianne, qui s'éprend d'Octave, trop adroit interprète de son ami Caelio, et dont la fantaisie coûte Ia vie à Coelio (Les Caprices de Marianne); un étudiant, Fantasio, qui s'amuse, déguisé en fou, à faire rompre le mariage d'Elsbeth, fille du roi de Bavière, avec le prince de Mantoue, qu'elle n'épouse que par raison d'Etat, au risque de déchaîner la guerre entre les deux pays (Fantasio). Deux jeunes gens, Perdican et Camille, qui s'aiment, mais par orgueil ne veulent pas se livrer, si bien que Perdican, pour réduire Camille par Ia jalousie, se fait aimer par Rosette, soeur de lait de la jeune fille; Don Juan coupable puisque, s'il reconquiert Camille, Rosette en meurt de désespoir (On ne badine pas avec l'amour); Barberine, qui, fidèle à son mari, évince et ridiculise un séducteur prétentieux (La Quenouille de Barberine); Fortunio, clerc de notaire, épris de sa patronne, qui couvre ses fautes et se
fait aimer d'elle (Le Chandelier); Valentin, qui, pour éprouver la fiancée que son oncle lui destine, veut Ia séduire, mais est bientôt séduit lui-même par sa grâce ingénue et sa rouerie naïve (II ne faut jurer de rien).

Qu'est-ce que tout cela? Ce n'est ni la passion tragique de Racine, ni la galanterie précieuse de Marivaux; c'est l'amour, tantôt vertueux, tantôt coupable, toujours grave au moins dans ses conséquences, mystère qui est toute la vie :

« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. » (On ne badine pas avec l'amour, II, 5).
La fantaisie. 
On reconnaît la philosophie de Musset, puisqu'aussi bien Coelio ou Octave, Perdican ou Valentin, c'est toujours Musset qui parle. De là tant de vérité dans l'analyse psychologique, et aussi une profondeur de sentiment, une exaltation lyrique, qui le distinguent bien de Marivaux. Mais le Musset fantaisiste et spirituel a aussi collaboré au théâtre. C'est lui qui a laissé à dessein dans le vague, ou reculé dans le lointain, le lieu de l'action [une petite ville (Le Chandelier), la Hongrie (Barberine), etc.; dans On ne badine pas avec l'amour il n'est pas indiqué], pour lui enlever un caractère de réalité trop marqué; c'est lui qui l'a égayée de fantoches comme maître Blazius, le gouverneur de Perdican (On ne badine pas avec l'amour); la baronne de Mantes, mère étourdie mais bonne; Van Buck, oncle à héritage dont la colère ne tient pas contre l'espièglerie de son neveu (Il ne faut jurer de rien), etc. C'est lui qui s'est diverti à mettre des choeurs dans On ne badine pas avec l'amour. C'est lui enfin qui a prêté aux personnages la gaminerie de son esprit, telle cette plaisante défense de Valentin gourmandé par son oncle :
« Vous me reprochez d'aller en fiacre : c'est que je n'ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier : c'est pour ne pas monter sans lumière; à quoi bon se casser le cou? Vous voudriez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin. » (Il ne faut jurer de rien).
Ce mélange de vérité et de fiction, d'émotion et de gaieté, fait de ce théâtre
qui ne s'assujettit à aucune des servitudes de la scène, un chef-d'oeuvre d'originalité, une gageure gagnée.

La fin du théâtre romantique.
Le drame romantique ne survécut pas à la génération dont il représentait trop exclusivement les goûts.

Renaissance momentanée de la tragédie. 
La même année (1843) vit l'échec des Burgraves et le succès de Lucrèce (1843), une tragédie de Ponsard. C'est que, depuis 1838, Rachel, tragédienne de génie, avait triomphalement ressuscité à la Comédie-Française les héroïnes de Racine et l'art classique prenait sa revanche. Elle fut du reste de courte durée. Corneille et Racine reprirent leur place au répertoire, tandis que Voltaire perdait la sienne, mais on n'écrivit plus avec succès de tragédies nouvelles.

Casimir Delavigne (1793-1843) et Ponsard (1814-1867).
Le public resta un peu hésitant. Déjà en plein romantisme, il avait bien accueilli des drames historiques de Casimir Delavigne comme Louis XI (1832) et Les Enfants d'Edouard (1833), où la fougue romantique était remplacée par une exactitude
assez consciencieuse et un sens avisé de l'effet dramatique; Charlotte Corday (1850), et Le Lion amoureux (1863) de Ponsard, où l'on voit le conventionnel Humbert, amoureux de la marquise de Maupas, sauver son père, mais laisser fusiller son fiancé, étaient de la même veine. Mais le triomphe durable de L'Honneur et l'Argent (1853) qui met en scène un jeune homme, Georges, qui se ruine pour payer les dettes de son père, est abandonné de tous, même de sa fiancée, la fille aînée de M. Mercier, puis reconstruit honorablement sa fortune et épouse la seconde fille de M. Mercier, montra bien à Ponsard lui-même que l'heure était sonnée de la comédie de moeurs.

Conclusion.
Le besoin général d'observation directe et précise des réalités sociales qui se fait sentir dans la seconde moitié du XIXe siècle, est la vraie raison de l'échec définitif du romantisme au théâtre. L'oeuvre de Musset à part, le drame romantique « data » très vite, parce qu'il avait négligé l'intérieur au profit de l'extérieur, les passions et les caractères fortement tracés au profit du pittoresque historique et scénique. Mais il avait rendu le service de ruiner les conventions qui ne résultent pas immédiatement du genre dramatique lui-même, et donné le goût d'une mise en scène exacte et vivante.

Scribe et la comédie de moeurs

La comédie, au XIXe siècle, n'est plus, comme pendant la période classique, un genre déterminé, tout à fait distinct de la tragédie et du drame; elle admet tous les sujets, tous les caractères, toutes les conditions, tous les tons. On peut dire qu'elle ne se distingue du drame romantique que par le dénouement, non pas que celui-ci soit toujours chez elle heureux ou gai, mais parce qu'il ne comporte pas (en général) de mort violente. Le nom même de comédie a paru trop étroit à quelques auteurs de, la fin du XIXe siècle; ils ont fait des pièces, tout simplement. Cependant les genres et les espèces ne peuvent s'altérer ni se confondre entièrement, On voit subsister : le vaudeville, la comédie de moeurs (en vers ou en prose), la comédie à thèse, la comédie historique, la comédie burlesque, la comédie rosse. Toutes les pièces dont nous allons parler, de Scribe à Victorien Sardou et à Edmond Rostand, peuvent se classer plus ou moins exactement sous l'une de ces étiquettes.

Scribe.
De 1810 à 1861, Scribe (1791-1861) a donné près de quatre cents pièces. Il a occupé les théâtres de Paris pendant cinquante ans, et il n'a disparu que lentement et graduellement du répertoire. 

Scribe avait commencé par des insuccès. Mais il possédait un don inné du théâtre; et, en 1845, il se fait applaudir au Vaudeville avec Une nuit de la garde nationale, suivie de charmantes et vives petites pièces, telles que le Solliciteur, l'Ours et le Pacha, etc. A l'ouverture du Gymnase (Théâtre de Madame) en 1820, il devint le fournisseur attitré d'une scène où l'on ne pouvait faire jouer que des pièces en un acte. De là, cette abondance de vaudevilles où le sujet est « ramassé » avec tant de précision et de sûreté : Le plus beau jour de la vie, la Demoiselle à marier, le Charlatanisme, la Manie des places, etc. Scribe n'eut qu'à reprendre un peu plus tard le thème de quelques-uns de ses vaudevilles, pour faire de grandes comédies; mais la nécessité de resserrer son action et de croquer vivement ses personnages, lui avait formé la main. Entre-temps, il avait pénétré au Théâtre-Français en 1822, avec Valérie; il y donnait, en 1827, le Mariage d'argent, puis Bertrand et Raton (1833), la Camaraderie (1837), la Calomnie (1840), le Verre d'eau (1840), Une Chaîne (1841), etc.

Depuis 1823, Scribe écrivait avec un égal succès des livrets d'opéras et d'opéras-comiques : la Dame Blanche (1825), la Muette de Portici (1828), Robert le Diable (1831), la Juive (1835), les Huguenots (1836), etc.

Il ne faut pas demander à Scribe une profonde psychologie ni un style : il est préoccupé avant tout de nous attacher par une intrigue bien faite; il excelle à poser, à compliquer, à dénouer son sujet. On éprouve une véritable satisfaction à le suivre, et une certaine déception quand on l'a quitté. Car il choisit souvent des sujets hardis ou dangereux; mais alors, il joue la difficulté, il semble soutenir une gageure qui consiste à tourner autour du vrai sujet, à l'esquiver chaque fois qu'il est sur le point de s'y heurter, comme un équilibriste qui danse à travers des poignards;  sous ce rapport, son chef-d'oeuvre est Une Chaîne (1841).

On aurait tort cependant de refuser à Scribe toute faculté d'observation et toute visée morale. Il nous a laissé dans ses vaudevilles une galerie de croquis exacts et piquants; le garde national, le vieux soldat de l'Empire, le fringant officier mondain de la Restauration, le journaliste faiseur, prototype d'Émile de Girardin et de Jules Janin, le négociant parvenu, le notaire, le petit employé... Tous ces bonshommes-là sont vivants; costumes, gestes, manies, langage, tout a été copié d'après nature. Et c'était un grand mérite de renouveler ainsi les personnages de la comédie de moeurs, et de les substituer aux imitations de Molière, de Regnard, de Dancourt et de Beaumarchais, dont Picard et Duval avaient usé encore. 

Scribe fait quelquefois mieux. Le Poligny du Mariage d'Argent (1827) est le type du jeune ambitieux tel que les moeurs nouvelles ont pu le former. Dans la Camaraderie (1836), qui pourrait s'intituler les Arrivistes, on trouverait tous les types des Cabotins de Pailleron indiqués en traits beaucoup plus nets. Et, dans la Calomnie, les caractères de personnages politiques sont tracés avec esprit et avec justesse. - Bertrand et Raton (1833) et le Verre d'eau (1840) sont des modèles de comédie historique, du genre à la fois superficiel et fin où s'est illustré Victorien Sardou. Dumas père lui-même, ce grand inventeur, ne fit en ce genre qu'imiter Scribe.

Scribe eut de très nombreux collaborateurs, qui n'eurent jamais qu'à se louer de sa délicatesse et de sa loyauté. « J'ai fait douze ou quinze vaudevilles avec Scribe, disait Carmouche, et je puis vous affirmer que, dans toutes ces pièces, il n'y a pas un mot de moi ».  On lui apportait en général de « grandes machines » plus ou moins mélodramatiques; il en extrayait quelques scènes, transposait le sujet, serrait vivement le tout, et récrivait la pièce d'un bout à l'autre. Mais le « collaborateur » n'en touchait pas moins la moitié des droits.

Autour de Scribe. 
Entre 1815 et 1848, la production dramatique, dans la comédie, est des plus fécondes. Nous n'indiquerons que les principales pièces, afin de faire ressortir surtout la hardiesse de certains sujets. 

• La « question d'argent » commence à tenir une grande place au théâtre; elle envahit presque toutes les comédies de moeurs; et quelques-unes lui sont particulièrement consacrées comme l'Argent de C. Bonjour (1825), l'Agiotage de Picard et Empis (1826). Après le Mariage d'argent (1827) et le Puff (1848) de Scribe, nous trouvons l'Honneur et l'Argent (1853) et la Bourse (1856) de Ponsard, qui nous mènent à Alexandre Dumas fils et à Emile Augier.  Balzac, non content d'écrire des romans, fit jouer quelques pièces assez mal accueillies. La seule qui mérite de survivre est Mercadet (1851), où Balzac nous présente le Turcaret moderne. 

• Parmi les comédies politiques, Picard et Mazères donnent, en 1827, les Trois Quartiers, une des pièces les plus applaudies de ce temps, satire spirituelle et juste de la bourgeoisie, de la finance et de la noblesse. L'abolition de la censure après 1830, amène sur le théâtre une foule de pamphlets politiques, dont nous n'avons pas à nous occuper.

• Dans le genre de la comédie historique, il faut retenir Don Juan d'Autriche, de C. Delavigne (1835); Mlle de Belle-Isle (1839), Un Mariage sous Louis XV (1841), les Demoiselles de Saint-Cyr (1843), d'A. Dumas père; et les Premières Armes de Richelieu (1839), de Bayard, un des triomphes de Déjazet

• Comédies sur le mariage et la famille : c'est ici que nous trouvons des situations ou des thèses qui annoncent les pièces d'Augier et de Dumas fils. L'École des vieillards, de Casimir Delavigne (1823), jouée par Talma et Mlle Mars, eut un retentissant succès, mais paraît aujourd'hui d'une singulière banalité. Antony, d'Alexandre Dumas père (1831), joué par Mme Dorval et Bocage, contient le type essentiel de l'amoureux romantique et byronien. Il a eu toute une descendance au théâtre, comme René dans le roman. Le Mari à la campagne, de Bayard (1844), est une amusante et fine satire des inconvénients que peut avoir pour la femme une dévotion exagérée et mal comprise. Un an, ou le Mariage d'amour, d'Ancelot (1830), est une très simple et forte comédie sur la mésalliance (à comparer à la Catherine, de Henri Lavedan).

La Mère et la Fille, de Mazères et Empis (1830); est un ouvrage remarquable par sa vigueur et son réalisme (à comparer avec le Supplice d'une femme, de Dumas fils, et l'Autre Danger, de Maurice Donnay). -  Une Liaison, de Mazères et Empis (1834), autre pièce hardie, et dont le dénouement choqua le public, est à comparer avec le Mariage d'Olympe, d'Émile Augier. La comédie de moeurs tendait de plus en plus vers le réalisme, parallèlement aux extravagances romantiques. Cependant, un certain respect mal entendu pour la tradition, des préjugés académiques, la routine des grands acteurs, entretenaient encore une préférence pour la comédie en vers, comme le prouvent les deux gros succès de Ponsard ef les pièces de début d'Émile Augier.

La comédie de moeurs.
Le genre intermédiaire entre la tragédie et la comédie, dont Diderot avait donné une théorie juste et des exemples malheureux, prend vie aux environs de 1850 sous la forme de la comédie de moeurs.

L'héritage du drame romantique. 
Mais le souvenir des drames du XVIIIe siècle est perdu. Le drame romantique, en apparence condamné, laissait le champ libre aux novateurs; le public était déshabitué de la poétique classique et disposé à admettre le mélange des genres, aussi bien que la peinture des passions brutales et souveraines.

L'influence de Balzac. 
Il suffisait, aux oripeaux romantiques et aux accessoires moyen âgeux, de substituer des costumes et des meubles modernes. La maquette des décors était toute dessinée dans les romans de Balzac. La comédie de moeurs devait tout naturellement suivre le roman de moeurs.

L'influence de Scribe. 
Seulement, il fallait, pour donner à ces tableaux la forme dramatique, entretenir l'attention du public par une intrigue adroite. Scribe avait rendu les spectateurs exigeants sur l'agencement des comédies. Les péripéties de ses pièces  nous attachent. Cependant les spectateurs, tout préoccupés du sort de jeunes premiers sympathiques, ne s'avisaient pas que la peinture des moeurs et des caractères était superficielle.

Le théâtre qu'inaugurèrent Dumas fils et Emile Augier, eut une plus noble ambition que d'escompter l'attendrissement facile du public bourgeois.

La peinture des moeurs. 
Molière voulait provoquer le rire par la peinture des gens de son temps. L'art réaliste au théâtre fait, au contraire, passer l'observation avant le comique. Il veut représenter avec vérité, sur la scène, ces bourgeois enrichis (Le Gendre de M. Poirier), ces journalistes effrontés (Les Effrontés), ces financiers sans scrupules (La Question d'argent), etc. qui sont les types les plus curieux de la société du XIXe siècle, certains même sa tare et son danger.

La thèse.
Mais, sous l'influence de Dumas fils, un certain nombre d'auteurs dramatiques prétendent ne pas seulement faire des tableaux de moeurs, mais des leçons de morale-:

« Par la comédie, par la tragédie, par le drame, par la bouffonnerie, dans la forme qui nous conviendra le mieux, inaugurons dune le théâtre utile, au risque d'entendre crier les apôtres de l'art pour l'art, trois mots absolument vides de sens. Toute littérature qui n'a pas en vue la perfectibilité, la moralisation, l'idéal, l'utile en un mot, est une littérature rachitique et malsaine, née morte. » (A. Dumas fils, Préface du Fils naturel).
Ils nous donnent des « pièces à thèse » où se discutent des cas de conscience, et souvent des problèmes sociaux comme la question du divorce, celle des rapports entre le capital et le travail, etc. La chose était moins nouvelle que le mot. Il y a déjà des «-thèses » dans Beaumarchais, dans Voltaire, dans MoIière, mais elles paraissent plutôt amenées par le sujet, que le sujet par elles. Molière nous conduit à penser comme lui sur l'éducation des femmes en nous amusant de la niaiserie dangereuse des ignorantes, de la pédanterie malsaine des savantes. Le sermon se passe en éclats de rire. Dans les pièces modernes un personnage spécial, le raisonneur, est particulièrement chargé de commenter la pièce, chemin faisant, comme le choeur antique. Il a le principal rôle au lieu d'être, comme dans Molière, un comparse.

Les procédés dramatiques. 
Par suite de ce changement de point de vue, les pièces sont sérieuses, souvent émues, et le comique n'y est qu'accessoire et pour ainsi dire surajouté. La pièce est égayée par tel ou tel personnage de second plan (ex. le cuisinier Vatel dans Le Gendre de M. Poirier), ou par les mots d'esprit de l'auteur (c'est le cas chez Dumas fils). Pourtant, l'intérêt ne languit jamais parce que les oeuvres sont très savamment construites pour amener progressivement, par des « préparations » habiles, le dénouement qu'a voulu l'auteur ou que souhaite le public. Le respect de l'art, qui fait la grandeur d'un Leconte de Lisle ou d'un Flaubert, c'est pour les auteurs dramatiques le souci de la pièce « bien faite ».

Alexandre Dumas Fils 

Vie et caractère.
L'écrivain qui a eu le plus d'action sur le théâtre de cette époque est Alexandre Dumas fils (1824-1895). Fils naturel du romancier, il semble avoir souffert de cette situation fausse. Il passa une jeunesse assez brillante et libre dans le monde du plaisir. (L'Affaire Clémenceau et Un Père prodigue). Il débuta par des romans, mais le succès de la Dame aux Camélias (1852), à laquelle l'interdiction de la censure avait fait par avance la publicité, l'attacha définitivement au théâtre. Il tenait de son père une imagination vive et un esprit mordant, de ses origines irrégulières une préoccupation constante des questions morales et sociales, de son caractère entier Une confiance très assurée dans ses idées. Ses pièces donnèrent lieu à de nombreuses discussions (voir ses Préfaces). Après avoir voulu faire de son art un enseignement pour les hommes, il semble avoir fini par douter lui-même que ce fût possible :
« Il comprend que ce n'est pas à la forme dont il s'est servi jusqu'à présent que l'humanité demandera jamais la solution des grands problèmes qui l'agitent. » (Préface de l'Etrangère).
Par un sentiment d'exigence envers lui-même, et par crainte de ne pas pouvoir réaliser son iléal, hésitant d'ailleurs sur la forme à lui donner (drame ou roman), il ne se décida jamais à terminer sa dernière pièce, La Route de Thèbes, et ne consentit pas il la laisser jouer.

Oeuvres.
Ses oeuvres principales sont : - Théâtre : La Dame aux Camélias (1852), Diane de Lys (1853), Le Demi-Monde (1855), La Question d'argent (1857), Le Fils naturel (1858), Un père prodigue (1859), L'Ami des Femmes (1864), Les Idées de Madame Aubray (1867), Une Visite de noces, La Princesse Georges (1871), La Femme de Claude (1873), Monsieur Alphonse (1874), L'Etrangère (1876), La Princesse de Bagdad (1881), Denise (1885), Francillon (1887). - Roman : L'Affaire, Clémenceau (1866).

La société d'après Dumas.
Le théâtre d'Alexandre Dumas fils s'explique en partie par la naissance de l'auteur et le monde qu'il a connu.

Les irréguliers.
Il s'intéresse de préférence à ceux qui sont, comme il fut en naissant, un peu en marge de la société.

Dans La Dame aux Camélias, il nous montre une Marion Delorme moderne, Marguerite Gautier, qu'un amour véritable régénère; dans le Demi-Monde, un des chefs-d'oeuvre de l'auteur, une aventurière, Ici baronne d'Ange, qui pour se refaire une façade, épouserait un officier, Raymond de Nanjac, si son ami, Olivier de Jalin, le raisonneur de la pièce, ne dessillait à temps les yeux de Raymond.

Puis, passant de l'étude à l'action, il plaide la cause de certaines victimes des
préjugés : le fils naturel, Jacques Sternay, que son père voudrait reconnaître quand il est devenu quelqu'un (Le Fils naturel); - la jeune fille séduite, qui rachète sa faute par une conduite exemplaire et mérite ainsi d'entrer dans les familles les plus honorables (Les Idées de Mme Aubray, Denise), ou de recevoir le pardon de son mari, s'il ne connaît la vérité qu'après le mariage (Monsieur Alphonse).

Les ravages de la passion. 
Nous vivons donc au milieu des conventions. Mais, quand la passion survient, elle a tôt fait de bouleverser tout cet ordre factice et fragile.

Dumas croit qu'il est des femmes fatales comme cette mistress Clarkson, l'Etrangère, capable de ruiner sans amour le ménage du duc de Septmonts, ou comme La Femme de Claude, qui trahit son mari de toutes les façons et qu'il tue comme un monstre. D'autres pourtant telle La Princesse Georges, savent pardonner à leur mari sa faute et lui sauver la vie.

Sa morale.
Dumas nous promène ainsi au milieu de personnages et de situations, qui ont fait, comme il le reconnaît, crier quelquefois au scandale :

« Je blesse souvent ainsi les idées reçues, des conventions établies, les préjugés et le qu'en dira-t-on, dans lesquels la société vit tant bien que mal.-» (Préface du Fils naturel).
Le rachat des fautes.
Il demande en faveur des jeunes filles coupables non seulement de la pitié, mais de la justice, ne voulant pas qu'il leur soit à jamais interdit de se racheter. Il proteste contre l'égoïste veulerie de ceux qui laissent peser sur un enfant innocent tout le poids de leur faute.

La foi conjugale.
En revanche, il a montré dans la Visite de noces à quelles causes légères tiennent souvent les liaisons mondaines, et il voudrait que  de part et d'autre on respectât, avec la même religion, le pacte sacré du mariage. L'homme, s'il le viole, n'est pas moins coupable que la femme.

Son art.
Le gros risque d'un pareil théâtre c'est que le moraliste n'y fasse tort au dramaturge.

L'abus des théories. 
Il est vrai qu'à côté de personnages vivants et bien observés, Dumas en introduit d'autres qui sont quelquefois de convention ou plus souvent d'exception : Clara Vignot (Le Fils naturel), Jeannine (Les Idées de Mme Aubray) d'un repentir si vertueux, la femme de Claude, d'une perversité si pleine de cynisme, etc. Ils paraissent composés pou les besoins de la démonstration plutôt que pris dans la nature. Trop souvent aussi, la dissertation s'installe sur la scène avec un ton de moralisation comme ici :

« Aveugle que vous êtes, vous ne voyez donc pas qu'elle ne suffit plus cette morale courante de la société, et qu'il va falloir en venir ouvertement et franchement à celle de la miséricorde et de la réconciliation? Que jamais celle-ci n'a été plus nécessaire qu'à présent? Que la conscience humaine traverse à cette heure suie de ses plus grandes crises, et que tous ceux qui croient en Dieu doivent ramener à lui, par les grands moyens qu'il nous a donnés lui-même, tous les malheureux qui s'égarent? La colère, la vengeance ont fait leur temps. Le pardon et la pitié doivent se mettre à l'oeuvre. » (Les Idées de Mme Aubray, II, 4).
L'ingéniosité et l'esprit.
Mais à la représentation Dumas domine le public. Il trouve toujours les scènes poignantes; le fils naturel ne voulant pas accepter de son père l'aumône d'un nom dont il n'a pas besoin (Le Fils naturel), une femme empêchant son mari d'aller se faire tuer par le mari de sa maîtresse (La Princesse Georges), un mari qui tue sa femme en justicier (La Femme de Claude), etc. Et si les personnages n'ont pas toujours le langage de leur caractère ou de leur condition, ils ont au moins tout l'esprit de Dumas, qui jaillit en couplets brillants ou en mots précis qui résument une situation :
« René. - Qu'est-ce donc que les affaires, monsieur Giraud? - Jean. - Les affaires, c'est bien simple, c'est l'argent des autres. (La Question d'argent, II, 7.)

A-t-il assez peur maintenant que son fils ne le reconnaisse pas! » (Le Fils naturel, IV, 4).

C'est le sort des théoriciens de diviser l'opinion. Il restera toujours à Dumas l'honneur d'avoir créé en maître le théâtre d'idées, qui touche, s'il ne convainc pas toujours.

Émile Augier

Vie et caractère.
Emile Augier (1820-1880), fils d'une famille bourgeoise de la Drôme qui vint se fixer à Paris, fit de bonnes études au lycée Henri IV. Il y fut le condisciple du duc d'Aumale, dont il devint le bibliothécaire. Il débuta au théâtre par des pièces envers, après un court passage dans une étude d'avoué. Il conquit et garda facilement le succès. Aussi disait-il volontiers qu'il ne lui était jamais rien arrivé. Sa vie et son caractère, en effet, sont d'un bourgeois paisible et heureux, dont le bon sens est ami de l'ordre et de la règle, mais dont I'esprit est large et libéral, les tendances voltairiennes et indépendantes, et le coeur généreux.

Oeuvres.
Parmi ses ouvres dramatiques les principales sont : - Pièces en vers : La Ciguë (1844), L'Aventurière (1848), Gabrielle (1849 ), Philiberte (1853). - Pièces en prose : Le Gendre de M. Poirier (1854), Le Mariage d'Olympe (1855), Ceinture dorée (1855), Les Lionnes pauvres (1858), Un beau mariage (1859), Les Effrontés (1861), Le Fils de Giboyer (1862), Maître Guérin (186l4), La Contagion (1866), Paul Forestier (1868), Lions et Renards (1869), Jean de Thommeray (1873), Madame Caverlet (1876), Les Fourchambault (1878). (Un certain nombre de ces pièces ont été écrites en collaboration avec Jules Sandeau).

La société s'après Émile Augier.
Émile Augier a ses débuts commença par chercher sa voie.

Les dangers du romantisme. 
Il en était encore à la comédie en vers et il hésitait entre les pastiches néo-grecs (La Ciguë), la comédie historique (Diane), et la comédie gracieuse comme Philiberte, roman d'une laide qui est charmante. Mais, contemporain de Ponsard et bourgeois, il prenait le contrepied des sujets romantiques, montrait dans l'Aventurière quel fléau risque d'être une courtisane sur le retour, comme doña Clorinde secondée de son frère Annibal, et dans Gabrielle enlevait à l'amour coupable son auréole et son excuse, pour célébrer la poésie du foyer.

La famille. 
La famille resta son principal souci, quand l'exemple de Dumas l'eut engagé définitivement dans la comédie de moeurs.

Augier montre la famille menacée quand un marchand enrichi et ambitieux, M. Poirier, s'offre avec la dot de sa fille un gendre noble et ruiné, Gaston de Presles, qui tromperait bientôt sa femme si, à force de séduction et de courage, elle ne parvenait à sauver son bonheur (Le Gendre de M. Poirier); menacée encore, quand un ingénieur, qui n'a que son talent, entre par le mariage dans une famille riche qui le méprise (Un beau mariage); quand une femme coquette cherche ailleurs les moyens de paraître, que son mari, même en se tuant au travail, n'arrive pas à lui fournir (Les Lionnes pauvres); quand une aventurière est parvenue à se glisser dans une famille honnête sans étouffer dans son cour la « nostalgie de la botte » (Le Mariage d'Olympe); menacée enfin quand son chef est un notaire madré, maître Guérin, qui ne respecte lma loi que parce qu'il la tourne, qui, pour doter son fils du château de Valtaneuse, en dépouillerait le propriétaire, l'inventeur Desroncerets, par une combinaison véreuse, si son fils, colonel jeune et loyal, ne la déjouait en épousant Mlle Desroncerets. Mme Guérin alors se révolte à son tour et suit son fils, tandis que Guérin, démasqué et déshonoré, reste en la société de complices dignes de lui (Maître Guérin).

Les moeurs.
Quand Emile Augier porte ses regards hors du cercle familial, il trouve lieu encore de s'inquiéter.

Il voit un scepticisme ironique, Ia blague, s'emparer de la jeunesse et risquer de corrompre André Lagarde, si le respect de sa mère ne le tirait de l'engourdissement qui allait lui, faire oublier ses principes d'honnêteté (La Contagion). Il signale la dangereuse puissance de la presse quand elle est mise au service de financiers tarés comme Vernouillet (Les Effrontés). Il sait ce que valent des pamphlétaires connue Giboyer, dont la plume est prête à tout (Le Fils de Giboyer).

Sa morale.
A la différence de Dumas fils, Augier se fait donc le défenseur de l'ordre, le conservateur de la tradition et de la morale bourgeoises. 

Nécessité des unions assorties.
Avec Molière et avec le sens commun, il en est pour les unions assorties. Qu'une bourgeoise n'épouse pas un noble (Le Gendre de M. Poirier); un savant, une caillette du grand monde (Un beau mariage); un honnête homme une gourgandine (Le Mariage d'Olympe) : un homme simple, une coquette (Les Lionnes pauvres). Autrement c'est l'honneur quelquefois, et le bonheur toujours, qui sont compromis. Si l'on s'est trompé, il faut qu'on puisse, grâce au divorce, refaire sa vie (Mlle Caverlet).

Danger de l'argent. 
Ce sont là des vérités banales, mais encore bonnes à dire, aussi bien que celle-ci : «-L'argent ne fait pas le bonheur », en un temps où la frénésie de la richesse est partout. C'est pour s'être enrichi malhonnêtement qu'un père verra le bonheur de sa fille compromis (Ceinture dorée). C'est pour gagner de l'argent qu'un Vernouillet proclamera des principes scandaleux :

« Il faut se faire un front qui ne rougisse plus. L'effronterie, voyez-vous, il n'y a que cela dans une société qui repose tout entière sur deux conventions tacites; primo, accepter les gens pour ce qu'ils paraissent; secundo, ne pas voir à travers les vitres tant qu'elles ne sont pas cassées. » (Les Effrontés, I, 6).
Les croyances morales. 
C'est ainsi, par l'affaiblissement progressif du sens moral, qu'une société marche droit à la décomposition. Emile Augier garde, sinon la religion de l'église, au moins celle du devoir : il n'admet pas la « blague » qui s'attaque à ce devoir. Il faut oser être honnête homme (La Contagion), il faut garder intacte la force vivifiante du sentiment de la patrie (Jean de Thommeray).

Son art.
Pour faire accepter cette morale du bon sens, Emile Augier n'avait pas, comme Dumas, à triompher de son public à force d'habileté.

Vérité des caractères.
Il lui accorde bien quelques concessions. Si les quatre premiers actes l'effraient, le cinquième le rassure par un dénouement heureux. A côté de personnages redoutables, il lui en présente d'autres certains de plaire : le jeune colonel plein d'honneur (Maître Guérin), l'ingénieur distingué et courageux (Un beau mariage), etc. Mais le plus souvent son observation peint avec justesse les caractères : M. Poirier, Jourdain moderne qui veut être pair de France; Gaston de Presles, qui n'a conservé de ses aïeux que le courage et une impertinence élégante (Le Gendre de M. Poirier); Desroncerets, l'inventeur qui se ruine, à la poursuite de sa chimère; Maître Guérin, homme de proie retors et crapuleux (Maître Guérin); d'Estrigaud, gentilhomme doublé d'un escroc (La Contagion), etc.

Equilibre de la composition.
Dumas, pour s'assurer la victoire, mettait d'un côté tout le bien, tout le mal de l'autre. Augier est plus juste, étant plus vrai. Il oppose franchement ses personnages : Gaston de Presles à Poirier, Maître Guérin à son fils, d'Estrigaud à André Lagarde (La Contagion). Mais ils ont chacun leurs qualités et leurs défauts. On peut se rendre compte de cette sorte d'équilibre en étudiant dans Le Gendre de M. Poirier, la grande scène (III, 2) où M. Poirier et son gendre, dans la sincérité de la colère, se disent leurs vérités. C'est seulement vers la fin qu'un incident, la générosité de la duchesse de Presles envoyant son mari se battre après avoir obtenu de lui qu'il renonçât à un duel, le brusque réveil d'André Lagarde devant l'infamie, etc., rompt cet équilibre en faveur de la cause que défend l'auteur.

Naturel du style.
C'est justement parce qu'Augier ne tire pas ses personnages de son imagination, qu'il n'est pas tenté de leur prêter, autant que Dumas, son style et son esprit. Chacun parle très suffisamment le langage de son caractère et de sa condition. Poirier est vulgaire, Gaston de Presles distingué, d'Estrigaud narquois et railleur, Mme Guérin, révoltée enfin contre son mari, digne et ferme dans la simplicité :

« Mme Guérin. - Oui, Monsieur, nous avons un compte à régler. Voilà trente-cinq ans que je courbe la tête devant vous, je la relève enfin... Je suis lasse d'être votre souffre-douleur. J'ai tout supporté sans me plaindre... Aujourd'hui je vous ai jugé... Vous avez chassé mes enfants, je me retire avec eux. » (Maître Guérin, V, 9).
Par son robuste bon sens sans étroitesse, comme par ses procédés dramatiques, Emile Augier est un héritier direct de Molière. Il lui a manqué pour l'égaler, outre la verve comique, la puissance de vision qui sait distinguer sous les costumes d'une époque l'humanité de tous les temps.

Le naturalisme : Henry Becque et le Théâtre Libre

Henry Becque.
Le théâtre d'Emile Augier inquiète pour avertir, jamais assez pour désespérer. A cette franchise amicale, Henry Becque (1837-1899)  fit succéder la vérité brutale.

Vie et oeuvres. 
Très redouté pour son esprit caustique, et peu aimé du public qu'il ne ménageait pas, Becque mena une vie d'homme de lettres besogneux et fier, collaborant à divers journaux et faisant jouer avec difficulté ses oeuvres.. Après des débuts poétiques assez obscurs, il écrivit le livret de Sardanapale, opéra de Victorin Joncières (Théâtre-Lyrique, février 1867) et parvint à faire jouer un drame, Michel Pauper (juin 1870), où se décelait, à travers des inexpériences et des brutalités voulues, un talent original et vigoureux. Toutefois, l'auteur ne reparut que beaucoup plus tard avec la Navette (1879, 1 acte), les Honnêtes femmes (1880, 1 acte) et les Corbeaux, pièce en quatre actes (Théâtre-Français, 1882), où la critique signala les mêmes défauts et la même puissance. La Parisienne, comédie en 3 actes (1885), a été mieux accueillie, et il a été plusieurs fois question de l'introduire dans le répertoire de la rue Richelieu. Autres pièces : L'Enfant prodigue (1868), Les Polichinelles (inachevés).

La formule nouvelle. 
Les Corbeaux montrent la veuve d'un industriel se débattant avec ses trois filles au milieu des embarras de la succession, et l'une des filles obligée, pour sauver le pain de la famille, d'épouser le gredin qui les a dépouillées, qui s'applique à vivre en paix entre son mari et son amant.

L'impression que dégagent ces deux pièces est assez bien résumée par ce mot des Corbeaux :

« Vous êtes entourées de fripons, mon enfant, depuis la mort de votre père. Allons retrouver votre famille » (Les Corbeaux, IV, 10).
Femmes sans volonté, créanciers sans scrupules ni pitié, maris aveugles et niais, tels sont les personnages auxquels nous intéresse l'observation amère de l'auteur. Becque met une sorte de coquetterie à refuser toute concession; il n'y a plus de personnage. sympathique; l'intrigue est réduite au minimum indispensable pour relier entre elles les scènes. C'est la réalité vulgaire, noire et désolante, en dehors de toute préoccupation morale.

Le Théâtre Libre.
Cet effort paissant pour débarrasser l'art dramatique des dernières conventions qui
déguisaient ou atténuaient, la vérité, se continua grâce à la fondation d'un Théâtre Libre, ainsi nommé parce que les pièces, représentées devant un public d'invités, n'étaient pas soumises à la censure, et où, dans une salle de l'impasse de l'Élysée-des-Beaux-Arts, un employé du gaz, M. Antoine, joua avec quelques camarades des pièces hardies qu'on appela des «-tranches de vie » ou des comédies « rosses », à cause de la crudité voulue des peintures. Cette mode, bien accueillie des dilettantes, a passé vite , peut-être parce que l'ennui l'emportait sur le scandale. Mais il en est demeuré trois choses principales-

1° la liberté pour les auteurs dramatiques de représenter la vérité tout entière, sans sacrifices inutiles au public et à l'habileté théâtrale; 

2° le souci d'une exactitude plus précise dans la mise en scène, où des accessoires vrais ont remplacé le carton peint; 

3° le soin plus grand des acteurs de rapprocher leur jeu de la vie réelle en dehors des effets appris du métier.

C'est au Théâtre Libre qu'ont été jouées, pour la première fois en France, les traductions d'Ibsen : Les Revenants, Le Canard sauvage la Dame de la mer, etc., , ainsi que les Tisserands de Hauptmann.  Le Théâtre libre a aussi révélé quelques vigoureux et hardis auteurs dramatiques, avec des pièces telles que L'École des veufs de Georges Ancez, L'Argent, d'Émile Fabre, Les Résignés de Henri Céard, Les Fossiles de François de Curel, La Fille Elisa des Goncourt, Blanchette de J. Brieux, Boubouroche de G. Courteline, etc.

La comédie gaie

Tandis que la comédie de moeurs assombrissait de plus en plus ses peintures, la gaieté ne perdait pas ses droits en France. La comédie vraiment amusante était devenue maintenant une spécialité.

Labiche.
Eugène Labiche (1815-1888)  pendant quarante ans fit rire à gorge déployée, tantôt par des vaudevilles. Il est, après Scribe, le plus illustre représentant de ce genre. Il a su, comme Scribe lui-même, introduire dans ses petites pièces, aux intrigues légères, des types bien observés : bourgeois, employés, notaires, étrangers, etc. Il est même supérieur à Scribe par sa finesse ironique, de bon sens à la fois bienveillant et malin qui apparaît dans ses meilleures  pièces : le Misanthrope et l'Auvergnat (1852), le Voyage de M. Perrichon (1860), la Poudre aux yeux (1861), la Cagnotte (1864), etc. De plus, il renouvelle la forme du grand vaudeville, en construisant d'ingénieuses et ahurissantes intrigues bâties sur des quiproquos, et disposées en un crescendo étourdissant : le modèle du genre est le Chapeau de paille d'Italie. Enfin dans le dialogue, toujours aisé et naturel, il a tantôt des coq-à-l'âne des plus comiques, tantôt des mots plus profonds que ceux de Dumas fils; M. Perrichon dira par exemple, à celui qu'il croit avoir sauvé : « Vous me devez tout... je ne l'oublierai jamais. » Ce sont déjà les mots de nature dont le Théâtre libre s'attribuera l'invention. Le mérite de cette oeuvre, en apparence légère et superficielle, s'est imposé progressivement. Emile Augier a écrit : « Le théâtre de Labiche gagne cent pour cent à la lecture; le côté burlesque rentre dans l'ombre, et le côté comique sort en pleine lumière ». 

Édouard Pailleron.
Édouard Pailleron (1834-1899) est sorti de l'aimable médiocrité où l'auraient rangé ses autres pièces (l'Age ingrat, l'Étincelle, Cabotins), en écrivant le Monde où l'on s'ennuie (1881). Modèle de la comédie de moeurs amusante, Le Monde où l'on s'ennuie, est celui des Femmes Savantes au XIXe siècle. Pailleron nous introduit avec une bonne humeur spirituelle dans les cercles littéraires, où trône un conférencier mondain, Trissotin moderne. La comtesse de Céran est une Philaminte de la fin du dix-neuvième siècle, non plus bourgeoise, mais grande dame. Elle pousse son fils Roger vers l'Institut, et veut lui faire épouser une docte et riche Anglaise, qui traduit Schopenhauer. Son salon sert de théâtre et de tremplin à l'indianiste Saint-Réau, au philosophe Bellac, à des poètes lauréats, etc. La satire de cette société est faite de la façon la plus spirituelle par la mère de la comtesse de Céran, la duchesse de Réville, aimable raisonneuse, et par Raymond, le sous-préfet, dont la femme, Jeanne Raymond, parodie gentiment toutes ces précieuses. Une intrigue bien agencée. habilement mêlée à la satire, et faisant corps avec elle, amène deux mariages Le troisième acte, où trois couples jouent à cache-cache dans les ténèbres de la serre, a été comparé justement à l'acte des marronniers du Mariage de Figaro. Le Monde où l'on s'ennuie, dont le succès avait été d'abord attribué à des personnalités, est une des pièces que le grand public, vivant très en dehors de ces rivalités académiques, continue à goûter le plus.

Meilhac et Halévy. 
Meilhac (1831-1897)  et Halévy  (1834-1908) sont deux collaborateurs inséparables, qui continuent et transforment le vaudeville genre Scribe, de 1860 à 1880. Auteurs de comédies agréables (La Vie parisienne, 1867; La petite marquise, 1874), il ont triomphé surtout dans le genre de l'opérette où leur ironie frondeuse se mariait à merveille avec les flonflons d'Offenbach. Le chef-d'oeuvre du genre est la Belle Hélène (1865), parodie bouffonne des origines de la guerre de Troie.  Ils se sont élevés jusqu'à la grande comédie avec Froufrou (1869), pièce pleine de sensibilité et de naturel.

Sardou.
Le talent de Victorien Sardou (1831-1908) est plus souple. Il a écrit des comédies divertissantes où se mêle parfois un instant d'émotion : Les Pattes de mouche (1860), Nos intimes (1861), La Famille Benoiton (1865), Nos bons villageois (1866), Divorçons (1880). Puis il donna des drames sombres, où il s'appliqua, avec beaucoup d'érudition de détail, à reconstituer la physionomie d'un pays et d'une époque : les Pays-Bas sous la domination espagnole dans Patrie (1869), le Bas Empire dans Théodora (1884), l'Italie dans La Tosca (1887), la Terreur dans Thermidor (1891), la cour de Louis XIV dans l'Affaire des Poisons (1907). Sa comédie historique de Madame Sans-Gêne (1893), qui met en scène la maréchale Lefèvre et Napoléon Ier, a fait le tour du monde. L'art de Sardou a plus d'adresse que de sincérité et de fond. Il a rendu service en donnant à la mise en scène historique toute son exactitude pittoresque et en continuant ainsi l'évolution commencée par le théâtre romantique.

Le drame en vers

Au surplus, le drame romantique n'était pas mort tout à fait. Par une réaction naturelle contre l'esprit positif qui régnait au théâtre depuis vingt-cinq ans, l'idéalisme reparut et valut au drame en vers, dépouillé des exagérations romantiques, mais gardien pieux des noblesses du coeur, quelques-uns des plus beaux succès dramatiques de la fin du siècle. On citera d'abord Bornier, Coppée et Richepin, - auxquels on aurait pu ajouter A. Silvestre et Morand (la Grisélidis, 1891) et Catulle Mendès (la Reine Fiammette, 1894) -, pour en arriver à Edmond Rostand, qui bénéficie de tout ce mouvement antérieur.

H. de Bornier.
Henri de Bornier (1825-1901), disciple et ami de Victor Hugo, fit applaudir, au lendemain des désastres français de 1870-1871, la Fille de Roland (1875), sévère leçon pour les traîtres. Un jeune chevalier Gérald vient de reconquérir Durandal sur le Sarrazin, et la main de Berthe, Ia fille de Roland qu'il aime, lui est promise. Mais quand arrive son père Amaury, Charlemagne reconnaît le baron félon, Ganelon, et le fils innocent du traître voit s'écrouler son bonheur sous la honte.

F. Coppée.
Dans Severo Torelli (1883) François Coppée (1842-1908) étudie le cas de conscience curieux d'un conjuré qui a fait serment sur l'hostie de mettre à mort le tyran de Pise, Barnabo Spinola, et apprend de la bouche de sa mère que celui qu'il va frapper est en réalité son père.

Dans Pour la couronne (1895) il met aussi en présence un traître, Brancomir, général bulgare, et son fils Constantin. Pour avoir la couronne, Brancomir livrerait sa patrie à l'ennemi, si Constantin, averti, ne le tuait de sa main. Mais Constantin, rongé de ses remords de parricide, essuie défaite sur défaite; il se laisse condamner pour trahison à un horrible supplice plutôt que de flétrir à jamais la mémoire de son père.

J. Richepin.
Jean Richepin (1849-1926) est l'auteur de Nana-Sahib (1883), drame hindou, d'une couleur éclatante, et de Par le Glaive (1892). Dans la comédie en vers, il garde son style pittoresque et vigoureux, avec plus de naturel : sa meilleure oeuvre est certainement le Chemineau (1897).

E. Rostand.
Mais plus encore que ces drames sombres, Cyrano de Bergerac (1897), d'Edmond Rostand (1868-1918), déjà connu pour sa charmante comédie des Romanesques, 1894; la Princesse lointaine, 1895; la Samaritaine, 1897, pièce tirée de l'Évangile, a marqué une date dans l'histoire de la scène française par un très grand succès, que suivirent, avec des fortunes inégales, l'Aiglon (1900) et Chantecler (1910). 

Cyrano, c'est le cadet de Gascogne qui a l'esprit et le courage à défaut de la beauté. L'Aiglon, c'est le fils de Napoléon qui s'exalte en apprenant en cachette les gloires paternelles. Chantecler, c'est le poète grisé d'idéal, auquel les envieux se chargent d'apprendre qu'il ne fait pas lever le soleil. 

Le public français a goûté dans ces pièces, outre la verve du ton et l'ingéniosité des détails, l'exaltation des qualités d'esprit, de bravoure et de générosité  dans lesquelles il croyait se reconnaître. Il était heureux de s'entendre dire enfin qu'il était meilleur que ne l'auraient laissé croire les auteurs du Théâtre Libre, et il excusait par suite dans Rostand de singuliers défauts de mesure et de goût.

Le théâtre au début du XXe siècle

Rien de plus varié que le théâtre, dans la période qui va des dernières années du XIXe siècle jusqu'à la Première guerre mondiale. Après tant de manifestes, de préfaces, de tentatives hardies, le public, toujours plus nombreux, est aussi devenu plus éclectique. Il est d'avis, désormais, que tous les genres sont bons, même le genre ennuyeux; et pourvu que l'auteur ait du talent et les acteurs de la réputation, il accueille avec une sympathique curiosité, plus ou moins durable, tout ce qu'on veut bien lui soumettre. De là une production intense. Il faut se contenter de signaler les oeuvres les plus remarquables :

Le Théâtre psychologique.
Certains auteurs cherchent plus spécialement l'intérêt dans l'analyse des sentiments et les conflits des passions.

Porto-Riche (Amoureuse, 1891; le Passé, 1897; Théâtre d'Amour, 1898; le Passé (1899); Le Vieil Homme, 1911) étudie l'amour moderne; c'est un psychologue d'une finesse parfois exquise, parfois irritante, et comme un Marivaux réaliste.

Paul Hervieu (les Tenailles, 1895; la Loi de l'Homme, 1897; la Course du Flambeau, 1901; le Dédale, 1904; Connais-toi, 1909)  est un disciple d'Émile Augier et de Dumas fils; dans ses drames poignants, il choisit des sujets où le sentiment, parfois la passion, est en lutte avec la loi; ses actions ont une sobriété énergique; son style est hautain, vigoureux, sans jamais devenir brutal.

• Maurice Donnay (Amants, 1895; l'Affranchie, 1898; la Clairière, 1900; l'Autre Danger, 1902; Oiseaux de Passage, 1904; Paraître, 1906, etc.), souvent  spirituel apportent dans son observation plus d'ironie

•  Jules Lemaître traite avec pénétration et ironie lui aussi des sujets de morale sociale et politique, et ses pièces révèlent aussi une parfaite connaissance du métier. Après Révoltée (1889), son oeuvre de début, il obtint un succès retentissant avec le Député Leveau (1891) qui n'était, pas seulement une piquante satire du boulangisme, mais aussi une étude durable des moeurs politiques modernes. Il donna ensuite Mariage blanc, 1891, le Pardon (1895), l'Aîné, (1898), la Massière (1905), etc., et chacune de, ses pièces prouve la finesse de sa psychologie et le charme de son style.

• Henri Bataille (Maman Colibri, 1904; la Marche nuptiale, 1905; la Femme nue, 1908; la Vierge folle, 1910), psychologue hardi, mais trop préoccupé d'étonner le public, s'attaque aux problèmes les plus délicats de l'éternel mystère humain. 

• Henri Bernstein, après s'être fait applaudir pour des drames haletants (la Rafale, 1905; le Voleur, 1906; Samson, 1907; Israël, 1908), a montré a montré qu'il n'était pas seulement  un très ingénieux constructeur d'intrigues à la fois simples et terribles, mais qu'il savait aussi camper des caractères (l'Assaut, 1912).

Le Théâtre social.
Les moeurs de la démocratie française sont aussi souvent présentées à la réflexion.

François de Curel est moins un auteur dramatique qu'un puissant moraliste et sociologue, donnant à ses études philosophiques le cadre du théâtre. Le Repas du lion (1897) pose le problème de la solidarité entre classes dirigeantes et ouvriers. La Nouvelle Idole (1899) est une magnifique étude de la conscience scientifique. Autres pièces : les Fossiles, 1892; la Fille sauvage, 1902).

• J. Brieux (Blanchette, 1892; l'Évasion, 1896; Résultat des Courses, 1898; la Robe rouge, 1900; les Remplaçantes, 1901; le Berceau (1903) etc.) fait preuve d'une grande honnêteté dans des sujets parfois scabreux. Il ne craint pas d'aborder de front les problèmes les plus graves et les plus délicats, et de les traiter avec une loyauté un peu rude et souvent éloquente. Il cherche à dissiper les sophismes du moment sur les bienfaits de l'instruction; il rappelle les magistrats à leur devoir professionnel, et flétrit les politiciens qui veulent influencer la justice; il fait honte aux mères qui, pour élever leurs enfants, se donnent des remplaçantes; il signale les terribles équivoques du divorce par rapport à l'enfant.

• Émile Fabre (l'Argent, 1895; la Vie publique, 1902; les Ventres dorés, 1905; la Maison d'argile, 1907; les Vainqueurs, 1908; les Sauterelles, 1911, etc.) s'applique surtout à la question d'argent; peint  les hommes politiques et les financiers. La plus remarquable de ses pièces est intitulée les Ventres dorés; elle est sombre et vigoureuse.

Le Théâtre comique. 
Dans le genre comique proprement dit, l'opérette et le vaudeville paraissent avoir fait leur temps.

Georges Courteline (les Gaietés de l'Escadron, 1886; la Vie de Caserne, 1888; Boubouroche, 1893) cherche, comme Molière, le comique dans la vérité.

• Alfred Capus (Brignol et sa Fille, 1895; La Veine, 1902; Monsieur Piégois,
1905; les Deux Écoles), toujours amusant, voit la vie avec un optimisme souriant.

Henri Lavedan (le Nouveau Jeu, 1898), après s'être amusé des fantoches
boulevardiers, semble s'orienter vers le théâtre psychologique (le Prince d'Aurec, 1894; le Marquis de Priola, 1902; le Duel, 1905).  Il se montre très habile à traiter des sujets un peu conventionnels.

• Flers et Caillavet (le Roi, 1908; l'Ane de Buridan, 1909; le Bois sacré, 1910), ont le secret d'une satire légère et infiniment spirituelle.

Mais bien que les bons auteurs comiques ne manquent pas, les pièces de Molière, tout comme les chefs-d'oeuvre de Corneille et de Racine, restent au répertoire et sont fréquemment applaudies à la Comédie-Française.

Conclusion.
La production dramatique de la seconde moitié du XIXe siècle abonde en oeuvres de grande valeur; et l'on peut dire que le théâtre français, traduit ou colporté par les tournées, rayonne sur le monde entier. Sa vitalité se montre non seulement dans la quantité des pièces, mais dans le nombre toujours grandissant des salles de spectacle et la curiosité avide que suscitent les choses de théâtre. Elle tient sans doute à ce que le théâtre n'a jamais joui d'une liberté plus intégrale. La censure, de plus en plus indulgente, a fini par disparaître. L'éducation du public s'est faite et sa variété autorise les initiatives. Peinture des moeurs, analyse des sentiments, discussion des idées, tout est possible à la scène. L'art dramatique n'est pas assujetti, à cette époque, à plus de conventions que le roman. Il est donc une des formes les plus vives et les plus frappantes d'expression. Si l'on ajoute qu'il procure les renommées rapides et fructueuses, faut-il s'étonner qu'il attire à lui tous les efforts et tous les talents? (E. Abry / Ch.-M. Desgranges).

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