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Lamennais

Félicité Robert de (par abréviation Féli) Lamennais ou La Mennais est né à Saint-Malo le 19 juin 1782, mort à Paris le 27 février 1854. Il était le quatrième des six enfants de Pierre-Louis Robert, anobli seulement en 1788 avec ce nom de La Mennais. Il perdit sa mère en 1787 et fut élevé surtout par un oncle à la Chesnaie, près de Dinan, au milieu des bois. Dès l'âge de sept ans, il commençait à observer la nature dans ses moindres détails et se faisait ainsi un trésor d'observations dont il devait tirer plus tard les comparaisons qui donnent à ses écrits tant de lumière et de grâce. Il était peu docile; son oncle dut souvent le punir, et pour cela l'enfermait comme en prison dans une bibliothèque où se trouvaient tous les philosophes du XVIIIe siècle. A douze ans l'enfant était passionné pour Rousseau; aussi, le moment venu de la première communion, le prêtre qui l'y préparait jugea prudent de différer, et il ne la fit qu'en 1804, à vingt-deux ans. Bientôt il composa avec son frère aîné Jean-Marie et publia d'abord des Réflexions sur l'état de l'Église en France pendant le XVIIIe siècle et sur sa situation actuelle (1808), puis un traité de la Tradition de l'institution des évêques en France (1814). En 1809, pressé par ce même frère, qui était prêtre, il reçut la tonsure à Rennes; mais il hésita plus de six années avant de s'engager davantage, et il fallut, pour qu'il se décidât enfin à recevoir l'ordination à Vannes le 9 mars 1816, outre les objurgations de Jean-Marie, toute l'autorité d'un directeur, l'abbé Caron, qu'il avait rencontrê en Angleterre, où il s'était réfugié lors des Cent-Jours, par crainte de la police impériale, après la publication de son livre de la Tradition et d'un pamphlet contre l'Université.
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Lamennais.
Lamennais (1782-1854).
Tableau d'Ary Scheffer (1845).

De 1816 à 1834, la vie militante de l'abbé de La Mennais est toute au service de l'Église catholique; il la sert d'ailleurs à sa façon, qui inquiète plus qu'elle ne rassure le haut clergé en France et à Rome. Il publie en 1817 le premier volume de son Essai sur l'indifférence en matière de religion, avant les Recherches philosophiques de Bonald (1818) et le Pape de Joseph de Maistre (1819). L'ouvrage eut successivement quatre volumes; puis parurent la Religion dans ses rapports avec l'ordre civil, et en 1829 les Progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Église, que l'autorité ecclésiastique censura. Philosophe, l'abbé de La Mennais en appelait de l'individualisme, ou plutôt de la raison individuelle, à la raison universelle, qu'il confondait encore avec la tradition de l'Église catholique dont le chef était l'infaillible interprète. Prêtre, il répudiait les doctrines gallicanes et se tournait vers Rome où il voyait l'unique recours du clergé contre les prétentions du pouvoir civil. 

En même temps son âme vraiment pieuse s'épanchait dans des réflexions mystiques sur l'Imitation de Jésus-Christ, qu'il traduisait ainsi que le Guide spirituel de Louis de Blois. Mais surtout il réunit autour de lui, dans sa solitude de La Chesnaie, tout un groupe de jeunes gens qu'il enflamma de son ardeur vraiment contagieuse : Rohrbacher, Gerbet, Salinis, Montalembert, Lacordaire un moment, de Cazalès, de Coux, de Carné, plus tard Maurice de Guérin, etc. Le séjour qu'ils y firent leur communiqua à tous un enthousiasme qui dura jusqu'à la fin de leur vie, à peu près comme la retraite de Ménilmontant aux saint-simoniens. Aussi dès le lendemain des journées de Juillet, la petite armée était prête à faire campagne, et son chef fonda, outre une Agence générale pour la défense des intérêts catholiques, le journal l'Avenir qui parut du mois d'aoùt 1830 à novembre 1831, avec cette devise : « Dieu et Liberté-». 

Lu avec enthousiasme dans les presbytères, il êtait assez mal vu dans les évêchés, et plusieurs prélats crurent devoir l'interdire aux prêtres de leurs diocèses. L'abbé de La Mennais prétendait combattre les libéraux, adversaires du catholicisme, avec leurs propres armes  : comme il avait fait jadis de la raison, « catholicisez-là », disait-il de la liberté. Mais son libéralisme catholique devait plaire encore bien moins à Rome que le rationalisme entendu à sa façon. Aussi, se sentant presque désavoué, il suspendit la publication de son journal, et s'en alla trouver le pape lui-même, avec Montalembert et Lacordaire. On ne leur répondit pas nettement tout d'abord, et ce ne fut qu'après leur départ que fut publiée l'encyclique Mirari vos, le 15 août 1832, contre certaines opinions de l'Avenir, plutôt que contre La Mennais lui-même. Celui-ci affecta d'abord de se soumettre dans deux lettres, du 30 août 1832 et même encore du 11 décembre 1833; Lacordaire aussi fit sa soumission et aussi Montalembert, et même encore celui-ci, le dernier des trois. Mais La Mennais sentait que son esprit ne se soumettait pas, et encore moins son coeur. Sur la fin de février 1834, il remit à Sainte-Beuve, alors un de ses fidèles, un manuscrit pour l'impression : c'étaient les Paroles d'un croyant, que le pape Grégoire XVI condamna dans l'encyclique Singulari nos, du 15 juillet 1834.
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L'exilé

« Il s'en allait errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé!

J'ai passé à travers les peuples, et ils m'ont regardé, et je les ai regardés, et nous ne nous sommes point reconnus. L'exilé partout est seul.

Lorsque je voyais, au déclin du jour, s'élever du creux d'un vallon la fumée de quelque chaumière, je me disais : Heureux celui qui retrouve le soir le foyer domestique, et s'y assied au milieu des siens! L'exilé partout est seul.

Où vont ces nuages que chasse la tempête? Elle me chasse comme eux, et qu'importe où? L'exilé partout est seul.

Ces arbres sont beaux, ces fleurs sont belles; mais ce ne sont point les fleurs ni les arbres de mon pays; ils ne me disent rien. L'exilé partout est seul.

Ce ruisseau coule mollement dans la plaine; mais son murmure n'est pas celui qu'entendit mon enfance : il ne rappelle à mon âme aucun souvenir. L'exilé partout est seul.

Ces chants sont doux, mais les tristesses et les joies qu'ils réveillent ne sont ni mes tristesses ni mes joies. L'exilé partout est seul.

On m'a demandé : « Pourquoi pleurez-vous ? » Et quand je l'ai dit, nul n'a pleuré, parce qu'on ne me comprenait point. L'exilé partout est seul.

J'ai vu des vieillards entourés d'enfants, comme l'olivier de ses rejetons; mais aucun de ces vieillards ne m'appelait son fils, aucun de ces enfants ne m'appelait son frère. L'exilé partout est seul.

J'ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s'étreindre comme s'ils avaient voulu de deux vies ne faire
qu'une vie; mais pas un ne m'a serré la main. L'exilé partout est seul.

Il n'y a d'amis, de pères et de frères que dans la patrie. L'exilé partout est seul.

Pauvre exilé! cesse de gémir : tous sont bannis comme toi, tous voient passer et s'évanouir pères, frères, amis.

La patrie n'est point ici-bas: l'homme vainement l'y cherche; ce qu'il prend pour elle n'est qu'un gîte d'une nuit.
Il s'en va errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé!-»
 

(F. de Lamennais, extrait de l'Essai sur lindifférence 
en matière de religion).

La vie de Lamennais (c'est ainsi désormais qu'il écrit son nom) semble à ce moment coupée en deux, au moins sa vie du dehors, sa vie de relation, mais non pas, s'il faut l'en croire, sa vie intérieure, philosophique et religieuse :

« On m'accuse d'avoir changé, dira-t-il à la fin, je me suis continué, voilà tout. » 
Dès 1833, il proposait à ses amis de substituer au mot de catholicisme celui de christianisme, comme exprimant mieux la raison et la nature humaine, et pour montrer qu'il ne voulait plus avoir affaire à la hiérarchie; il leur proposait de se présenter comme les hommes de la liberté et de l'humanité, et d'entendre désormais par l'Eglise la société même du genre humain. Ces idées se retrouvent dans tous ses écrits, de 1834 à 1854, depuis les Paroles d'un croyant, sorte de pastiche de l'Ancien et du Nouveau Testament, mais pastiche de génie. Ce sont les Affaires de Rome (1836), le Livre du peuple (1837), la brochure le Pays et le Gouvernement (1840), pour laquelle il fut enfermé un an à Sainte-Pélagie, où il écrivit Une Voix de prison, publiée après les Amschaspands et Darvands (1843), le Deuil de la Pologne (1846), etc. En même temps, il réunissait en un volume de Questions politiques et philosophiques (1840 ses articles de l'Avenir. Mais surtout il publiait en 1840 trois volumes d'une Esquisse de philosophie (le titre primitif avait été Esquisse de philosophie catholique); le troisième, De l'Art et du beau, est un des plus remarquables ouvrages d'esthétique en France au XIXe siècle. Puis en 1845, il donne une traduction des Evangiles, sorte de pendant à celle de l'Imitation, mais dans un tout autre esprit, 
« l'Imitation étant le christianisme du Moyen âge qui ne s'occupe que de l'individu,  point de la société, et qui tend à séparer les hommes par une sorte d'égoïsme spirituel, tandis que l'Évangile pousse à l'action, à tout ce qui rapproche les hommes et les dispose à concourir à une oeuvre commune, la transformation de la société ou l'établissement du royaume de Dieu. »
Lamennais pour cela fut accusé par ses ennemis de s'être jeté dans la démagogie. Plus tard, on lui fit un titre d'honneur d'avoir été le premier à prêcher le socialisme chrétien, comme aussi vers 1830 le catholicisme libéral. A vrai dire, il fut toujours partisan de la liberté, dans laquelle il voyait la condition du progrès, et il ne renia jamais la religion, c.-à-d. le sentiment religieux, qu'il jugeait plus nécessaire encore à la démocratie qu'à tout autre régime de société.
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De l'athéisme

«  L'athée même participe aux biens que la société conserve; protégé quelque temps par l'ordre même qu'il viole, il vit de la foi sociale et des biens qui en sont le fruit, comme un étranger s'assied en passant à la table de la famille. Mais, au moment du départ, il n'emporte que ce qui est à lui : et qu'a-t-il en propre que les ténèbres, avec je ne sais quelle faim dévorante d'un bonheur que rien de créé ne peut lui offrir?...

Mais, disent les athées, on ne comprend pas l'Être infini puissants génies qui comprennent tout le reste! Autrement seraient-ils si choqués qu'on leur proposât de croire, sur des preuves certaines, un dogme incompréhensible? S'élèveraient-ils si fièrement au-dessus de Dieu? Ainsi, des choses qu'ils croient, il n'en est aucune qu'ils ne comprennent parfaitement. Que croient-ils donc? Croient-ils à la matière? Croient-ils à la pensée? Croient-ils à la vie? Il faut bien qu'ils y croient : la nature leur impose ces croyances et mille autres avec un souverain empire : il faut qu'ils y croient malgré l'impuissance la plus absolue de concevoir jamais ce que c'est que la matière, ce que c'est que la pensée, ce que c'est que la vie. Rien ne leur est plus incompréhensible que leur être, ils ne connaissent rien pleinement; leur science ne se compose que de lambeaux. Non seulement le tout leur échappe, mais ses parties les plus voisines d'eux ne se laissent qu'à peine entrevoir. Leur conception n'est proportionnée à rien de ce qui est, elle se perd dans un atome : et ils veulent clairement comprendre celui qui a créé de rien et cet atome et l'univers!

Insensés! Qu'ils m'expliquent un grain de sable, et je leur expliquerai Dieu. »
 

(F. de Lamennais, extrait de l'Essai sur lindifférence 
en matière de religion).

Ses nouvelles opinions lui valurent des amis nouveaux (parmi les anciens aussi, plus d'un lui demeurèrent fidèles au fond du coeur) ce furent, outre Sainte-Beuve, George Sand (qui songeait peut-être à lui dans son roman de Spiridion), Jean Reynaud, Béranger, Liszt, etc. Au lendemain du 24 février, il fonda encore un journal, le Peuple constituant, fut élu par le département de la Seine représentant du peuple à l'Assemblée nationale, siégea à l'extrême gauche, vit avec douleur l'insurrection de juin, mais se rangea pourtant du côté des vaincus et publia un dernier article, avant que son journal disparût, le 11 juillet 1848. Dès lors, c'en était fait pour lui de la République, et le coup d'État du 2 décembre ne pouvait guère l'étonner. II essaya, tout vieux qu'il était, de se remettre au travail et donna encore une traduction de la Divine Comédie de Dante. Le 27 février 1854, il mourut à Paris, laissant un écrit du 16 janvier, où il voulait être enterré

« au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres, sans que rien fût mis sur sa fosse, pas même une pierre; son corps devait être porté directement au cimetière, sans être présenté à aucune église ». 
Ses obsèques eurent lieu au Père-Lachaise, le 1er mars 1854, conformément à ses dernières volontés. (Ch. Adam).
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Dictionnaire biographique
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