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Sardou

Victorien Sardou est un auteur dramatique français, né à Paris le 7 septembre 1831, mort le 8 novembre 1908, fils d'Antoine Léandre Sardou (1803-1894), qui fut chef d'institution et adonné un assez grand nombre de manuels classiques. Etudiant en médecine, puis répétiteur de philosophie, de mathématiques, d'histoire, il débuta dans les lettres en collaborant aux revues et aux encyclopédies. En 1854, il donnait à l'Odéon une petite pièce, la Taverne des étudiants, qui tomba à plat. Cet insuccès le dégoûta du théâtre. Mais sa vocation était telle qu'il y revint quatre ans après, lorsque les relations de sa femme (Mlle de Brécourt) avec Déjazet lui ouvrirent toutes grandes la scène que dirigeait la célèbre artiste. Depuis lors, il a fait représenter sur tous les théâtres des ouvrages dramatiques de tous les genres, sauf le tragique : encore certains de ses drames pourraient-ils s'intituler tragédies.
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Victorien Sardou.
Victorien Sardou (1831-1908).

Il a obtenu en France, dans l'Europe entière, aux Etats-Unis, un succès considérable, et est devenu membre de l'Académie française le 7 juin 1877.

La liste complète de toutes ses productions dépasserait beaucoup notre cadre. Citons seulement : les Pattes de mouche (comédie, 1860); les Prés Saint-Gervais (comédie, 1862); la Papillonne (comédie, 1862); Nos intimes (comédie, 1862); les Ganaches (comédie, 1862); la Famille Benoîton (comédie, 1865); les Pommes du voisin (comédie, 1864); les Vieux Garçons (comédie, 1865); Nos bons Villageois (comédie, 1866); Maison neuve (comédie, 1866); Séraphine (comédie, 1868); Patrie (drame historique, 1869); Fernande (drame, 1870); le Roi Carotte (opéra bouffe, musique d'Offenbach, 1872); Rabagas (comédie, 5 actes) : cette pièce, représentée au Vaudeville le 1er février 1872, suscita les plus vives polémiques et les scènes les plus tumultueuses, car elle était bourrée d'allusions malignes aux personnages les plus en vue de la politique et aux événements les plus récents; l'Oncle Sam (comédie, quatre actes, 1873), jouée à New York avant de l'être à Paris; la Haine (drame, avec musique d'Offenbach, 1874); Ferréol (drame, 1875); Piccolino (opéra-comique, avec musique d'Ernest Guiraud, 1876); Dora (drame, 1877); les Bourgeois de Pont d'Arcy (comédie, 1878); Daniel Rochat (comédie, jouée au Théâtre-Français le 16 février 1880, et qui, par son exposé des diverses théories pour et contre le mariage religieux, fit autant de bruit qu'en avait fait Rabagas); Divorçons (comédie, 1880), sur le même sujet, mais traitée d'une toute autre manière et dans le sens de la plus franche gaieté; Odette (comédie, 1881); Fédora (drame, 1882); Théodora (1884), ces deux dernières pièces, donnant lieu à un grand luxe de mise en scène, furent écrites spécialement pour mettre dans tout son relief le talent ondoyant de Sarah Bernhardt. Ce nouveau genre ayant produit tout l'effet que l'habile auteur en attendait, il composa encore pour la grande artiste la Tosca (drame, 1887), Cléopâtre (drame, 1889); Gismonda (drame, 1894), et Spiritisme (1897).
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Page manuscrite de Victorien Sardou.
Fragment du manuscrit des Seigneurs de Marly, de Victorien Sardou.

Il convient encore de citer : Georgette (comédie, 1885); Patrie (opéra, 1886, musique de Paladilhe); le Crocodile (février 1886, musique de Massenet); Marquise (comédie, 1889); Belle Maman (comédie, 1889); Thermidor (drame historique, 1891), qui, s'attaquant à la Révolution française, provoqua de violentes manifestations, et, à la suite d'une interpellation à la Chambre, fut interdit en France et joué à Bruxelles; Madame Sans-Gêne (1893); Marcelle (comédie, 1896); Paméla, marchande de frivolités (1898). 

Comme on voit par cette sèche nomenclature, Victorien Sardou a essayé tous les sujets, depuis le vaudeville jusqu'au drame héroïque, en passant par le drame bourgeois, et la pièce à grand spectacle. Plus encore que Dumas fils, il a émancipé la comédie moderne et l'a mise en état de tout dire. Il a même abusé de cette licence. Il jette au public un perpétuel défi, l'agaçant et l'irritant pour le dompter. Caricaturiste, du genre de Gavarni et de Daumier, dans sa première manière, il poussa l'étude de moeurs jusqu'à la charge. Mais que ses pièces soient sérieuses ou folles, qu'il s'attache à la peinture des moeurs ou à la description des caractères, qu'il cherche le rire ou le pathétique, il abuse tellement des trucs et des ficelles, des escamotages, des gros effets combinés en vue d'un succès immédiat et énorme, que tout chez lui, sentiments et caractère, paraît machiné, artificiel, peu sincère. Il distrait, il amuse, il émeut souvent, il ne fait jamais penser. René Doumic, en 1897, résume d'ailleurs assez bien l'apréciation que pouvaient avoir de son oeuvre les contemporains de Victorien sardou :

"... Tout de même, le cas de M. Sardou est l'un des plus curieux et des plus instructifs que je sache. Doué des plus rares qualités, il ne lui a manqué que de s'être fait de son art une conception plus juste et plus haute. Mais, au lieu de comprendre qu'un genre littéraire n'a de valeur qu'autant qu'on s'en sert pour pénétrer plus avant dans l'étude de l'homme, il a cru que passions, ridicules et vices, n'étaient qu'autant de prétextes pour tenir, inquiétée ou amusée, la foule qui s'entasse dans une salle de spectacle. C'est pourquoi, tandis qu'il n'y a qu'une voix pour saluer en lui le plus expert d'entre les maîtres de la scène, on hésite à lui donner une place parmi les représentants de notre littérature."
Hors du théâtre, Victorien Sardou a écrit de bien jolies pages, vives, spirituelles, malicieuses, mordantes, entre autres son Discours de réception à l'Académie française (Paris, 1878, in-8); Mes plagiats (1883, in-12), réponse maligne à ceux qui l'accusaient d'avoir eu trop souvent des réminiscences ou trop peu de scrupule dans ses emprunts. Dans le roman, il a écrit la Perle noire (Paris, 1862, in-12); la Terreur et Carlin. (R. S.).
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Les Parisiens aux champs

« GRINCHU, à Morisson.
Dites donc, vous!... Eh bien, n'vous gênez pas!

MORISSON, ahuri.
Hein?... quoi?

GRINCHU
Voulez-vous ben m' rend' ma place!

MORISSON
Quelle place?

GRINCHU
La place ousque j'pêche tous les matins.

MORISSON
Ah bien, j'aime cette réclamation-là par exemple!... Est-ce que le bord de l'eau n'est pas à tout le monde?...

GRINCHU
Le bord de not' ru... n'est pas à nous? - le ru du pays..., qui traverse l' pays, n'est pas au pays?

LE BARON, impatienté.
Allons, voyons, Grinchu!... en voilà assez! M. Morisson est dans son droit. La place est au premier occupant. - Il fallait vous lever plus matin, voilà tout, et laissez-nous la paix!

GRINCHU
Ah ben, excusez!... C'est pas assez qu'les Parisiens y nous prennent not' terrain pour y bâtir leurs chalets, ils ne laisseront pas tout seulement un peu d'eau aux pauvres maraîchers du pays pour l'agrément de leur pauvre existence?

MORISSON
Ah çà, dites donc! eh!1 le maraîcher... ne dirait-on pas que je ne l'ai pas payé assez cher, ce terrain, grâce à vous qui l'avez fait monter?

GRINCHU
Et pourquoi qu' vous l'avez fait monter sur moi? Que j' le guignais depuis vingt ans pour y faire mon hangar!

MORISSON
Il est superbe, ce villageois!

GRINCHU
Vous pouviez pas acheter des terrains à Paris, puisque vous êtes Parisien? Il en manque donc des terrains à Paris, pour venir molester comme çà le pauvre monde de la campagne?

LE BARON
Mais, sapré mâtin! sur quoi diable avez-vous marché ce matin, voyons, Grinchu?...

GRINCHU, exaspéré.
Non, m' sieu le maire, voyez-vous, ça n' peut pas s' passer comme ça. Vous défendez les Parisiens à cause que vous êtes aussi un Parisien, vous!... Mais moi, j' dis que c'est la ruine du pays, tout c' monde là. Nous n' sommes pas chez nous!... V' là vingt ans que j' pêche tous les matins à c' te place là!... Les poissons, ils n'y viennent qu' parce qu'ils disent : « V' là l' père Grinchu! allons-y!... » Et ct' homme-là me les prendra à mon nez, mes pauvres poissons qui m'aiment tant!...

LE BARON
Mais, il ne prendra rien, diable d'homme! ni moi non plus, si vous braillez comme çà.

GRINCHU
J' veux ma place.

LE BARON
Et moi, j' veux que vous vous taisiez. Mille millions de carabines, est-ce fini?

GRINCUU
Monsieur le maire, les Parisiens!... ô misère!...

LE BARON
Il n'y a pas de Parisiens ici, caboche de mulet que vous êtes... Il y a un colonel de dragons qui va sauter le ru si vous continuez, et vous étendre au fond, tout du long, pour vous rafraîchir le sang!... Est-ce entendu? Une, deux... silence dans les rangs!... Pêchez donc, Morisson.

GRINCHU, intimidé, à lui-même, à demi-voix.
Eh ben, c'est bon!... Eh ben, c'est bon!... Eh ben, ça va bien... »
 

(V. Sardou, extrait de Nos bons Villageois).

Victorien Sardou.
Victorien Sardou.

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Dictionnaire biographique
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