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La Question d'argent, d'A Dumas fils

La Question d'argent est une comédie en cinq actes en prose d'Alexandre Dumas fils. Elle a été jouée pour la première fois au théâtre du Gymnase, le 31 janvier 1857.
« L'argent est l'argent, quelles que soient les mains où il se trouve. C'est la seule puissance que l'on ne discute jamais. On discute le courage, le génie, la vertu, la beauté, on ne discute jamais l'argent. II n'y a pas un être civilisé qui en se levant le matin ne reconnaisse la souveraineté de l'argent, sans lequel il n'aurait ni le toit qui l'abrite, ni le lit où il se couche, ni le pain qu'il mange. Où va cette population qui se presse dans les rues, depuis le commissionnaire qui sue sous son fardeau trop lourd jusqu'au millionnaire qui se rend à la Bourse au trot de ses deux chevaux? L'un court après quinze sous, l'autre après cent mille francs. Pourquoi ces boutiques, ces vaisseaux, ces chemins de fer, ces usines, ces théâtres, ces muées ces procès entre frères et soeurs, entre fils et pères, ces découvertes, ces divisions, ces assassinats? Pour quelques pièces plus on moins nombreuses de ce métal blanc ou jaune qu'on appelle l'argent ou l'or. Et qui sera le plus considéré à la suite de cette grande course aux écus? Celui qui en t'apportera davantage. Aujourd'hui un homme ne doit plus avoir qu'un but, c'est de devenir très riche!  »
Ainsi s'exprime Jean Giraud, le héros de la pièce, qui donne aussi des affaires cette définition typique :
« Les affaires? c'est l'argent des autres! »
Toute la pièce va être employée à lui démontrer qu'il se trompe, qu'il y a autre chose que l'argent et qu'il n'est pas toujours bon de prendre l'argent des autres, sous prétexte qu'on appelle cela les affaires.

Les caractères de la Question d'argent sont très bien tracés, mais la fable est assez faible. M. Durieu, qui par son étourderie a entamé sa fortune à la Bourse, confie à un paysan, Jean Giraud, devenu banquier millionnaire, 150.000 francs à faire valoir pour rentrer dans ses fonds. Une fois engagé dans la spéculation, qui pour lui demeure lettre close, il serait ruiné sans ressource, si Giraud ne trouvait son compte à ne pas sortir de la probité; car pour Giraud la probité même est une spéculation. Chez M. Durieu, notre parvenu rencontre une jeune fille pauvre, Mlle de Roncourt, et une riche grande dame, la comtesse Savelli; il songe, pour se poser, à faire de la première sa femme et de la seconde sa maîtresse. Il échouera également dans ces deux projets. La comtesse ne sera jamais pour lui qu'une actionnaire, et quant à Mlle de Roncourt, la leçon qu'elle lui infligera sera rude. Elle aime René de Charzay, un neveu de M. Durieu, qui de son côté, sans trop savoir qui il préfère de sa cousine Mathilde, de la comtesse Savelli ou d'Elisa de Roncourt, n'est pas éloigné de faire pencher la balance en faveur de cette dernière. René est un honnête homme; ne se croyant pas assez riche pour unir sa médiocrité aux millions de sa cousine ou à la pauvreté d'Elisa, il conseille à Mathilde de l'oublier pour épouser M. de Bourville, un prétendant agréé par son père, et à Elisa d'accepter les hommages de Jean Giraud. Qui donc alors s'opposera aux voeux du banquier? Lui-même; dans une scène très bien conduite, il reconnaît dans le contrat de mariage un million à sa future, et comme la fierté d'Elisa s'oppose à ce qu'elle admette cette clause, il démasque ses batteries. 

«  Mais si cette clause sert autant à mon avantage qu'au vôtre? Mon Dieu, oui : je suis dans les affaires; je les fais sur une grande échelle; l'échelle peut casser. Il n'y a pas de mal que dans ce cas je retrouve par terre une bonne somme qui m'aide à me relever. Si je suis ruiné; si je perds plus que je ne possède; car on ne sait jamais.... vous réclamez votre dot et les créanciers n'ont rien à dire. - Pour qui me prenez-vous? " répond Mile de Roncourt, et elle déchire le contrat.  »
René survient à point pour empêcher Jean Giraud de lui répondre une grossièreté et le met à la porte. Jean ne reparaît plus; on le dit en fuite avec un déficit de trois millions. Durieu se voit complètement ruiné, lorsque soudain le domestique annonce au milieu de la stupéfaction générale : «  M. Jean Giraud  » . Le financier entre comme si rien ne s'était passé et rapporte à Durieu et à la comtesse leurs fonds avec un joli bénéfice. Chacun admire sa probité, car le bruit de sa fuite s'était répandu; mais ce bruit même n'était qu'un coup de bourse de sa combinaison. Tandis qu'on le croyait en route pour les Etats-Unis, il attendait à Paris l'effet de cette nouvelle; il profitait de le baisse opérée par sa déconfiture imaginaire et réalisait un beau bénéfice sur son infamie supposée. On n'est pas plus ingénieux. Durieu et la comtesse Savelli refusent le bénéfice si singulièrement acquis et René se charge de donner du même coup son congé à ce flibustier de la finance et sa moralité à la pièce :
 « Vous n'êtes pas un méchant homme, monsieur, vous êtes un homme intelligent qui avez perdu dans le bruit de certaines affaires la notion exacte du juste et de l'injuste, le sens moral enfin. Vous avez voulu acquérir la considération par l'argent, c'est le contraire que vous deviez tenter : il fallait acquérir l'argent par la considération. Mlle de Roncourt vous pardonne, elle accepte les excuses que vous faites à Mme de Charzay. Maintenant, monsieur, nous n'avons plus rien à vous dire, vous pouvez prendre votre chapeau et vous retirer.  »
C'est ce que fait maître Jean avec un mot qui le peint tout entier. Dans sa précipitation et sa colère il prend le chapeau d'un autre :
« Vous vous trompez, monsieur, lui fait observer Mathilde; vous prenez le chapeau de mon père. - Je l'aurais rapporté, mademoiselle!  »
ll est inutile d'insister sur la faiblesse de cette action dramatique, dont l'intérêt ressort d'incidents plutôt que du fond, et cependant l'idée première était heureuse. La spéculation avait été vigoureusement attaquée par Beauplan dans les Pièges dorés, par Ponsard dans la Bourse, et elle semblait se rire de ces attaques. Alexandre Dumas fils s'est souvenu que rien en France ne tue comme le ridicule; c'est du ridicule négligé par ses devanciers qu'il s'est préoccupé et c'est par leur côté comique qu'il a flagellé les agioteurs. II a agréablement mêlé l'enseiguement et la raillerie et a frappé juste. En somme, la Question d'argent est une pièce intéressante et spirituelle, mais où l'imagination s'est trop effacée derrière le réalisme. (PL).
«  Cette comédie, qui révèle chez l'auteur une excellente mémoire, a dit Gustave Planche, n'est pas une création poétique dans le vrai sens du mot, et quand le modelé qui a posé devant lui (on prétendait alors que c'était M. Mirès) n'occupera plus la curiosité publique, la caricature ingénieuse du financier aura le même sort que le financier lui-même. Les fortunes qui poussent comme des champignons étonnent les badauds et tout le monde en parle; la ruine est l'affaire d'un coup de râteau et personne ne se souvient de Jean Giraud.  »
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