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Sénèque
(Marcus Annaeus Seneca, dit le Rhéteur, pour le distinguer
de son fils, surnommé le Philosophe, ci-dessous), est un rhéteur
romain (54 av. J.-C.-42 ap. J.-C.). NĂ© Ă Cordoue
d'une famille de rang équestre, il était mari d'Helvia, père de Gallion,
de Sénèque le philosophe et de Méla, grand-père de Lucain.
Il vint à Rome sans doute après la bataille de Philippes,
puis, son Ă©ducation finie, retourna en Espagne
ou il se maria; ensuite, vers l'ère chrétienne, il se fixa à Rome,
probablement pour l'éducation de ses enfants; il y mourut très âgé.
Le nom de rhetor qui lui est donné semble indiquer qu'il avait été professeur de rhétorique, mais cela n'est pas sûr, car il n'en dit rien. La fortune considérable qu'il avait laissée fait plutôt supposer qu'il avait rempli un emploi de finance. Il avait écrit une Histoire de Rome depuis les guerres civiles, dont nous n'avons plus que de très courts fragments; en outre, comme il avait assisté avec passion aux exercices des rhéteurs les plus fameux, il a voulu en transmettre le souvenir à ses enfants dans un ouvrage qui a pour titre : Oratorum et Rhetorum sententiae, divisiones, colores, ou il rapporte ce qu'ont dit sur un certain nombre de sujets les rhéteurs et les orateurs qui revenaient parfois parler à l'école. Il y avait un livre de Suasoriae, comprenant sept sujets délibératifs, que nous possédons, et dix livres de Controversiae, sujets judiciaires. Nous n'avons plus que les livres I, II, VII, IX et X; les autres nous sont connus par un Abrégé (Excerpta) assez mal fait, composé au IVe ou Ve siècle. Sénèque procède toujours à peu près de la même façon : après avoir donné un texte de loi, souvent inventé, et la matière, il passe en revue les Sententiae, c.-à -d. les idées de l'orateur sur l'application de la loi au cas donné, - les divisiones, soit les questions à traiter, - enfin les colores, partie où se donnait libre carrière l'imagination, car on désignait sous ce nom les prétextes imaginés pour « colorer » le crime. Chaque livre était précédé d'une préface, très soignée, où était présenté le portrait d'un ou de plusieurs des rhéteurs les plus éminents. Nous possédons les préfaces des livres I, II, III, IV, VII, IX et X; encore la préface du livre IX est-elle incomplète. Ce sont elles surtout qui nous font connaître les rhéteurs, surtout les quatre que Sénèque considère comme les plus importants : Porcius Latro, Fuscus Arellius, Junius Gallio et C. Albucius Silus. En outre, l'ouvrage nous montre, dans la pratique, cette éducation romaine, fondée sur l'éloquence, et que, sans lui, nous ne connaîtrions guère qu'en théorie. Enfin, il est intéressant d'y voir les causes que Sénèque, grand admirateur de Cicéron, au contraire de son époque, assigne à la décadence de l'art oratoire qu'il proclame et déplore : les raisons sont, d'après lui, d'abord le luxe et l'amour des plaisirs, de la vie facile et large, puis la suppression de la grande éloquence, qui a fait disparaître les récompenses et par suite les stimulants, si bien que l'on apprend à parler pour parler à l'école et non sur le forum. Le livre, à son apparition, a réussi;
il est intéressant et amusant, il parlait d'un genre en faveur, et Sénèque
flattait les goûts du temps par des anecdotes. Ce succès a persisté
pendant tout le Moyen âge, mais alors
ce que l'on admire, ce sont les sujets de romans qu'on y recueille dans
un ouvrage intitulé Gesta Romanorum.
Mlle de ScudĂ©ry mĂŞme a fait des emprunts Ă
Sénèque.
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Sénèque
(Lucius Annæus Seneca), est un philosophe
romain né en Espagne, à Cordoue,
dans les premières années (2, 3 ou 4) de l'ère chrétienne. Son père
était le rhéteur M. Annaeus Seneca (ci-dessus); sa mère, Helvia, était
une femme intelligente et d'un grand coeur. Son frère, Novatus, devenu
Gallion par l'adoption, remplit de hautes fonctions; son autre frère,
Méla, fut le père du poète Lucain.
Venu de bonne heure à Rome avec sa famille, Lucius Annaeus Seneca fut sénateur sous Caligula; son talent oratoire ayant donné de l'ombrage à l'empereur, il quitta cette carrière pour s'adonner à la philosophie. Il embrassa la secte du Portique et ouvrit lui-même une école qui fut bientôt très fréquentée. Cependant, après la mort de Caligula, il courut la carrière des honneurs et arriva à la questure. Sous Claude, il fut accusé par Messaline d'intrigues criminelles avec Julie, fille de Germanicus et nièce de l'empereur, et fut exilé en Corse (41 de J.-C.); c'est en vain que pour obtenir son rappel il adressa les plus humbles supplications à l'affranchi Polybe, favori de Claude : il resta huit ans dans cet exil, et ne fut rappelé qu'à la mort de Messaline (48). La nouvelle impératrice, Agrippine, obtint son rappel, le fit élever à la préture et lui confia l'éducation de son fils Néron ( de 49 à 54) : il réussit mieux à orner l'esprit de son élève qu'à former son coeur. Quand Néron fut monté sur le trône, Sénèque resta auprès de lui comme un de ses principaux ministres, et réussit quelque temps, avec le concours de Burrhus, à contenir ce naturel féroce; mais bientôt l'empereur, se livrant à toutes sortes de crimes et de désordres, ne vit plus en lui qu'un censeur incommode. Sénèque voulut alors se retirer et rendre à l'empereur tous ses dons : Néron s'y opposa par hypocrisie et le combla de caresses; mais il ne tarda pas à se défaire de lui (62) en l'enveloppant dans la conspiration de Pison : il lui envoya l'ordre de se donner la mort (65); le philosophe se fit ouvrir les veines et subit son sort avec une fermeté stoïque. On a reproché à Sénèque d'avoir amassé des richesses immenses pendant qu'il était en crédit, et d'avoir écrit en faveur de la pauvreté au milieu des jouissances du luxe. Tacite et surtout Dion Cassius ont rapporté plusieurs imputations peu honorables pour sa mémoire : c'est ainsi qu'on l'accuse d'avoir approuvé l'empoisonnement de Britannicus, et d'avoir fait l'apologie du meurtre d'Agrippine; mais ces accusations ne paraissent pas suffisamment fondées. Les oeuvres de Sénèque
Sénèque est un des hommes les plus considérables de la période impériale, un de ceux dont les écrits, le style et les idées ont exercé la plus grande influence. C'est aussi un de ceux dont la vie et les oeuvres ont suscité les discussions les plus vives. Admirateur de la Rome antique, de tous les grands hommes de la République, de Régulus, de Cincinnatus et de Scipion, de Cicéron et surtout de Caton; d'un autre côté, partisan d'une vie cachée et soustraite au contact de la multitude, il a fait l'éloge du pouvoir absolu et il a été le ministre de Néron, il a même pu être considéré comme son successeur éventuel, sans qu'on puisse affirmer qu'il n'ait rien fait pour le devenir ou qu'il eût été fâché de l'être. Moraliste souvent austère, vantant la constance du sage, recommandant la sobriété, même l'abstinence des viandes et la pauvreté, il a été accusé d'adultère et de cupidité, il a possédé de grandes richesses, il a loué, d'une façon hyperbolique, Polybe et son maître Claude; il a préparé pour Néron l'éloge funèbre de son prédécesseur, et il a écrit cette satire virulente et grossière que constitue l'Apocolokyntose; il a vu, peut-être justifié le meurtre de Britannicus et d'Agrippine, le renvoi d'Octavie, la faveur d'Acté et de Poppée. Le Moyen âge en a fait un saint, C. Martha l'a appelé un directeur de conscience et l'a rapproché de saint François de Sales comme de Fénelon, tandis que Diderot et La Harpe voyaient en lui, le premier, pour l'en louer, le second pour l'en condamner, le type du philosophe tel qu'on le concevait au XVIIIe siècle. Que Sénèque n'ait été ni voulu être un sage, c'est ce qu'il dit et répète sans cesse : « Je montre, dit-il, aux autres le droit chemin que j'ai connu trop tard, et après m'être lassé en courant de côté et d'autre (rectum iter, quod sero cognovi et lassus errando, aliis monstro, Ep. ad. Luc, VIII) ».Que, d'un autre côté, des accusations de Messaline ou du délateur Suilius manquent tout à fait d'autorité, c'est ce qu'on ne saurait contester. Enfin les documents nous manquent pour juger et apprécier sûrement dans son ensemble la vie privée et publique de Sénèque. Ce que nous pouvons, par contre, entreprendre et mener à bonne fin, c'est de montrer comment, par suite de la double éducation qui lui fut donnée, il se trouva lancé dans deux directions différentes, comment il « courut de côté et d'autre », avant de s'engager résolument dans la voie qui en fit un philosophe en spéculation et en pratique, comment, par conséquent, on se trompe lourdement quand on puise indifféremment dans toutes ses oeuvres, comme l'ont fait beaucoup d'historiens avant et après Eduard Zeller, pour déterminer ses pensées maîtresses et reconstruire ses doctrines. - Sénèque (Tableau du XVe s.). Sénèque reçut une éducation de rhéteur
et de sophiste, une éducation de philosophe. Rhéteur et sophiste, il
le fut surtout à l'imitation de son père. Sévère, attaché aux usages
des ancêtres pour qui l'autorité paternelle devait être incontestée,
Sénèque le rhéteur semble avoir commandé en maître à sa femme et
Ă ses enfants (Cons. ad. Helv.). Le plus illustre de ses fils avait
une affection très vive pour sa mère, pour la tante qui l'avait soigné
et aidé à obtenir la questure, pour ses frères,
pour ses enfants et les leurs (Cons. ad Helv.); il pleurait si immodérément
son ami Annaeus Serenus, qu'on le citait comme exemple parmi ceux dont
la douleur a été le maître (quos dolor vicit. Ep. ad. Luc., LXIII);
il trouvait que rien ne soulage et relève tant un malade que l'affection
de ses amis (Ep. ad Lucil., LXIII); il quittait Rome
pour se guérir de la fièvre, parce que le salut de sa femme Pauline était
attaché au sien (Ep. ad Luc., CIV). Pour son père, l'affection
et le respect sont plus grands encore. Ainsi, après avoir pris « la douce
et facile habitude » de s'abstenir de nourriture animale, il y renonce
parce que son père craint qu'on n'y voie une marque de superstition
et une sorte d'affiliation aux religions étrangères (Ep. ad Luc.,
CVIII). Plus tard, malade et souffrant, réduit à la dernière maigreur,
et disposé à se donner la mort, il s'en abstient, parce que son père,
très âgé et qui l'aime beaucoup, aurait autant de raison de le regretter
que lui de vouloir mourir (Ep. ad Luc., LXXVIII). Ce père, qui
l'amenait si aisément à abandonner une règle de vie qu'il jugeait excellente,
et à conserver une vie qu'il aurait voulu abandonner, exerça comme maître
une influence très profonde et très durable.
De lui nous avons, comme on l'a dit plus haut, des Suasoriae et des Controversiae, c.-à -d. des recueils de causes politiques et de causes judiciaires, débats fictifs où l'on généralisait une question particulière, où l'on particularisait une idée générale, où l'on déclamait pour plaire plutôt que pour convaincre, où l'on préférait les ornements aux arguments, où l'on flattait l'oreille par des sentences ou des amplifications pour se faire applaudir et non pour prouver sa cause. Les sujets sont imaginaires, invraisemblables, extravagants; on invoque des lois inventées à plaisir, les situations sont incroyables, les sentiments extraordinaires. On n'a plus le sens de la réalité, on n'a plus le sens de l'effort, on abuse des procédés, on remplace les arguments par des idées générales, on cache la banalité du fond par la recherche ou la préciosité de la forme. Comme Ovide, Pline le Jeune et Juvénal, Sénèque sera souvent et longtemps un rhéteur, auquel se joindra un sophiste, d'autant plus subtil, d'autant plus ingénieux qu'il aura suivi les leçons des philosophes. Doué d'un goût très vif pour les sciences, dont témoignent toutes ses oeuvres, perdues ou conservées, pour la philosophie qui lui semble, comme à Cicéron, propre à nourrir l'éloquence et à guider l'homme privé et public, il apprend avec Sotion et son maître Sextius, à être tempérant et à s'abstenir de nourriture animale, à « monter au ciel » par la frugalité, la force, la constance, à combattre la fortune, à concevoir la grandeur du souverain bien sans désespérer de l'acquérir. A l'école du stoïcien Attale, où il entrait le premier et dont il sortait le dernier (Ep. ad Luc., 108), on enseignait , que l'on doit chaque jour remporter quelque profit, on discourait contre les désordres, les erreurs et les maux de la vie, on louait la pauvreté et la continence. Sénèque embrassa tous ces préceptes
avec ardeur et, dans la suite, il lui en demeura quelque chose : ainsi
il renonça, pour toute sa vie, aux champignons et aux huîtres. Son éducation
philosophique fut complétée par la lecture. Il recueille, comme l'abeille,
ce qu'il trouve de meilleur partout (Ep. 84), puis il confond tous
ces sucs différents de manière à en faire une nourriture pour son esprit.
Aussi admire-t-il et utilise-t-il Platon et mĂŞme
Epicure, Carnéade
et les Cyniques comme ZĂ©non,
Cléanthe et Posidonius. Il reste toute sa vie
en communication avec des philosophes, avec Démétrios le Cynique, préoccupé
surtout de morale pratique (Ep., 62, De
benef., VII), avec d'autres, comme cela qu'il écoute discuter dès
la huitième heure du jour, parce qu'il n'est jamais trop tard d'apprendre
Ă devenir homme de bien (Ep. 76).
Les traités de Sénèque Sur la vie heureuse, Sur le repos du sage, les Annales de Tacite nous font saisir le but poursuivi, les moyens employés, enfin l'échec définitif du précepteur et du ministre dont l'action, mal jugée par ses amis et par les envieux, contrariée puis annihilée par les courtisans et par les vices du prince lui-même, aurait pu produire des résultats analogues à ceux que donna plus tard l'administration des Antonins. Dès lors, sauf quelques exceptions très rares d'ailleurs (Q. N., I, 16, Ep. ad Luc. 78, 98, 106), il n'y a plus en Sénèque qu'un philosophe, travaillant pour lui-même, pour quelques amis et aussi pour la postérité (Ep. 21). A plusieurs reprises, il condamne les vaines subtilités, les discussions sophistiques, les arguments captieux, les déclamations des rhéteurs comme des bagatelles des dialecticiens (Ep. 20, 45, 48, 49, 82, 88, 109). Les Lettres à Lucilius et les Questions
naturelles nous font connaître, dans toute leur ampleur, les doctrines
auxquelles il adhère dans ses dernières années. L'étude de la nature,
comprenant la physique et la théologie, a toujours tenu une grande place
dans sa vie. Il avait Ă©crit sur l'Inde et
sur l'Egypte, sur les poissons et
sur les pierres, sur les tremblements de terre, sur la forme du monde et
sur la providence; il se consolait et voulait consoler les autres par l'admirable
spectacle des choses divines, dont la contemplation fera la grande joie
des âmes bienheureuses.
Après de nombreuses années employées à des études vaines (Q. N., III, préf.) et quand la vieillesse le presse, il pose le fondement d'un immense édifice et entreprend de décrire le monde. Il a le goût et le sens de l'observation : il examine une île flottante à Cutilies (III, 24); il fait envoyer par Néron deux centurions à la recherche des sources du Nil (VI, 7); il demande à Lucilius de répondre, après un examen direct, à diverses questions qu'il lui pose sur Charybde et sur l'Etna (Ep. 79); il utilise le raisonnement par analogie, comme les Modernes (Q. N., 1, 3); il connaît et discute toutes les opinions de ses prédécesseurs, mais il pense qu'il vaut mieux rassembler des causes que des autorités. Surtout il insiste sur ce point que les Anciens ont pu et dû se tromper, parce que toutes choses étaient nouvelles pour eux (VI, 5), parce que nous manquons d'observations anciennes, en ce qui concerne les comètes, par exemple (VII, 2) et il célèbre avec un enthousiasme qui ne sera pas dépassé dans les temps modernes, les progrès et les découvertes des siècles futurs (VII, 25, 26, 30, 31). A côté ou au-dessus des phénomènes qui se produisent dans les cieux, dans les airs ou sur la Terre, il y a les choses divines et célestes qui soulèvent des questions multiples sur la formation, l'organisation et le gouvernement, sur la destruction et la renaissance de l'univers, sur l'âme qui doit tenir dans l'humain la place que le divin tient dans le monde, sur son origine, sa destinée, etc. Non seulement l'étude de la nature, ainsi comprise, nous apprend comment s'enchaînent les effets et les causes, mais encore elle nous enseigne à dompter les vices, à développer les vertus, elle nous conduit à la contemplation du divin et de ses oeuvres, d'où résulte le souverain bonheur. L'astronomie de
Sénèque.
"Eh quoi; il n'y en aurait que cinq (Mercure, VĂ©nus, Mars, Jupiter et Saturne), auxquels il fut permis de se mouvoir, tandis que les autres se tiendraient Ă la mĂŞme place comme un peuple fixe et immobile (caetera stare, fixum et mobilem populum) [SĂ©nèque : Naturales quaestiones, VII, 24.]?"Ailleurs il cite une thĂ©orie d'Apollonius le Myndien, que nous croyons devoir reproduire. Il s'agit des comètes. "Apollonius dit que beaucoup de comètes se meuvent comme des planètes(multos cometas erraticos esse)… Seulement leur forme, comme leur orbite est plus allongĂ©e (procerior et in longum producta). La comète nous est invisible, tant que sa course se prolonge dans les rĂ©gions les plus Ă©loignĂ©es de l'univers; elle ne nous apparaĂ®t que dans sa course la plus rapprochĂ©e de nous (non est illi palam cursus : altiora mundi secat : et tunc demum apparet, quum in imum cursus venit) [SĂ©nèque : Nat. Quaest. VII, 17]. "SĂ©nèque adopte avec chaleur cette opinion d'Apollonius de Mynde. Après avoir rejetĂ© le sentiment des philosophes qui regardaient les comètes comme "des feux passagers", l'auteur des Questions naturelles ajoute : "Si, nous objecte-t-on, les comètes Ă©taient des espèces de planètes, elles ne sortiraient pas du zodiaque. Mais quel homme oserait assigner aux astres une route unique?… Les planètes mĂŞmes dĂ©crivent des orbites diffĂ©rentes les unes des autres; pourquoi n'y aurait-il pas d'autres corps cĂ©lestes; qui auraient chacun une route particulière Ă parcourir, quoique fort Ă©loignĂ©e des routes que suivent les planètes?… Si l'on me demande pourquoi on n'a pas observĂ© le cours des comètes, comme celui des cinq planètes, je rĂ©pondrai qu'il y a beaucoup de choses dont nous savons qu'elles existent, sans en connaĂ®tre la nature. Tout le monde reconnaĂ®t l'existence de cette force intĂ©rieure; - qu'on l'appelle âme ou autrement, - qui excite et dirige nos mouvements; mais personne ne nous dira ce qu'est cette force directrice, souveraine de notre corps; pas plus que personne ne nous instruira du lieu qu'elle occupe : l'un de vous dira que c'est un esprit ou souffle (spiritus), l'autre une harmonie (concentus); celui-ci, un air subtil; celui-lĂ , une puissance immatĂ©rielle. Il y en a qui la placent dans le sang; d'autres, dans la chaleur. Notre esprit a si peu de lumière sur les ouvrages de la nature, qu'il en est encore Ă se chercher lui-mĂŞme. Est-il donc surprenant que ces choses ne soient pas encore, pour nous, assujetties Ă des lois certaines; qu'on ne connaisse pas le commencement et la fin de la rĂ©volution de ces corps qui ne reparaissent qu'au bout d'un long intervalle? Il n'y a pas encore mille cinq cents ans que la Grèce s'est occupĂ©e d'astronomie. Il existe encore aujourd'hui beaucoup de nations qui ne connaissent le ciel que de vue, qui ne savent pas pourquoi la Lune s'Ă©clipse : la raison de ce phĂ©nomène n'est d'ailleurs bien connue chez nous que d'hier. Il viendra un temps oĂą, Ă force de patientes recherches, on tirera au clair ce qui nous est cachĂ© aujourd'hui. L'âge d'un homme ne suffit point pour de telles dĂ©couvertes, lors mĂŞme qu'il se consacrerait tout entier Ă l'Ă©tude du ciel. Que peut-on espĂ©rer quand on a reçu en partage une vie, dĂ©jĂ si courte, fort inĂ©galement rĂ©partie entre des occupations frivoles et les Ă©tudes sĂ©rieuses! Ce ne sera donc qu'après une longue suite de gĂ©nĂ©rations que l'on parviendra Ă savoir ce que nous ignorons. Un temps viendra oĂą nos descendants seront surpris que nous ayons ignorĂ© des choses si patentes (veniet tempus, quo posteri tam aperia nos nescisse mirentur)."Ce beau passage, que nous avons cru devoir citer en entier, a Ă©tĂ© pour Montucla presque un objet de raillerie. "SĂ©nèque saisit, l'opinion des retours pĂ©riodiques des comètes avec une sorte d'enthousiasme, et, s'Ă©lançant pour ainsi dire dans l'avenir; il ose prĂ©dire qu'il viendra un temps oĂą leurs cours sera connu et assujetti Ă des règles, comme celui des planètes. A en juger par ce trait, SĂ©nèque eĂ»t eu un peu de peine Ă adopter les vĂ©ritĂ©s les plus sublimes de l'astronomie moderne."Montucla est mort en 1799, sans avoir connu l'existence des comètes pĂ©riodiques. S'il avait vĂ©cu quelques annĂ©es de plus, il aurait pu voir briller, pour employer son langage, parmi "les vĂ©ritĂ©s les plus sublimes de l'astronomie moderne", prĂ©cisĂ©ment la dĂ©couverte des comètes dont "le cours est assujetti Ă des règles, comme celui des planètes." Qu'on ne se moque donc jamais des jugements quels qu'ils soient, qui en appellent Ă l'avenir! SĂ©nèque avait pour ainsi dire le flair des grandes choses. N'est-ce pas lui qui a prĂ©dit la dĂ©couverte du Nouveau Monde? On connaĂ®t ces vers de la MĂ©dĂ©e, tragĂ©die de SĂ©nèque : C'est encore SĂ©nèque qui posa rĂ©solument le grand problème du mouvement de la Terre, en ces termes :" Venient annis "Il est temps que nous sachions si c'est le monde qui tourne, la Terre restant immobile, ou si c'est la Terre qui tourne, le monde demeurant fixe (utrum mundus terra stante circumeat, an mundo stante terra vertatur)… C'est un problème digne d'exercer l'esprit humain que de s'enquĂ©rir de l'Ă©tat des choses oĂą nous sommes, que de savoir si la demeure qui nous est Ă©chue est inerte, ou si elle se meut très rapidement [SĂ©nèque : Nat. Quaest., VII, 2.]."L'auteur relĂ©gua la solution de ce problème parmi "les choses si patentes", qu'on sera, pour nous servir de son langage, un jour "surpris qu'elles aient Ă©tĂ© ignorĂ©es si longtemps." La morale de SĂ©nèque.
Mais surtout il recommande de se préparer, par tous les moyens dont on dispose, à supporter la pauvreté, la souffrance, la maladie et la mort, de mépriser les opinions du vulgaire, de travailler à libérer notre âme de cette prison qui est pour . elle le corps, de faire consister notre bonheur et notre sagesse dans la vertu, d'obéir au divin, de consentir à sa volonté, de l'imiter en mettant le calme en soi-même, de s'assurer ainsi, pour le cas où l'âme survivrait au corps - et c'est manifestement d'après l'ensemble des textes, la doctrine à laquelle il se rallie - le contemplation des choses divines, la connaissance de tout ce qui nous échappe en cette vie, mais qui ne saurait échapper aux âmes bienheureuses. On comprend que cette morale ait frappé
les chrétiens des premiers temps, auxquels
s'imposaient les mêmes préoccupations et un but qui pouvait paraître
identique. Mais il faut se souvenir que ce n'est pas là tout Sénèque.
Ce n'est qu'un moment dans son existence intellectuelle et sociale. A côté
du penseur pratique, obligé de renoncer aux affaires publiques et réduit
à un prosélytisme individuel, il y eut non seulement le rhéteur et Le
sophiste, mais encore le savant, le philosophe
soucieux de faire triompher le stoĂŻcisme dans ce qu'il pouvait offrir
d'excellent pour les moeurs et les institutions romaines. Cette complexité
fait l'originalité et l'unité de son oeuvre ; elle en explique l'influence
divergente et continue; elle justifie les enthousiasmes les plus vifs et
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