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L'histoire de l'île de la Réunion
(Île Bourbon)
Sainte-Appollonie, Eden, île de la Perle... Les noms que l'on a donné à cette île au fil du temps n'ont pas manqué. Certains, à eux seuls pourraient servir à tracer les jalons de son histoire. L'île de la Réunion, qui fut découverte en 1545 par le navigateur portugais Mascarenhas, fut ainsi d'abord appelée Mascareignes, nom qui fut ensuite appliqué au groupe d'îles auquel elle appartient. Les Français l'occupèrent en 1642, et Flacourt lui donna en 1649le nom d'île Bourbon. Ce fut l'époque où l'île fut l'objet d'une active politique de colonisation. En 1717, quelques plants de café y furent apportés de Moka, et ajoutèrent à l'intérêt économique de l'île. A la Révolution, on lui donna le nom d'île de la Réunion, qu'elle perdit sous l'Empire, pour devenir l'île Bonaparte. Puis, les Anglais s'en emparèrent en 1810, avant de la restituer à la France en 1815, et lui conservèrent l'ancien nom d'île Bourbon. Ce nom fut encore le sien sous la Restauration. Sous le gouvernement de Juillet, elle reprit (1848) de nouveau le nom de la Réunion qu'elle n'a plus quitté depuis. 

Dans l'intervalle toute cette histoire aura été abondamment marquée par ce qu'à l'époque coloniale on appelle une "île à esclaves", tant l'esclavage jouait un rôle central dans son économie. Celle-ci, fondée sur la récolte de tabac, de coton, de cannelle, de vanille, de muscade, de maïs, de cacao, de café, de sucre, etc, était d'autant plus consommatrice de main d'oeuvre, qu'elle pouvait être gratuite. Ainsi, malgré les déclarations de principe venues de Métropole à partir de la révolution, cette pratique, qui se heurte à une forte résistance des colons, ne sera abolie qu'en 1848. L'île connaîtra ensuite encore une brève période de prospérité grâce à la culture de la canne à sucre. Puis, quand l'ouverture du canal de Suez (1869) l'écarte des routes maritimes importantes, son intérêt stratégique et commercial aux yeux de la Métropole, en même temps que son économie, déclinent. La pente ne commencera à être remontée (au moins pour la fraction de la population d'origine Européenne et Indienne) qu'à partir de 1946, quand l'ancienne colonie acquerra statut de Département d'Outre-Mer, au sein de la République française. Des émeutes en 1991, sont cependant venues rappeler qu'une partie de la population de l'île reste exclue de son développement.

Dates -clés  :
1545.- Découverte par Pedro de Mascarenhas.

1642 - Arrivée des Français. Début de la colonisation.

1810-1815 - Intermède britannique.

1848 - Abolition de l'esclavage.

1869 - Début du déclin économique.

1946 - La Réunion devient un Département d'Outre-Mer (DOM).

L'histoire de l'île de la Réunion, toute moderne qu'elle soit, puisqu'elle ne remonte pas au delà du XVIe siècle, est enveloppée d'obscurité à son début. C'est que l'île était inhabitée à sa découverte par les Portugais et difficilement abordable. Les Européens, qui les premiers y descendirent, se contentèrent d'y déposer des couples d'animaux. Les mœurs des premiers habitants étaient simples; pour les rares voyageurs de l'époque, l'île était un éden. Assez longtemps après les Portugais, ce furent les Hollandais, vers 1598, alors qu'ils occupaient l'île Maurice, qui passèrent à l'île de la Réunion; puis les Anglais y relâchèrent en 1613 (21 mars). Les Français vinrent ensuite. La première prise de possession eut lieu le 26 juin 1638, au nom de la France, par le capitaine Salomon Gaubert, qui commandait le Saint-Alexis, sur lequel était embarqué François Cauche, le premier historien de Madagascar. A la suite de la concession, en 1642, faite à la compagnie française de Lorient, par le cardinal de Richelieu, de Madagascar et îles adjacentes, Jacques Pronis, commis de cette compagnie et commandant à Madagascar, prit à son tour possession de la Réunion, la même année en septembre. Certains disent à tort selon nous, que ce fut l'année suivante, 1643

Celui-ci déporta, en 1646,  en provenance de Fort Dauphin (Madagascar), douze mutins qui s'étaient révoltés contre lui, Rappelés en septembre 1649, à Madagascar, par Flacourt, ils firent l'éloge de l'île, si bien que ce dernier envoya prendre possession, dès le mois d'octobre, de la Réunion en même temps qu'il lui impose le nom de Bourbon en remplacement de celui de Mascareignes, et il fit renouveler cette formalité cinq ans plus tard, en faisant attacher « la prise de possession à un arbre, dessous les armes du roi ». Plus tard, en 1671, le 27 avril, la cérémonie devait être accomplie pour une dernière fois par le vice-roi des Indes. Jacob de la Haye; elle eut lieu au village qui de là prit le nom de la Possession, nom toujours employé et conservant la mémoire de ce fait ainsi qu'une pierre gravée à cette occasion.

Colonisation.
Habitée de nouveau, depuis les hommes que Pronis y avait déportés, par des colons de bonne volonté en 1654 et en 1662, l'île ne fut véritablement colonisée qu'à partir de la concession à la compagnie des Indes orientales de Madagascar avec les îles circonvoisines (1664, août). Un an après, cette compagnie envoya à Bourbon Etienne Régnault, et lui en donna officiellement le commandement: ce fut le premier gouverneur de Bourbon (1665, 9 juillet), mais il fallut bien des années encore pour donner à la colonie son développement qui ne date guère que du moment où elle eut un gouverneur nommé par le roi (1689). 

Cependant ces parages étaient infestés par des forbans, qui avaient paru dans la mer des Indes (l'Océan indien) dès l'année 1684. Ils vivaient en bonne intelligence avec les habitants. Cela n'empêcha pas que l'un d'eux osa enlever (8 avril 1721) le vaisseau. du vice-roi de Goa, en pleine rade de Saint-Denis (Bernardin de Saint-Pierre). En 1711 (5 mars), sous le gouverneur de Parat, un conseil provincial fut créé par édit du roi;  il était dans la dépendance du conseil supérieur de Pondichéry, chef-lieu des établissements de la compagnie. Vers 1717, le café moka fut introduit à Bourbon, par le même administrateur, et devait être une principale cause du développement de cette colonie, produisant en 1863 1 million de kilos, et 2 millions 25 ans plus tard. 

La population, qui n'était, en 1671, que de 90 habitants dont 50 Européens, s'était élevée à 2000 en 1717, elle était en 1724 de 12 550 dont 1550 Blancs et 11 000 esclaves. A la fin du XVIIe siècle, Louis XIV avait proposé, alors qu'on ignorait encore l'avenir de Bourbon, aux Portugais, son échange contre Diu, sur la côte de Gujârat (Nord-Ouest de l'Inde). Ceux-ci, n'acceptèrent pas ce marché. En 1723, par un édit du mois de novembre, le conseil provincial fut supprimé et remplacé par un conseil supérieur. A partir de 1730, c'est lui qui accorda les concessions de terre.

L'année 1735 vit un grand changement dans l'administration de Bourbon. Un gouverneur général commandait à la fois aux îles de France (île Maurice) et de Bourbon et résidait dans la première de ces colonies. Depuis 1723, le conseil de l'île de France était subordonné au conseil supérieur de Bourbon. C'était donc le contraire qui se produisait désormais. C'est que le premier titulaire du gouvernement général, l'illustre Mahé de La Bourdonnais, avait reconnu l'avantage des ports de l'île de France. Il établit sa résidence à Port-Louis; le siège du gouvernement de Bourbon, qui était, depuis le commencement, à Saint-Paul, ne fut transporté à Saint-Denis qu'en 1738(26 septembre). D'ailleurs, l'administration de La Bourdonnais fut également bienfaisante pour les deux colonies, ne songeant plus à être rivales; Bourbon envoyant des subsides en personnel à la nouvelle venue.

Moments difficiles. 
Les Noirs marrons, devenus fort nombreux étaient perçus par les colons comme un danger, et leur répression fut inhumaine : il fallut recourir à des mesures moins extrêmes. Contre les Britanniques, qui étaient une menace plus sérieuse, il fallait faire un centre de ravitaillement à Port-Louis et construire des batteries à Bourbon. Des volontaires constituant ici une compagnie allèrent, en 1744, défendre vaillamment Pondichéry contre les Marathes. Des institutions utiles furent créées, telles les douanes, en même temps que l'agriculture était encouragée.

La plus grande cause de souffrance pour la colonie se trouvait dans la compagnie elle-même, dans son despotisme. Ce fut une période malheureuse, de 1738 à 1767, où tous avaient à se plaindre, la population et les directeurs de la compagnie qui périclitait. Celle-ci fut obligée de se retirer enfin, son privilège fut suspendu, et Bourbon revint au roi. Un gouverneur et un ordonnateur, de Bellecombe et de Crémont, vinrent au nom du roi, en 1767, prendre possession de la colonie. A cette même date (en juillet), le gouverneur général des deux îles était le colonel Dumas et l'intendant le célèbre Pierre Poivre. C'est à ce dernier, bien qu'il fut souvent contrecarré par le gouverneur général, que fut due l'organisation de toutes les branches de service, et l'introduction dans les deux îles d'une foule de végétaux précieux. Parmi les faits importants qui ont marqué l'époque du premier retour de l'autorité royale dans la colonie, signalons l'application qui lui fut faite des lettres patentes de 1723, ou Code noir, par ordonnance de décembre 1737; la réduction des droits d'entrée sur les marchandises de l'Inde, de 6% à 3%, en 1770. Les marchandises d'Europe n'étaient soumises à aucun droit. Une ordonnance de la même année établit la liberté générale du commerce. 

La Révolution.
En 1789, parvint, dans la colonie la nouvelle de la Révolution française. Il y eut de nombreuses assemblées, des troubles, des déportations, mais la tourmente n'a pas ensanglanté le sol de Bourbon.  Une assemblée générale des députés des quartiers se réunit, le 25 mai 1790, à Saint-Denis; elle rassembla tous les pouvoirs et se retira le 5 octobre, après avoir élu des députés à l'Assemblée nationale. Le 13 mars 1793, Bourbon vit changer son nom en celui de Réunion, à la suite du fusionnement de ses patriotes avec ceux de l'île Maurice. Le 16, la République fut proclamée. Elle avait décrété l'abolition de l'esclavage; mais les planteurs, encouragés par le gouverneur général Malartic, conseillé par (le futur ministre) Joseph de Villèle, avaient résisté aux ordres de la Métropole. 

Joseph de Villèle était garde-marine (on dirait aujourd'hui aspirant) à bord d'un navire de l'état commandé par M. de Saint-Félix, son oncle, gentilhomme hostile aux idées révolutionnaires, qui avaient été embrassées avec ardeur par la plupart des officiers de la marine française et par leurs équipages. Une révolte éclata, à la mer, contre le capitaine de Saint-Félix; et comme l'oncle et le neveu se trouvèrent seuls de leur avis, seuls décidés à la résistance, ils furent mis à terre à l'île de France, dont le gouvernement, n'osant pas se déclarer pour eux, les fit transporter ou déporter à l'île Bourbon. Là, Joseph de Villèle, réduit à accepter pour vivre toute ressource qui s'offrirait, entra chez un riche planteur, comme gérant de l'habitation, comme précepteur des enfants, comme secrétaire de son patron, l'un des membres influents de l'assemblée coloniale. A ce dernier titre, il eut bientôt lui-même sa part d'influence, et l'on peut bien croire qu'il ne manqua pas d'habileté pour l'agrandir et pour en user il en usa de manière à tout abolir de ce qui avait été tenté dans le sens de la réforme radicale, imposée de loin par la Convention; il s'attacha à ce que fussent rétablies toutes choses : les règlements, les habitudes, les pensées et les discours, conformément à l'ancien système, qui n'avait, à vrai dire, guère été interrompu. (V. Charlier).
Les commissaires, envoyés par le gouvernement de la République, avaient été repoussés et rembarqués. La traite devait être de nouveau abolie par le gouvernement de la Restauration, le 8 janvier 1817.

Le régime révolutionnaire cessa avec l'arrivée du général Decaen, porteur de l'arrêté consulaire du 2 février 1803, sur l'organisation administrative des deux colonies. Le gouvernement général lui fut confié. A la Réunion, il y avait un gouverneur particulier. Le 15 août 1806, une proclamation de celui-ci donna à la Réunion le nom d'île Bonaparte. Cependant, au milieu des succès de l'Empire, une menace était suspendue sur ces colonies lointaines, qui ne pouvaient trouver à leur anxiété une compensation dans les succès inouïs des corsaires en leurs parages. 

Le blocus anglais.
Le 16 avril 1809, les Anglais débarquaient à Sainte-Rose et y détruisaient une batterie; le 21 septembre, avec leurs forces réunies, ils opéraient une nouvelle descente à Saint-Paul. Au message du commodore Rowley demandant la capitulation, le gouverneur, le général des Brulys, désespérant de pouvoir conserver la colonie à la France, répondit en se donnant la mort. Il fut remplacé par le colonel Sainte-Suzanne. La défense fut organisée, mais ne put, malgré la bravoure des soldats, des compagnies mobiles de créoles et des gardes nationaux (remplaçant la milice depuis 1790), résister aux forces écrasantes de l'adversaire. Celui-ci avait organisé toute une escadre de blocus, composée de plus de vingt bâtiments ayant reçu à bord, en outre des équipages, 1800 hommes de troupes européennes et 1850 cipayes. L'action eut lieu dans la plaine de la Redoute (à Saint-Denis), où s'élèveront plus tard deux monuments consacrés par l'un et par l'autre parti à la mémoire de leurs morts. La France dut capituler. L'île resta au pouvoir de l'Angleterre jusqu'au 6 avril 1815, date à laquelle elle fut rétrocédée à la France, en vertu du traité de Paris, et reprit le nom d'île Bourbon. 

Les années de sucre.
Une nouvelle ère commence alors pour cette colonie. Sa richesse vient alors principalement de la culture de la canne à sucre (que seule la concurrence des Caraïbes à partir des années 1860, viendra contrecarrer). Joseph de Villèle et son parti, qui, sous la Restauration, même lorsqu'ils n'occupèrent pas le pouvoir, exercèrent toujours une haute influence sur le mode d'exécution des lois, c'est-à-dire quelquefois sur leur inexécution, s'efforcèrent en vain d'empêcher l'infiltration des idées de réforme dans les îles à esclaves, et spécialement à l'île Bourbon : malgré eux, les idées de réforme y firent des progrès incroyables pendant ces quinze années de paix, d'échanges assidus et de libre communication entre les régions d'outre-mer et le continent européen. Cela n'empêcha pas les maîtres de l'île de laisser avec un étonnant cynisme continuer la traite des esclaves, pour fournir les bras nécessaires à un immense développement de culture, déterminé par des lois de privillège. Pour sauver les apparences, on se contentait de maintenir à flot une vielle gabare, la Mayenne, à peine capable de naviguer et qui était supposée faire la course aux rapides navires négriers venus de Mozambique et de Madagascar. Pendant ce temps, les esclaves étaient poussés vers l'intérieur des terres à coups de fouet, et dès qu'ils avaient franchi les cinquante pas géométriques qui constiuaient, pour cette nature particulière de denrée, une sorte de ligne de douanes autour de l'île, ils appartenaient définitivement à sa population d'esclaves; on ne les recherchait plus, ils étaient distribués entre toutes les parties prenantes. 

De cette manière, l'administration croyait assurer l'avenir de l'île Bourbon , qu'elle comblait de toutes ses faveurs. Il faudra finalement attendre 1848, date à laquelle l'île retrouve définitivement son nom de Réunion, pour que l'esclavage soit enfin aboli. Une loi de 1845 avait déjà donné aux esclaves la faculté de se racheter. Le gouvernement provisoire proclama leur émancipation et leur accorda, avec la liberté, la qualité de Français. Sarda Garriga, commissaire général de la République, vint à la Réunion, comme chargé de l'autorité supérieure en 1848 (octobre).  Le 20 décembre, se fit l'affranchissement de 60 629 esclaves. En 1870, les droits de vote et d'éligibilité devaient leur être conférés. (A.-M. B.).

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