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Le
mot roman n'a pas d'équivalent en grec
et en latin; il servait au Moyen âge
à désigner des ouvrages profanes de poésie
ou de prose écrits en langue populaire, la langue romane, c.-à -d. selon
la région où l'on se trouvait en langue d'oc
ou en langue d'oil, par opposition avec les
chroniques, histoires bibliques, légendes ecclésiastiques, écrites en
latin, langue de l'école et de l'église .
Le mot roman s'appliquait surtout aux compositions qui avaient un caractère
narratif. C'est ainsi que certaines grandes épopées,
véritables chansons de geste, ont porté le
nom de Roman de Thèbes ,
Roman de Troie ,
etc., et que des poèmes satiriques en 20
000 vers se sont appelés Roman de la Rose ,
Roman de Renart ,
etc. L'étude de ces romans d'une espèce toute particulière ne saurait
trouver place ici. Ce qu'il s'agit d'examiner avec attention, c'est le
roman tel que l'a fort bien défini le Dictionnaire de l'Académie,
c.-à -d. une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche Ã
exciter l'intérêt, soit par le développement des passions,
soit par la peinture des moeurs, soit par la singularité des aventures.
Ainsi compris, le roman est un genre littéraire très particulier, tout
à fait distinct de ceux qui paraissent lui ressembler, du Conte,
de la Nouvelle et de la Fable.
Le roman peut en
effet emprunter ses données à l'histoire, sauf à le dénaturer plus
ou moins, comme dans la Cyropédie ,
dans Quentin Durward
ou dans les Trois mousquetaires .
Il exige un certain développement, si bien que l'on n'oserait pas appeler
roman le Jeannot et Colin ou le Micromégas
de Voltaire; c'est à peine si ce nom convient
aux épisodes d'Atala ou de René. Enfin l'objet principal
du roman n'est pas de moraliser, comme doit toujours le faire la Fable
ou Apologue.
De la définition
qui vient d'être donnée d'après l'Académie,
il résulte que l'on peut concevoir trois espèces de romans : les romans
passionnels, comme on dit, les romans de moeurs et les romans d'aventure.
Ajoutons qu'il faut distinguer en outre, suivant la manière dont les sujets
sont traités, les romans historiques, les romans philosophiques, politiques
et sociaux, qui sont en général des romans à thèses, les romans idéalistes,
les romans réalistes ou naturalistes, les romans psychologiques, les romans
lyriques, etc. Mais quelle que soit la forme particulière d'un roman,
le fond est toujours identique; un roman, c'est toujours un récit, une
narration, et
toujours l'auteur se propose de nous intéresser à la destinée d'un ou
de plusieurs personnages. C'est en cela que le roman se rapproche du drame;
les analogies sont même si grandes que l'on voit tous les jours les romans
en vogue donner naissance à des pièces de théâtre,
et Diderot affirmait que tout bon drame doit
pouvoir faire un excellent roman.
De tous les genres
littéraires, le roman est celui qui est le moins soumis à des règles
précises, et cela sans doute parce qu'il n'a pour ainsi dire pas été
connu de l'Antiquité classique .
Aristote et ses successeurs ne l'ont donc pas
codifié, et les auteurs de romans modernes ne sont pas astreints, comme
les orateurs, les historiens et les poètes dramatiques, soit à marcher
péniblement dans le sentier battu, soit à se frayer audacieusement des
routes nouvelles. Un auteur de roman peut à son gré annoncer le dénouement
dès la première page, ou suspendre l'intérêt jusqu'au dernier chapitre
de son livre; il n'est pas tenu de respecter, comme le poète épique,
l'unité de temps et l'unité d'action; il peut donner à son récit une
allure poétique, ou adopter la façon de narrer des historiens, ou enfin
présenter les événements sous forme de journal, de mémoire, de correspondance
même; en un mot, il est libre et absolument indépendant. Ainsi s'explique
l'énorme quantité de romans qu'ont produits, depuis la fin du XVIe
siècle, toutes les littératures occidentales.
Le roman existe chez
tous les peuples; en Chine
il date du XIIIe siècle et compte de très
nombreux exemplaires sous les trois formes, historique, fantastique
et bourgeoise. La littérature du roman au Japon
a suivi de près l'évolution chinoise. Chez les Arabes, le roman est au
moins aussi ancien que l'Islam .
Le sujet en est emprunté presque exclusivement aux légendes
nationales et à l'histoire religieuse ou profane. Les Iraniens ont eu
une littérature de roman (en prose) singulièrement pauvre et peu originale
auprès de la floraison de l'épopée.
Le
roman en Europe jusqu'Ã la fin du XIXe
siècle
Le roman tel que
nous le connaissons est la forme très moderne d'une chose fort ancienne;
la feinte qui le constitue essentiellement était l'âme de l'apologue,
de l'histoire légendaire, de l'épopée, et même du drame. Que faudrait-il
changer à l'Odyssée
pour en faire un roman d'aventures? et ne serait-il pas bien facile de
transformer en romans, à la manière de Télémaque ,
plusieurs des tragédies d'Euripide? Mais le
roman proprement dit étant toujours une oeuvre en prose, il faut aller
jusqu'au siècle de Périclès pour trouver
le premier roman connu, la Cyropédie de Xénophon.
L'auteur si exact de la Retraite des dix mille a pris les plus grandes
libertés avec l'histoire de Cyrus;
ce curieux traité d'éducation est un roman dans toute la force du terme.
Le grand succès de la Cyropédie n'a pourtant pas donné lieu,
comme on serait tenté de le croire, à des imitations nombreuses; durant
plusieurs siècles on ne trouve pas un seul roman dans la littérature
grecque. Ce n'est qu'au Ier siècle après
J.-C. que le roman devint une littérature spéciale en Grèce ,
au temps des seconds sophistes : l'un des premiers
est celui d'Antonius Diogène (les Choses incroyables qu'on voit au
delà de Thulé),
modèle des romans suivants, qui consistent surtout en une fable érotique
traversée d'une foule d'aventures fantastiques : c'était si bien alors
le genre du roman que les romanciers grecs étaient désignés sous le
nom d'Érotiques (du IIe au Ve
siècle après J.-C.).
C'est près de cinq
cents ans après Xénophon que le roman grec renaît avec Lucien,
auteur de Lucius ou l'Ane et de l'Histoire véritable, Xénophon
d'Ephèse, Héliodore, auteur de Théagène
et Chariclée, Longus, auteur de Daphnis et Chloé ,
Achille Tatios, Chariton
d'Aphrodisie ,
auteur des Amours de Chaereas et Callirhoé,
etc. La plupart des romans de cette époque ne sont qu'une succession d'aventures
extravagantes accumulées sans aucun art : les amoureux sont séparés
en général par des brigands et, après mille traverses, après avoir
été réduits en esclavage
dans les pays les plus étranges, finissent par être heureusement réunis.
A l'époque byzantine ;
de pareils drames (nom qu'ils portaient alors) forment le fond de
romans très nombreux, tels que le Drame d'Hysmène et d'Hysménias
d'Eustathios; la Vie d'Esope, du moine byzantin Planude, est comme
un dernier souvenir des romans grecs de l'époque impériale.
La littérature
romaine
ne compte pour ainsi dire pas de romans : une des seules productions originales
que l'on y relève est le roman satirique de Pétrone,
le Satiricon ,
qui date du milieu du Ier siècle après
J.-C. Les Métamorphoses d'Apulée, que
les nouvelles intercalées de l'Ane d'or
et de Psyché ont rendues célèbres, présentent aussi le plus
vif intérêt pour l'histoire des moeurs de son temps (IIe
siècle). Enfin il faut citer encore l'Histoire merveilleuse
d'Apollonius de Tyr
(adaptation d'un roman grec), qui fit fureur au Moyen âge et fut traduite
dans toutes les langues.
Le roman en France
Le Moyen âge ,
qui nous a transmis le mot roman, n'a pas laissé une seule oeuvre auquel
on puisse l'appliquer pleinement. Depuis la fin du XIIe
siècle, les romans en prose du cycle d'Arthur ,
adaptations pour la plupart d'anciens poèmes, représentent seuls l'art
du roman jusqu'au XVe siècle, époque
où les meilleures de ces proses furent répandues par l'imprimerie dans
la Bibliothèque bleue. Le roman en prose original n'a remplacé
réellement le roman en vers qu'au XVe
siècle avec le Petit Jehan de Saintré de La Salle; en même temps,
sous l'influence italienne, les nouvelles
eurent une grande vogue, comme le prouve le livre des Cent Nouvelles
nouvelles .
Au XVIe siècle on ne relève, en dehors
du Gargantua
de Rabelais et de quelques recueils de nouvelles.
Rien de bien marquant. Ensuite viennent les Aventures du baron de Foeneste
par Agrippa d'Aubigné; mais ce n'est un roman
que d'apparence; Ã vrai dire, c'est un pamphlet
politique.
D'Espagne
nous vint l'Amadis ,
dernier écho des romans du cycle d'Arthur. Puis le goût des bergeries
passa d'Italie en France
à la cour de Henri IV,
où il fit fureur : les moutons de l'Astrée
de d'Urfé (1610) ne sont que des courtisans déguisés de l'entourage
du roi; ce livre inaugure l'interminable série des grands romans du XVIIe
siècle : il mit à la mode les romans à clef, qui sous des habits étrangers,
des déguisements à la romaine, représentent, en réalité, au naturel,
des personnages vivants connus de tous et que l'on s'amusait à retrouver
sous leur costume d'emprunt : tels sont la Polexandre de Gomberville,
le Grand Cyrus
et la Clélie
de Madeleine de Scudéry, le Faramond
et le Cléopâtre de La
Calprenède, et tant d'autres dont la galanterie
subtilisée faisait l'admiration de Mme de Sévigné
et de presque tout son siècle. Telle était la vogue de ces romans en
8 et 10 volumes qu'on en tirait aussitôt des tragédies à grand succès
: la Mort de Cyrus de Quinault,
et surtout le Timocrate de Thomas
Corneille. En vain des auteurs de bon sens comme Charles
Sorel, auteur du Berger extravagant, et Boileau,
auteur du charmant Dialogue sur les héros de romans, faisaient
ressortir la fadeur de ces compositions; en vain Scarron
avec le Roman comique ,
Furetière avec le Roman bourgeois, et Mme
de La Fayette avec la Princesse de Clèves
et Zaïde ,
donnaient des modèles d'un tout autre genre : la franche gaieté, la vivacité
quelque peu brutale ou l'exquise délicatesse psychologique de ces romans-lÃ
n'empêchaient pas de goûter les autres, et il en fut de mérite durant
tout le règne de Louis XIV, qui vit naître
en outre un roman mythologique de La Fontaine,
les Amours de Psyché, et un grand roman d'éducation, le Télémaque
de Fénelon.
Le
XVIIIe siècle.
Le XVIIIe
siècle, si différent du précédent à bien des égards, lui emprunta
ses principaux genres littéraires, et le roman fut du nombre. Lesage,
qui avait commencé par traduire Don Quichotte ,
se rendit célèbre par la publication de deux romans de moeurs, le Diable
boiteux
et Gil Blas ,
inspirés des fripons du roman espagnol. Montesquieu
préluda aux attaques de la philosophie
avec un roman satirique, les Lettres persanes, et presque tous les
grands écrivains du siècle de Louis XV ont
fait imprimer des romans. Voltaire a donné
sur le tard l'Ingénu, Candide ,
Zadig et plusieurs autres; Rousseau a
publié la Nouvelle Héloïse ,
roman passionné sous forme de lettres, qui, par ses peintures des souffrances
du coeur et l'amour passionné de la nature, a eu une influence capitale
sur le roman français; il écrivait presque en même temps Emile ou
de l'Education .
Diderot, qui s'inspira du roman de famille anglais,
est l'auteur de Jacques le Fataliste ,
de la Religieuse ,
du Neveu de Rameau ;
Marmontel est devenu célèbre grâce à son
Bélisaire et à ses Incas.
L'abbé Prévost, qui a signé plus de cent volumes
illisibles, a trouvé le chemin de la gloire en insérant dans les Mémoires
d'un homme de qualité le roman de Manon Lescaut ;
Bernardin de Saint-Pierre enfin, sous l'influence
de Rousseau, a su enchâsser dans les Etudes de la nature le petit
chef-d'oeuvre qui s'appelle Paul et Virginie .
A côté de ces romanciers illustres, il s'en trouva d'autres qui cherchèrent
la réputation par des moyens peu honorables, et comme ils vivaient au
milieu d'une société très dépravée, ils flattèrent le goût public
en composant des romans libertins. Ainsi procédèrent Crébillon
fils, Louvet, et d'autres qu'il n'est pas nécessaire de nommer.
Le
XIXe siècle.
Le XIXe
siècle, qu'on appelle parfois le siècle de l'histoire, pourrait, à plus
juste titre, se nommer le siècle du roman. Chateaubriand,
avec Atala et René (en attendant les Martyrs, les
Natchez, le Dernier des Abencérages), et Mme
de Staël préparèrent le romantisme
que Victor Hugo devait illustrer et ériger en théorie
littéraire. Alfred de Vigny compose le premier
roman historique de valeur avec Cinq-Mars .
Mérimée donne
le type le plus parfait de la nouvelle. Balzac,
tout imprégné de romantisme, crée la Comédie humaine ,
d'un réalisme si profond et d'une psychologie
presque prophétique. En même temps, Alexandre Dumas
père et Eugène Sue lancent leurs romans d'aventures
qui trouvent un public d'autant plus nombreux que l'art littéraire y est
moins raffiné. Beyle (Stendhal), qui n'obtint
pas de son vivant toute la gloire qu'il eut plus tard, crée le roman psychologique
et donne quelque aperçu de ce que sera le naturalisme. Flaubert
écrit un des meilleurs romans réalistes qui existent, Mme Bovary
(1838) : cette voie est suivie par les deux frères Goncourt
et Zola qui la poussent jusqu'au naturalisme, dont
Maupassant donne les types les plus classiques.
Le roman idéaliste avait été mis en grand honneur par les oeuvres de
George Sand, qui tenta aussi le roman social. Dans
une autre voie, Octave Feuillet publiait
des romans aristocratiques et mondains, et Georges Ohnet des romans platement
bourgeois, qui obtenaient un grand succès; Paul
Bourget et Marcel Prévost, réagissant contre le naturalisme, s'attachent
aux analyses psychologiques, etc.
Le roman en Italie.
En Italie ,
le roman remonte au XIIIe siècle, époque
où l'on trouve des traductions en prose italienne de romans d'aventures.
En 1340, Boccace écrit le long roman de Filocolo
(d'après l'histoire de Flor et Blancheflor );
en 1341, l'histoire idyllique et allégorique de Ameto, puis Fiammetta.
Au XVe siècle, il suffit de citer il
Paradiso degli Alberti de Giovanni da Prato, roman qui reste inachevé,
et le roman pastoral de Sannazar,
Arcadia
(1489), qui trouvera beaucoup d'imitateurs. Les romans sont plus nombreux
au XVIe siècle : ce sont des romans érotiques,
dont quelques-uns très légers, tels que ceux de Pascoli (Cortigiano
disperato), de Caviceo (Peregrino), de Franco (Filena);
des romans moraux très lus, tels que ceux de Selva (Metamorfosi del
Virtuoso), le Brancaleone attribué à Besozzi, le Compassionevoli
avvenimenti di Erasto, d'un auteur anonyme,
etc. Au XVIIe siècle, le roman est le
genre littéraire à la mode : on copie d'Urfé et La Calprenède. Un des
meilleurs romans galants de cette époque est le Calloandro de Marini;
d'autres auteurs cherchent à réagir contre l'imitation française et
écrivent des romans de moeurs (Brusoni), moraux (Mancini, qui écrit le
célèbre Principe Altomiro), historiques, politiques (Pallavicini).
Les auteurs italiens du XVIIe et du XVIIe
siècle sont oubliés, et il faut arriver au commencement du XIXe
siècle, en 1802, pour trouver un bon roman italien (imité d'ailleurs
de Werther) : Ultime lettere di Jacopo Ortis de Ugo Foscolo.
Le roman historique, qui obtint tant de succès avec Walter
Scott, a inspiré Promessi Sposi de Manzoni
(1827), qui eut de nombreux adeptes (Grossi, d'Azeglio, Guerrazzi,
Nieve). Les romanciers italiens du XIXe,
siècle n'ont pas une originalité très marquée, et l'on pourrait presque,
chez chacun, retrouver l'influence de la littérature française dans les
romans à la mode, psychologiques ou sociaux de Ciampoli, d'Annunzio, Farina,
Fogazzaro, de Amicis, Rovetta, etc.
Le roman en Espagne
et au Portugal.
En Espagne
et au Portugal ,
les auteurs commencèrent vers le XIVesiècle
à puiser dans les romans français, dans les légendes
classiques et chrétiennes, le sujet. de leurs oeuvres, en grande partie
traduite ou adaptées. El conde Lucanor, de l'infant don Juan Manuel,
est un des premiers recueils de nouvelles présentant quelque originalité.
C'est au Portugal que l'on doit le célèbre roman de chevalerie, Amadis
(XIVe siècle), qui ne tarda pas à se
répandre en Espagne : ce n'est qu'à la fin du XVe
siècle (1490) que, sous une forme plus moderne et développée, il donna
naissance dans la péninsule aux romans de chevalerie dont la vogue dura
jusqu'au Don Quichotte
de Cervantes (1605), qui leur donna le coup
de grâce; il faut citer au Portugal Palmeirim
de lnglaterra (1545), le meilleur des romans de ce genre, et en Catalogne
Tirant lo Blanch (1460).
Quelques écrivains
se sont essayés, au XVe siècle, à composer
les romans de sentiments à côté des romans d'aventures ce sont : Rodriguez
del Padron, avec son allégorique Siervo libre de Amor (1450); Diego
de San Pedro, avec le Carcel de Amor; Aeneas Piccolomini, avec la
nouvelle Eurialo y Lucrecia. Au milieu du XVIe
siècle: les romans de bergeries avaient envahi l'Espagne et le Portugal.
et l'on trouve à citer une oeuvre mi-bergerie mi-roman de chevalerie,
d'une grande sensibilité, Menina e moça, du Portugais Bernardim
Ribeiro, après laquelle vinrent l'Arcadia de Sannazzaro et la Diana
de Jorge de Montemor (en portugais), qui donna naissance à une longue
suite de romans galants.
Après les romans
de chevalerie et les bergeries, l'Espagne produisit un genre original qui
lui est propre et que l'on a appelé la littérature et le style picaresques:
ces romans mettant en scène avec une vie, un humour et un réalisme très
particuliers, un monde de fripons et de mendiants; les oeuvres les plus
célèbres de cet ordre sont : Lazarillo de Tormes
de Mendoza (1553). Guzman de Alfarache
de Mateo Aleman (1599), Marcos de Obregon,
etc. L'art des nouvelles en Espagne est inspiré entièrement de la littérature
italienne; Ã la fin du XVIe et au XVIIe
siècle, on en trouve de très nombreux recueils, tels que les Novelas
Exemplares de Cervantes (1613). Au XVIIIe
et au XIXe siècle, les maîtres des romanciers
espagnols ont été les romanciers français et anglais.
Le roman en Angleterre.
En Angleterre ,
le roman date du XVe siècle et procède,
à ses débuts, des poèmes de chevalerie en vers : tels sont, en 1489,
les Histories of King Arthur de Malory. Après cette littérature
héroïque, on trouve, au XVIe siècle,
à la fois les romans de bergeries, tels que l'Arcadie de Sidney
et les romans d'aventures (Unfortunate traveller de Nash) : les
deux genres viennent d'Espagne ;
à la même époque, apparaît une production nationale, qui a trouvé
en Angleterre aux différentes époques ses représentants les plus originaux
: la peinture des voyages sur mer (Voyages de Hakluyt,
en 1582).
Au XVIIe
siècle, on trouve surtout des essayistes qui perfectionnent la littérature
anglaise d'après les modèles français. Au XVIIIe
siècle, les histoires de navigateurs reparaissent avec le Robinson
Crusoë
de Daniel Defoe (1719), qui inspira de nombreuses
peintures de la vie de mer; une autre lignée, celle des romans sentimentaux,
procède dans ce même siècle de la Pamela de Samuel
Richardson (1741); réagissant contre ce genre, Fielding importa le
roman humoristique d'après les Espagnols et les Français (Joseph Andrews,
1741, et Tom Jones ,
1749). Smollet reprit ce genre, en y mêlant la bizarrerie et le romantisme.
A la fin du XVIIIe
siècle, une nouvelle tendance se manifesta avec Castle of Otranto
(1765) de Walpole, roman de chevalerie avec des
effets de terreur. Maria Edgeworth s'attacha
à peindre les caractères nationaux, principalement ceux de l'Irlande .
Au début du XIXe siècle, Walter
Scott créa le roman historique : son premier livre, Waverley,
date de 1814. Un autre genre national est le roman de la vie bourgeoise
dont Goldsmith est le créateur avec son Vicar of Wakefield
(1766) et dont Charles Dickens a été le maître
: son premier roman est Oliver Twist (1838). Walter Scott et Dickens
ont eu d'innombrables continuateurs dont Bulwer-Lytton
et George Eliot sont les plus marquants. Le réalisme naturaliste de Zola
n'a pas fait école en Angleterre,
et les romanciers de cette époque s'attachent volontiers aux questions
politiques, religieuses et sociales. On peut citer Looking backward
de Bellamy, Robert Elesmere de Humpfrey Ward, Story of an African
farm d'Olive Schreiner, et les oeuvres de Rudyard
Kipling dont les idées impérialistes ont décuplé
la renommée, etc.
Le roman en Allemagne.
En Allemagne ,
le roman proprement dit ne date que de la fin du Moyen âge .
il consiste essentiellement en adaptations en prose de légendes
déjà chantées dans des poèmes épiques. Au XVIe
siècle, les trois principaux thèmes sont Eulenspiegel, Faust
et Die Schildbürger. Jorg Wickram est le premier dont les romans
marquent une véritable originalité. Mais, pendant de longues années
encore, la littérature allemande reste tributaire des romans étrangers,
soit des romans de chevalerie comme Amadis, soit des bergeries comme
Diana. Fichart a montré une véritable personnalité dans son adaptation
de Gargantua. Au XVIIesiècle, Ã
côté des romans fantastiques, on goûte
surtout les romans humoristiques et picaresques
: le plus original de cette époque est le Simplicissimus de Grimmelshausen,
qui a eu de nombreux imitateurs. A la fin du siècle, les romans héroïques
et galants foisonnent, tels sont ceux d'Anton Ulrich von Braunsrhweig,
l'Arminius de Lohenstein, l'Asiatische Banise de Ziegler,
etc. Les romans satiriques de Hunold et de Chr. Reuter datent aussi de
la fin du XVIIe siècle.
Au siècle suivant,
les imitations des romans anglais, spécialement de Robinson Crusoe,
sont très nombreuses (on peut citer, en particulier, Insel Felsenburg
de Schnabel); Hermes, Hippel, Thummel, Nicolai, etc., s'inspirent du sentimentalisme
de Richardson ou de l'humour de Fielding. Vient ensuite la grande période
de la littérature romanesque allemande avec les chefs-d'oeuvre de Wieland
(Agathon et Abderiten), de Goethe
(Werther, Wilhelm Meister, Wahlverwandtschaften) et les romans
de Klinger, Heinse, F.-H. Jacobi. Un des plus grands poètes de cette époque,
Jean Paul, a pris presque constamment la forme du roman. Le romantisme
allemand a produit Novalis et Tieck. La littérature contemporaine du roman
en Allemagne compte de nombreux représentants dans ses formes variées
sociales, imaginatives, philosophiques, historiques, bourgeoises; il suffira
de citer les noms de Gutzkow, Spielhagen Freytag, G. Keller, P. Heyse,
W. Alexis, Scheffel, Ebers, Auerbach, etc.
Le roman dans
les pays slaves.
La Russie
a, au XIXe siècle, pris une place importante
dans le roman, depuis Gogol; ses principaux auteurs,
qui sont connus dans le monde cultivé, sont des adeptes de l'école réaliste
et naturaliste : A. Herzen, I. Tourgueniev,
I. Gonçarov, F. Dostoievski et L.
Tolstoï, le plus grand de tous; ils ont pour disciples et continuateurs
A. Pissemski, D. Grigorowitsch, A. Drushinin, M. Sollogub, N. Chwoschtschinskaia,
etc. Le roman villageois est plus spécialement cultivé chez eux par F.
Reschetnikov, E. Markov, P. Melnikov, E. Salias; le roman historique est
plus spécialement l'oeuvre de N. Kostomarov, D. Mordowzev, A.
Tolstoï, G. Danilewski, etc.
La Pologne
a eu, au début du XIXe siècle, des romanciers
célèbres; les premiers romans sont des imitations des romans historiques
de Walter Scott : tels sont ceux de L-G. Niemcewicz,
F. Bernatowicz et F. Skarbek. Le romancier polonais le plus fécond et
le plus varié est L-l. Kraszewski et, après lui, M. Grabowski, M. Czaikowski,
H. Rzewuski, Ig. Chodzko, I. Korzeniowski, Z.Kackowski, Z. Milkowski. C'est
de nos jours que la littérature romanesque polonaise a produit les oeuvres
les plus appréciées en Europe, dues surtout à H. Sienkiewicz dont le
Quo vadis a fait le tour du monde, traduit dans toutes les langues,
et E.Orzeszkowa.
Enfin, parmi les
auteurs dans d'autres langues slaves,
les Tchèques ont eu depuis longtemps des romans historiques, tels que
ceux de J.-J. Marek, P. Chocholousek, J.-K. Tyl. Plus récemment, on trouve
encore des romans historiques (ceux de Janda-Eidlinsky, de V. Vlcek, I.-I.
Sankowsky), et des romans sociaux intéressants dus à K. Svetla, G. PflegerMorawsky,
Sv. Eech, Z. Podlipska, V. Vleek, A. Jirasek, etc.
Valeur
du genre romanesque (l'appréciation classique)
On a souvent discuté
sur la valeur morale
du roman, sa supériorité ou son infériorité par rapport à l'histoire,
etc. Sa raison d'être, sa nécessité même, seraient déjà suffisamment
prouvés par le goût universel : mais il est aisé de voir qu'il correspond
à une disposition naturelle de l'esprit humain; par cette indépendance
qui, selon Bacon, constitue au témoignage de la
force et de la dignité de notre être, nous aimons à nous soustraire
au cours ordinaire des choses, pour nous créer un ordre imaginaire d'événements
où nos facultés trouvent un plus libre exercice. C'est le penchant involontaire
de toute intelligence; si simple qu'elle soit elle aime à se transporter
par le rêve dans un monde idéal qui la fait échapper à la vie réelle.
Le roman tient de la nature un charme universel qui opère aussi bien sur
la gravité des vieillards que sur l'imagination de la jeunesse. Il doit
à la fois présenter au lecteur une expression fidèle de ses passions,
de ses vertus et de ses vices, et, sous l'apparence variable des moeurs,
les traits inaltérables de la nature humaine : la vérité et la fiction
sont les deux conditions premières du roman, comme de l'art; il doit offrir
à la fois à la raison la représentation de ce qui est, et transporter
l'imagination au delà des limites étroites
du réel.
Le roman chez les
peuples orientaux eut sans doute d'abord la forme de l'apologue
et de l'allégorie; se proposant connue
but une leçon morale, les Orientaux cherchent pourtant dans l'agrément
de la fiction le principal intérêt de leurs récits. Les Grecs
n'ont connu le roman qu'à l'époque de leur décadence : des ouvrages
destinés à distraire les heures de loisir' ne pouvaient trouver place
dans cette littérature vivante que la parole répandait dans les temples,
sur les théâtres, dans les jeux, dans les festins, à la tribune publique
et dans les écoles de philosophes et des rhéteurs. La vie, privée était
soustraite au roman qui ne pouvait s'occuper que de ces désordres que
la morale facile des Grecs tolérait, des aventures d'esclaves et de courtisanes,
répétition indéfinie de peintures sans grand intérêt. La naïveté
un peu factice de Longus, la froide élégance d'Héliodore qui charma
pourtant la jeunesse de Racine, ont à peine relevé
le caractère de ces ouvrages licencieux, par lesquels la Grèce esclave
amusait la vieillesse dissolue de l'empire romain. La littérature du Moyen
âge
fit sortir des moeurs chevaleresques une littérature plus originale et
naturelle : ses paladins, ses dames, ses enchanteurs même avaient eu plus
d'un modèle et ne manquaient pas entièrement de réalité. Malheureusement,
les romans de chevalerie ne passèrent pas en même temps que les moeurs
chevaleresques : ils se multiplièrent après eux, n'en gardant plus que
le ridicule outré et flétri. C'est alors que Cervantes
mit gaiement aux prises avec le bon sens et la facile raison les extravagances
banales de la chevalerie errante, dans ses deux figures si passionnantes
de Sancho Pança et Don Quichotte .
La défaite du mauvais
goût ne fut pas immédiate ni complète; le chevalier se réfugia dans
la bergerie; la fadeur de la pastorale remplaça les folies de la chevalerie
errante et créa une lignée de héros langoureux et fondateurs : les Artamène
succédèrent aux Amadis. Il fallut l'effort de trois grands talents
pour ramener le roman à la réalité. Mme de La
Fayette et Scarron
empruntèrent à un modèle commun, la vérité, ces traits, d'une délicatesse
exquise chez l'une, d'une vérité grossière chez l'autre, qui distinguent
la Princesse de Clèves et
le Roman comique. Le Sage peignit un sujet
plus vaste et d'un intérêt plus général : il créa le roman de moeurs,
dont ses ouvrages offrent le plus parfait modèle. On vit alors partout
le roman se renouveler aux sources de la vérité et de la nature, accueillant
à la fois les méditations du philosophe et les conceptions du poète,
tantôt retraçant les progrès naturels des passions dans une série de
scènes fidèlement imitées du cours naturel de la vie, ou faisant naître
une intrigue du développement et de l'opposition des caractères, tantôt
ranimant la froide poussière du passé à l'aide de personnages et d'événements
supposés.
On ne saurait suivre
le roman dans toutes les directions qu'il a prises à partir du XIXe
siècle, car il s'est multiplié et répandu dans le monde entier. Quant
au point de savoir si le roman doit avoir ou non une portée morale, présenter
un enseignement et proposer des exemples, les avis peuvent différer :
mais il faut remarquer que les romanciers les plus illustres se sont efforcés
de composer des oeuvres d'art, sans se préoccuper de moraliser. (A.
Gazier et Ph. B.).
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En
librairie - Roland Barthes, La
préparation du roman I et II (texte établi par Nathalie Léger),
Le Seuil, 2003; Philippe Forest, Le roman, le réel (un roman est-il
encore possible?), Plein Feux, 1999; du même, Le roman, le je,
Pleins feux, 2001; Béatrice Bonhomme, Le roman au XXe siècle à travers
dix auteurs (de Proust au Nouveau roman), Ellipses, 1998; Fausta Garavini,
La maison des jeux (science du roman et roman de la science au XVIIe
siècle), Honoré Champion, 1998; Georges Molinie, Du roman grec
au roman baroque, un art majeur du genre narratif en France sous Louis
XIII, Presses universitaires du Mirail, 1995; Marthe Robert, Roman
des Origines et origines du roman, Grasset et Fasquelle, 1988.
Aimé
Petit, L'anachronisme dans les romans antiques du XIIe siècle (Le
roman de Thèbes, le roman d'Enéas, le roman de Troie ,
le roman d'Alexandre ),
Honoré Champion, 2002; Daniel-Henri Pageaux et Jean Bessiere, Formes
et imaginaire du roman, perspectives sur le roman antique médiéval,
Honoré Champion, 1998; Yasmina Foehr-Janssens, Le Temps des fables
(Le roman des Sept sages
ou l'autre voie du roman), Honoré Champion, 1994; Francine Mora-Lebrun,
L'Enéide médiévale et la Chanson de geste, Honoré Champion,
1994; de la même, L'Enéide médiévale et la naissance du roman,
PUF, 1992.
Virginie
Douglas, Perspectives contemporaines du roman pour la jeunesse,
L'Harmattan, 2004; Raymond Perrot, Mots et clichés du roman policier,
In Octavo, 2003; Dumais, Frontière du roman (le roman réaliste
et ses personnages), Presses universitaires de Vincennes, 2002; J. Wiswanathan,
Spectacles de l'esprit du roman dramatique au roman théâtre, Presses
de l'Université de Laval, 2002; Alice M. Killen, Le roman terrifiant
ou roman noir, de Walpole à Anne Radcliffe (et son influence sur la
littérature française jusqu'en 1840), Slatkine, 2000; Ellen Constans
et Erich Lessing, Parlez-moi d'amour (le roman sentimental - des
romans grecs aux collections de l'an 2000), Presses universitaires de Grenoble,
1999; A. et O. Virmaux, Du film à l'écrit (du roman cinéma, au roman
cinéoptique), Institut Jean Vigo, 1998; P.C. Ilboudo, Nouveau roman
et roman africain d'expression française, Presses universitaires du
Septentrion, 1996; Jacques van Herp, Panorama de la science-fiction
(les thèmes, les genres, les écoles, les auteurs), Ananké / Le francq,
rééd. 1999.
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