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Aperçu | Divisions de la philosophie | La nature du réel | Le problème de la connaissance | L'action et les fins | La valeur de la philosophie |
V. Delbos ca.1900 |
Il
serait mal aisé de marquer la place que peut actuellement occuper la philosophie
(du grec philos, ami, sophia, sagesse) dans l'ensemble des
connaissances
humaines, si l'on partait de cette idée que chaque
genre de connaissances trouve son objet nettement déterminé par la réalité
elle-même et est capable d'en épuiser la notion : dans ce cas, les sciences
proprement dites pourraient se partager, Ã l'exclusion de la philosophie,
tous les objets positivement donnés ou même positivement concevables.
Mais sans sortir du domaine des sciences, il est visible que le même objet
peut donner lieu à des modes d'explication différents.
C'est ainsi que l'espace peut être compris comme
lieu des figures géométriques, comme idée présente à l'esprit,
comme condition de la faculté de percevoir,
et à ces divers titres relever de disciplines intellectuelles diverses.
C'est ainsi encore que les mêmes produits de la culture peuvent, dans
certains cas, être étudiés à la fois par l'histoire,
la philologie, l'ethnologie, etc. Ce qui définit donc une science, ce
n'est pas seulement l'objet qu'elle considère, mais le point de vue auquel
elle le considère; ou bien, si l'on tient à exprimer par l'objet d'une
science la matière spéciale à laquelle
elle applique ses procédés d'investigation, il faut dire que l'objet
d'une science n'est jamais tel quel dans les choses, qu'il est un point
de vue sur les choses.
Dans ces conditions, du fait que les sciences constituées ou à l'état de formation paraissent être coextensives au monde réel, il ne suit pas que la philosophie soit impossible comme connaissance. Elle le serait ou du moins elle tendrait à le devenir, si elle n'était que la partie du savoir humain restée jusqu'à présent sans organisation positive : elle ne serait qu'un résidu qui irait s'atténuant sans cesse pour se perdre finalement dans le système des sciences organisées. Mais en étendant de plus en plus leur action, les sciences n'ont pas répondu à tous les problèmes que l'on peut se poser sur la réalité qu'elles comprennent d'abord parce qu'elles comprennent cette réalité selon certaines notions fondamentales dont elles sont, chacune prise à part, le développement; il reste à montrer le rapport de ces notions, de façon à expliquer comment, malgré leur diversité, elles ont affaire à un même monde; ensuite parce qu'elles usent de certains procédés d'investigation dont la valeur est pour elles surtout justifiée par leur succès; il reste à rechercher comment ces procédés sont réguliers et dépendent de conditions supérieures à l'empirisme des résultats acquis; en outre, parce qu'elles supposent certains principes généraux qui définissent le genre de liaison qu'elles établissent entre l'esprit et leurs objets; il reste à se demander ce que signifient ces principes, d'où ils viennent, et jusqu'à quel point ils établissent la connexion de l'intelligence et des choses; enfin parce qu'elles n'instituent qu'une vérité en quelque sorte abstraite obtenue par une réduction du réel à leurs points de vue et de l'esprit humain à la seule faculté de connaître; il reste à poursuivre la conception de l'univers qui réintégrerait, dans une science ou utile représentation parfaite, la totalité du réel. Ainsi, unité relative des sciences, nature de leurs méthodes, validité de leurs principes, rapport de leurs objets à l'objet de la science idéale qui comprendrait le tout autant de questions qui se posent sur les sciences, qui souvent sont implicitement posées par les sciences elles-mêmes, et dont non seulement la solution, si elle est possible, mais la légitimité ou l'illégitimité ne sauraient être établies par elles. La vieille formule d'Aristote reste vraie, qu'il faut philosopher, même pour démontrer l'impuissance ou l'inanité de la philosophie. Les
principales conceptions de la philosophie.
Suivant une tradition
rapportée par plusieurs écrivains de l'Antiquité, notamment par Cicéron
(Tusc. , V, 3), par Quintilien (Inst.
Orat., XII, 1, 19), par Diogène Laërce
(I, 12; VIII, 8), c'est Pythagore qui le premier
aurait employé, au lieu du mot sagesse, le mot
philosophie. L'origine de la tradition remonte à un disciple de Platon,
Héraclide
de Pont, qui expliquait l'intention de Pythagore en disant que Dieu
seul est sage, qu'il appartient à l'humain d'aimer la sagesse et de la
poursuivre, non de prétendre la posséder. Il est probable qu'Héraclide,
par une fiction qui a été prise plus tard pour une vérité historique,
a attribué à Pythagore une pensée socratique et platonicienne (
Platon, L'Apologie de Socrate
(Texte en ligne),
23 A; Phèdre, 278 D; le Banquet,
203 E). Quoi qu'il en soit, c'est chez Hérodote
que nous trouvons pour la première fois les composés philosophein
et philosophia. Hérodote fait dire par Crésus
à Solon (I, 30) qu'il
a appris ôs philosopheôn gèn pollèn theôriès eineken epelèlythas;
il désigne ailleurs (I, 50) par philosophia la connaissance des
astres. Chez Thucydide (II, 40), Périclès,
dans son oraison funèbre, dit : philokaloumen gar met euteleias kai
philosophoumen aneu malakias. Le mot philosophie désigne donc
d'abord, et continue à désigner longtemps, dans le sens le plus général,
toute culture de l'esprit ou tout produit de l'activité
intellectuelle. Isocrate
encore appelle son oeuvre (Panég:, ch. I) tèn peri tous logous
philosophian. L'usage technique du mot philosophie est loin d'être
contemporain des premières recherches qu'aujourd'hui nous qualifions de
philosophiques; c'est sous le nom de sophoi ou sophistai,
physikai
ou physiologoi que sont ordinairement désignés les philosophes
de la période antésocratique.
Allégorie de la philosophie, par Bernard Picart. Le mot philosophie n'a commencé à recevoir une acception précise que dans les doctrines dont Socrate fut le promoteur immédiat. Encore dans les Mémorables trouve-t-on fréquemment le terme sophia considéré comme synonyme d'epistèmè, rarement le terme philosophia. Le passage du Banquet de Xénophon (I, 5) où, par opposition à Callias, disciple des Sophistes, Socrate se donne pour autourgos tès philosophias laisse au mot philosophia son sens général. On peut dire que c'est Platon qui, le premier, en a déterminé le sens restreint. « Sont philosophes, dit-il ceux qui sont capables d'entrer en contact avec se qui se comporte toujours identiquement selon ses relations constitutives. » (Rep., VI, 484 B, trad. Léon Robin).Ce qui est toujours de la même manière, c'est ce qui existe véritablement, par opposition à ce qui change et à ce qui, par conséquent, n'a de l'être que l'apparence (Rép., 477 A). La philosophie n'est pas une science particulière, c'est la science totale : « Ne dirons nous pas aussi du philosophe qu'il a envie de sagesse, non d'une sagesse et pas d'une autre, mais de la totalité de ce qu'elle est? » (Rép., V, 475 B).Tel est le sens que Platon donne ordinairement au mot philosophia; il lui arrive cependant de l'employer encore dans sa signification indéterminée (Prot. 335 D; Gorgias, 484 C), ou même de lui faire exprimer l'idée d'une science particulière, comme lorsqu'il écrit : « Il y a des esprits qui s'intéressent à la géométrie ou à quelque autre philosophie » (Théétète, 143 D). Chez Aristote, le mot philosophie désigne souvent la connaissance en général ou des modes spéciaux de la connaissance ; c'est ainsi qu'il est appliqué aux trois sciences théorétiques : la mathématique, la physique, la théologie [c'est-à -dire en l'occurence plutôt la métaphysique] (Mét., E, 1, 1026a, 18) ; mais il désigne de préférence ce qu'Aristote appelle plus précisément philosophie première, c.-à -d. la science de l'être, non pas dans une de ses déterminations particulières, mais de l'être en tant qu'être (Mét., K, 1060b, 31). En ce sens, la philosophie, comme science de ce qui est premier, se distingue nettement des sciences particulières (Mét., F,103a, 22). La détermination de la philosophie devient chez les philosophes grecs postérieurs beaucoup plus vague, et le sens s'en étend au delà des disciplines spéculatives dont Platon et Aristote avaient marqué l'objet et le caractère. Epicure voit dans la philosophie une énergie qui procure par des discours et des raisonnements la vie bienheureuse (Sext. Empir., Adv. Math., XI, 169). Les Stoïciens disent que la sagesse est la science des choses divines et humaines, que la philosophie est la pratique de la vertu. (Plutarque, De plac. phil., I, proem.). « Philosophiam studium summae virtutis, summam virtutem sapientiam, sapientiam rerum divinarum humanarumque scientiam esse dicebant. » (Senèque., Ep., 89).Les Stoïciens ne se bornent pas à faire entrer dans la notion de philosophie toute connaissance, quelle qu'elle soit, comme la grammaire, ou même des arts, tels que la musique; comme ils cherchent à interpréter rationnellement les représentations mythiques et les croyances religieuses, ils voient en elles une part de la philosophie; d'un autre côté, comme ils font de la vertu la fin de la vie humaine, ils considèrent que l'exercice de la vertu en fonde l'explication. « Philosophiae studium virtutis, sed per ipsam virtulem. » (Sénèque., Epist., 7).De là une diffusion de la philosophie en deux sens différents de plus en plus éloignés de ce centre d'études théoriques et systématiques qu'avaient fixé la doctrine des Idées et la philosophie première. Sous l'influence d'un goût croissant pour les reconstitutions érudites, et de cette tendance au syncrétisme qui caractérise les dernières tentatives de la pensée grecque, Ia philosophie en vient peu à peu à désigner, chez les néoplatoniciens en particulier, en dehors des conceptions proprement spéculatives, toute révélation poétique ou prophétique des anciens temps, toute superstition théurgique. Enfin le Christianisme adopte ces mots de philosophia, philosophein pour désigner, non seulement sa doctrine, mais encore les diverses formes de la vie ascétique. De telle sorte que le mot de philosophie, non seulement retourna au sens vague qu'il avait avant les efforts méthodiques de la pensée théorique, mais encore s'étend à des genres d'activité intellectuelle et pratique inconnus dans l'ancienne Grèce. En restaurant la philosophie ancienne pour l'accommoder aux exigences de la foi, le Moyen âge en accepte la notion constitutive, limitée seulement par la reconnaissance d'un accord nécessaire entre elle et les vérités révélées; la philosophie apparaît comme l'encyclopédie des connaissances obtenues avec les seules ressources de la raison humaine. Cette tradition de l'Antiquité qui avait imposé, soit à l'ensemble des sciences, soit à la science des principes les plus généraux et des causes les plus fondamentales, le nom de philosophie persiste dans les Temps modernes, alors même que la nature et les procédés de la connaissance scientifique sont profondément modifiés. A propos de l'usage qu'il fait du terme métaphysique et d'autres termes analogues, Bacon explique qu'il convient de conserver le vocabulaire des Anciens, tout en le dotant de significations nouvelles; c'est ainsi. remarque-t-il, qu'en politique les façons raisonnables d'innover respectent les noms consacrés des magistratures qu'elles transforment : eadem magistratuum vocabula (De dign. et augm. scient., 1. III, ch. IV). Il est certain que, volontaire ou non, la fidélité au mot philosophie recouvre de profonds changements de régime intellectuel. Pendant une longue période de la pensée moderne, la philosophie n'est pas formellement distinguée de la science; comme l'avaient admis Platon et Aristote, la philosophie, ou bien, dans son sens large, sa confond avec la science même, ou bien, dans son sens étroit, représente la science ramenée à l'intelligencede ses conceptions les plus générales et de ses principes suprêmes; mais une même identité apparente, ou un même rapport apparent de la philosophie avec la science n'a plus la même signification, par le fait que la science a renouvelé presque du tout au tout ses méthodes et orienté autrement ses recherches. Il arrive même que le mot philosophie désigne justement, par l'exclusion de ce que les Grecs de l'époque classique avaient compris sous ce nom, ce qu'il y a de plus neuf dans l'esprit, les méthodes et les résultats de la science moderne. Ainsi Bacon emploie constamment le mot philosophie pour désigner la science telle qu'il la comprend, telle qu'il l'oppose à la science illusoire d'Aristote; s'il réclame la constitution d'une «.philosophie première », c'est à la condition qu'elle ne soit plus un amalgame d'idées empruntées à la théologie naturelle, à la logique et à quelques parties de la physique, qu'elle soit l'étude des relations qu'il y a entre les sciences particulières et des moyens communs qu'elles emploient pour atteindre leurs objets (De dign. et augm. scientiarum, I. I, ch. III. Aug. Comte, Cours de philosophie positive, 2e leçon). Avec Hobbes, la conception de la philosophie est, dans les formules qui servent à la définir, plus directement animée de l'esprit qui oppose la science moderne à la science de l'Antiquité et du Moyen âge. La philosophie, selon Hobbes, est « la connaissance que la droite raisonobtient des effets des phénomènes par la conception que nous nous faisons de leurs causes ou générations, et, réciproquement, des générations qui peuvent se produire par la connaissance que nous avons des effets. »Or, cette définition se détermine par l'idée que tout objet pour Hobbes est corporel, qu'une substance incorporelle est une pure chimère (De corpore, ch. I). Si Hobbes, comme Bacon, assigne à la philosophie des fins pratiques, il considère parmi ces fins beaucoup plus les applications politiques que la domination sur la nature. Enfin s'il reprend l'idée d'une philosophie première, c'est pour lui assigner la tâche de définir les concepts fondamentaux, tels que l'espace et le temps, la chose et la qualité, la cause et l'effet. Même chez les philosophes modernes qui prétendent résoudre les problèmes de la métaphysique traditionnelle, le mot de philosophie s'applique à toute la connaissance scientifique, et, même s'il n'est pas plus expressément déterminé, la désigne souvent de préférence. Si les Méditations de Descartes, consacrées à démontrer, suivant l'indication du titre, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, portent avant tout sur des questions de « philosophie première», ses Principes de la philosophie comprennent, outre les questions abordées dans les Méditations, l'étude des lois générales de la matière, et de la vie. « Toute la philosophie, dit-il, est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale » (Principes de let philosophie, Préface).Malebranche et Spinoza comprennent également sous le nom de philosophie aussi bien la philosophie naturelle que la métaphysique religieuse et l'éthique. « Les fondateurs de la philosophie moderne, dit à son tour Leibniz, sont Bacon, Galilée, Kepler, Gassendi et Descartes. Le chancelier Bacon fait de belles réflexions sur toute sorte de doctrines et s'attache principalement à faciliter les expériences. Galilée a commencé la science du mouvement et a embelli l'astronomie, particulièrement dans l'hypothèse de Copernic. Et on lui peut joindre Kepler dont les suivants ont fort profité.Gassendi a ressuscité les sentiments de Démocrite et d'Epicure, que Descartes a corrigés en y joignant quelques opinions d'Aristote (touchant le plein et le continu) et la morale des stoïciens » (Ed. Gerhardt, IV, p. 343).La philosophie représenta donc avant tout une conception générale du monde qui peut s'achever dans une métaphysique, mais dont la science proprement dite constitue l'objet accepté de tous. Voilà pourquoi Newton intitulait encore son oeuvre : Naturalis philosophiae; principia mathematica. -
Cependant le sens de la philosophie se détourne, chez certains, de la considération de l'universalité des choses pour se fixer particulièrement sur ce qui est l'origine et le lieu de toute science, à savoir la nature humaine. Déjà Locke demandait que la philosophie naturelle comprit, à côté de la science des propriétés et des opérations des corps, une science des propriétés et des opérations de l'esprit (Essai sur l'Entendement humain, 1. IV, ch. XXI). Hume définit plus nettement le rôle prépondérant que doit avoir cette science de l'humain dans la constitution de la philosophie. « Il est évident, dit-il, que toutes les sciences ont une relation plus ou moins grande à la nature humaine, et bien que quelques-uns s'en éloignent singulièrement, encore y reviennent-elles par un passage ou par un autre. Même les mathématiques, la philosophie naturelle et la religion naturelle dépendent, en une certaine mesure, de la science de l'humain, puisqu'elles tombent sous la connaissance humaine et que ce sont des facultés humaines qui en jugent. De même que la science de l'humain est le seul fondement solide pour les autres sciences, ainsi le seul fondement solide que nous puissions donner à cette science elle-même doit être cherché dans l'expérience et l'observation » (Traité de la nature humaine. Introduction. Cf. Essais philosophiques, 1er Essai).Cette orientation nouvelle de la recherche philosophique correspond donc très nettement à la pensée que l'expérience peut être une source de connaissance et que les faits donnés peuvent être étudiés hors de conceptions proprement rationnelles. Et le dualisme des vérités de fait et des vérités nécessaires, de plus en plus résistant aux efforts pour le résoudre, contribue à préparer la rupture de cette unité qui existait entre la science et la philosophie. C'est ainsi que Wolff oppose la connaissance historique, c.-à -d.. la pure connaissance du fait (nuda facti notitia) à la connaissance philosophique dont l'objet est la raison du fait. Il définit la connaissance philosophique : cognitio rationis eorum quae sunt vel fiunt, unde intelligatur, cur sint aut fiant; ou encore : philosophia est scientia possibilium, quatenus esse possunt (Phil. rationalis, disc. praelim., §§ 6, 29). La philosophie, entendue
de la sorte, se rapproche de la philosophie telle que l'avaient comprise
Platon
et Aristote, en ce qu'elle poursuit l'explication
des choses dans la raison, qui en fonde la possibilité
et la réalité, en ce qu'elle est une science
de purs-concepts.
Mais par là elle ne se distingue pas très nettement de certaines sciences
rationnelles comme les mathématiques et précisément la définition
que Kant donne de la philosophie a pour objet d'établir
rigoureusement cette distinction. Si en effet, selon Kant, on peut d'abord
diviser la connaissance d'après sa forme en connaissance historique (cognitio
ex datis) et en connaissance rationnelle (cognitio ex principiis),
il y a lieu de remarquer que la connaissance rationnelle est philosophique
ou mathématique, selon qu'elle procède par concepts, ou seulement par
construction de concepts à l'aide d'une intuition-a
priori. La philosophie se divise à son tour en philosophie transcendantale
et en métaphysique; la philosophie
transcendantale est la science qui détermine la possibilité,
les conditions et les limites de la connaissance
par raison pure; elle sert de propédeutique Ã
la métaphysique. La métaphysique est la
science qui traite des objets d'après des principes
a priori; elle comprend la métaphysique de la nature
et la métaphysique des moeurs (Critique de la raison pure : Méthodologie,
ch. I et III. Préface de la Fondation de la métaphysique des moeurs
et des Principes métaphysiques de la science de la nature. Introduction
de la Critique du jugement).
Un philosophe, par Fragonard. Bien qu'elle eût en vue, par la déduction des concepts a priori, surtout la justification de la science, la doctrine kantienne, par sa distinction de la connaissance pure et de la connaissance empirique, a contribué à opérer la distinction de la science proprement dite et de la philosophie. L'idéalisme allemand prend en effet pour point de départ, en la portant à l'absolu, la conception de Kant suivant laquelle les formes de la pensée constituent les lois de la nature ; il a l'ambition de déduire de l'esprit, grave à une intuition intellectuelle fondamentale, et par l'organisation d'une nouvelle dialectique des concepts, la réalité de la nature et de l'histoire. Fichte définit la philosophie la doctrine de la science. Or, suivant ses propres termes, la doctrine de la science n'a rien à faire avec l'expérience ; elle serait vraie quand même il n'y aurait pas d'expérience, et elle est certaine a priori que toute expérience doit se conformer aux lois qu'elle établit (Grundriss des Eigentümlichen der Wissenschaftslehre, § 1). Schelling, dans un de ses premiers écrits (Ueber die Möglichkeit einer Form der Philosophie überhaupt) soutient que la philosophie, condition de toutes les sciences, n'est conditionnée par aucune; elle doit découvrir avant tout la vérité première dont le développement détermine à la fois la forme et le contenu du réel. Pour Hegel, qui rappelle non sans ironie les usages extérieurs ou empiriques du mot philosophie, la philosophie est la science de l'absolu (Encyclopädie, Introduction, § 7), la science de l'absolu, ajoute-t-il, est nécessairement un système, parce que le vrai, en tant que vrai concret, n'est tel qu'en se développant lui-même et en gardant dans ce développement son unité (ibid, § 14). Si chaque partie de la philosophie peut être considérée comme un tout fermé, elle n'en est pas moins une détermination momentanée de l'idée philosophique. Hegel distingue trois parties générales de la philosophie : la logique, la philosophie de la nature et la philosophie de l'esprit. La réaction contre l'intempérance spéculative de l'idéalisme allemand se manifeste par des conceptions de la philosophie qui font plus de place à l'expérience et à la science positive. Pour Schopenhauer, la philosophie n'a pas pour objet d'expliquer jusque dans ses derniers fondements l'existence du monde ; « elle s'arrête aux faits de l'expérience externe et interne, tels qu'ils sont accessibles à chacun, et en montre l'enchaînement profond et véritable, sans jamais les dépasser, sans jamais étudier les choses extérieures au monde et les rapports qu'elles peuvent avoir avec lui. Elle se contente de saisir le monde dans sa connexion intime avec lui-même » (Die Welt als Wille und Vorstellung, cap. 50, Epiphilosophie).Pour Herbart, la philosophie est « l'élaboration des concepts » (Lehrbuch zur Einleitung in die Philosophie, § 1) définition qui évoquerait sans doute l'idée d'un travail scolastique de la pensée, si Herbart n'ajoutait expressément que les concepts éclaircis et complétés par la philosophie sont empruntés à l'expérience, que la philosophie, loin d'être hors des sciences, naît en elles et avec elles, en est une partie inséparable et constitutive. (Ueber philosophisches Studium : Herbart's Kleinere Schriften, I, pp. 101-106). Selon Lotze, la philosophie est intimement liée à la science, en ce sens qu'elle a son point de départ dans les phénomènes donnés; mais tandis que les phénomènes donnés sont ramenés par la science à des lois spéciales, la philosophie ou, pour mieux dire, la métaphysique s'applique à découvrir par delà l'expérience la cause interne qui explique la possibilité des phénomènes et la nécessité de leur enchaînement (System der Philosophie, II, Metaphysik, lntrod.). La connexion de la philosophie et de la science est encore très nettement affirmée dans la définition que Wundt donne de la philosophie : l'ensemble de nos connaissances particulières ramené à une conception du monde et de la vie qui satisfasse aux exigences de l'entendement et aux besoins de l'âme; ou encore: la science générale, dont l'objet est de ramener à un système exempt de contradiction les connaissances générales procurées par les sciences particulières (System der Philosophie, 2e édit. Introd., pp. 1, 17). Mais, si près qu'elles veuillent se tenir de la science, ces différentes définitions de la philosophie n'en font pas moins appel à des concepts de l'esprit pour parfaire l'oeuvre scientifique. C'est au contraire la prétention du positivisme que de constituer une philosophie en quelque sorte sans concepts, sans survivance de la tradition théologique ou métaphysique. « J'emploie le mot philosophie, dit Auguste Comte, dans l'acception que lui donnaient les anciens, et particulièrement Aristote, comme désignant le système général des conceptions humaines ; et en ajoutant le mot positive, j'annonce que je considère cette manière spéciale de philosopher qui consiste à envisager les théories, dans quelque ordre d'idées que ce soit, comme ayant pour objet la coordination des faits observés, ce qui constitue le troisième et dernier état de la philosophie générale, primitivement théologique et ensuite métaphysique. Par philosophie positive, comparée à sciences positives, j'entends l'étude des généralités des différentes sciences, conçues comme soumises à une méthode unique, et comme formant les différentes parties d'un plan général de recherches » (Cours de philosophie positive. Avertissement de l'auteur).La philosophie a pour objet de réagir contre la spécialisation des recherches par la création d'une grande spécialité, qui est l'étude des généralités scientifiques ; elle a pour objet plus particulier de terminer le système des sciences en fondant la sociologie (Cours de philosophie positive, 1re leçon). Selon Spencer, la connaissance est relative, et si la relativité de la connaissance nous oblige à affirmer l'absolu, cet absolu reste inconnaissable. La philosophie a le même objet que la science: leur différence consiste dans le degré de coordination qu'elles établissent entre les connaissances. « La connaissance de l'espèce la plus humble, dit Spencer, est le savoir non unifié; la science, le savoir partiellement unifié; la philosophie, le savoir complètement unifié » (Les Premiers Principes, 2e partie, ch. I).
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