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Mignet

François-Auguste-Marie Mignet est un historien français, né à Aix-en-Provence le 8 mai 1796, mort à Paris le 24 mars 1884. Il fit son droit à Aix avec Thiers, et tous deux se lièrent d'une amitié qui dura jusqu'à la mort. Venu à Paris, Mignet se signala comme journaliste libéral, surtout par sa collaboration au National. Après la révolution de 1830, il quitta la vie politique; garde des archives au ministère des affaires étrangères jusqu'eu 1848, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales depuis 1837, il se voua tout entier à l'histoire.

Son premier grand ouvrage avait été l'Histoire de la Révolution française (1824). Ensuite il étudia le XVIIe et surtout le XVIe siècle. Ses principaux livres sont : Négociations relatives à la succession d'Espagne (1835-1842); Antonio Perez et Philippe II (1845); Marie Stuart (1851); Charles-Quint, son abdication (1854); Rivalité de François ler et de Charles-Quint (1875). Quelques mémoires importants ont été réunis dans les Mémoires historiques (1854) ; et ses notices de l'Académie, dans les Portraits et notices (1853), Eloges et Nouveaux éloges historiques (1863 et 1877). 

Ces livres, qui reposent sur des études sérieuses, sont remarquables surtout par le talent de la composition, et l'élégante sobriété du style. (G. W.).
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Charles-Quint

« Charles-Quint a été le souverain le plus puissant et le plus grand du seizième siècle. Issu des quatre maisons d'Aragon, de Castille, d'Autriche, de Bourgogne, il en a représenté les qualités variées et, à plusieurs égards, contraires, comme il en a possédé les divers et vastes États. L'esprit toujours politique et souvent astucieux de son grand-père, Ferdinand le Catholique; la noble élévation de son aïeule, Isabelle de Castille, à laquelle s'était mêlée la mélancolique tristesse de Jeanne la Folle, sa mère; la valeur chevaleresque et entreprenante de son bisaïeul, Charles le Téméraire, auquel il ressemblait de visage; l'ambition industrieuse, le goût des beaux-arts, le talent pour les sciences mécaniques de son aïeul l'empereur Maximilien, lui avaient été transmis avec l'héritage de leur domination et de leurs desseins.

L'homme n'avait pas fléchi sous la charge du souverain. Les grandeurs et les félicités que le hasard de nombreuses successions et la prévoyance de plusieurs princes avaient accumulées sur lui, il les porta à leur comble. Pendant longtemps ses qualités si différentes et si fortes lui permirent de suffire, non sans succès, à la diversité de ses rôles et à la multiplicité de ses entreprises. Toutefois la tâche était trop immense pour un seul homme.

Aidé de grands capitaines et d'hommes d'État habiles, qu'il sut choisir avec art, employer avec discernement, il dirigea d'une manière supérieure et persévérante une politique toujours compliquée, des guerres sans cesse renaissantes. On le vit à plusieurs reprises se transporter dans tous les pays, faire face à tous ses adversaires, conclure lui-même toutes ses affaires, conduire en personne la plupart de ses expéditions. Il n'évitait aucune des obligations que lui imposaient sa grandeur et sa croyance. Mais, sans cesse détourné de la poursuite d'un dessein par la nécessité d'en reprendre un autre, il ne put pas toujours commencer assez vite pour réussir ni persister assez longtemps pour achever.

Il parvint toutefois à réaliser quelques-unes de ses entre
prises. Ayant à s'étendre en Italie, à garder une partie de ce beau pays disputé, et à constituer l'autre dans ses intérêts, il y réussit, malgré François Il, et Henri II, au prix de trente-quatre ans d'efforts, de cinq longues guerres, dans lesquelles, presque toujours victorieux, il fit un roi de France et un pape prisonniers. Il parvint aussi non seulement à préserver les Pays-Bas, mais à les accroître : au nord, du duché de Gueldre, de l'évêché d'Utrecht, du comté de Zutphen, au sud, de l'archevêché de Cologne; il les dégagea en même temps de la suzeraineté de la France sur la Flandre et sur l'Artois. Mais comment empêcher la Hongrie d'être envahie par les Turcs, les côtes de l'Espagne, les îles de la Méditerranée, le littoral de l'Italie d'être ravagés par les Barbaresques? Il le tenta cependant. Lui-même repoussa le formidable Soliman Il de Vienne en 1552; enleva la Goulette et Tunis à l'intrépide dévastateur Barberousse en 1535, voulut en 1544 se rendre maître d'Alger, d'où le repoussa la tempête. Il aurait complété sur terre et sur mer cette défense des pays chrétiens, et aurait devancé dans le protectorat de la Méditerranée son fils immortel, l'héroïque vainqueur de Lépante, s'il n'avait pas été constamment réduit à se tourner vers d'autres desseins par d'autres dangers. Quant au projet de ramener l'Allemagne à la vieille croyance catholique, il dut être impuissant parce qu'il fut tardif. Charles-Quint, obligé de souffrir le protestantisme lorsqu'il était encore faible, l'attaqua lorsqu'il était devenu trop fort pour être, je ne dirai pas détruit, mais contenu. Durant trente années, l'arbre de la nouvelle croyance avait poussé de profondes racines sous le sol de toute l'Allemagne, qu'il couvrait alors de ses impénétrables rameaux. Comment l'abattre et le déraciner? Le catholique espagnol, le dominateur italien, le chef couronné du Saint-Empire romain, auquel l'ardeur religieuse de sa foi comme l'entraînement politique de son rôle interdisaient d'admettre le protestantisme, qu'il n'avait jamais que temporairement toléré, crut en 1546 pouvoir le dompter par les armes et le convertir par le concile. Après avoir affermi ses établissements en Italie, renouvelé ses victoires en France, étendu ses conquêtes en Afrique, il marcha en Allemagne. Dans deux campagnes il triompha des troupes protestantes; mais après avoir désarmé les bras, il ne put soumettre les consciences. Son triomphe religieux et militaire sur l'Allemagne protestante et libre, qui n'entendait être ni convertie ni opprimée, fut le signal d'un irrésistible soulèvement de l'Elbe au Danube, et ranima toutes les vieilles inimitiés contre Charles-Quint dans le reste de l'Europe, où tout ce qui paraissait décidé en sa faveur se trouva remis en question. Il fit encore face à la fortune; mais il était au bout de ses forces, de sa félicité, de sa vie. Accablé de maladies, surpris par ce grand et inévitable revers de son dernier des. sein, hors d'état d'entreprendre, à peine capable de résister, ne pouvant plus diriger et accroître cette vaste domination, dont la charge devait être divisée après lui, n'entendant pas composer avec l'hérésie victorieuse en Allemagne, trouvant à agrandir son fils en Angleterre, ayant soutenu une lutte et fait une trêve sans désavantage avec la France, il réalisa le projet d'abdiquer qu'il avait médité depuis tant d'années, et que lui rendaient nécessaire les maladies de l'homme, les fatigues du souverain, les sentiments du chrétien.

La retraite ne le changea point; le profond politique se montra toujours dans le pieux solitaire, et l'habitude du commandement survécut chez lui à la renonciation. S'il devint désintéressé pour lui-même, il demeura ambitieux pour son fils. Se prononçant du fond de son monastère en 1557 contre Paul IV, comme il l'avait fait en 1527 du haut de son trône contre Clément VII; conseillant à Philippe II de poursuivre Henri Il avec la même vigueur qu'il avait mise à poursuivre dans son temps François Ier; songeant sans cesse à garantir les pays chrétiens des dévastations des Turcs, qu'il avait autrefois repoussés de l'Allemagne et vaincus en Afrique; défendant les doctrines catholiques des atteintes protestantes, sinon avec plus de conviction, du moins avec plus d'ardeur, parce qu'il n'avait point alors à agir, mais simplement à croire, et que, si la conduite est souvent obligée d'être accommodante, la pensée peut toujours être inflexible; arbitre consulté et chef obéi de la famille, dont les tendres respects et les invariables soumissions se tournaient incessamment vers lui : on peut dire qu'il ne fut pas autre dans le couvent que sur le trône. Espagnol intraitable par la croyance, ferme politique par le jugement, toujours égal en des situations diverses, s'il a terminé sa vie dans l'humble dévotion du chrétien, il a pensé jusqu'au bout avec la persévérante hauteur du grand homme. »
 

(F. Mignet, Charles-Quint; son abdication,
son séjour, sa mort au monastère de Yuste, fin).
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Dictionnaire biographique
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