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Molière
Aperçu La vie de Molière Les pièces La portée de l'oeuvre Le jugement  de la postérité
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est un auteur de théâtre et un comédien né à Paris, où il fut baptisé le 15 janvier 1622. Il est mort à Paris le 17 février 1673. Sa vie  pourrait être contée en très peu de mots, car l'homme est tout entier dans son oeuvre : «-il disparaît derrière ses ouvrages », dit Eugène Despois. Hors de là, nous le connaissons mal; malgré les investigations les plus minutieuses, nous ne possédons pas dix lignes de son écriture. On a tout dit, semble-t-il, quand on a fait savoir que ce fils de bourgeois parisiens s'engagea de très bonne heure dans une troupe de comédiens, dont il devint le chef, qu'il fit avec ses camarades ce qu'on appellerait aujourd'hui son tour de France, qu'il revint à Paris après une absence de douze ans et que, depuis ce moment jusqu'à sa mort, à l'âge de cinquante et un ans à peine, il ne cessa pas d'obtenir à la cour et à la ville les plus admirables succès. Mais les oeuvres qu'il a composées durant les vingt dernières années de sa vie ont une telle importance qu'il faut rechercher avec soin tout ce qui peut les expliquer; dès lors il devient nécessaire de faire connaître aussi parfaitement que possible l'homme, l'acteur et le chef de troupe, de montrer ce qu'ont pu, ce qu'ont dû être, en raison des circonstances au milieu desquelles il s'est trouvé, ses idées, ses sentiments, ses passions même. Alors seulement on pourra comprendre ce que vaut son oeuvre, en expliquer l'extrême variété, voir enfin comment Plaute, Térence et Tabarin, suivant le mot de La Fontaine complété par le fameux vers de Boileau, se sont pour ainsi dire rencontrés au siècle de Louis XIV, de manière à constituer cet homme vraiment unique en son genre qui a nom Molière.

La famille de Molière exerçait depuis longtemps la profession de tapissier; et son père, qui se livrait également à ce commerce, le destina dès son bas âge à lui succéder. L'office de tapissier valet-de-chambre du roi, qui lui fut concédé quelque temps après, le confirma encore dans ce dessein. Il obtint pour son fils la survivance de cette charge, et, s'étant borné à lui procurer les notions les plus élémentaires de l'éducation, lui fit prendre part à ses travaux jusqu'à l'âge de 14 ans. Le caractère ardent du jeune Poquelin ne put se plier longtemps à une semblable vie; il témoigna le plus vif désir de s'instruire, et ce ne fut pas sans peine qu'il parvint à déterminer son père à satisfaire ce besoin d'apprendre. Il suivit comme externe les cours du collège de Clermont, dirigé par les jésuites, et eut pour condisciples Armand de Bourbon, Bernier, Chapelle, Hesnaut, et plus tard Cyrano de Bergerac, parmi lesquels ses rapides progrès le firent bientôt remarquer. A peine, semble-t-il, eut-il terminé son cours de philosophie sous Gassendi, qu'en sa qualité de valet-de-chambre survivancier du roi, il accompagna Louis XIIIà Narbonne, dans ce voyage que signala l'exécution des malheureux Cinq-Mars et de Thou

A son retour du Midi de la France, à la fin de 1642, il alla étudier le droit à Orléans, puis revint à Paris se faire recevoir avocat. C'est à cette époque que se développa chez lui le goût de la scène. Il joue, à 20 ans, au tripot de la Perle du cul-de-sac Thorigny. Bientôt il se mit à la tête d'une société de jeunes gens, qui, après avoir joué la comédie par amusement, la jouèrent par spéculation. Cette troupe, appelée l'Illustre Théâtre, s'établit au jeu de paume du Métayer, sur les fossés de Nesle (1643), retourna sur la rive droite à la Croix-Noire (1644). Par égard pour se parents, Poquelin prit alors le nom de Molière, que depuis a consacré l'admiration de la postérité. Emprisonné quelque temps au Châtelet (1645) pour dettes, il quitte Paris vers 1646. Chef de troupe nomade, il se met à composer lui-même des pièces. Pendant douze années, il parcourt la France. On le voit à Nantes, Limoges, Bordeaux où il présente une tragédie intitulée : la Thébaïde, qui n'eut aucun succès;Toulouse (1649), Narbonne (1650), Paris (1651), Lyon, où il donne l'Etourdi (1653); à Pézenas, où il est présenté au prince de Conti, gouverneur de Languedoc, qui lui donna sa protection en 1653, pour la lui retirer en 1656, par haine dévote du théâtre; à Béziers et Montpellier, où il fait représenter le Dépit Amoureux (1656); à Avignon, Grenoble, Rouen, etc.

Molière paraît enfin devant le roi dans la salle des Gardes du vieux Louvre (24 octobre 1658) et se fixe immédiatement à Paris, comme chef de la troupe de Monsieur, au Petit-Bourbon, où il obtient un grand succès avec les Précieuses ridicules (1659) et donne Sganarelle (1660). C'est sur ce théâtre, puis sur celui du Palais-Royal, que, de 1658 à 1673, furent représentées toutes ses pièces (Liste des pièces de Molière), dont le plus grand nombre sont des chefs-d'oeuvre. Il y fait représenter pour commencer Don Garcie de Navarre (1661); l'Ecole des maris (1661); les Fâcheux (1661) [aux fêtes de Vaux]; l'Ecole des femmes (1662). Blessé par les comédiens rivaux et par les dévots, il riposte par la Critique de l' Ecole des Femmes (1663); l'Impromptu de Versailles (1663), et fait jouer devant le roi les trois premiers actes de Tartuffe (1664), dont ses ennemis parvinrent à reculer trois ans encore la représentation publique. Leurs lâches efforts, joints à ceux des faux dévots, empoisonnèrent plus d'une fois les triomphes de Molière; et sans sa noble fermeté, et surtout sans la royale protection de Louis XIV, il eût succombé à tant et à de si perfides attaques. Admiré par le public, estimé par le prince, Molière fut encore recherché par tous les hommes distingués qui vivaient de son temps. La Fontaine, Boileau, Chapelle, Mignard, formaient sa société intime; et s'il est une tache dans la vie de Racine, c'est de s'être brouillé avec celui qui avait été son premier guide et son bienfaiteur.
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Molière.
    Molière couronné, dans le rôle de César (la Mort de Pompée),
  par Mignard, ca 1657.

En 1664, paraissent sur la scène le Mariage forcé et la Princesse d'Elide; en 1665, Don Juan. Le roi conservait son appui à Molière, dont la troupe devint troupe du roi (1665) en concurrence avec la troupe royale de l'Hôtel de Bourgogne et celle du Marais. Comédien toujours sur la brèche, directeur et régisseur de sa troupe, Molière est le fournisseur des spectacles de la cour (la moitié de son oeuvre dut être improvisée sur commande). Fatigué, parfois abattu, il ne cesse de produire : l'Amour médecin (1665); le Misanthrope, le Médecin malgré lui (1666); Mélicerte, le Sicilien (1667), Amphitryon, l'Avare, Georges Dandin (1668); Monsieur de Pourceaugnac (1660), les Amants magnifiques, le Bourgeois Gentilhomme (1670) Psyché, avec Corneille, Quinault et Lulli; les Fourberies de Scapin, la Contesse d'Escarbagnas (1671); les Femmes savantes (1672). 

Doué d'une âme ardente, et emporté par le besoin d'aimer, il s'était d'abord attaché à une actrice de sa troupe, Madeleine Béjart femme aussi peu digne de ses voeux que peu propre à les fixer longtemps. Pour son malheur, il épousa, en 1662, à quarante ans, Armande Béjart, comédienne de vingt ans plus jeune que lui, et fille de Madeleine Béjart, ce qui donna lieu à cette calomnie, propagée par de venimeux libelles, que Molière avait épousé sa propre fille. Il n'en était rien, mais Molière n'en regretta pas moins amèrement son mariage. L'incompatibilité d'humeur était inévitable entre un philosophe misanthrope et une coquette frivole et courtisée. Cette union ne ressemblait pas à celles qui se forment chaque soir sur la scène : elle était indissoluble; et l'amour malheureux, la jalousie trop fondée empoisonnèrent ses jours. 

Pour le consoler de ses déboires et lui donner un témoignage public de son estime, Louis XIV tint sur les fonts baptismaux, avec la duchesse d'Orléans, l'aîné des enfants de Molière (1664). Dans les huit dernières années de sa vie, la santé de Molière ne cessa d'être précaire. Cependant, l'intérêt qu'il portait à ses camarades l'empêchait de quitter le théâtre, et de prendre un repos dont il avait tant besoin. Un jour qu'on devait donner le Malade imaginaire, il se sentit plus indisposé que de coutume; mais la crainte de priver quelques pères de famille de leur salaire ne lui permit pas de remettre la représentation. Les efforts qu'il fit pour jouer lui furent funestes : pris d'une convulsion pendant la cérémonie de la réception, il fut ramené chez lui, et mourut le soir même, 17 février 1673, entouré de ses camarades, de quelques amis, et de deux religieuses auxquelles il avait donné l'hospitalité. La sépulture ecclésiastique lui fut refusée. Sa profession, qui lui attirait l'anathème des ministres des autels, lui avait aussi fait fermer les portes de l'Académie française

En résumé, l'oeuvre de Molière est considérable, eu égard au peu de temps dont il disposait; toutes proportions gardées, il a plus écrit que Corneille, que Racine, que Boileau surtout et que La Fontaine, tous gens de loisir; et l'on se demande comment un directeur de théâtre, le plus occupé et souvent le plus préoccupé des hommes, a pu suffire à une pareille tâche, comment il a fait pour donner vingt chefs-d'oeuvre en quatorze ans, de 1659 à 1673. L'explication de ce fait, c'est que Molière travaillait partout et toujours, à la cour, à la ville, au milieu de ses amis et jusque sur les planches de son théâtre. Dans les loisirs de sa vie de province, entre 1645 et 1659, et même sur le fauteuil du barbier de Pézenas, il étudiait les vices, les travers, les ridicules de l'humanité; il observait, il « contemplait ». Aussi avait-il à sa disposition une ample provision de faits qu'il avait vus, de propos naïfs ou burlesques qu'il avait entendus, de traits de caractère qu'il avait notés au passage; le moment venu, il puisait à pleines mains dans ces trésors que son expérience avait amassés. Il avait appris à peindre d'après nature, et comme l'affaire de la comédie est, suivant ses expressions, « de représenter en général tous les défauts des hommes de notre siècle », sa fécondité était inépuisable. 

« Sans sortir de la cour, c'est encore lui qui le dit dans la même scène de l'Impromptu de Versailles, il avait encore vingt caractères de gens où il n'avait pas touché [...]. Tout ce qu'il avait touché n'était rien que bagatelle au prix de ce qui restait. » 
Molière fut un grand peintre : le Peintre, l'appelaient ses contemporains; le Contemplateur, ajoutaient ses émules. S'il donne relativement peu de soin à l'intrigue et aux dénouements, c'est qu'il ne s'intéresse guère qu'à la vérité de l'observation. Il a véritablement créé en France la comédie de moeurs, en peignant hardiment les ridicules de son siècle; et en même temps la comédie de caractère, en représentant d'une façon large et simple les grandes passions de l'humanité. Si, parfois, son observation, à force de profondeur et d'intensité, le conduit aux confins du drame, sa gaieté naturelle, saine et franche, le maintient dans les limites de la comédie.

Molière avait pris la nature pour modèle et pour guide. Ennemi déclaré de toute exagération et de tout mensonge, fléau du vice et du ridicule, il a employé son talent immense à flétrir tous ceux qui, précieux, pédants, comédiens, dévots, médecins, marquis, etc., contrariaient, altéraient ou faussaient la nature. Sa morale est celle du bon sens et de la haute raison. Son théâtre enseigne cette science de soi-même et d'autrui qui peut tenir lieu d'expérience et conduire à la vraie sagesse. Spectateur attristé des humaines faiblesses, témoin impartial des laideurs sociales comme des vertus bourgeoises, de la sottise prétentieuse comme du naturel, du bel esprit comme du bon esprit, c'est un miroir redoutable, mais salutaire. Montrant les conséquences des vices dans la famille bourgeoise, occupée de questions pratiques, de l'éducation des filles, du mariage, etc., sa morale est éminemment sociale.

Voilà pourquoi Molière a tant produit en fait d'oeuvres de théâtre, et c'est pour la même raison qu'en dehors du théâtre on a de lui si peu de chose. Ses Poésies diverses se réduisent pour ainsi dire à rien : un Remerciement au roi en 1663, quatre petites pièces de vers dont un sonnet daté de 1664, et un poème de moins de quatre cents vers, la Gloire du dôme du Val-de-Grâce, que son amitié pour Mignard lui fit composer en 1669. Ajoutons à cela quelques préfaces, entre autres celle de Tartuffe, qui est si curieuse à tous égards, et trois placets à Louis XIV, et nous aurons la nomenclature complète des oeuvres de Molière. On n'a pas une lettre de lui, pas un fragment de comédie, pas une note prise en vue d'une scène à faire, pas un manuscrit, pas un livre griffonné pouvant offrir des corrections ou des variantes pour les pièces qu'il avait imprimées à la hâte et d'une manière quelquefois très fautive. Son indigne veuve paraît avoir détruit tout ce qui ne pouvait pas être d'un profit immédiat; à la grande désolation des moliéristes ou des moliérolâtres, Molière est celui de tous les grands écrivains français dont nous possédons le moins de reliques. 
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Signature de Molière.
Une des rares reliques de Molière : une feuille portant sa signature...

A la mort de son chef, la troupe de Molière absorba celle du Marais en passant au théâtre de Guénégaud, comme elle absorbera l'Hôtel de Bourgogne, le jour où Louis XIV ne voudra plus qu'une seule troupe française dans Paris, pour fonder à jamais la Comédie-Française (1680). Il ne faut donc pas oublier que Molière fut le véritable fondateur de la Comédie-Française, quoique la Maison qui porte encore aujourd'hui son nom n'ait été officiellement constituée que sept ans après sa mort.  En 1778, pour donner une réparation, tant soit peu tardive, à sa mémoire, un buste avait été placé dans la salle de ses séances avec cette inscription de Saurin :

Rien ne manque à sa gloire; il manquait à la nôtre.

Déjà, en 1769, son Éloge avait été mis au concours, et le prix décerné à Chamfort, dont le discours est à la fois spirituel et parfaitement se senti. Mais l'éloge le plus irrécusable de Molière est dans le grand nombre d'éditions de ses oeuvres. Nul auteur n'a été plus souvent réimprimé.  Sa langue, souvent attaquée (par La Bruyère, Fénelon, Bayle, Vauvenargues, Schérer), accusée de "galimatias, de barbarisme, d'incorrection", est en fait la meilleure que l'on puisse parler au théâtre; elle est aussi vivante et aussi variée que la condition de ses personnages; beaucoup de ses mots ont passé et passeront en proverbes : elle est forte, savoureuse, admirablement appropriée à la scène. (A19 / NLI / A. Gazier).



Roger Duchêne, Molière, Fayard, 2006. - Molière n'a pas laissé de confidences. Pas une lettre, pas un mot. Il a près de quarante ans quand il commence à faire parler de lui. 

Sa vie et son oeuvre font scandale. On l'accuse de ruiner la religion, la famille, la morale. Et d'avoir épousé la fille de sa maîtresse, sa propre fille... Qui ne se priverait pas de le cocufier abondamment. Ses ennemis forgent sa légende noire, ses amis une légende dorée. 

Cette biographie les replace enfin dans leur contexte. En les prenant au sérieux, sans les tenir pour vraies, en les présentant au lecteur pour qu'il puisse juger à son tour. Voici la nouvelle édition enrichie d'une biographie qui reste la référence. (couv.).

En bibliothèque. - Les principales éditions anciennes sont celles de Lagrange et Vinot, la première complète, 1681, 8 vol. in-12; de Joly et La Serre, 1734, 6 vol. in-4.; de Bret, 1773, 6 vol. in-8, et 1778, 8 vol. in-12; de Petitot, 1813, 6 vol. in-8; d'Auger, 1819- 27, 9 vol. in-8; de, M. Taschereau, 1823-24, 8 vol. in-8; de M. Aimé-Martin, 1823-26, 8 vol. in-8. Les Mém. sur Volière et sur Mme Guérin, sa veuve, insérés dans la collection des Mém. sur l'art dramatique, 1812, ne sont autre chose que la Vie de Molière, par Grimarest, et des extraits de la Fameuse comédienne (par Mme Boudin), ouvrage dont la première édition est de 1688, in-12. On doit à Beffara : Dissertation sur J.-B. Poquelin Molière, sur ses ancêtres, l'époque de sa naissance, qui avait été inconnue jusqu'à présent, etc., Paris, 1821, in-8. M. Taschereau a publié: Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, 1825, in-8; 2e édit. augmentée, 1828, même format.

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