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Frédéric Mistral

Frédéric Mistral est un  poète provençal, né à Maillane (Bouches-du-Rhône) le 8 septembre 1830, mort dans la même localité le 25 mars 1914. Sa famille, ancienne et anoblie, originaire du Dauphiné (l'édicule funéraire de Valence, le Pendentif, fut construit par un chanoine Nicolas Mistral, 1535), était fixée à Saint-Remy de Provence depuis le XVIe siècle. Il naquit du second mariage d'un propriétaire rural qui avait été aux guerres de la République et faisait valoir son bien. Il a conté lui-même sa jeunesse biblique dans le mas de ce patriarche, avec une émotion large et simple qui en fait le récit inoubliable comme un poème légendaire (préface des Iles d'or, 1re éd.,1875). Son éducation dans ce milieu traditionnel, parmi ces moeurs antiques, fut exceptionnellement populaire. Son père, qui l'avait eu à cinquante-cinq ans, était pour lui le Sage, le Maître austère et vénéré. Sa jeune mère l'éleva tout près d'elle, avec la poésie d'une âme chrétienne, hantée de rêves et de douces chansons.

Vers dix ans, après cette libre et saine enfance parmi les travailleurs des champs, il fut mis à l'école, puis envoyé dans un pensionnat d'Avignon pour y faire ses études classiques. D'abord tristement dépaysé, le petit Provençal ne tardait pas à s'attacher aux peintures des poètes anciens où il retrouvait les tableaux éternels de la vie rurale. Bientôt, vers 1845, entrait dans son pensionnat, comme professeur, un jeune homme de Saint-Remy, Joseph Bonmanille, qui écrivait des vers provençaux. Il avait fait ses premières armes dans un recueil périodique de Marseille, Lou Boui-abaisso, où il s'était bien vite distingué par son souci des sujets nobles et de l'épuration linguistique. On ne peut guère faire exception, parmi les innombrables rimeurs provençaux du Boui-abaisso, dans cette préoccupation de la dignité de la langue et du style, que pour lui et Crousillat, de Salon, qui « retrempait déjà sa lame dans les fontaines antiques », a dit Mistral. Mais Crousillat devait rester un rêveur et un isolé, tandis que Roumanille était impatient d'action. Dès L'âge de douze ans, Mistral, instinctivement révolté du mépris où il voyait tenu son parler natal par les fils de bourgeois qui l'entouraient, s'était essayé en cachette à des vers provençaux. Sa rencontre avec Roumanille, qui avait fait ses preuves, décida de sa vocation. Roumanille achevait alors ses Margarideto (1847).

« A peine m'eut-il montré, dans leur nouveauté printanière, ces gentilles fleurs de pré, a écrit Mistral (préface des Îles d'or), qu'un beau tressaillement s'empara de mon être et je m'écriai : Voilà l'aube que mon âme attendait pour s'éveiller à la lumière! J'avais bien jusque-là lu quelque peu de provençal, mais ce qui me rebutait, c'était de voir que notre langue était toujours employée en manière de dérision [...]. Roumanille, le premier sur la rive du Rhône, chantait, dans une forme simple et fraîche, tous les sentiments du coeur [...]. Embrasés tous les deux du désir de relever le parler de nos mères, nous étudiâmes ensemble les vieux livres provençaux et nous nous proposâmes de restaurer la langue selon ses traditions et caractères nationaux ; ce qui s'est accompli depuis avec l'aide et le bon vouloir de nos frères les félibres. » 
A l'exemple de Roumanille, Mistral, rentré à Maillane, ses classes terminées, s'essaya donc en provençal, et rima un poème en quatre chants, Li Meissoun (1848). Il en a conservé quelques strophes parmi les notes de Mireille et dans les Îles d'or. Mais son père, devinant que la vocation le portait plus aux travaux de l'esprit qu'à l'agriculture, l'envoya faire son droit à Aix-en-Provence. Il y retrouva le premier confident de ses rêves, Anselme Mathieu, poète comme lui. C'était le compagnon songeur, naïf et soumis qu'il fallait à ce futur chef de peuple.

Les trois ans fructueux passés à étudier et à rêver, dans la vieille capitale de la Provence, confirmèrent chez Mistral la résolution d'honorer son pays en restituant au provençal sa dignité perdue. 

Roumanille groupait alors tous les poètes vivants de langue d'oc dans le feuilleton d'un petit journal d'Avignon, la Commune. Sa culture classique, entée sur un vif instinct populaire, devait communiquer à tant d'éléments disparates l'impulsion directrice et l'épuration critique nécessaires à une restauration. Son disciple Mistral, devenu le confident et l'intelligent auxiliaire de ses projets, ne tardait pas à concevoir un réveil national par la réhabilitation de l'idiome de son pays. C'est ce qu'un éminent lettré, ami et conseiller de Roumanille, Saint-René Taillandier, pressentait déjà dans ces lignes d'une lettre (1851) :

« Je comprends que vous soyez forcés d'admettre de braves gens qui ont plus de bonne volonté que d'inspiration; mais la colère de M. Mistral me charme: voilà un vrai poète qui prend au sérieux comme vous cette renaissance de la poésie provençale. Il sent vivement les tristes destinées de cette langue qui a donné l'essor à toutes les littératures nationales de l'Europe, et il siffle les mauvais poètes. Voilà un digne héritier des maîtres du XIIe siècle. »
Roumanille et Mistral publièrent ainsi le premier recueil collectif des poètes d'oc, Li Prouvençalo (1852). Roumanille les avait rassemblés; Mistral, avec les deux courts poèmes qui encadraient le choeur, semblait conduire la campagne, tandis que Saint-René Taillandier, en une chaleureuse introduction, savante pour l'époque, justifiait litterairement l'entreprise, en invoquant les droits séculaires de la langue ressuscitée. De cette publication sortit le premier « congrès des poètes provençaux », à Arles (1852), où plus de trente écrivains « patois » répondirent à l'appel de Roumanille. Celui-ci ne tardait pas à publier le manifeste attendu relatif à la réforme orthographique (préface des Sounjarello, 1852), question capitale pour l'établissement de la restauration linguistique. Mistral avait collaboré à la dissertation : l'orthographe rationnelle en sortait à peu près fixée.
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Frédéric Mistral.
Frédéric Mistral (1830-1914).

Un nouveau congrès, dû à l'initiative de J.-B. Gaut, eut lieu à Aix-en-Provence (1853), suivi d'un nouveau recueil collectif, Lou Roumavagi dei Troubaire. Ainsi s'appelaient encore les rénovateurs provençaux. Mistral leur donna le nom mystérieux de félibres, dans l'assemblée restée légendaire de Fontségugne (21 mai 1854). C'est là qu'entre sept poètes amis, du pays d'Avignon, furent jetées les bases de la renaissance linguistique, littéraire et sociale du Midi, appelée dès ce jour Félibrige. Elle se manifesta d'abord par la fondation, due à Théodore Aubanel (1854), d'un organe populaire, l'Armana prouvençau. Roumanille et Mistral devaient, pendant plus de quarante ans, en être les principaux rédacteurs, y faire évangéliquement l'éducation de leur peuple, et, joyeux ou graves, sincères toujours, lui enseigner son âme.

Tout en collaborant à l'Armana, et en étudiant le passé provençal Mistral incarnait le rêve de sa jeunesse dans une création où se reflétaient peu à peu les mille aspects de nature et de moeurs de son pays natal, transfigurés par la divine exaltation de son coeur. C'était Mirèio (1859), poème en 12 chants, vaste idylle épique où la Provence put saluer son poète, et la France découvrir, dans le génie d'un inconnu, des trésors ignorés de son propre génie. Pour les félibres eux-mêmes, ce fut une révélation. Adolphe Dumas et Reboul se firent les parrains de Mireille, qui, présentée par eux à Lamartine, éveilla l'émotion solennelle chez le vieil Orphée endormi. Tout le mondes sait quel baptême de gloire fut pour Mistral l'« Entretien littéraire » que lui consacra Lamartine : 

« Un grand poète épique est né! [...] Un vrai poète homérique dans ce temps-ci; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d'un caillou de la Crau; un poète primitif dans notre âge de décadence; un poète grec à Avignon ; un poète qui crée une langue d'un idiome, comme Pétrarque a créé l'italien : un poète qui, d'un patois vulgaire, fait un langage classique d'images et d'harmonie, ravissant l'imagination et l'oreille. » 
Et à ces litanies géniales succédait un. enthousiaste résumé de Mireille, confirmé par ces conclusions : 
« Oui, ton poème épique est un chef-d'oeuvre, que dirais-je plus? il n'est pas de l'Occident, il est de l'Orient; on dirait que, pendant la nuit, une île de l'Archipel, une flottante Délos, s'est détachée de son groupe d'îles grecques ou ioniennes et qu'elle est venue sans bruit s'annexer au continent de la Provence embaumée, apportant avec elle un de ces chanteurs divins de la famille des Mélésigènes. »
Tout a été dit sur l'art concis, sobre, attique, simple et savant, éloquent et objectif de l'incomparable poème rustique. Mais il est un côté de cette couvre, genuine entre toutes, que la généralité des critiques, étrangers à la Provence pour la plupart, n'a su ni pu comprendre. C'est la poésie propre au au pays provençal, ce que les troubadours nommaient amor. Telle chose qui paraît grossière ou vulgaire au lecteur parisien fait tressaillir un Provençal. La vue des collines bibliques du pays arlésien, « cette aridité aromatique qui enivre les ermites et suscite les mirages », comme a dit Mistral, peut offusquer un franchimand : elle exalte un coeur méridional... Ce qu'on aura, du moins, reconnu sans conteste à Mistral et à ses meilleurs disciples, c'est l'originalité : ils évitent les banalités générales; ce qu'ils ont chanté n'était pas encore dans l'horizon.

L'unanimité des suffrages accordés à Mireille sanctionnait la renaissance provençale, donnait à Mistral lui-même la foi résolue en sa mission. Jusque-là, il avait pu dire, comme dans l'invocation du poème, « qu'il ne chantait que pour les pâtres et les gens des mas ». - « Qu'en dira-t-on en Arles? » pensait-il anxieux en composant Mireille. Mais l'aspect de l'oeuvre achevée élargit l'ambition qu'il avait formée pour sa langue. Les notes de Mireille en témoignent. Déjà la conscience du rôle, qu'il pouvait apporter à l'oeuvre de Fontségugne lui était apparue. L'école de Roumanille, dont Mireille le sacrait chef et prophète, faisait chaque jour plus d'adeptes. La langue était fixée, créée la « langue des félibres », et, grâce à l'Armana, peu à peu adoptée par le peuple, ce vulgaire illustre dont, nouveau Dante, il avait doté son pays en épurant et enrichissant son dialecte natal, était immortel ayant suscité un chef-d'oeuvre. Il restait à imprimer au mouvement une direction « nationale ». C'est en exaltant le sentiment régional et en y entraînant les félibres, c'est en prouvant à son pays l'existence d'une culture méridionale à travers les siècles, c'est en mettant en lumière les droits imprescriptibles de son peuple, qu'il est parvenu à faire d'une renaissance littéraire une « Cause » sociale.

Avec l'Ode aux Catalans (1859) et le Chant de la Coupe Mistral scella le rapprochement des Provençaux et des Catalans, leurs frères de langue; son sirvente fameux, et resté longtemps suspect, de la Comtesse, allégorie véhémente à la Centralisation; ses discours aux jeux floraux d'Apt (1862), première sortie officielle des félibres, où fut rédigé le premier statut de l'association, de Barcelone (1868), alors qu'il accourait avec Roumieux, Paul Meyer et Bonaparte Wyse à l'appel de la Catalogne ressuscitée, enfin de Saint-Remy, la même année, devant les Catalans chaudement accueillis à leur tour et la presse parisienne convoquée pour la première fois.

Ainsi, du félibrige populaire de Roumanille, - engendré par ses pamphlets politiques, ses Noëls et ses Contes, - Mistral faisait peu à peu un félibrige national. Ceci était apparu clairement dans son second ouvrage, Calendau, poème en douze chants (1867), qui, pour les Provençaux, balançait désormais la gloire de Mireille. Mais combien différents, les deux poèmes! Mireille, c'était la Provence de la Crau, de la Camargue et du Rhône; Calendal, la Provence de la montagne et de la mer. Mireille c'était le miel vierge, Calendal la moelle du lion. Célébrant les hauts faits d'un jeune pêcheur de Cassis pour la délivrance et l'amour d'Esterelle, dernière princesse des Baux, mariée à l'infâme aventurier Severan, Mistral avait tenté de peindre tout le paysage, trop vaste, cette fois, de son Iliade agreste, en accumulant les évocations nostalgiques et passionnées du passé provençal. Ce souci oratoire et encyclopédique, écueil des plus grands poètes, avec la longueur d'un récit qui en rendait peut-être inharmonique l'ordonnance, restreignirent le succès de Calendal dans le public, malgré l'incomparable maîtrise de l'exécution. 

Peu à peu, grâce à l'impulsion souveraine de Mistral, le félibrige passait le Rhône. Après avoir suscité de chauds prosélytes comme Louis Roumieux et Albert Arnavielle, à Nîmes et à Alès, il provoquait à Montpellier, par les soins du baron de Tourtoulon et de son groupe, la création d'une Société pour l'élude des langues romanes, dont les travaux devaient justifier scientifiquement ce relèvement de la langue d'oc (occitan). Fort de l'appui des savants et des lettrés officiels, jusque-là réfractaires, le mouvement félibréen, déjà catalan-provençal, ne tardait pas à devenir latin. La fête mémorable du centenaire de Pétrarque à Avignon (1874), due à l'initiative de Berlue-Pérussis et effectivement présidée par Aubanel, fut la première consécration internationale de la nouvelle littérature, et de la gloire de Mistral. Un grand concours philologique de la Société romane (1875), puis les Fêtes Latines de Montpellier (1878), où la jeune femme du poète fut proclamée reine du félibrige, affirmèrent définitivement l'importance d'une renaissance poétique, familiale à ses débuts, que le père de Calendal et de Mireille avait élargie aux proportions d'un mouvement social.

Trois ans auparavant, la royauté intellectuelle de Mistral s'était imposée à tout le midi de la France par la publication du recueil de ses poésies, Lis Iselo d'or (les Îles d'or, 1875), où éclatait le génie du maître dans sa sérénité, sa variété puissante et son autorité de représentant d'un peuple. Peu après, le félibrige s'organisait (Avignon, 1876), et le poète proclamé grand maître (capoulié) de la fédération littéraire des provinces méridionales, devenait, aux yeux des initiés, le chef incontesté d'une croisade de l'Occitanie pour la reconquête de sa dignité historique.

L'espèce de pontificat dont il était désormais investi n'arrêtait pas l'essor de sa production. Un nouveau poème, de forme plus légère, dans le style des épopées chevaleresques de la Renaissance, Nerto, chronique d'histoire provençale du temps des papes d'Avignon, ramenait soudain sur Mistral l'attention de la critique, pour la séduction et l'infinie souplesse de son génie. Après s'être vu comparer à Homère, à Théocrite et à Longus, il évoquait maintenant le charme fuyant d'Arioste

Un voyage qu'il faisait à Paris (1884), après vingt ans d'absence, mettait le sceau à sa notoriété française et à sa gloire provençale. Il apparut environné d'une armée d'adeptes. Paris, qui ne connaissait que le poète, salua une littérature dans la personne de son chef. L'Académie française couronna Nerte comme jadis Mireille. Mistral n'hésita pas à célébrer devant la capitale le quatrième centenaire de la réunion de la Provence à la France : « Comme un principal à un autre principal », selon les termes du contrat historique. Et il rentra dans sa Provence, consacré chef d'un peuple.

La Renaissance provençale s'étendait chaque jour. Mistral lui donnait enfin l'instrument scientifique et populaire qui lui manquait pour sa défense, le dictionnaire de son langage national. C'était l'oeuvre bénédictine de sa vie, le Trésor du félibrige. Les divers dialectes d'oc sont représentés dans ce prodigieux inventaire d'un idiome illustre, riche, harmonieux, bien vivant, sauvé et restitué dans son honneur ethnique par d'intransigeants défenseurs, au moment où tout conspirait pour hâter sa décrépitude. Toutes les acceptions, accompagnées d'exemples tirés de tous les écrivains d'oc, tous les termes spéciaux, tous les proverbes sont patiemment recueillis dans ce répertoire encyclopédique qu'on ne remplacera pas. L'Institut lui attribua un prix de 10.000 F.

En 1890, Mistral publia une oeuvre dramatique longtemps caressée, la Rèino Jano, « tragédie provençale ». Malgré son éloquence picturale et la rare beauté de quelques chansons qui reposent le lecteur de l'alexandrin monotone, cette « suite » lumineuse d'évocations de la Provence angevine du XIVe siècle n'obtint auprès du public que le demi-succès de Calendal. Les franchimands n'ont pas comme les félibres la religion de la reine Jeanne. Si cette tragédie, essentiellement nationale pour les Provençaux, fut jugée à Paris médiocrement dramatique, il en faut attribuer le reproche à ce qu'on n'a pas tenu compte à l'auteur de la popularité familière qu'il accorde à la légende de son héroïne parmi son public naturel.

En attendant, de voir représenter sa Reine Jeanne sur le théâtre d'Orange restauré par les félibres, Mistral poursuivait sa tâche de poète d'action. La cause s'étendait, appelant des organes plus vivants que le livre ou l'almanach. Après avoir contribué pendant quarante ans au succès de l'Armana prouvençau et présidé à la fondation de la Revue félibréenne (1885), il se fit rédacteur principal d'un journal provençal d'Avignon, l'Aioli (créé en 1890), devenu par ses soins le moniteur trimensuel du félibrige.

Tout en gardant ainsi la direction effective du mouvement méridional, - officiellement présidé par Roumanille (1888-1891) et depuis sa mort par Félix Gras, - Mistral publiait çà et là quelque chapitre de ses futurs Mémoires, quelque exhortation à son peuple, discours, poésie ou chronique. Enfin il donnait le jour à un nouveau poème, sept ans porté comme les précédents, le Poème du Rhône (1897). C'est à la fois le plus raffiné et le plus ingénument épique de ses livres. Capital dans son oeuvre, tant pour la profondeur et l'étendue de la pensée que pour l'originalité de la versification, il apparaît aussi comme le plus symbolique de son génie. C'est avec les traditions d'un pays qu'il a tramé la soie chatoyante, vivante, éternelle du Rhône, ce poème du cours d'un fleuve. Ces traditions, il a exalté son peuple à en restaurer l'honneur par l'exemple radieux, le labeur fécondant de sa vie. Et son génie même de poète, clair, lumineux, limpide, avec ses regrets du passé, telle l'inconsciente nostalgie des Alpes qui, par un lointain atavisme, hante sa sérénité, ce génie, autant que provençal, n'est-il pas rhodanien?

On en connaîtra mieux les racines profondes par les Mémoires qui paraîtrront en 1906 sous le titre de Moun espelido, Memòri e Raconte. Dans un exposé de sa vie harmonieuse, il dira tous ses souvenirs d'écrivain célèbre et de campagnard provençal. Des portraits de grands hommes et de grands paysans se dresseront dans son récit. D'autres ouvrages paraîtront encore; Discours e dicho (1906), Lis óulivado (1912).  Entre-temps, Mistral aura été couronné du prix Nobel de Littérature (1904).

L'Action aura été son plus beau poème. C'est pour faire triompher cet idéal, le relèvement de sa Provence, qu'il a été tour à tour poète, orateur, philologue, mais surtout Provençal. La vita nuova que son action latente infuse au corps apostolique du Félibrige, n'a pas seulement régénéré sa Provence, en l'érigeant à la hauteur d'un idéal social. Elle a provoqué une exaltation du sentiment provincialiste, devenue tendance générale en France, qu'on l'appelle fédéralisme ou simplement décentralisation. On sait les idées de Mistral sur ce régionalisme qui permettrait aux énergies locales de s'épanouir librement. On ne devait y parvenir, selon lui, que par une Constituante, les élus du système actuel étant trop intéressés à ménager les répartitions départementales pour toucher au morcellement de l'abbé Sieyès. Mais il a toujours refusé de devenir le chef effectif d'un mouvement politique. « Qui tient sa langue tient la clef qui de ses chaînes le délivre », a-t-il dit, entendant bien que dans une langue vit l'âme même d'un peuple. Et, se réservant la direction du mouvement linguistique, il a voulu rester poète. C'est la pureté de sa gloire qui en aura fait la puissance.

Il n'est pas jusqu'à sa personne qui n'ait su conquérir les foules, alors que son oeuvre charmait les lettrés et le peuple. Car il eut toujours le sens profond de la vitalité de sa langue, la foi dans un renouveau de sa gloire. Tout différent en ceci de Jasmin qui se proclamait le dernier poète de la langue d'oc. Si Mistral n'est pas l'unique ouvrier de la renaissance provençale, du moins doit-elle à son oeuvre d'avoir pu prendre essor et de vivre. (Paul Mariéton).



Gérard Baudin, Frédéric Mistral : Illustre et méconnu, HC Editions, 2010.
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Il aurait pu devenir notaire, avocat, magistrat, député, ministre peut-être.
Mais ne supportant pas de voir sa langue maternelle reléguée au rang de patois, Frédéric Mistral préfère se faire poète. Mieux encore ! Il fait voeu de restaurer son idiome par la poésie, se faisant l'apôtre des pays d'Oc. De tous les grands écrivains et poètes, il est le seul au monde qui, par la poésie chantant sa province et composée dans sa langue régionale répudiée par les écoles de France, ait été couronné du prix Nobel de Littérature.

Au fil des ans, si le nom du Mistral survit, le souvenir de son oeuvre s'estompe. Les écoles ont depuis longtemps évincé ses écrits. Pour cause : ses poèmes et sa prose, dont toute la sève coule de sa langue maternelle, sont exagérément rangés sur les étagères des langues minoritaires, du folklore. Aussi, chaque citation, chaque article, chaque ouvrage nouveau s'élève en barricade contre l'oubli de sa mémoire, contre l'oubli d'une langue, contre l'oubli tout simplement.

Félibre mainteneur depuis 2006, Gérard Baudin fonde dès 1979 le Conservatoire documentaire et culturel Frédéric Mistral. Auteur de nombreux ouvrages d'histoire locale et régionale, il est également le créateur de la revue Échos de Provence. La curiosité de l'auteur et sa soif de rassembler une collection complète sur le père du Félibrige permettent de présenter ici la première biographie illustrée de Frédéric Mistral. (couv.).

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