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Le
monde
contemporain est un monde interconnecté, instable et paradoxal
: il combine des progrès technologiques inédits avec des régressions
sociales, une interdépendance globale avec des replis nationalistes, une
conscience écologique croissante avec une inertie politique. Les risques
systémiques augmentent : la conjonction des crises climatiques, des rivalités
technologiques, de la fragmentation économique et des conflits régionaux
crée un horizon d'interdépendance volatile. Les attentions se déplacent
vers la résilience (alimentaire, sanitaire, énergétique), la sécurisation
des infrastructures critiques et la prévention des chocs en cascade. Ces
grandes thématiques s'entrecroisent et se renforcent mutuellement. Comprendre
le monde d'aujourd'hui oblige donc à une vision d'ensemble, capable de
saisir à la fois les dynamiques globales et leurs impacts locaux, les
tensions entre modernité et tradition, universalisme et particularisme,
progrès et précarité.
La mondialisationLa mondialisation est la thématique au coeur de la plupart des enjeux globaux contemporains, agissant à la fois comme un puissant moteur de transformation et comme un amplificateur de contradictions. Elle n'est plus simplement un phénomène économique, mais un processus multidimensionnel qui recompose les équilibres planétaires.Sur le plan économique, elle a engendré une interdépendance sans précédent. Les chaînes de valeur sont désormais fragmentées à l'échelle du globe, créant une architecture productive où un produit fini dépend de composants provenant de multiples pays. Cette intégration a permis une réduction significative de la pauvreté dans certaines régions, mais elle a aussi accru les vulnérabilités. Une crise financière ou un choc d'offre, comme l'a illustré la pandémie de covid-19, se répercute instantanément à l'échelle mondiale, révélant la fragilité de ce système hyper-connecté. Cette interconnexion économique s'accompagne d'un volet culturel et technologique ambivalent. La diffusion massive de l'information et des modèles culturels crée une forme d'homogénéisation, tout en provoquant des réactions identitaires et des résistances locales. Les réseaux sociaux, produits et vecteurs de la mondialisation, peuvent unir des communautés dispersées autour de causes communes, mais aussi fragmenter l'espace public, amplifier la désinformation et attiser les tensions sociales. Les défis environnementaux sont, par nature, globalisés. Le changement climatique, la perte de biodiversité ou la pollution des océans ignorent les frontières. La mondialisation, par le biais du commerce international et d'un modèle de développement fondé sur la croissance, est un facteur clé de ces dégradations. Dans le même temps, elle est indispensable à leur résolution, car aucune solution ne peut être trouvée sans une coopération internationale approfondie et des accords multilatéraux contraignants. Enfin, la gouvernance mondiale est mise à l'épreuve. Les problèmes étant transnationaux, les réponses peinent à se structurer de manière efficace. Les États-nations voient leur souveraineté contestée par le pouvoir des firmes globales et des flux financiers dérégulés, tandis que les institutions internationales montrent souvent leurs limites. Ceci conduit à une multiplication des acteurs sur la scène internationale : organisations intergouvernementales, firmes multinationales, et organisations non gouvernementales (ONG) complètent l'autorité des États ou entrent en rivalité avec eux. Cette nouvelle architecture fragilise la souveraineté nationale et pose la question du déficit démocratique dans la gouvernance globale, où les instances de décision semblent éloignées des citoyens. Cette tension entre la nature globale des enjeux et le cadre souvent national des décisions politiques définit une grande partie des crises actuelles. Le droit est confronté à la nécessité de réguler des espaces et des flux qui lui échappent par nature. Se pose alors la question de l'harmonisation des législations, par exemple en matière commerciale, environnementale ou de droits humains, face à la persistance de souverainetés juridiques distinctes. De plus, l'émergence d'un droit souple (soft law, ou droit non contraignant) et la puissance des arbitrages privés posent la question de l'effectivité du droit face à des acteurs non-étatiques dotés d'un pouvoir considérable. La lutte contre la criminalité transnationale ou la fiscalité des géants du numérique illustrent l'immense difficulté à appliquer un cadre juridique à des activités qui exploitent les failles entre les systèmes nationaux. Sur le plan culturel, on observe un double mouvement paradoxal. D'un côté, une homogénéisation semble se produire, portée par la diffusion mondiale de modèles culturels, souvent associés à la consommation de masse et à la puissance médiatique de certains pays. Cette standardisation peut menacer la diversité des expressions locales et traditionnelles. De l'autre, ce même processus provoque des réactions de réaffirmation identitaire - un trait majeur de notre temps -, de résistance et de revitalisation des cultures locales. La mondialisation ne détruit pas nécessairement les spécificités, mais elle les recompose, en créant parfois des hybridations inédites qui alimentent des tensions entre une culture globale émergente et des identités particulières qui se renforcent. Enfin, la dimension technologique est à la fois un moteur et un produit de cette dynamique. Les technologies de l'information et de la communication ont annihilé les distances et le temps, permettant l'instantanéité des échanges et la formation de réseaux mondiaux. Elles sont le socle infrastructurel de la globalisation économique et culturelle. Cependant, elles créent également de nouvelles fractures, entre ceux qui ont accès au numérique et les autres, et soulèvent des enjeux inédits de sécurité, de surveillance de masse et de protection des données personnelles. La gouvernance de l'internet et l'intelligence artificielle deviennent ainsi des champs de bataille géopolitiques où s'affrontent différents modèles de société. La mondialisation apparaît ainsi comme un système où se négocient en permanence l'universel et le particulier, l'intégration et la fragmentation, le contrôle et la liberté. La recomposition de l'ordre internationalLa montée en puissance de nouvelles puissances.L'importance croissante des nouvelles puissances (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Turquie, ainsi que d'autres pays émergents souvent regroupés sous l'appellation de Sud global) est le premier indicateur de l'acuelle transformation du système international. Ces États, longtemps marginalisés ou relégués à un rôle secondaire dans les institutions multilatérales, ont accru leur poids économique, technologique et diplomatique, ce qui leur permet aujourd'hui de revendiquer une place centrale dans la gouvernance mondiale. • La ChineCette montée en puissance s'accompagne d'une redéfinition des normes, des priorités et des modalités de la coopération internationale. Ces pays tendent à rejetter l'universalisme normatif occidental, notamment sur les questions des droits humains, de la souveraineté ou de la non-ingérence, et défendent une vision pluraliste du monde, fondée sur le respect de la diversité des modèles politiques et de développement. Ils mettent en avant des principes tels que l'équité, la réforme des institutions multilatérales (Conseil de sécurité de l'ONU, FMI, Banque mondiale), le droit au développement, et la souveraineté technologique et énergétique. Leur coopération au sein des BRICS (Brésil, Russie La crise du multilatéralisme
traditionnel.
Les nouvelles puissances critiquent la bureaucratisation, l'inefficacité et le biais occidental des institutions héritées de Bretton Woods ou de la Charte de San Francisco (qui définit les principes de l'ONU), tout en proposant des solutions alternatives : mécanismes de règlement des différends Sud-Sud, monnaies de règlement local pour contourner le dollar, plateformes numériques souveraines, ou coopérations climatiques différenciées fondées sur la justice historique. Elles ne refusent pas en soi le multilatéralisme, mais réclament un multilatéralisme réformé, décolonisé, plus représentatif, ce qui, dans les faits, implique une redistribution du pouvoir décisionnel mondial. Cette dynamique ne conduit pas nécessairement à un nouvel ordre bipolaire ou multipolaire stable, mais à une pluralité d'ordres partiels, coexistants et parfois contradictoires, où la coordination globale devient plus complexe, plus négociée, et plus fragile. Les nouvelles
dynamiques.
La guerre en Ukraine L'affirmation stratégique et institutionnelle du « Sud Global » / BRICS (élargi) cherche à remodeler les règles économiques internationales : diversification des corridors d'investissement, création d'institutions alternatives de financement et volonté partagée d'amplifier la voix des pays en développement dans la gouvernance mondiale. Concrètement, cela signifie davantage d'arènes de négociation multipolaires et la possibilité d'initiatives concurrentes aux standards et institutions dominées par l'Occident. Cette recomposition ouvre des marges de manoeuvre pour des pays jadis périphériques, mais elle ne garantit pas l'unité politique, car les intérêts internes divergent fortement. La transition énergétique et la course aux matières premières critiques redéfinissent la géopolitique. L'électrification, les batteries, les énergies renouvelables et les réseaux intelligents exigent des minerais, des capacités de raffinage et des chaînes de transformation concentrées géographiquement. Le contrôle des maillons amont (extraction, raffinage, traitement) devient un levier stratégique comparable au pétrole au XXe siècle. Les États cherchent à sécuriser l'accès aux matériaux critiques (lithium, cobalt, terres rares, etc.), ce qui fait émerger de nouvelles dépendances, des rivalités d'accès et des politiques industrielles nationales axées sur ce qu'il est convenu d'appeler la souveraineté des chaînes d'approvisionnement. Les chaînes d'approvisionnement globales se réorganisent (politiques de nearshoring et de friend-shoring, incitations à la relocalisation, et multiplication des dispositifs de protection des technologies sensibles). La redondance (plusieurs fournisseurs géographiquement distincts) tend à devenir la norme pour des secteurs critiques, mais la création de nouvelles capacités (par exemple : usines de fabrication de semi-conducteurs) prend du temps et coûte cher, ce qui laisse un espace d'instabilité transitoire avec risques de pénuries et chocs prix. Les alliances militaires
et partenariats stratégiques se réarrangent plutôt que de disparaître.
On observe un renforcement de la pertinence des cadres traditionnels (OTAN,
pactes bilatéraux) mais aussi l'apparition d'architectures régionales
ad
hoc (coalitions Indo-Pacifiques, dialogue Quad ( = dialogue quadilatéral
pour la sécurité, impliquant les États-Unis, l'Inde, le Japon La diplomatie économique redevient un moteur de puissance : investissements d'État (fonds souverains, prêts d'infrastructures), conditionnalité des financements, et usage de la monnaie et des institutions financières comme instruments d'influence. L'essor d'initiatives financières non-occidentales et d'options pour régler des échanges hors dollar fragmente le privilège monétaire des pays avancés, sans toutefois le démanteler immédiatement. Les effets s'observent surtout dans les marges (contrats énergétiques, accords commerciaux régionaux, et réserves de change diversifiées par certains pays émergents). La gouvernance technologique et la régulation de l'intelligence artificielle (IA) représentent un nouveau front : les normes, standards, les contrôles à l'exportation et les compétitions pour le talent et les infrastructures cloud commencent à définir des sphères d'influence numérique. L'absence d'un cadre mondial consensuel crée un espace où des blocs normatifs concurrents peuvent s'imposer (ex. protection des données, usages militaires de l'IA, surveillance). Les zones de tension
géopolitique.
Principales zones de tension géopolitique dans le monde
Les formes des conflits contemporains. Les guerres asymétriques dominent désormais le paysage. Elles opposent des forces étatiques dotées d'armées conventionnelles à des groupes non étatiques beaucoup plus faibles en apparence, mais capables de contourner la supériorité militaire de leur adversaire grâce à des tactiques de guérilla, à la mobilité, à la connaissance du terrain et à l'exploitation des vulnérabilités politiques ou sociales. Ce type de confrontation repose ordinairement sur l'usure, la dispersion et la recherche de légitimité auprès des populations locales plutôt que sur la victoire militaire directe. Le terrorisme, qui est une expression particulière de la guerre asymétrique, vise à produire un impact psychologique disproportionné par rapport aux moyens utilisés. Les attaques ciblent des civils, des infrastructures symboliques ou des lieux de rassemblement afin de semer la peur, de provoquer une réaction politique excessive ou de polariser les sociétés. Le terrorisme s'appuie souvent sur des réseaux transnationaux, l'utilisation des technologies de communication, la radicalisation en ligne et la circulation de combattants ou de financements clandestins, ce qui rend sa prévention et son traitement particulièrement complexes. Les ingérences étrangères représentent aujourd'hui une manière indirecte mais structurante d'influer sur un conflit. Au lieu d'intervenir massivement, les puissances soutiennent discrètement des acteurs locaux, fournissent des armes, des conseillers ou un appui logistique, ou utilisent des moyens économiques et diplomatiques pour orienter le rapport de forces. Ce type d'intervention accentue généralement la durée des crises, complique leur résolution et transforme des conflits internes en enjeux géopolitiques régionaux ou mondiaux. On assiste par ailleurs à l'importance croissante prise par les conflits hybrides, qui combinent simultanément des actions militaires conventionnelles, des opérations clandestines, de la désinformation, ainsi que des pressions économiques ou énergétiques. Ces stratégies visent à brouiller les responsabilités, à déstabiliser l'adversaire sans franchir clairement les seuils de la guerre déclarée, et à exploiter les zones grises du droit international. Selon les contextes, les opérations hybrides peuvent s'appuyer sur des milices locales, des sociétés militaires privées, des cyberattaques et des campagnes médiatiques orchestrées. Les cyberconflits, qui se déroulent dans un espace où la frontière entre guerre et paix est particulièrement floue, sont typiques de la guerre hypride. Les attaques informatiques peuvent viser des infrastructures critiques (réseaux électriques, transports, hôpitaux, communications) ou des institutions politiques à travers le piratage, la diffusion de fausses informations ou l'espionnage numérique. Leur attribution peut être difficile, ce qui permet aux acteurs étatiques comme non étatiques de tester les défenses adverses et d'influencer les opinions publiques sans confrontation armée directe. À ces formes prises par les conflits s'ajoutent d'autres modes d'affrontement, comme les guerres économiques où sanctions, pressions commerciales et contrôles des chaînes d'approvisionnement deviennent des instruments stratégiques, ainsi que les conflits environnementaux liés à la raréfaction des ressources naturelles, aux changements climatiques ou à la compétition pour l'eau et les terres arables. Tout cela réuni compose un paysage conflictuel fragmenté, déterritorialisé et multidimensionnel, dans lequel les distinctions classiques entre guerre et paix, front et arrière, acteurs civils et militaires sont de plus en plus difficiles à tracer. Personnes déplacées,
réfugiés, migrants.
Les foyers de déplacement
sont variés mais quelques crises pèsent lourd : la guerre en Ukraine
(déplacement massif à l'échelle régionale et flux transfrontaliers),
la crise soudanaise (forte augmentation des IDPs et déplacements transfrontaliers
depuis 2023-2024, chiffres de l'ordre de plusieurs millions de personnes),
la situation au Venezuela (près de 8 millions de personnes à l'extérieur
du pays), les déplacements en Afghanistan, en Syrie, en Éthiopie, et
les flux de Rohingya depuis la Birmanie • Une accélération et une multiplication des situations de longue durée. - Un nombre croissant de personnes restent réfugiées ou déplacées pendant des années, ce qui pèse sur les capacités des pays hôtes et remet en question les réponses d'urgence uniquement focalisées sur la survie.On observe que la majorité des personnes déplacées restent dans des pays voisins et des pays à revenu faible ou intermédiaire (logique de proximité), mais les pressions politiques au Nord ont renforcé des politiques de fermeture, d'externalisation des frontières et de contournement des protections (accords de tiers pays, hotspots, contrôle renforcé), ce qui pousse beaucoup de personnes vers des itinéraires plus dangereux ou vers la précarité locale. Les capacités d'accueil sont inégalement réparties et généralement sous-financées, surtout lorsque les déplacements sont prolongés. Les profils des personnes déplacées sont hétérogènes : femmes et enfants constituent généralement la majorité des réfugiés et des personnes déplacées internes, mais on trouve aussi des hommes isolés, des familles entières, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap; des groupes particulièrement vulnérables (apatrides, minorités ethniques, victimes de violences sexuelles, personnes LGBTQ+, personnes sans papiers) subissent des risques additionnels d'exploitation, de détention administrative, de discrimination et d'absence d'accès aux services. La question du statut juridique (réfugié reconnu, demandeur d'asile, migrant économique, personne déplacée interne) influe énormément sur l'accès à la protection, au travail et aux droits sociaux. Sur le plan humanitaire et opérationnel, les besoins dépassent habituellement les ressources. Les budgets humanitaires sont tendus et la multiplication des crises oblige les agences à arbitrer entre secours d'urgence, protection et programmes de résilience/long terme. Les mécanismes classiques (réinstallation, parrainages, voies humanitaires) couvrent une fraction très réduite des besoins. Par exemple, le nombre de places de réinstallation reste minime par rapport aux millions en besoin. Les retours volontaires existent mais restent limités et fragiles dans de nombreux contextes, dépendant d'un cadre de sécurité, d'accès aux terres et d'un minimum de services. Les conséquences socio-économiques sont profondes, tant pour les déplacés que pour les sociétés d'accueil : pressions sur le logement, les marchés du travail informel, les services de santé et d'éducation; effet possible de dynamisme économique local, mais aussi tensions sociales et politiques lorsque l'intégration n'est pas soutenue. Les transferts (envois de fonds) vers les pays d'origine restent un élément de soutien essentiel pour de nombreuses familles déplacées, mais ils n'effacent pas les besoins en protection. Ajoutons, que l'on assiste de plus en plus à une augmentation des mouvements mixtes (combinaison facteurs économiques, climatiques, sécuritaires), à un recours accru à des réseaux de passeurs organisés, à un allongement des temps de transit, à une urbanisation des réfugiés (nombre croissant de personnes vivant dans les villes plutôt qu'en camps) et à une diversification des lieux d'accueil (cités périphériques, zones rurales). Par ailleurs, des questions clés demeurent ouvertes, comme l'insuffisance des mécanismes globaux de répartition de la charge entre États ou des solutions pour traiter les retours forcés lorsqu'ils ne respectent pas le principe de non-refoulement. Les débats internationaux portent aussi sur l'intégration des enjeux climatiques (pas de statut ni même de définition universellement admise du "déplacé climatique ") dans les négociations migratoires et humanitaires (COP, forums de migration). Les remises en question du néolibéralismeLe paradigme néolibéral.Le néolibéralisme, devenu le modèle économique dominant depuis les années 1980, s'est traduit concrètement par une série de politiques visant à recentrer l'économie autour des mécanismes du marché, à réduire l'intervention étatique dans la sphère économique et à favoriser la libre circulation des biens, des capitaux et des services. Parmi ses expressions les plus marquantes figurent les vagues de privatisations d'entreprises publiques (notamment dans les secteurs de l'énergie, des transports et des télécommunications), la déréglementation des marchés financiers et du travail, la réduction des dépenses sociales et fiscales (via des baisses d'impôts sur le capital et les hauts revenus), ainsi que la promotion du libre-échange à travers des accords multilatéraux ou bilatéraux. Ces politiques ont souvent été justifiées par l'efficacité supposée des marchés, la nécessité de la compétitivité internationale et la contrainte budgétaire imposée par la globalisation financière. Le néolibéralisme
face aux crises.
La pandémie de 2020 a constitué un nouveau moment de rupture, en forçant une réhabilitation temporaire, peut-être durable, du rôle de l'État dans la gestion des biens communs (santé, protection sociale, soutien aux revenus) et dans la coordination des réponses économiques (nationalisations temporaires, subventions massives, intervention directe dans les chaînes d'approvisionnement). Ce retour de l'État n'a pas signifié l'abandon du cadre néolibéral ( la plupart des dispositifs de soutien ont été conçus de manière temporaire et conditionnée à la stabilité macroéconomique) mais il a ouvert des brèches dans l'orthodoxie, mettant en lumière cette fois encore les contradictions d'un modèle incapable de faire face à des chocs systémiques sans recourir à des mesures interventionnistes qu'il avait auparavant vilipendées. L'inflation post-2021, exacerbée par les tensions géopolitiques (à commencer par la guerre en Ukraine), les ruptures des chaînes logistiques et les politiques monétaires ultra-expansionnistes des années précédentes, a forcé les banques centrales à resserrer drastiquement leur politique monétaire, mettant fin à une ère de taux bas qui avait soutenu la valorisation des actifs financiers et la dette privée. Cette remontée des taux a fragilisé les États surendettés, relancé les débats sur la soutenabilité des dépenses publiques, et réactivé les tensions entre exigences financières et besoins sociaux ou écologiques. Ces crises ont conduit le néolibéralisme à se transformer. Il tend désormais à s'hybrider avec des formes de protectionnisme stratégique (comme dans les politiques industrielles des États-Unis ou de l'Union Européenne autour des semi-conducteurs), à s'accompagner d'un souverainisme économique (relocalisations partielles, sécurisation des approvisionnements critiques), ou encore à intégrer des préoccupations environnementales dans un cadre de marchandisation (marchés du carbone, financiarisation de la transition écologique). Les perspectives du néolibéralisme se jouent donc moins sur un abandon frontal que sur une recomposition : celle-ci passe par une adaptation aux impératifs de résilience, de souveraineté et de justice sociale, sans pour autant remettre en cause les asymétries de pouvoir entre capital et travail, entre finance et économie réelle. Le consensus néolibéral classique s'effrite, mais il cède la place non pas à une alternative systémique claire, mais à un néolibéralisme révisé, plus interventionniste sur certains fronts, plus autoritaire sur d'autres, et toujours fortement ancré dans une logique de compétitivité globale. La montée des populismes, les mobilisations sociales, l'urgence climatique et les rivalités géo-économiques entre grandes puissances empêchent un retour pur et simple à l'orthodoxie des années 1990-2000 et constituent autant de forces qui poussent à cette mutation. Approches alternatives.
Des modèles économiques alternatifs
Un monde d'inégalitésInégalités économiques croissantes.L'inégalité dans la répartition des richesses se manifeste aujourd'hui à plusieurs échelles, de l'échelle mondiale à celle des pays, des régions et, au final, des individus. L'ensemble de ces échelles interagit : les dynamiques mondiales influencent les situations nationales, qui elles-mêmes conditionnent les réalités régionales et individuelles. Face à ces inégalités multiformes, les politiques publiques (redistribution, fiscalité, protection sociale, développement territorial, accès universel aux services essentiels) jouent un rôle déterminant, mais leur mise en oeuvre dépend des choix politiques et de la capacité des sociétés à considérer la réduction des écarts comme un objectif prioritaire. Les écarts entre
pays restent très marqués. Les économies dites développées concentrent
une grande partie de la richesse produite, tandis que les pays les plus
pauvres, souvent situés en Afrique Presque tous les pays connaissent une montée des inégalités internes. Dans les économies développées, la concentration des richesses dans les mains d'une minorité a fortement augmenté depuis la fin du XXe siècle. Cela s'explique par la financiarisation de l'économie, l'augmentation des revenus du capital par rapport à ceux du travail, et l'affaiblissement de certains mécanismes de redistribution. Les classes moyennes se fragilisent dans de nombreux pays, tandis qu'une élite très riche consolide sa position à travers la propriété d'actifs financiers ou immobiliers. Dans les pays émergents, la croissance a sorti des millions de personnes de la pauvreté, mais les inégalités persistent en raison de la dualité entre secteurs modernes et secteurs traditionnels, de l'accès inégal à l'éducation et à la santé, ou de systèmes fiscaux moins redistributifs. Les écarts se retrouvent au sein même des États. Certaines zones urbaines dynamiques concentrent emplois qualifiés, infrastructures et investissements, alors que des régions rurales ou anciennement industrielles connaissent le déclin économique, le chômage ou la pauvreté. Cette fracture territoriale crée des disparités en matière d'accès aux services publics, de mobilité sociale et de perspectives d'avenir. Les grandes métropoles, particulièrement attractives, sont aussi des lieux de fortes inégalités internes, opposant quartiers aisés et espaces marginalisés. Précarité et
fractures sociales.
Les individus concernés cumulent généralement un manque de ressources économiques avec une faible reconnaissance sociale et un accès limité aux réseaux d'influence. Les difficultés d'accès à l'éducation, à la santé ou aux mobilités (transports, numérique) amplifient les écarts et limitent les possibilités de sortie de la pauvreté. La fracture numérique, en particulier, est devenue un facteur majeur d'exclusion : dans un monde où les démarches administratives, la formation et l'accès à l'emploi passent par Internet, ne pas disposer d'un équipement ou de compétences numériques suffisantes renforce la marginalisation. La fragmentation de la société en groupes qui n'ont plus les mêmes conditions de vie, les mêmes perspectives ni les mêmes trajectoires traverse les sociétés contemporaines selon des lignes multiples : classes sociales, territoires, générations, niveaux de diplôme, origines culturelles ou migrations. Les inégalités intergénérationnelles se creusent. Les jeunes tendent à être plus exposés à la précarité que leurs aînés, notamment en raison de la hausse du coût des études, de l'accès difficile au logement et de la concurrence accrue sur le marché du travail. Les discriminations liées à l'origine, à la couleur de peau ou au genre amplifient ces fractures, en limitant l'accès à l'emploi, à la formation ou à des positions de responsabilité. Les fractures territoriales occupent également une place centrale. Les grandes métropoles concentrent les emplois qualifiés, les infrastructures et les services, mais elles sont aussi des espaces où les inégalités internes sont très marquées. À l'inverse, certaines régions rurales, industrielles ou périphériques accumulent les difficultés : déclin économique, services publics réduits, isolement social. La mesure du problème.
Selon un rapport de l'ONG Oxfam, depuis 2020 les 1 % les plus riches dans le monde ont accumulé près de 63 % des 42 000 milliards de dollars de nouvelle richesse mondiale, soit environ 26 000 milliards $ pour eux, contre seulement 16 000 milliards pour les 99 % restants. Entre 2015 et 2023, la seule augmention de la richesse du top 1 % aurait suffi à éradiquer la pauvreté extrême 22 fois. Une proportion de 60 % de la richesse des milliardaires provient de l'héritage, des monopoles ou de liens « crony » ( = copinage entre décideurs politiques et acteurs économiques), selon eux. En 2023, les 1 % les plus riches possédaient 43,3 % des richesses financières mondiales, alors que les 99 % restants n'avaient donc que 56,7 %. Selon la Banque mondiale et les Nations unies, autour de 839 millions de personnes vivaient en pauvreté extrême d'après la nouvelle estimation (soit environ 10,3 % de la population mondiale). Selon le rapport Poverty, Prosperity, and Planet (Banque mondiale), environ 3,5 milliards de personnes (44 % de la population mondiale) vivent avec moins de 6,85 $/jour, un seuil plus élevé que celui de la “pauvreté extrême†mais reflétant des conditions économiques très fragiles. En 2023, 241 millions de travailleurs vivaient avec moins de 2,15 $/jour, ce qui montre qu'un emploi ne protège pas nécessairement de la pauvreté. Sur la dimension territoriale et générationnelle : même si les données globales complètes sont moins synthétisées, les rapports de pauvreté mettent en évidence que la pauvreté extrême se concentre fortement en Afrique sub-saharienne et dans les pays fragiles / en conflit. Pour ce qui concerne la croissance des inégalités de richesse, la concentration de la richesse au sommet (ultra-riches, milliardaires) s'accélère. Par exemple, en 2024, les milliardaires ont vu leur patrimoine croître de 2000 milliards de dollars selon Oxfam. Un tour d'horizon des inégalités économiques
Autres formes d'inégalités. Les inégalités se traduisent aussi par des différences dans les conditions de vie, l'accès à la santé, à l'éducation, au logement ou encore à la culture. Elles se renforcent notamment à travers des mécanismes d'héritage, puisque la transmission de patrimoine contribue à la reproduction sociale. Les inégalités de genre, d'origine ou de statut migratoire impactent les opportunités économiques et la capacité d'accumuler des ressources. La précarité, les emplois informels ou peu qualifiés, ainsi que les discriminations structurent ainsi les trajectoires individuelles. Inégalités
d'accès à l'eau au logement et aux ressources alimentaires.
L'accès à l'eau potable reste marqué par un écart considérable entre les régions. Dans de nombreux pays industrialisés, l'eau courante est abondante, sûre et relativement peu coûteuse. À l'inverse, dans de vastes zones d'Afrique subsaharienne, d'Asie du Sud ou du Moyen-Orient, la raréfaction des ressources hydriques, la pression démographique et la faiblesse des infrastructures compliquent l'accès quotidien à une eau saine. Les populations y consacrent souvent une part importante de leur temps et de leurs revenus, tandis que la pollution industrielle, agricole ou domestique dégrade la qualité des sources disponibles. Le changement climatique amplifie ces disparités : sécheresses prolongées et épisodes extrêmes fragilisent encore davantage les régions déjà vulnérables. Les inégalités en matière de logement découlent d'une combinaison de pression foncière, d'urbanisation rapide et de spéculation immobilière. Dans les grandes métropoles, l'augmentation du prix du foncier et la financiarisation de l'immobilier créent un fossé entre ceux qui peuvent accéder à un logement décent et ceux qui en sont exclus. La croissance urbaine non planifiée dans les pays en développement engendre une prolifération de quartiers informels souvent dépourvus de services essentiels comme l'électricité, l'assainissement ou la gestion des déchets. Les conflits armés, les déplacements forcés et les catastrophes naturelles aggravent cette situation, contribuant à une hausse continue du nombre de personnes sans abri ou vivant dans des conditions précaires. Pendant ce temps, dans certaines zones rurales, le manque d'investissements publics et l'exode des jeunes rendent les logements insalubres et sous-équipés. Les ressources alimentaires, enfin, illustrent à elles seules la contradiction du monde moderne : une production suffisante pour nourrir l'ensemble de la planète coexiste avec des centaines de millions de personnes en situation d'insécurité alimentaire. Cette disparité s'explique principalement par des inégalités d'accès plutôt que par une insuffisance de production. Le pouvoir d'achat, l'instabilité politique, les conflits locaux, les barrières commerciales et les infrastructures défaillantes jouent un rôle central dans la privation alimentaire. Le gaspillage dans les pays riches contraste fortement avec les pénuries chroniques dans les régions pauvres. Par ailleurs, les changements climatiques modifient les rendements agricoles et accentiuent les vulnérabilités dans les zones déjà touchées par la dégradation des sols ou la désertification. Inégalités d'accès à l'éducation, à la culture et aux technologies. Les inégalités d'accès à l'éducation, à la culture et aux technologies façonnent les trajectoires individuelles, la cohésion sociale, la mobilité économique et la capacité collective à participer au développement mondial. Ces trois types d'inégalités interagissent étroitement. Un accès limité à l'éducation réduit les capacités à utiliser les technologies, tandis que l'absence de moyens technologiques entrave l'apprentissage ou l'accès à la culture. La pauvreté, la marginalisation sociale ou l'instabilité politique accentuent simultanément les difficultés dans ces trois domaines, créant des spirales de désavantage difficilement réversibles. L'accès à l'éducation demeure très inégal selon le niveau de richesse, le genre, l'origine géographique ou la stabilité politique des régions. Dans certains pays, l'enseignement primaire et secondaire est gratuit, obligatoire et soutenu par des infrastructures et un personnel qualifié. Ailleurs, la scolarisation est entravée par des coûts directs ou indirects trop élevés, des distances importantes entre les établissements et les lieux de vie, ou encore des pratiques discriminatoires. Les zones rurales de nombreux pays souffrent d'un manque d'enseignants, de bâtiments vétustes et de ressources pédagogiques limitées. Les conflits armés, les déplacements de population et les catastrophes naturelles perturbent durablement l'accès à l'école, entraînant des générations d'enfants dans une scolarité fragmentée ou inexistante. Parallèlement, les systèmes éducatifs des pays les plus développés renforcent parfois les inégalités internes par une sélection précoce, des écarts territoriaux prononcés ou une répartition inégale des financements publics. Les inégalités culturelles s'enracinent elles aussi dans la distribution inégale des ressources, du temps disponible et de l'accès aux lieux et aux pratiques culturelles. Dans les grandes métropoles, les musées, bibliothèques, théâtres, cinémas et centres artistiques sont nombreux mais souvent concentrés dans des quartiers favorisés. Les populations à faibles revenus y accèdent moins en raison des coûts, de l'éloignement ou d'un sentiment d'exclusion sociale. À l'inverse, les zones rurales ou périphériques disposent de peu de lieux dédiés à la création et à la diffusion culturelle, ce qui limite les possibilités de formation artistique et de participation à la vie culturelle. Les inégalités culturelles sont également symboliques : certaines pratiques, jugées plus légitimes , bénéficient d'un prestige social alors que d'autres, populaires ou minoritaires, sont marginalisées. L'accès à la culture joue pourtant un rôle essentiel dans la construction identitaire, la liberté d'expression, l'émancipation individuelle et la participation citoyenne. Les inégalités d'accès aux technologies, notamment numériques, sont devenues l'un des enjeux centraux du XXIe siècle. Le fossé numérique sépare non seulement les pays dotés d'infrastructures avancées des pays où l'accès à Internet reste limité ou coûteux, mais aussi les populations au sein d'un même territoire. Un large nombre de foyers dans le monde ne disposent pas de connexion fiable ou d'équipements adaptés, ce qui restreint l'accès à l'information, aux services administratifs, à l'éducation en ligne ou à l'emploi. La maîtrise des outils numériques varie également fortement selon l'âge, le niveau de formation et le milieu social. À cette fracture matérielle s'ajoute une fracture cognitive : comprendre, trier, analyser et utiliser de manière critique les informations disponibles demande des compétences spécifiques. Dans un contexte où les technologies conditionnent de plus en plus la participation sociale, professionnelle et citoyenne, ne pas y avoir accès accentue les autres formes d'exclusion. Inégalités
d'accès aux soins.
Les infrastructures médicales constituent un autre facteur de disparité. Les zones rurales ou marginalisées, même dans les pays développés, souffrent parfois d'un manque d'hôpitaux, de centres de santé, d'équipements diagnostiques ou de spécialistes. Dans les pays en développement, les infrastructures peuvent être insuffisantes pour faire face à des crises sanitaires soudaines ou à la gestion à long terme des maladies chroniques. La pénurie de personnel de santé, exacerbée par la migration des professionnels vers des régions mieux rémunérées, aggrave encore ces inégalités. La révolution numériqueLa révolution numérique redessine les structures économiques, politiques, culturelles et relationnelles des sociétés contemporaines. À la base de cette transformation se trouvent la convergence de plusieurs technologies (internet haut débit, smartphones, cloud computing, big data, intelligence artificielle, objets connectés, plateformes numériques, blockchain, robotique, etc.) et une logique commune : la conversion croissante d'activités, de comportements et de ressources en données exploitables, la mise en réseau instantanée des individus et des institutions, et l'automatisation progressive des décisions et des tâches. Ces dynamiques produisent des effets systémiques bénéfiques ou ambivalents, et parfois profondément perturbateurs. La révolution numérique, en redistribuant le pouvoir entre différents acteurs oblige à repenser la manière dont l'information est produite, les relations sociales sont vécues et le pouvoir est exercé.La numérisation a provoqué la plateformisation des marchés : des intermédiaires numériques centralisent échange, visibilité et paiement (marchés de transport, commerce, services, hébergement). Elles créent des économies d'échelle massives, abaissent les coûts de transaction et facilitent l'accès à des marchés mondiaux, mais elles concentrent aussi pouvoir de marché, données et profits entre quelques acteurs dominants, transformant la concurrence et posant des défis à la régulation. La valeur se déplace également vers les actifs immatériels (données, algorithmes, réseaux d'utilisateurs), ce qui modifie les règles de la création de richesse. Parallèlement, l'automatisation et l'intelligence artificielle modifient la nature du travail et redéfinissent aussi les trajectoires professionnelles. Les tâches routinières disparaissent ou se transforment. Le télétravail, facilité par les outils numériques, a rendu plus flexibles les lieux et rythmes de travail tout en brouillant les frontières entre vie professionnelle et vie privée. Les plateformes favorisent l'auto-entrepreneuriat, et l'ubérisation, c'est-à -dire le travail à la demande et les "petits boulots" (gig economy), qui créede la flexibilité mais aussi de la précarité. Cette évolution conduit à la fragmentation des carrières et parfois à la réduction des protections sociales. Comme on l'a dit plus haut, l'accès inégal aux infrastructures numériques et aux compétences crée, par ailleurs, une nouvelle fracture sociale entre ceux qui maîtrisent les outils numériques et les autres qui risquent d'être marginalisés. Le numérique transforme aussi la participation citoyenne, la communication politique et la gouvernance, mais aussi les rapports interpersonnels. Les médias sociaux facilitent la mobilisation, la formation d'opinions et l'émergence de mouvements sociaux horizontaux, mais ils permettent aussi la propagation rapide de désinformation, la polarisation algorithmique et l'apparition d'écosystèmes informationnels cloisonnés. Les plateformes permettent une diffusion instantanée et mondiale de contenus, mais elles favorisent aussi la propagation de fausses nouvelles quimanipulent l'opinion publique et fragilisent la confiance dans les institutions démocratiques. Les frontières entre information vérifiée, opinion et manipulation deviennent difficiles à tracer, tandis que le rôle des algorithmes dans la mise en avant de contenus sensationnalistes renforce mécaniquement ce phénomène. Les biais algorithmiques soulèvent encore une autre série de préoccupations. Conçus à partir de données humaines imparfaites quand ce n'est pas dans une perspective délibérément orientée, les algorithmes reproduisent et parfois aggravent les discriminations déjà existantes. Ils influencent l'accès à l'emploi, au crédit, aux soins ou à la justice. L'opacité des modèles, combinée à leur apparente objectivité, crée une illusion de neutralité qui masque des mécanismes potentiellement injustes. De ce point de vue, la gouvernance algorithmique, c'est-à -dire le recours à des algorithmes pour orienter décisions administratives, allocations de ressources ou même maintien de l'ordre, est particulièrement préoccupante. Les capacités de surveillance et d'analyse des données donnent aux États et aux entreprises des outils puissants pour comprendre, cibler et influencer les comportement. La surveillance de masse, pratiquée de manière systématique dans certains pays, à commencer par la Chine, met en lumière le risque d'un contrôle social technologique. Les caméras intelligentes, la reconnaissance faciale, le scoring social ( = évaluation et des individus en fonction de leur comportement sur les réseaux sociaux), le suivi en temps réel sont autant de dispositifs qui permettent à l'État de surveiller les comportements individuels, de sanctionner les écarts et d'orienter les conduites. Cette surveillance affecte la liberté individuelle, la dissidence politique et l'autonomie citoyenne, et ouvre la voie à des formes inédites d'autoritarisme numérique. La vie privée se trouve également bouleversée. Les géants du numérique collectent, croisent et exploitent d'immenses quantités de données personnelles, la plupart du temps à l'insu des utilisateurs. Les individus perdent le contrôle sur leur identité numérique, tandis que des profils comportementaux extrêmement détaillés peuvent être constitués à des fins commerciales ou de surveillance. La question éthique centrale réside alors dans le consentement réel des utilisateurs et dans la possibilité d'exercer un contrôle tangible sur leurs données. Le cyberharcèlement constitue une autre problématique majeure. L'anonymat relatif, la rapidité des échanges et l'effet de groupe amplifient des comportements hostiles qui, auparavant, restaient limités dans l'espace et le temps. Ces violences numériques ont des conséquences psychologiques réelles, parfois dramatiques, en particulier chez les plus jeunes. Elles interrogent la responsabilité des plateformes et la nécessité d'encadrer l'usage des espaces numériques sans pour autant restreindre la liberté d'expression. L'émergence rapide de technologies numériques force les États à repenser cadres et normes : protection des données personnelles, fiscalité des géants du numérique, droit du travail pour travailleurs des plateformes, régulation des contenus en ligne, responsabilité algorithmique. Les réponses varient selon les juridictions et sont la plupart du temps en retard par rapport à l'innovation, ce qui crée des zones grises et des arbitrages difficiles entre innovation, concurrence, droits fondamentaux et sécurité. La sécurité et la cybercriminalité sont des vecteurs de transformation lourds : la numérisation des infrastructures critiques, des systèmes financiers, et des appareils domestiques élargit la surface d'attaque. Les sociétés doivent investir en cyberdéfense, résilience et formation, tout en équilibrant sécurité et protection des libertés. La révolution numérique a également des dimensions géopolitiques : la maîtrise des infrastructures (fibre, câbles sous-marins, 5G), le contrôle des standards technologiques et la capacité industrielle en semi-conducteurs deviennent des enjeux de puissance. Les données et les plateformes jouent un rôle stratégique, en entraînant rivalités et nouvelles alliances internationales. La numérisation a changé la manière dont les individus consomment, produisent et partagent de la culture. La création s'est démocratisée : n'importe qui peut publier, créer un podcast, une vidéo ou une application. Les plateformes favorisent la viralité et la fragmentation des publics; la culture populaire est désormais façonnée par des logiques d'attention et d'engagement mesurables. Mais cela a aussi un impact sur la diversité culturelle : les algorithmes de recommandation peuvent renforcer les contenus mainstream ou les bulles de confirmation, tandis que la concentration des catalogues chez quelques acteurs affecte la diversité de l'offre. En matière d'éducation et de formation, les outils numériques offrent des perspectives inédites : un accès mondial à des ressources éducatives, un apprentissage personnalisé, formation continue via des MOOCs (massive open online course = cours en ligne ouverts et massifs) et des plateformes spécialisées. Ces possibilités sont cependant conditionnées par l'accès à Internet et aux compétences numériques, sans quoi cette révolution peut renforcer les inégalités éducatives. De plus, la nature même des compétences demandées évolue : priorité aux compétences numériques, à la pensée critique face à l'information, et à la capacité d'apprentissage continu. Le secteur de la santé subit aussi des transformations profondes. La télémédecine, les dispositifs connectés, les analyses de données de santé et les modèles prédictifs améliorent le suivi, la prévention et la détection précoce de maladies. Ces innovations soulèvent cependant des questions de confidentialité, d'interopérabilité des données et de responsabilité en cas d'erreur algorithmique. Elles posent aussi des dilemmes éthiques sur l'accès équitable aux soins et sur la marchandisation possible des données de santé. Par ailleurs, les sphères urbaine et environnementale voient émerger des « villes intelligentes » où capteurs et données servent à optimiser la mobilité, l'énergie, la gestion des déchets et la sécurité. Cela promet efficience et résilience, mais soulève aussi la problématique du contrôle, de la surveillance et de l'acceptabilité sociale des systèmes collectant des données en continu. D'autres enjeux complètent ce tableau, comme l'impact environnemental du numérique (consommation énergétique des centres de données, extraction des minerais dont l'industrie numérique est consommatrice, déchets électroniques), les dérives possibles de l'intelligence artificielle autonome, ou encore la dépendance croissante de nos sociétés à des infrastructures technologiques vulnérables. On ajoutera à cela une composante idéologique probablement appelée à se développer, avec les questions posées notamment par le transhumanisme, très en faveur chez certains dirigeants de la tech, et qui fait de la technologie un levier d'augmentation des capacités humaines. Des innovations comme les interfaces neuronales, les implants, l'augmentation cognitive ou physique, promettent d'améliorer la condition humaine, mais posent des questions fondamentales sur l'égalité et le risque de créer de nouvelles formes d'élitisme biologique. Les mutations sociales, culturelles et identitairesLes structures sociales sont particulièrement touchées par l'accélération des mobilités, qu'il s'agisse de migrations internationales, de mobilités professionnelles ou de circulation instantanée de l'information. Les frontières entre espaces publics et privés deviennent plus poreuses sous l'effet de la numérisation. Les réseaux sociaux modifient les formes d'interaction, favorisent des communautés affinitaires et renforcent parfois les phénomènes de polarisation. Dans le monde du travail, la montée de la précarité, l'économie de plateforme, la robotisation et l'intelligence artificielle redéfinissent les qualifications, les statuts et le rapport au temps.Les transformations culturelles découlent en grande partie de la mondialisation, qui facilite l'accès à une immensité de biens symboliques tout en posant la question de la standardisation. Les cultures circulent plus vite, se rencontrent et se transforment mutuellement, générant de nouveaux métissages dans la musique, la cuisine, la mode ou les pratiques artistiques. La culture numérique introduit de nouveaux modes de création et de diffusion, démocratise l'accès à certaines formes d'expression, mais crée aussi une hiérarchie inédite fondée sur la visibilité et l'algorithme. La vitesse à laquelle les références culturelles apparaissent et disparaissent s'accélère, modifiant le rapport au temps et aux héritages. Parallèlement, l'essor du capitalisme culturel transforme les pratiques en marchandises mondiales, tandis que des mouvements revendiquent la valorisation de cultures locales ou minoritaires, cherchant à préserver leurs spécificités face à la logique d'uniformisation. Les identités connaissent elles aussi une recomposition profonde dans un contexte où les appartenances se multiplient et deviennent plus fluides. L'individu contemporain se définit à la croisée de ses origines, de ses expériences, de ses affiliations numériques et de ses engagements. Dans ce contexte, l'identité est d'abord une identification. Les revendications identitaires se renforcent dans les débats publics, qu'il s'agisse des questions de genre, d'orientation sexuelle, de religion ou de langue. Les luttes pour la reconnaissance occupent une place grandissante, nourries par l'accès plus large à la parole grâce aux outils numériques. Cette quête de reconnaissance s'articule parfois avec un besoin de sécurisation symbolique. En même temps, des discours universalistes et cosmopolites cherchent à dépasser ces clivages, et valorisent l'interconnexion globale et la construction de liens transnationaux. Les transformations environnementales influencent également les identités et les cultures, en nourrissant de nouveaux imaginaires autour de la nature, du vivant et de l'Anthropocène. Les crises écologiques, sanitaires ou climatiques réinterrogent le sens du progrès, les modes de consommation et le rôle de l'humain dans l'écosystème mondial. Elles génèrent des mouvements sociaux porteurs d'une identité écologique globale, mais aussi des replis locaux visant à défendre des modes de vie traditionnels menacés. Dans ce monde marqué par l'incertitude et la complexité, les mutations sociales, culturelles et identitaires ne se contentent pas de transformer les structures ; elles transforment aussi les perceptions, les attentes et les imaginaires. Elles produisent simultanément de nouvelles tensions et de nouvelles solidarités, de nouvelles fractures et de nouvelles possibilités. De l'individualisme
à l'identitarisme.
Une dynamique qui s'explique par la montée de l'éducation, l'accès élargi à l'information et l'importance accordée à la réalisation de soi, à l'expression de soi, quand ce n'est pas à l'autocontemplation (parfois, on ne visite plus les Pyramides, les temples d'Angkor ou le Grand Canyon comme des lieux de découverte, mais comme des occasions de faire un selfie...). L'individu moderne est encouragé à définir ses propres priorités, à construire un parcours qui se veut singulier et à affirmer des préférences qu'il imagine ne plus être contraintes par les normes d'un groupe. Cependant, cet individualisme n'est pas véritablement un retrait du collectif : il se traduit aussi par une diversification des engagements, souvent ponctuels, affectifs ou thématiques, en quête de cohérence avec son identité personnelle. C'est à une recomposition du collectif que l'on assiste, mais sur des bases différentes, plus fragmentées, plus instables. L'individu est de moins en moins citoyen et de plus en plus consommateur (par exemple, il consomme les services publics, n'y voyant plus un bien collectif). Devant l'offre foisonnante qui lui est présentée, il achète ou n'achète pas, se croyant chaque fois (peut-être parfois à raison) maître de son choix.. Face à cette affirmation de l'individu-consommateur, on observe simultanément une quête de sens collective qui répond à des besoins de cohésion, de solidarité et d'appartenance. Les crises successives alimentent un sentiment d'incertitude qui renforce le désir de repères partagés. De nouveaux espaces de mobilisation apparaissent en dehors des structures institutionnelles, autour de causes globales comme la justice climatique, l'égalité de genre, la protection du vivant, la lutte contre les discriminations ou encore de nouvelles manières de penser la citoyenneté. Mais cette quête de sens peut aussi prendre des tours très discutables et parfois condamnables : l'offre disponible concerne aussi le repli identitaire et, avec lui parfois, les radicalités les plus mortifères. L'identitarisme.
L'identitarisme s'inscrit précisément dans ce vide laissé par la désagrégation des cadres anciens. Il propose des réponses simples et fortement émotionnelles à des individus qui se sentent isolés ou désorientés. Plus l'identité personnelle se construit de manière réflexive, plus elle peut devenir anxiogène; l'identitarisme promet alors une identité préfabriquée, stable et collective, dans laquelle l'individu peut se reconnaître sans effort. Ce phénomène transforme la liberté individuelle en une quête d'ancrage : l'individu autonome cherche un groupe qui lui donne une cohérence et une continuité que l'individualisme, seul, ne garantit pas. L'individualisme favorise aussi l'identitarisme en valorisant le droit à l'expression illimitée de soi. Dans ce cadre, l'identité devient un bien symbolique à afficher, défendre et parfois imposer. Les récits identitaires, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires, se trouvent renforcés par un climat culturel où chacun se sent légitime à affirmer publiquement sa singularité ou son appartenance. Sur les réseaux sociaux, ce mécanisme est amplifié : l'individu construit sa visibilité et son statut en s'alignant avec une identité collective qui lui fournit un répertoire de signes, de discours et d'indignations partagées. L'individualisme économique contribue également à nourrir la demande identitaire. La précarité, la mobilité forcée et la compétition constante fragilisent les trajectoires personnelles. L'identitarisme peut alors fonctionner comme une compensation symbolique : face à l'incertitude matérielle ou à la perte de contrôle, il offre un sentiment de maîtrise et de reconnaissance à travers le collectif. Plus les individus se sentent vulnérables comme acteurs économiques, plus ils peuvent chercher refuge dans des appartenances qui leur donnent une forme de sécurité psychologique ou symbolique. Enfin, individualisme et identitarisme se rencontrent dans la manière dont les identités se transforment en choix personnels. Les appartenances religieuses, nationales, d'origine ou culturelles, autrefois imposées, peuvent devenir des objets de réappropriation volontaire. L'identitarisme contemporain, même dans ses formes les plus exclusives, ne repose pas seulement sur l'héritage; il se fonde aussi sur l'auto-désignation, la performance et la revendication, ce qui l'inscrit paradoxalement dans une logique individualiste. L'identitarisme contemporain se manifeste sous plusieurs formes, allant des mouvements sociaux aux théories politiques. Il peut inclure des nationalismes exacerbés, des revendications ethniques ou culturelles et des affirmations religieuses. Les communautarismes, qui promeuvent la préservation des traditions et des identités spécifiques au sein de groupes minoritaires, constituent également une forme d'identitarisme. De plus, le féminisme identitaire et les mouvements LGBTQ+ peuvent être perçus comme des expressions d'identitarisme, axés sur la défense des droits et la reconnaissance des particularités de ces groupes. Formes de l'identitarisme
Prises ensemble, ces formes d'identitarisme témoignent d'un paysage où l'identité devient un instrument central de mobilisation, de distinction et parfois de confrontation. Elles montrent aussi que l'identitarisme n'est pas un phénomène unifié, mais une pluralité de stratégies symboliques et politiques qui exploitent l'incertitude sociale, les transformations culturelles et les fractures économiques pour produire des récits ordonnés autour du besoin de protection, de continuité et d'appartenance. Droits humains
et diversité.
Les droits civils et politiques s'articulent autour des questions qui concernent la liberté d'expression, la protection de la vie privée, la lutte contre la surveillance excessive, ainsi que la participation démocratique. Partout, la fragilisation de certains régimes démocratiques et la polarisation politique alimentent les préoccupations concernant la liberté de la presse, l'indépendance de la justice et la violence politique. Les défenseurs des droits humains restent particulièrement vulnérables, notamment dans les régions où les autorités répriment l'opposition ou contrôlent l'espace public et numérique. L'universalité proclamée des droits humains se confronte à des tensions culturelles, politiques et économiques. D'un côté, l'affirmation des droits individuels soutient les luttes pour l'égalité, la liberté d'expression, l'autonomie corporelle et le respect de la dignité humaine. De l'autre, l'expansion de ces revendications peut provoquer des résistances fondées sur des traditions, des conceptions différentes du bien commun ou des intérêts géopolitiques divergents. La diversité culturelle et la protection des minorités sont devenues des enjeux essentiels dans un monde globalisé où les identités sont parfois menacées par l'homogénéisation culturelle ou par des politiques d'exclusion. Les migrants, réfugiés et demandeurs d'asile sont souvent confrontés aux dangers, à la xénophobie et à des dispositifs de contrôle durcis. Les débats portent sur le droit à la protection, les responsabilités internationales et le respect des conventions humanitaires dans un contexte où les crises climatiques, économiques et politiques poussent des millions de personnes à se déplacer. Les peuples autochtones, quant à eux, revendiquent la reconnaissance de leurs droits territoriaux, linguistiques et religieux, rappelant que leur survie culturelle est intimement liée à la préservation de leurs terres ancestrales. Les minorités ethniques, religieuses et linguistiques dénoncent les discriminations qui les affectent dans l'accès à l'éducation, à l'emploi ou à la représentation politique.
La question du genre occupe une place majeure, avec la lutte contre les violences faites aux femmes, l'égalité professionnelle, la liberté sexuelle et reproductive, ainsi que la reconnaissance des identités de genre. Les discriminations envers les personnes LGBT+ persistent, allant de l'exclusion sociale aux violences physiques et aux lois répressives dans certains pays. Malgré cela, les mouvements féministes et queer continuent de transformer les normes sociales et juridiques, en revendiquant l'inclusion, la sécurité et l'autonomie des individus. Les droits environnementaux émergent comme une dimension incontournable, en raison de l'urgence climatique et des atteintes aux écosystèmes. Les populations vulnérables souffrent de manière disproportionnée des effets de la pollution, de l'exploitation des ressources et des catastrophes naturelles. La justice climatique met en lumière le lien étroit entre protection de l'environnement, respect des droits humains et équité entre les pays du Nord et du Sud, tout en donnant voix aux générations futures. Le numérique ouvre enfin de nouveaux espaces de liberté mais aussi de nouvelles formes de vulnérabilité. Les enjeux touchent, on l'a vu, à la protection des données personnelles, au cyberharcèlement, aux discriminations algorithmiques et à l'accès équitable aux technologies. Les luttes pour la défense des droits humains et de la diversité cherchent à tisser des solidarités transnationales, à dépasser les cadres strictement nationaux, à penser depuis le Sud global, depuis les marges, depuis les corps minorisés. Elles expérimentent de nouvelles formes de résistance : occupations, grèves féministes, hacktivisme ( = forme de militantisme qui use du piratage informatique comme moyen), création artistique engagée, soins collectifs comme acte politique. Marquées à la fois par des avancées significatives et par une résistance accrue de la part des forces conservatrices, nationalistes et autoritaires (criminalisation des militants, lois anti-manifestation, surveillance numérique, harcèlement judiciaire, assassinats, notamment de défenseurs des droits humains en Amérique latine, en Asie du Sud-Est ou en Afrique centrale), elles posent aussi des défis internes sur les hiérarchies de leadership, les financements, les relations au politique institutionnel, les tensions entre réformisme et radicalité. Démocratie en crise. Démocraties en dangerL'inéluctabilité de la démocratie, qui a semblé s'imposer après 1989 (chute du mur de BerlinLa démocratie souffre également d'une crise de l'efficacité. Dans un monde traversé par des défis innombrables, dont aucun pays seul n'a la clé (transition écologique, transformations économiques, migrations, tensions géopolitiques) les processus de décision apparaissent trop lents, trop fragmentés, ou incapables de produire des solutions à la hauteur des enjeux. Les gouvernements sont soumis à des contraintes internationales, économiques ou technologiques qui limitent leur capacité d'action, créant l'impression d'une souveraineté affaiblie. Ce sentiment nourrit un doute sur la capacité des régimes démocratiques à préserver la sécurité, à maintenir le niveau de vie ou à protéger les droits. La polarisation constitue un autre facteur aggravant. Les débats publics tendent à se durcir, alimentés par les réseaux sociaux qui favorisent l'émotion, l'immédiateté et les logiques d'affrontement. Les sociétés se fragmentent en groupes aux visions du monde parfois irréconciliables, ce qui rend plus difficile la recherche de compromis, pourtant essentielle au fonctionnement démocratique. L'évolution récente de la démocratie américaine est, de ce point de vue, très révélatrice. La désinformation, la multiplication des sources non vérifiées et la prolifération de récits complotistes brouillent la compréhension des faits et minent les bases mêmes de la délibération collective éclairée. Le consensus sur la vérité, nécessaire à toute décision partagée, devient incertain. À ces phénomènes s'ajoute une crise de la participation. Si l'engagement dans les formes traditionnelles décline, les nouvelles formes d'activisme demeurent souvent ponctuelles, dispersées, généralement incapables de produire une vision politique cohérente. Les citoyens réclament davantage de transparence et de participation directe, mais les dispositifs institutionnels ne se transforment que lentement. Cette tension entre attentes croissantes et inertie du système contribue à la frustration et à la radicalisation de certaines expressions politiques. La montée des populismes accentue cette crise. Ceux-ci exploitent le ressentiment, critiquent les contre-pouvoirs et contestent les compromis démocratiques. Certains gouvernements populistes, une fois au pouvoir, affaiblissent progressivement l'État de droit, contrôlent la justice ou les médias, et concentrent les pouvoirs, transformant des démocraties fragiles en systèmes illibéraux ou autoritaires. Ce phénomène n'est plus limité à certaines régions : il s'observe dans des contextes très divers,ce qui témoigne d'un malaise global. Enfin, la mondialisation et le capitalisme numérique contribuent à reconfigurer la démocratie. Les grandes plateformes technologiques acquièrent un pouvoir d'influence inédit sur l'information, les comportements et parfois les décisions politiques. Les logiques économiques globales échappent en partie au contrôle démocratique des États, et créent un décalage entre sphère politique et sphère économique. Dans ce contexte, les citoyens peuvent avoir le sentiment (parfois fondé) que les choix décisifs sont faits ailleurs, par des acteurs non élus, et s'y résignent. La crise de la démocratie reporésentative n'est donc pas une simple défaillance institutionnelle : elle est le symptôme d'une transformation profonde des sociétés contemporaines. Elle résulte du décalage entre des structures politiques conçues pour un autre âge et des dynamiques sociales, technologiques et économiques en accélération permanente. Menaces sur les
libertés dans les démocraties.
Les lois sécuritaires étendent souvent les pouvoirs de la police, de la justice ou des services de renseignement. Cette extension se traduit par un recours plus fréquent aux états d'urgence, à la détention préventive, à la rétention administrative ou à des dispositifs de contrôle renforcé. La frontière entre sécurité et liberté devient alors floue, et le risque apparaît que des mesures temporaires deviennent des normes permanentes. La sécurité est une condition de la liberté. Mais pervertir ce constat pour prétendre, en forme de slogan, que la sécurité est la première des libertés peut mener aux pires dérives. La surveillance, qu'elle soit institutionnelle ou privée, renforce ce sentiment de vulnérabilité. Les progrès technologiques (reconnaissance faciale, collecte massive de données, géolocalisation) permettent une observation minutieuse des comportements individuels, et rendent possible une forme de contrôle diffus qui peut saper la confiance entre citoyens et institutions. Montée des populismes
et des régimes autoritaires.
La formation ou le renforcement des régimes autoritaires (comme la Hongrie, la Turquie, la Russie, et même les Etats-Unis si la tendance actuelle se confirme) s'inscrit dans cette dynamique globale. Certains États renforcent leur contrôle social et politique, restreignent les libertés civiques et utilisent les outils numériques pour surveiller, manipuler ou réprimer les oppositions. D'autres adoptent une façade démocratique tout en consolidant un pouvoir personnel ou oligarchique, profitant de l'instabilité internationale et des failles des systèmes politiques pour imposer un modèle de gouvernance fondé sur la discipline, la loyauté et la sécurité. Ces régimes tirent aussi profit des incertitudes mondiales : crises économiques, conflits géopolitiques, pandémies, transition écologique. En se présentant comme des acteurs capables de restaurer l'ordre et de répondre rapidement aux crises, ils séduisent une partie de la population lassée par les lenteurs bureaucratiques et les querelles partisanes. Les
prétendues « démocraties illibérales ».
Quelques régimes illibéraux (présents ou récents)
La post-vérité. La notion de post-vérité définit un contexte sociopolitique où les faits objectifs ont moins d'influence sur l'opinion publique que les émotions, les croyances ou les préjugés subjectifs. Ce phénomène, bien qu'il ait des racines historiques (la manipulation de l'information n'est pas une invention récente), a été amplifié par des transformations structurelles profondes dans la manière dont l'information circule, est produite et reçue. L'avènement du numérique, en particulier des réseaux sociaux, a bouleversé l'écosystème médiatique traditionnel : les frontières entre producteurs et consommateurs d'information se sont effacées, et les algorithmes, conçus pour maximiser l'engagement, favorisent le sensationnel, le conflictuel ou le polarisant, plutôt que le vérifiable ou le nuancé. Dans ce nouvel environnement, la véracité n'est plus un critère central de sélection des contenus. Les individus tendent à s'entourer d'informations qui confortent leurs convictions préexistantes, phénomène amplifié par les bulles de filtres et les chambres d'écho algorithmiques. Cette fragmentation cognitive du réel nourrit une méfiance généralisée envers les institutions traditionnelles de validation de la connaissance (médias, universités, experts), perçues comme biaisées, corrompues ou éloignées des réalités vécues. Ce rejet ne s'exprime pas tant comme un scepticisme critique, mais comme une désaffiliation affective : on ne croit plus parce que c'est vrai, mais parce que cela résonne émotionnellement, identitairement, communautairement. La post-vérité fonctionne ainsi moins comme un déni systématique des faits que comme une relativisation stratégique de ceux-ci, où la vérité devient malléable, instrumentalisable, voire secondaire face à des récits plus mobilisateurs. Elle s'exprime notamment dans les campagnes politiques, où les promesses irréalistes, les fausses analogies historiques ou les accusations infondées peuvent, si elles touchent juste sur le plan émotionnel, supplanter des analyses factuelles plus rigoureuses. Des événements comme le Brexit ou l'élection de Donald Trump en 2016 ont servi de catalyseurs à la prise de conscience de ce basculement, non parce qu'ils ont inventé la manipulation, mais parce qu'ils ont montré à quel point la cohérence narrative pouvait primer sur la cohérence factuelle dans la conquête du pouvoir. Paradoxalement, l'hyperconnexion et l'accès instantané à une quantité astronomique d'informations, qui auraient pu théoriquement favoriser l'émergence d'une société plus éclairée, ont contribué à une surcharge cognitive, une fatigue informationnelle, et une forme de résignation épistémique : face à la difficulté de trier le vrai du faux, certains préfèrent se fier à des repères affectifs ou communautaires, d'autres se replient dans un cynisme généralisé qui érige l'indifférence comme bouclier contre la désinformation. Cette évolution affecte profondément le débat démocratique, qui suppose un socle commun de réalité partagée pour que le désaccord reste constructif. Sans ce socle, le dialogue cède la place à l'affrontement tribal, où chaque camp opère dans sa version parallèle de la réalité, rendant la médiation, le compromis ou même la simple compréhension mutuelle quasiment impossibles. Reconstruire cette culture commune du vrai, sans tomber dans un autoritarisme de la certitude ou un relativisme absolu, constitue sans doute l'un des défis les plus urgents de notre époque. La réponse à la post-vérité ne peut pas résider pas uniquement dans la multiplication des initiatives de fact-checking ou dans la régulation des plateformes (nécessaires, mais insuffisantes) mais dans une réinvention des compétences éducatives, civiques et émotionnelles permettant aux individus de naviguer dans un monde d'information saturé sans sombrer dans la paralysie ou la radicalisation. Cela implique de reconnaître que la vérité n'est pas seulement une question de données, mais aussi de confiance, de transparence, de responsabilité narrative et d'humilité. Les nouvelles
conceptions de la citoyenneté.
Les nouvelles pensées de la citoyenneté valorisent aussi la dimension sociale et éthique de l'engagement. Elles insistent sur la solidarité, la responsabilité collective et la prise en compte du bien commun. Les mobilisations écologistes, féministes ou antiracistes montrent que la citoyenneté se déploie dans l'espace public mais aussi dans les pratiques quotidiennes : consommation, mobilité, travail, modes de vie. Elles élargissent la notion de participation à des gestes concrets visant à transformer la société en profondeur. Dans le même temps, certaines réflexions appellent à repenser la citoyenneté à l'échelle globale, considérant que les enjeux du XXIe siècle dépassent largement les frontières nationales. Cette dimension cosmopolitique questionne la possibilité d'un cadre normatif commun capable de préserver les droits fondamentaux et de réguler les interdépendances mondiales. La
démocratie participative.
La montée de ces formes participatives répond à des besoins de transparence, de proximité et d'efficacité démocratique. Elles sont également stimulées par les technologies numériques, qui facilitent la communication horizontale, permettent l'émergence de communautés en ligne et offrent des plateformes pour exprimer opinions et revendications. Les pétitions numériques, les plateformes collaboratives, ou les consultations en ligne amplifient la capacité d'intervention des citoyens, tout en posant de nouveaux défis liés à la qualité du débat, à la polarisation et à la protection des données. Ces outils contribuent néanmoins à une transformation du rôle du citoyen, désormais acteur permanent plutôt que simple électeur. Défis environnementaux et sanitaires globauxLe monde contemporain se caractérise par une convergence inédite de pressions environnementales et sanitaires, qui forment un réseau de crises imbriquées dont les racines sont profondément anthropiques. L'empreinte humaine sur la planète dépasse désormais les capacités régénératives des systèmes naturels, générant des boucles de rétroaction dangereuses qui menacent à la fois les écosystèmes et la santé des populations. Cette situation ne relève plus d'un simple déséquilibre local ou temporaire, mais d'un basculement systémique, où chaque perturbation environnementale amplifie les vulnérabilités sanitaires, et inversement. Notre civilisation qui, longtemps, a cru pouvoir extraire, polluer et consommer sans limites, découvre aujourd'hui que la Terre est un système clos, interconnecté, et que chaque coup porté à la biosphère résonne, tôt ou tard, en nous.L'un des moteurs
centraux de cette instabilité est le changement
climatique, qui s'accélère bien au-delà des projections les plus
pessimistes d'il y a une décennie. En 2025, la température moyenne mondiale
a dépassé 1,4 °C au-dessus des niveaux préindustriels, avec des records
de chaleur enregistrés simultanément sur plusieurs continents presque
chaque été. Ces hausses ne sont pas linéaires : des événements extrêmes
(vagues de chaleur meurtrières, sécheresses prolongées, inondations
soudaines, ouragans de catégorie 5) deviennent la norme plutôt que l'exception.
En 2023, le Canada a connu la pire saison d'incendies
de son histoire, brûlant plus de 18 millions d'hectares, tandis que l'Afrique
de l'Est subissait sa cinquième saison des pluies consécutive sans précipitations
significatives, ruinant des millions d'agriculteurs et provoquant une insécurité
alimentaire aiguë. L'élévation du niveau de la mer, alimentée par la
fonte accélérée des calottes glaciaires du Groenland
et de l'Antarctique, menace aujourd'hui non
seulement les petites îles du Pacifique,
mais aussi des mégapoles côtières comme Shanghaï Cette déstabilisation climatique interfère directement avec la stabilité des écosystèmes. La biodiversité, socle invisible de nos systèmes alimentaires, sanitaires et économiques, est en effondrement. Selon les évaluations les plus récentes, près d'un million d'espèces sont menacées d'extinction dans les décennies à venir, un rythme 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel de disparition. Les insectes pollinisateurs (essentiels à 75 % des cultures alimentaires mondiales) sont en déclin alarmant, notamment en raison de l'usage massif de néonicotinoïdes et de la fragmentation des habitats. Les récifs coralliens ont perdu plus de la moitié de leur couverture vivante depuis 1950, compromettant la sécurité alimentaire de 500 millions de personnes dépendantes de la pêche côtière. Ce déclin affaiblit la résilience globale de la biosphère face aux chocs; ce qui rend les systèmes naturels moins capables d'absorber les perturbations, qu'elles soient climatiques, épidémiques ou chimiques. Parallèlement, la pollution s'est généralisée à l'ensemble des compartiments de l'environnement, créant un cocktail toxique dont les effets sur la santé humaine commencent à peine à être compris dans leur ampleur. L'air que respirent 99 % des habitants des zones urbaines est désormais classé comme non conforme aux recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), avec des concentrations de particules fines (PM2,5) particulièrement élevées en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. Ces particules pénètrent profondément dans les poumons, entrent dans la circulation sanguine, et sont associées non seulement à des maladies respiratoires chroniques comme l'asthme et la BPCO ( = bronchopneumopathie chronique obstructive), mais aussi à des accidents vasculaires cérébraux, des infarctus, des troubles neurodégénératifs précoces et à des complications périnatales. La pollution plastique, quant à elle, a envahi les océans, les sols, l'atmosphère, et désormais aussi le corps humain. Des microplastiques ont été retrouvés dans le sang, le placenta, le liquide amniotique, les poumons et même le cerveau. Bien que les conséquences à long terme restent en cours d'évaluation, des études expérimentales montrent qu'ils peuvent induire une inflammation chronique, perturber la barrière intestinale et agir comme vecteurs de polluants organiques persistants (comme les dioxines) ou de perturbateurs endocriniens. La contamination chimique se complexifie avec l'essor de substances dites éternelles, notamment les PFAS (composés per- et polyfluoroalkylés), utilisées dans des milliers de produits, des emballages alimentaires aux textiles imperméables, en passant par les mousses anti-incendie. Extrêmement stables, elles s'accumulent dans l'environnement et dans les organismes vivants, avec des liens épidémiologiques solides avec des cancers (rein, testicule), des troubles immunitaires (réduction de l'efficacité vaccinale chez l'enfant), des dysfonctionnements thyroïdiens et des complications de grossesse. Dans certaines régions fortement industrialisées ou proches de bases militaires, les concentrations dans l'eau potable dépassent largement les seuils de sécurité, et ce sans régulation internationale contraignante à ce jour. Ces dégradations environnementales alimentent directement une crise sanitaire globale en expansion. Le réchauffement climatique élargit les aires de distribution des vecteurs de maladies : le moustique Aedes aegypti, transmetteur de la dengue, du Zika et du chikungunya, est désormais établi dans des régions d'Europe méridionale où il était absent il y a vingt ans. En 2024, des cas autochtones de dengue ont été confirmés en France métropolitaine, en Espagne et même en Belgique. Le paludisme, traditionnellement confiné aux régions intertropicales de basse altitude, gagne progressivement les hauts plateaux d'Éthiopie et du Kenya, zones auparavant épargnées grâce à des températures trop fraîches pour le parasite Plasmodium. Par ailleurs, les vagues de chaleur extrêmes ne tuent pas seulement par coup de chaleur direct : elles aggravent les maladies cardiovasculaires et respiratoires, augmentent les tentatives de suicide, exacerbent les troubles psychiatriques préexistants et réduisent la productivité cognitive . Un phénomène particulièrement préoccupant dans les pays à faible revenu où l'accès à la climatisation est limité. L'insécurité alimentaire, elle aussi, revêt une dimension environnementale croissante. L'acidification des océans et le réchauffement des eaux marines perturbent les stocks de poissons, tandis que la sécheresse, les inondations soudaines et l'augmentation des ravageurs compromettent les récoltes. Plus inquiétant encore, l'élévation du CO2 atmosphérique, même en l'absence d'autres stress, diminue la teneur en protéines, en fer, en zinc et en certaines vitamines (notamment B9) des céréales de base comme le riz et le blé. Des modélisations suggèrent que d'ici 2050, cette « malnutrition cachée » pourrait affecter supplémentairement 175 millions de personnes en carence en zinc et 122 millions en carence en protéines, sans compter les effets combinés avec la perte de biodiversité alimentaire (moins de variétés cultivées, moins de légumes-feuilles riches en micronutriments). La déforestation, surtout en Amazonie, en Afrique centrale et en Asie du Sud-Est, constitue un autre point de basculement critique. Elle n'est pas seulement une source massive d'émissions de CO2, mais aussi un catalyseur de zoonoses. Lorsque les forêts sont fragmentées pour l'agriculture, l'exploitation minière ou les infrastructures, les espèces sauvages sont contraintes de migrer, augmentant les contacts avec les humains et les animaux domestiques. Ce phénomène a joué un rôle clé dans l'émergence de virus comme Ebola, Nipah, et possiblement SARS-CoV-2 (virus responsable du covid-19). Près de 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d'origine zoonotique, et leur fréquence augmente de façon exponentielle avec la perte d'habitat naturel. Face à cette accumulation
de menaces, les inégalités structurelles apparaissent comme un facteur
d'amplification décisif. Les populations les plus vulnérables (enfants,
personnes âgées, populations marginalisées, habitants des zones côtières
ou arides, travailleurs agricoles exposés aux pesticides) subissent une
charge disproportionnée de risques. Un enfant né aujourd'hui dans un
bidonville de Dacca Malgré l'ampleur
du défi, quelques signaux positifs émergent. La transition énergétique
s'accélère : en 2024, plus de 30 % de l'électricité mondiale provenait
de sources renouvelables, portée par une chute vertigineuse des coûts
du solaire (-90 % depuis 2010) et de l'éolien. Des pays comme le Costa
Rica Comme l'a montré la crise du covid-19, les pandémies en offrent l'illustration la plus frappante de la globalisation des risques sanitaires. Les virus peuvent désormais se propager en quelques jours d'un continent à l'autre grâce aux flux de voyageurs et aux chaînes d'approvisionnement mondiales. Les zones densément peuplées, les habitats précaires et la proximité entre humains et animaux sauvages constituent des terrains propices à l'émergence de nouveaux agents pathogènes. Les pandémies mettent à l'épreuve les systèmes de santé, les capacités de coordination internationale et les solidarités entre États, révélant les difficultés à harmoniser les réponses et à partager équitablement les ressources médicales. Une autre sorte de pandémie menace aussi, la résistance aux antimicrobiens (RAM), qui se profile comme une pandémie silencieuse en phase d'accélération. Les antibiotiques, antifongiques et antiparasitaires perdent progressivement leur efficacité, non seulement à cause de leur usage abusif en médecine humaine, mais surtout en raison de leur emploi massif dans l'élevage intensif, où ils sont souvent administrés à des animaux sains pour favoriser la croissance ou compenser des conditions d'hygiène défaillantes. Les effluents des fermes, des hôpitaux et des usines pharmaceutiques libèrent des résidus d'antibiotiques et des gènes de résistance dans les sols et les cours d'eau, créant des points chauds environnementaux de sélection bactérienne. Des souches résistantes à tous les antibiotiques connus sont désormais isolées dans des environnements naturels, notamment en Inde, en Chine et au Brésil. Ce phénomène ne connaît pas de frontières : une bactérie résistante émergente dans un pays peut rapidement se diffuser ailleurs. La résistance menace de rendre inefficaces des traitements essentiels, de compliquer les interventions chirurgicales, de prolonger les hospitalisations et d'augmenter la mortalité. Si cette tendance n'est pas inversée, on estime qu'en 2050, une infection banale (une pneumonie, une plaie infectée, une césarienne) pourrait redevenir mortelle à grande échelle. La santé mentale devient également un enjeu global, marqué par une hausse des troubles liés au stress, à l'anxiété, à la dépression et à l'isolement. Les transformations du monde du travail, l'accélération technologique, la surcharge informationnelle, l'instabilité économique ou climatique et les crises successives affectent profondément le bien-être psychique. Si ces troubles se rencontrent sous toutes les latitudes, leur prise en charge dépend fortement des contextes culturels et des ressources disponibles. Dans de nombreux pays, la santé mentale reste stigmatisée et les infrastructures adaptées sont insuffisantes, aggravant la vulnérabilité de certaines populations : jeunes, migrants, travailleurs précaires, personnes exposées à des conflits ou à des catastrophes. |
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