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On
parle de post-vérité pour désigner des situations, des contextes,
un climat, oĂą les discours et les opinions sont
souvent guidés par les
émotions, les convictions
et les croyances préexistantes des individus plutôt que par des faits
objectifs et les preuves empiriques. Cela provient la plupart du temps
de ce que les informations disponibles sont déformées ou sélectionnées
pour soutenir des agendas politiques ou idéologiques, plutôt que pour
refléter la réalité. La post-vérité et l'économie
du mensonge sont constitutives des régimes autoritaires (et plus encore
des régimes totalitaires), dans lesquels croyances et convictions individuelles
sont (ou visent Ă ĂŞtre) le produit direct de l'action de l'Etat. Dans
les démocraties, ces convictions et croyancess
sont, en principe, fondées sur une information éclairée et libre. De
plus en plus, cependant, l'opinion manipulée prend le pas sur la loyauté
envers les faits. De plus en plus, des discours émotionnels, des mensonges
ou des demi-vérités sont diffusés pour influencer les attitudes et les
comportements, sapant la prise de décision informée et compromettant
la confiance du public dans les institutions démocratiques. La post-vérité
est une des calamités de notre temps. Les efforts pour faire face à la
post-vérité et installer un débat public basé sur des faits vérifiables
et un respect mutuel des différences impliquent de promouvoir la littératie
médiatique, l'éducation critique et la recherche de sources fiables d'information.
Lorsqu'on observe la montée en puissance des populismes,
entièrement fondée sur l'exploitation de la post-vérité, on se dit
qu'on est loin du compte.
L'émergence de la
post-vérité est ordinairement attribuée à des changements sociaux,
technologiques et culturels, tels que le déclin de la confiance dans les
institutions traditionnelles, la montée en puissance des médias
sociaux, et l'exacerbation des identitarismes et des communautarismes,
qui valorisent l'expérience personnelle et l'appartenance à un groupe
au détriment des faits objectifs et, d'une certaine manière, localisent
ou privatisent la vérité.
Le champ conceptuel
de la post-vérité.
La post-vérité
appartient à une famille de concepts (la désinformation, les fake
news, les biais cognitifs et l'opinion) distincts
mais qu'il peut ĂŞtre utile ici de clarifier :
• La
désinformation est l'action délibérée de diffuser de fausses informations
pour tromper ou manipuler les gens. Cela peut ĂŞtre fait pour des raisons
politiques, économiques ou sociales. La désinformation est ordinairement
utilisée pour influencer l'opinion publique ou pour déstabiliser des
institutions.
• Les fake
news sont des informations fausses ou trompeuses qui sont présentées
comme étant vraies. Elles peuvent être diffusées par des médias, des
personnalités politiques, des réseaux sociaux ou des sites web. Les
fake news peuvent être créées pour des raisons de désinformation,
mais elles peuvent également être le résultat d'une erreur ou d'une
mauvaise compréhension.
• Les biais
cognitifs sont des erreurs de pensée qui affectent la façon dont
nous percevons et interprétons les informations. Les biais cognitifs peuvent
être influencés par nos expériences personnelles, nos émotions, nos
croyances et nos valeurs. Ils peuvent nous amener à interpréter les informations
de manière erronée ou à ignorer des informations contradictoires.
• L'opinion
est une croyance ou un point de vue personnel sur un sujet. Les opinions
peuvent être basées sur des faits, des expériences ou des émotions.
Les opinions peuvent être exprimées de manière subjective ou objective,
mais elles sont généralement influencées par nos propres biais et préjugés.
La post-vérité est
ainsi un contexte social et politique qui implique une érosion de la confiance
dans les faits et les institutions, tandis que la désinformation, les
fake news et les biais cognitifs sont des phénomènes spécifiques qui
contribuent à cette érosion. La désinformation et les fake news
sont des actions délibérées pour diffuser de fausses informations, tandis
que les biais cognitifs sont des erreurs de pensée qui affectent notre
perception des informations. L'opinion est une croyance ou un point de
vue personnel, tandis que la post-vérité, la désinformation et les fake
news impliquent fréquemment une déformation ou une manipulation des
faits.
Le brouillard
de la post-vérité
La post-vérité,
associée à la diffusion rapide de fausses informations, n'est pas une
nouveauté. Aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire ont rencontre
l'utilisation du mensonge comme outil politique. Ce qui change, aujourd'hui,
c'est le rôle considérable des réseaux sociaux et d'autres plateformes
en ligne, qui sont des puissants amplificateurs de ce climat. Ce qui change
aussi, l'émergence d'une ingéniérie du mensonge, la maîtrise de techniques
assez efficaces pour faire gagner (presque à coup sûr) une élection
ou, en tout cas, pour miner de façon critique la confiance en tous les
fondements de la démocratie en brouillant les repères sur lesquels une
pensée en adéquation avec le réel peut se constituer.
La campagne de Donald
Trump en 2016 et la campagne pour le Brexit au Royaume-uni la même année,
puis la campagne de la candidate de l'extrĂŞme droite en France en 2016
et aussi la pandémie de covid-19, à partir de 2020, ont été des moments
clés dans la mise en oeuvre des techniques d'exploitation et d'exacerbation
de contexte de post-vérité.
L'élection
de Donald Trump en 2016.
La campagne électorale
de Donald Trump pour la présidence des États-Unis
en 2016 a été marquée par une la diffusion extensive d'informations
fausses ou trompeuses, souvent relayées par les réseaux sociaux, les
médias et les discours publics. Cette stratégie a influencé l'opinion
publique et brouillant les frontières entre les faits et la fiction. Exemples
de fausses informations et de manipulations :
• Les
affirmations sur la naissance d'Obama. - Avant même sa campagne électorale,
Trump s'était manifesté avec ses théories
du complot sur la naissance du président Barack
Obama, affirmant Ă tort que celui-ci
n'était pas né aux États-Unis. Cette fausse information a contribué
à établir Trump comme une figure importante dans le mouvement des "birthers".
• Les statistiques
sur la criminalité et l'immigration. - Pendant sa campagne, Trump
a régulièrement utilisé des statistiques erronées ou trompeuses sur
les taux de criminalité et les crimes commis par des immigrants. Par exemple,
il a affirmé que les taux de criminalité aux États-Unis étaient plus
élevés qu'ils ne l'avaient jamais été, ce qui était faux, et a attribué
à tort une grande partie de la criminalité aux immigrants. La même ficelle
sera tirée par Trump lors des élections suivante. Trump ira même, en
2024, jusqu'Ă affirmer que les immigrants mangent des chats.
• Les allégations
sur l'élection et la "tricherie". - Trump a répétitivement affirmé,
sans preuves crédibles, que le processus électoral était "truqué" et
que les élections seraient "volées" par les démocrates. Ces allégations
ont sapé la confiance dans le système électoral et ont été reprises
par ses partisans pour contester les résultats électoraux. Les mêmes
éléments ont été repris et amplifiés lors de la défaite de Trump
lors de l'élection suvante face à Joe Biden.
• Les déclarations
sur les politiques de santé. - Trump a fait des déclarations trompeuses
sur le plan de santé de son adversaire principale, Hillary Clinton, ainsi
que sur son propre plan. Par exemple, il a promis de "abolir et remplacer"
l'Obamacare (la loi sur les soins de santé du président Obama) par quelque
chose de "beaucoup mieux", sans jamais fournir de détails précis sur
ce que cela impliquerait.
• Les rumeurs
infondées comme une arme. - Trump a propagé des rumeurs sans preuves,
comme celles concernant le vote de masse des musulmans en faveur de Bernie
Sanders (un candidat à l'investiture du parti adverse), ou les révélations
non vérifiées de WikiLeaks.
• Les faits
alternatifs. - Trump et son équipe ont fréquemment réagi aux
critiques et aux faits vérifiés par une stratégie de déni ou de minimisation.
Ils en ont appelé à ce qu'ils nommaient des "faits alternatifs". Faut-il
le souligner? un fait est un fait, et un fait alternatif, ça n'existe
pas.
Trump a été l'un des
premiers politiciens à exploiter pleinement le potentiel des réseaux
sociaux pour diffuser ses messages, afin de contourner le filtre potentiellement
vérificateur des médias traditionnels. Il a utilisé Twitter pour faire
des annonces, attaquer ses opposants et partager des informations fausses
ou trompeuses. Les réseaux sociaux ont ainsi joué un rôle déterminant
dans l'amplification de la post-vérité pendant sa campagne. Celle-ci
a illustré pleinement comment la post-vérité peut influencer le débat
public et les élections. L'utilisation systématique de fausses informations
et de manipulations a, sinon créé, amplifiĂ© un climat de mĂ©fiance Ă
l'égard des médias et des institutions, rendant plus difficile la distinction
entre les faits et la fiction. Tout cela a permi a Trump Ă mobiliser une
large base d'électeurs qui se sentaient délaissés par le système politique
établi. Cela a aussi également dégradé le ton du discours public, en
favorisant les attaques personnelles et le langage provocateur au détriment
d'un débat politique informé et respectueux.
La
campagne du Brexit.
La campagne du Brexit
( = vote des Britaniques sur la sortie du Royaume-Uni
de l'Union Européenne) s'est caractérisée
par l'utilisation de messages simplistes et émotionnels, généralement
concentrés sur des thèmes comme l'emploi et la souveraineté (mise en
avant du narratif "prendre le contrĂ´le de notre pays"), sans entrer
dans les détails complexes des implications économiques et politiques.
Les deux camps, celui du Leave (partir) et celui du
Remain
(rester), ont utilisé des argumentaires qui ont brouillé les frontières
entre les faits avérés et les manipulations de l'information. Exemples
de fausses informations et de manipulations :
• Les
350 millions de livres pour le NHS. - L'un des exemples les plus flagrants
est l'affirmation du camp du Leave selon laquelle le Royaume-Uni versait
350 millions de livres sterling par semaine à l'Union européenne, somme
qui pourrait être réaffectée au Service national de santé (NHS) en
cas de Brexit. Cette affirmation a été largement dénoncée comme étant
exagérée et trompeuse, car elle ne prenait pas en compte le montant que
le Royaume-Uni recevait en retour de l'UE sous forme de subventions et
de fonds structurels.
• L'immigration.
- La question de l'immigration a également été au coeur de la campagne,
avec des affirmations volontiers sensationnalistes sur les conséquences
de l'immigration sur le marché du travail et les ressources publiques.
Certains partisans du Leave ont utilisé des chiffres et des statistiques
de manière sélective pour promouvoir l'idée que l'immigration avait
des effets négatifs sur la société britannique, sans laisser leur place
aux arguments contraires ou aux nuances du débat.
• Les menaces
économiques. - Les deux camps ont utilisé des scénarios catastrophes
pour étayer leurs positions. Les partisans du Remain ont averti des conséquences
néfastes d'un Brexit sur l'économie britannique, tandis que les partisans
du Leave minimisaient ces risques ou les presentaient
comme temporaires. Les prédictions économiques, souvent basées sur des
modèles complexes et incertains, ont été utilisées patr les uns et
les autres de manière sélective pour renforcer leurs positions.
La campagne électorale
du Brexit éclairé les défis posés par la post-vérité dans le débat
public. L'utilisation de fausses informations, la manipulation des statistiques,
et les appels aux émotions plutôt qu'aux faits ont contribué à polariser
l'opinion publique et Ă rendrer plus difficile une discussion rationnelle
et informée sur les enjeux du Brexit. La post-vérité a également souligné
les limites des médias traditionnels et des institutions dans la vérification
des faits et la correction des informations erronées. Les réseaux sociaux,
ici encore, ont joué un rôle décisif dans la diffusion de fausses informations,
sans contrôle ni vérification.
La
campagne électorale de l'extrême-droite en France en 2017.
En France, la campagne
de la candidate d'extrême droite lors de l'élection présidentielle de
2017 a elle aussi été marquée par des éléments de post-vérité, caractérisés
par la diffusion d'informations fausses ou trompeuses, ainsi que par une
rhétorique émotionnelle visant à influencer l'opinion publique. La candidate
du Front National (devenu Rassemblement National), a utilisé ces stratégies,
autour du narratif de la "France en danger", pour essayer de convaincre
les électeurs et de cultiver son image de défenseure des valeurs traditionnelles
et de l'identité française. Les arguments mis avant ne sont pas tous
propres à cette campagne; certains existaient avant et ont continué,
pour l'essentiel, à être exploités depuis, mais ils ont été particulièrement
exacerbés à cette occasion :
• Les
statistiques sur l'immigration et l'insécurité. - La candidate d'extrême
droite a utilisé des chiffres et des statistiques de manière sélective
pour étayer ses affirmations sur l'impact négatif de l'immigration sur
la sécurité et l'économie françaises. Elle a par exemple évoqué des
taux de criminalité élevés chez les immigrants, sans toujours préciser
les sources de ces données ou en manipulant leur contexte pour les rendre
plus alarmistes.
• Les
promesses économiques. - Le programme économique de la candidate,
qui incluait notamment la sortie de la zone euro et la réintroduction
d'une monnaie nationale, a été accompagné de promesses de création
d'emplois et de stimulation de l'économie. Cependant, de nombreux économistes
ont critiqué ces promesses comme étant irréalistes et basées sur des
analyses simplistes ou erronées des complexités économiques.
• La question
de l'islam et du terrorisme. - La candidate a répétitivement abordé
la question de l'islam et du terrorisme de manière à créer une confusion
entre les deux, laissant entendre que l'islam en lui-même était une source
de danger pour la France. Cette approche a été dénoncée comme stigmatisante
et trompeuse, car elle ne tenait pas compte de la diversité des communautés
musulmanes et de la nécessité de distinguer entre les actes terroristes,
qui répondent à un agenda politique particulier, et la religion elle-même,
qui est un fait culturel.
• Les attaques
contre les médias et les institutions. - La candidate d'extrême droite
a régulièrement critiqué les médias traditionnels, les accusant de
partialité et de complot contre elle. Elle a également remis en question
la crédibilité des institutions, notamment lorsqu'elles contredisaient
ses affirmations ou lorsqu'elles essayaient de la tenir pour responsable
de ses propos. Cette stratégie visait à créer un climat de méfiance
à l'égard des sources d'information établies et des institutions démocratiques.
• La rumeur
infondée encore et toujours comme une arme. - Lors du débat de second
tour, la candidate a suggéré que son adversaire pourrait avoir un compte
secret dans un paradis fiscal dans les Caraïbes. Un mensonge fabriqué
de toute pièce par un réseau d'extrême droite anglophone sur Twitter
et relayé par des médias pro-Kremlin, avant de se répandre plus largement.
Par delĂ ce dernier
exemple, les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans la diffusion
des messages de la candidate, lui permettant de contourner les médias
traditionnels et de s'adresser directement Ă ses partisans. Cette approche
a ainsi facilité la propagation de fausses informations et de théories
du complot, souvent relayées par des comptes proches du Rassemblement
National ou par des bots (logiciels qui exécutent des tâches répétitives
et prédéfinies) et des faux profils créés pour influencer l'opinion
publique. Ce mode de campagne a contribué à polariser le débat public
en France, créant des divisions profondes au sein de la société. L'explotation
massive de la post-vérité a sapé la confiance dans les institutions
et les médias, essentiels au fonctionnement d'une démocratie saine. Cela
a également encouragé un climat de peur et de xénophobie, dans lequel
les immigrés et les musulmans ont été stigmatisés et rendus responsables
de problèmes sociétaux dont la complexité ne s'épuise pas à coup de
slogans.
La
pandémie de covid-19.
La pandémie de
covid-19
a créé des défis importants pour les gouvernements, les organisations
de santé publique et les individus, qui s'est accompagnée d'une diffusion
à grande échelle de fausses informations, souvent par la population elle-même
et par des divers praticiens de l'enfumage (groupes complotistes, extrĂŞmes-droites,
les deux à la fois, médecins égotiques, gourous des médecines alternatives,
etc.), mais aussi par les gouvernants eux-mêmes. En somme les anti-système,
aussi bien que le système lui-même.
• La
promotion de faux remèdes. - Dès le début de la pandémie, des informations
sur des remèdes prétendument miracles contre le covid-19 ont circulé,
notamment sur les réseaux sociaux. Ces remèdes, tels que la l'hydroxychloroquine
ou des produits à base de plantes, ont été promus par des personnalités
influentes et des médias sans preuves scientifiques solides, voire contre
les recommandations des autorités de santé. On a même vu le président
des Etats-Unis (encore lui) se baser sur le fait que l'eau de javel étant
un désinfectant pour suggérer qu'on pourrait s'en injecter pour se débarraser
du virus.
• Les théories
du complot sur l'origine du virus. - Des théories du complot sur l'origine
du virus, incluant des affirmations selon lesquelles le virus aurait été
fabriqué en laboratoire ou serait lié à des agendas géopolitiques (par
exemple pour profiter de la vaccination pour implanter des puces électroniques
et s'assurer ainsi le contrôle des populations), ont circulé largement.
On a invoqué la possibilité que les grands groupes pharmaceutiques ("Big
Pharma", même combat que "Big Brother") auraient délibérément créé
la maladie, ou exagéré sa dangerosité, pour pouvoir vendre leurs vaccins.
Ces théories, dépourvues de preuves crédibles, ont contribué à la
confusion et à la méfiance.
• Les fausses
statistiques et prévisions. - Des chiffres et des prévisions erronés
sur la propagation du virus, le nombre de cas, les taux de mortalité et
l'efficacité des mesures de santé publique ont été diffusés. Certains
acteurs politiques (Brésil, Etats-Unis)
et médiatiques ont minimisé la gravité du virus, le comparant à une
simple grippe ou affirmant qu'il disparaîtrait de lui-même. Ces discours,
souvent motivés par des considérations économiques ou politiques, ont
semé la confusion et retardé la mise en place de mesures de santé publique
efficaces.
•
La
désinformation sur les vaccins. - À mesure que les vaccins contre
le covid-19 ont été développés et déployés, une vague de désinformation
sur leur sécurité, leur efficacité et leurs effets secondaires a émergé.
Cette désinformation a contribué l'émergence non seulement d'une hésitation
vaccinale, mais d'un puissant mouvement contre la vaccination ("antivax"),
amalgamant théories du complot et souffrance sociale, et mettant en danger
les efforts de lutte contre la pandémie.
• Remise en
question des mesures sanitaires. - Outre la vaccination, es mesures
de confinement, le port du masque ont été la cible d'attaques constantes
de la part de groupes qui les considéraient comme des atteintes aux libertés
individuelles ou comme des outils de contrĂ´le social. Ces discours ont
été amplifiés par les réseaux sociaux et ont contribué à la polarisation
de la société.
• Attaques contre
les scientifiques et les experts. - Les scientifiques et les experts
médicaux qui communiquaient sur la pandémie ont été la cible d'attaques
et de menaces, tant en ligne que dans la vie réelle. Ces attaques, orchestrées
par des groupes hostiles aux mesures sanitaires, ont visé à discréditer
la parole scientifique et Ă semer le doute dans l'opinion publique.
Ici encore, les réseaux
sociaux ont joué un rôle déterminant dans la propagation de la désinformation.
Les plateformes (Twitter, Facebook, YouTube, etc.) ont été utilisées
pour diffuser des informations fausses ou trompeuses. Les algorithmes de
ces plateformes, conçus pour maximiser l'engagement, en favorisant les
contenus sensationnalistes et émotionnels, qui sont souvent plus partagés
et commentés que les informations factuelles, ont contribué à amplifier
les contenus faux ou trompeurs. Les bulles de filtres ont également contribué
Ă enfermer les utilisateurs dans des environnements informationnels qui
confirment leurs croyances préexistantes, les isolant des points de vue
divergents.
On doit aussi relever
la dérive de nombre de médias mainstream dans leur couverture
de la crise et qui a contribué, en dénaturant la parole scientifique
à affermir le climat de post-vérité. Une dérive, dont une cause est
peut-être le mercantilisme des journaux moins intéressés par les faits
que par l'idée de plaire au plus grand nombre, mais, pensons-nous, plutôt
largement dû à la sociologie des journalistes, qui dans leur grande majorité
n'ont pas de culture scientifique, qui s'imaginaient les sciences comme
les porteuses de vérités indiscutables, avec les mêmes prétentions
que les religions ( Scientisme)
et ont découvert soudain, mais sans le comprendre, le mode de production
des connaissances scientifiques dans sa dynamique, avec ses hésitations,
ses contradictions, ses impasses et, parfois, ses avancées branlantes,
dont seuls les spécialistes sont en mesure d'apprécier la valeur. Ils
sont passés d'un excès à l'autre : la parole scientifique qu'ils croyaient
intangible est soudain tombée de son piédestal pour se convertir en une
opinion parmi d'autres.
En France, oĂą les
autorités ont été pour l'essentiel géré la crise de manière comparable
Ă celle des pays voisins, on a quand mĂŞme vu parfois vu s'exprimer les
tropismes de la pire politique, qui sont à la fois des effets de la post-vérité
et le terreau à partir duquel elle prospère. Par exemple, avec une porte-parole
du gouvernement qui, plutĂ´t que d'admettre l'insuffisance du nombre de
masques, a expliqué avec suffisance qu'on n'avait pas besoin de masques
puisque personne ne savait comment les mettre. On a vu aussi un président
de la République aller adouber le promoteur d'un pseudo-remède, comme
un pied de nez au travail des chercheurs véritablement attachés à faire
leur travail. Quand tout se vaut, rien n'a de valeur.
Au final, la résistance
aux mesures sanitaires, alimentée par la désinformation et la méfiance,
a ralenti la réponse à la pandémie et a probablement contribué à l'augmentation
du nombre de cas et de décès. La pandémie a exacerbé les divisions
et les tensions sociales, créant un climat de méfiance et d'hostilité
entre les différents groupes d'opinion. La gestion de la pandémie, marquée
par des contradictions, des erreurs et des controverses, a contribuĂ© Ă
accélerer l'érosion de la confiance dans les gouvernements, les médias
et les institutions scientifiques. La prolifération de la désinformation
a rendu plus difficile la communication des autorités sanitaires et a
réduit l'impact des messages de prévention.
Des éclairages
sur la post-vérité.
Le terme post-vérité
(post-truth) semble avoir été utilisé pour la première fois
par le dramaturge Steve Tesich, qui a introduit ce concept en 1992 dans
un article publié dans The Nation, où il écrivait que les États-Unis
étaient entrés dans une ère où les vérités objectives étaient rejetées
si elles ne correspondaient pas aux préférences émotionnelles ou idéologiques
des individus. Mais d'autres pilosophes, sociologues, et auteurs avaient
déjà engagé les thèmes de la post-vérité dans leur réflexion. Voici
une liste de penseurs qui ont étudié ou abordé cette problématique,
implicitement ou explicitement :
-
•
Hannah
Arendt (La crise de la culture, 1961). - Bien qu'elle n'utilise
pas le terme de post-vérité, Arendt étudie le rôle du mensonge en politique
et la manière dont la manipulation des faits peut déstabiliser la société.
Son analyse sur la capacité des régimes totalitaires à réécrire la
réalité peut être associée à l'idée de post-vérité.
• Harry Frankfurt
(On
Bullshit, 1986). - Il analyse la différence entre le mensonge
délibéré et le bullshit. Ce dernier, selon lui, consiste à ignorer
les faits dans le but de manipuler ou persuader. Son analyse est fréquemment
citée dans les discussions sur la post-vérité.
• Jean
Baudrillard (Simulacres et simulation, 1981). - Il
décrit un monde où la distinction entre réalité et représentation
s'efface, donnant naissance à une "hyperréalité". Cette idée est fondamentale
pour comprendre comment les faits peuvent perdre leur pouvoir dans une
ère où les images et les récits priment.
• Lee McIntyre
(Post-Truth, 2018). - Il fournit une analyse détaillée de la montée
de la post-vérité dans le contexte politique et médiatique, en analysant
comment les biais cognitifs, la polarisation, et les médias sociaux contribuent
à cette ère.
• Peter Pomerantsev
(Nothing is True and Everything is Possible, 2014). - Ce livre décrit
la manipulation médiatique |
dans
la Russie contemporaine, illustrant comment la vérité est systématiquement
manipulée dans le cadre d'une stratégie politique, un exemple clé de
la post-vérité.
• Nicholas Carr
(The Shallows, 2010). - Il analyse l'impact des technologies numériques
sur nos capacités de réflexion et de jugement. Bien qu'il n'aborde
pas directement la post-vérité, ses réflexions sur la fragmentation
de l'attention sont essentielles pour comprendre pourquoi les faits perdent
de leur importance.
• George
Orwell (1984, 1949). - Le concept de "double pensée" et
l'idée d'un contrôle total de la vérité par un régime oppressif anticipent
directement les phénomènes modernes de manipulation de l'information.
• Kathleen Higgins
(articles sur la post-vérité dans le cadre philosophique). - Elle associe
la montée de la post-vérité à une crise d'autorité dans les institutions
de savoir, comme les universités et les médias, et au rôle des émotions
dans la perception de la vérité.
• Zygmunt Bauman
(Liquid Modernity, 2000); Strangers at Our Door, 2016). - Il s'intéresse
les transformations de la modernité et à la manière dont l'incertitude
et la fluidité des sociétés contemporaines favorisent l'érosion des
vérités établies. |
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