.
-

La philosophie des réseaux sociaux

La philosophie des réseaux sociaux est un domaine de réflexion centré sur les implications philosophiques des plateformes de médias sociaux. Celles-ci ont transformé la manière dont les gens communiquent, interagissent, partagent des informations et construisent des relations en ligne. Les questions posées à la philosophie pour la plupart ne sont pas spécifiques aux médias sociaux, ni même véritablement nouvelles. Mais elles sont amplifiées, parfois à un niveau critique, par les technologies numériques.
Les réseaux sociaux sont des plateformes en ligne qui permettent aux individus de créer des profils personnels, d'interagir avec d'autres utilisateurs, de partager du contenu (texte, photos, vidéos, liens, etc.) et de développer des réseaux de relations (personnelles ou professionnelles) en ligne. Ces plateformes sont conçues pour faciliter la communication, la connexion et le partage d'informations entre les utilisateurs. 
Les réseaux sociaux ont un impact sur nos idées et notre compréhension du monde, et sur divers aspects de la société, de la politique à la culture populaire, en passant par le commerce électronique et le journalisme. Cependant, propriétés d'entreprises puissantes, parfois liées à des Etats (et dans des conditions opaques), ils soulèvent également des préoccupations liées à la vie privée, à la désinformation, au fonctionnement de la démocratie, et à d'autres problèmes. La philosophie des réseaux sociaux s'intéresse donc en premier lieu à ces problèmes éthiques et cherche à élaborer des cadres en amont des questions (techniques , politiques, juridiques) qui se posent à propos de la la conception, l'utilisation et la réglementation des réseaux sociaux.

Communication et interaction sociale.
L'identité en ligne.
La nature même des médias numériques donne un caractère particulier aux échanges qu'ils permettent. Ils modifient la nature de la communication et des interactions sociales et soulèvent des questions sur la qualité des relations en ligne, l'empathie et la compréhension mutuelle. La conduite en ligne a aussi ses propres spécificités. Il peut exister une dissociation entre la conduite des individus lorsqu'ils sont en ligne et celle qu'ils adoptent ordinairement. Une dissociation acccentuée par le pseudonymat ou l'anonymat (relatif) qu'autorisent les réseaux sociaux. Ceux-ci permettent ainsi aux individus de créer et de présenter des versions différentes d'eux-mêmes. L'émergence d'une nouvelle forme d'identité interroge la notion même d'une telle identité à travers des profils numériques et les conditions de sa construction  (Post-identité), et engage un questionnement sur l'authenticité, la représentation de soi. 

La responsabilité.
Cela soulève également des questions éthiques, au travers de la dissolution de la responsabilité individuelle à laquelle peut conduire le pseudonymat. Les réseaux sociaux  peuvent ainsi être le support de discours haineux, de la manipulation de l'opinion publique et de comportements abusifs. Ils peuvent être, par exemple, des espaces où le cyberharcèlement (= harcèlement en ligne) prospère ou encore les espaces privilégiés pour la propagation délibérée de fausses informations (fake news). (Post-vérité, Complotisme). Les contenus véhiculés impliquent aussi la responsabilité des plateformes elles-mêmes. Une responsabilité qui s'étend d'ailleurs bien au-delà de leurs contenus et qui relève de leurs propres visées et de leur mode de fonctionnement.

La citoyenneté connectée. 
Les réseaux sociaux reposent sur une économie de l'attention. Ils sont conçus pour attirer l'attention des utilisateurs et les conserver captifs. Une des dérives possibles de cette démarche est l'apparition d'une dépendance chez certaines personnes. Cet impact sur la santé mentale, notamment chez les jeunes, qui est aussi un sujet de santé publique n'est pas à minorer. Mais il y a sans doute encore plus problématique, avec les effets produits sur les biais introduits dans la production des idées, sur leur circulation, et au final sur le fonctionnement de la société toute entière.

Les réseaux sociaux font des bulles.
Les réseaux sociaux mettent en oeuvre des algorithmes de tri et de recommandation et des mécanismes de partage des informations qui, ajoutés à la manière dont les utilisateurs choisissent de s'engager en ligne, créent ce qu'il est convenu d'appeler des bulles. Ces bulles définissent le périmètre des informations auxquelles les utilisateurs sont exposés. En limitant ainsi l'exposition à des points de vue différents, ces algorithmes renforcent leurs croyances existantes, entravent la capacité des individus à comprendre des points de vue différents, et ont par là des conséquences sur la polarisation de leurs idées. 

On parle de façpon générale de bulles de filtrage pour décrire comment les algorithmes de recommandation, tels que ceux utilisés par les réseaux sociaux (et aussi les moteurs de recherche), montrent aux utilisateurs principalement du contenu avec lequel ils sont déjà d'accord ou qui correspond à leurs préférences passées, ce qui peut entraîner un filtrage de l'information contradictoire ou divergente. La notion de bulle cognitive  proche de la précédente, se concentre davantage sur la manière dont les individus peuvent développer des perspectives limitées en raison de leur propre expérience, de leurs croyances et de leur environnement social. Les bulles cognitives peuvent conduire à une vision du monde étroite et à une résistance à l'égard de nouvelles idées ou de perspectives différentes. Une bulle de filtrage, en favorisant la mise en avant de contenus similaires aux opinions d'une personne, peut renforcer sa propre bulle cognitive. 

Selon les aspects spécifiques dont les utilisateurs perçoivent l'information et interagissent en ligne, on peut éncore définir d'autres sortes de bulles. Ces bulles ne sont pas nécessairement exclusives les unes des autres et peuvent se chevaucher. Un individu donné peut être le prisonnier de plusieurs de ces bulles. En voici quelques-unes: 

• Les bulles d'information se forment lorsque les utilisateurs sont exposés uniquement à des informations et des actualités qui correspondent à leurs intérêts ou à leurs croyances, ce qui peut les maintenir dans une perspective étroite.

• Les bulles de désinformation se forment lorsque les utilisateurs sont exposés à des informations incorrectes ou trompeuses qui circulent dans leur réseau, créant ainsi un environnement où la désinformation peut prospérer.

• Les bulles de réalité se forment lorsque les utilisateurs ont une perception altérée de la réalité en raison de l'exposition à des informations biaisées ou fausses.

• Les bulles de segmentation apparaissent du fait que les plateformes de médias sociaux permettent aux utilisateurs de s'auto-segmenter en choisissant avec qui ils interagissent et quel contenu ils voient. Cela peut conduire à la création de bulles où les utilisateurs n'interagissent qu'avec des groupes spécifiques, limitant ainsi leur exposition à la diversité.

• Les bulles de conformité (= chambres d'échos) se produisent lorsque les individus interagissent principalement avec des personnes qui partagent leurs opinions et leurs croyances, ce qui renforce ces opinions et peut les éloigner de la diversité des points de vue.

• Les bulles de polarisation viennent de ce que les réseaux sociaux peuvent amplifier les opinions polarisées en exposant les utilisateurs à des discours extrémistes ou en les incitant à adopter des positions plus radicales.

L'effacement de la vie privée.
Les entreprises de réseaux sociaux collectent de vastes quantités de données personnelles. Elles peuvent utiliser les données de leurs utilisateurs à des fins lucratives, posant des questions sur l'équité et la transparence dans la collecte et l'utilisation des données. La question du consentement est également posée dans la mesure où les utilisateurs peuvent ne pas comprendre pleinement les conditions d'utilisation des réseaux sociaux et ne pas être conscients de l'étendue de la collecte de données et de la manière dont ces données concernant leur vie privée sont utilisées et éventuellement diffusées. Les pratiques de suivi des utilisateurs par les plateformes de médias sociaux soulèvent également des préoccupations en matière de protection de la vie privée et de démocratie.

Démocratie et réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux peuvent favoriser la participation citoyenne  (Démocratie participative), mais en contribuant à la désinformation et à la polarisation politique, il peuvent aussi constituer un obstacle au débat démocratique.

Ils offrent aux citoyens une plateforme pour s'exprimer, partager des informations et discuter de questions politiques. Ils permettent aux individus d'accéder à une grande variété d'informations et de perspectives. Ils aident les citoyens à  surveiller et à tenir les gouvernements et les acteurs politiques responsables de leurs actions, en rendant les informations plus accessibles. Cela peut aider à élargir la compréhension des enjeux politiques et à promouvoir une pensée critique (Philosophie politique délibérative). Les réseaux sociaux sont ainsi utilisés avec succès pour mobiliser les citoyens autour de causes politiques et sociales, favorisant ainsi l'activisme et la participation à grande échelle. Ils ont aussi montré leur intérêt pour échapper jusqu'à un certain point au contrôle de régimes dictatoriaux.

Tous les citoyens n'ont pas un accès égal aux réseaux sociaux, ce qui peut renforcer les inégalités sociales et économiques, et l'inégalité dans le débat public et l'expression des idées en éteignant certaines voix. De plus, pour les raisons que l'on a évoquées plus haut, les réseaux sociaux ont aussi un rôle dans la diffusion de la dé sinformation, de théories du complot et de fausses nouvelles, l'émotionnel plutôt que le rationnel, entraînant des prises de décision et un engagement politique politique fondé sur des bases erronées. Les réseaux sociaux fonctionnent aussi comme des chambres d'écho, où les individus ne sont exposés qu'à des perspectives similaires aux leurs, ce qui reforce leurs biais cognitifs et aussi par une forme d'effet de meute la polarisation politique. 

Les abus en ligne, le harcèlement et les comportements inappropriés, qui affectent souvent certaines populations plus que d'autres, peuvent dissuader les gens de participer aux discussions politiques en ligne et ici encore fausser le libre débat. Ajoutons, que les effets négatifs des réseaux sociaux (leur facilité à amplifier les passions, les idéologies de la haine et du rejet, la culture de l'annulation, les mensonges, le panurgisme), sur le bon fonctionnement démocratique ne sont pas seulement d'inévitables "effets secondaires" des algorithmes de tri, ils sont délibérément et habilement exploités par les ennemis des démocraties. Cette exploitation peut se faire de l'intérieur de celles-ci, comme de l'extérieur, avec parfois des acteurs étatiques, dotés des moyens d'une intervention massive et coordonnée sur les réseaux sociaux (trollage) mettant en oeuvre des campagnes de désinformation et de manipulation des opinions publiques.

Se pose ainsi la question du statut dans la Cité des réseaux sociaux. Ils sont un support d'expression en même temps que détenteurs d'un pouvoir de censure ou de diffusion d'une expression biaisée. Un nouveau pouvoir, qui n'est pas celui des institutions, qui n'est pas non plus celui de la presse, et avec lequel les démocraties vont devoir apprendre à composer.
 

• Jaron Lanier, informaticien et philosophe a travaillé sur les réseaux sociaux, la désinformation en ligne et les problèmes éthiques associés à la technologie.

• Shoshana Zuboff est l'auteure du livre L'Âge du capitalisme de surveillance (2019), dans lequel elle aborde les aspects éthiques de la collecte de données et de la surveillance par les entreprises technologiques, y compris les réseaux sociaux.

• Dominique Cardon, sociologue et philosophe, a travaillé sur la politique en ligne et la participation citoyenne sur Internet. Ses recherches concernent la manière dont les médias sociaux influencent la sphère publique.

ʉۢ Zeynep Tufekci, chercheuse en sciences sociales et auteure, a travaill̩ sur les questions de polarisation politique, de d̩sinformation et d'impact social des r̩seaux sociaux.

 â€¢ Axel Bruns, chercheur spécialisé dans les médias sociaux et les nouvelles technologies, a contribué à la compréhension de la formation de l'opinion publique en ligne.

• Danah Boyd, chercheuse en sciences sociales, se penche sur les questions d'identité en ligne, de vie privée et de sécurité sur les réseaux sociaux.

• Eli Pariser a étudié la manière dont les algorithmes des réseaux sociaux influencent notre exposition à l'information en ligne. Il est l' auteur du concept de bulles de filtrage

• Taina Bucher est une chercheuse spécialisée dans la philosophie des médias sociaux et la culture numérique.

• Nancy Baym, chercheuse en communication, a travaillé sur les interactions sociales en ligne et l'impact des réseaux sociaux sur la vie quotidienne.

• Antonio Casilli, sociologue, a étudié les implications sociologiques et éthiques des plateformes numériques. Il s'intéresse notamment à la régulation de l'économie connectée et à la vie privée en ligne.

• José van Dijck, chercheuse en médias numériques, a écrit sur la culture des réseaux sociaux et leurs implications éthiques.

.


Dictionnaire Idées et méthodes
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2023. - Reproduction interdite.