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Littérature française
Les intellectuels en France au XIXe siècle
Le mouvement des idées
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Le règne des écrivains sur l'opinion, règne qui avait fait la grandeur du XVIIIe siècle, ne se continue pas au XIXe. Malgré la prétention de quelques-uns, comme Vigny et surtout Hugo, à conduire les esprits, les littérateurs le plus souvent suivent le mouvement des idées, loin de le diriger. Les romantiques sont des artistes plus que des penseurs. Inversement les penseurs ne sont guère des artistes. Peut-être la seule exception viendra-t-elle de Zola avec son «-J'accuse-», mais il faut attendre 1898. La nation est née maintenant à la vie politique et intellectuelle : ce sont des professionnels, députés, journalistes, professeurs, - disons les «-intellectuels » (même si ce mot n'a pris son sens actuel que depuis l'affaire Dreyfus, sous la plume de Clémenceau) -, qui jouent les rôles que tenaient au XVIIIe siècle les «-philosophes-», même si les idées de quelques philosophes (Cousin, Comte) marquent aussi le siècle. Leurs oeuvres appartiennent à l'histoire littéraire surtout parce qu'elles ont contribué à produire l'atmosphère où ont respiré les écrivains.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet la réaction est presque générale contre les tendances du XVIIIe siècle. Les questions politiques et sociales restent au premier rang des préoccupations; mais on leur cherche une solution différente. Il est surtout curieux de voir combien à cette époque les penseurs, hommes politiques, prêtres ou philosophes, sont chacun à leur manière des idéalistes. Jamais peut-être on n'a plus raisonné et construit dans l'abstrait, en vertu de principes élevés sans doute, mais insuffisamment fondés sur les données de la réalité.

La seconde moitié du XIXe siècle revêt un caractère différent. La crise romantique était destinée à passer rapidement parce que l'exaltation sentimentale s'épuise vite, parce qu'une grande partie du public était restée étrangère à ce mouvement, parce que, enfin, la loi fatale de réaction devait nous ramener au réalisme. L'évolution commencée dans l'oeuvre de Musset, Théophile Gautier, Stendhal, Balzac, est définitive à ce moment, où les écrivains subissent très fortement l'influence des philosophes et des savants.

Le mouvement des idées politiques

L'éloquence politique sous la Restauration.
La Restauration rendait à la France (1830 nous le fait trop oublier) une certaine liberté politique, et les débats parlementaires se poursuivirent dans des conditions de calme et de sécurité ignorées des orateurs de la Révolution. Dès 1815, les débats parlementaires, étouffés sous le Premier Empire, prirent une ampleur et une vivacité inconnues depuis la Révolution. 

Malgré la différence des tempéraments, l'éloquence de cette époque a des caractères généraux bien déterminés.

La dignité de la tribune. - Ils tiennent pour une part aux conditions mêmes dans lesquelles on aborde la tribune. Un discours est presque une solennité pour laquelle on revêtit pendant un certain temps un costume spécial. Ce fut une stupéfaction le jour où on vit P. de Serre improviser. Habituellement on rédige à l'avance et on lit, par un manque de confiance en soi où entrait beaucoup de respect pour l'auditoire. Ces élus du suffrage censitaire appartiennent pour la plupart à la haute bourgeoisie. Personnages d'âge mûr et de culture élevée, ils ont la patience d'écouter et le goût des développements harmonieux. La discussion peut être vive. On ne sort jamais des limites de la courtoisie à l'égard  de « l'honorable préopinant ». La pratique des réunions électorales publiques, qui ne s'introduisit que vers la fin de la Restauration, n'a pas encore corrompu les usages parlementaires. Pour obtenir son siège, on a fait des visites à la manière des candidats à l'Académie, et quand on vient l'occuper, on se figure un peu entrer dans une académie politique.

Les questions de principe. - C'est pourquoi on aime les idées générales qui conviennent si bien à la dissertation oratoire. Les Doctrinaires notamment, dont Royer-Collard est le maître, excellent à écarter, comme lui, les dispositions particulières d'une loi, pour ramener tout à une question de principe. Propose-t-on de réglementer la presse, Royer-Collard commence ainsi sa protestation :

Dans cette discussion préliminaire, où les considérations les plus générales peuvent seules trouver place, je dois négliger les dispositions particulières du projet de loi, ainsi que les amendements qui s'y rapportent, pour remonter à leur principe commun. C'est le principe seul qui caractérise la loi, qui exprime les desseins dont elle est l'instrument, la face des temps, et le système dans lequel la France est aujourd'hui gouvernée. (Février 1827).
Il se trouve, du reste, que ce sont surtout des questions de doctrine politique qu'il faut débattre pour concilier la France de l'Ancien régime avec la France nouvelle issue de la Révolution. Il s'agit d'une part d'organiser la royauté constitutionnelle (régime électoral, liberté de la presse, responsabilité ministérielle); de l'autre, de régler les questions sociales (le milliard des émigrés, la loi du sacrilège, le droit d'aînesse).

L'académisme. - Aussi les délibérations prennent-elles une ampleur digne des sujets traités. Mais on reste dans le domaine des idées. Rien n'est fait, comme sous la Révolution, pour éveiller l'imagination ou passionner le langage. Les mots piquants de Benjamin Constant sur les émigrés (sur la cocarde tricolore, 7 février 1821), les images de Chateaubriand qui s'écrie-: « Je ne suis point allé bivouaquer dans le passé sous le vieux drapeau des morts, drapeau qui n'est pas sans gloire, mais qui pend le long du bâton qui le porte » (contre la Monarchie de Juillet, 7 août 1830), sont des exceptions. L'éloquence est régulière, souvent un peu empesée, éprise des morceaux à effet conformes aux préceptes de la rhétorique, comme cette prosopopée du pouvoir s'adressant au juge :

Organe de la loi, soyez impassible comme elle. Toutes les passions frémiront autour de vous; qu'elles ne troublent jamais votre âme. Si mes propres erreurs, si les influences qui m'assiègent, et dont il m'est si malaisé de me garantir entièrement, m'arrachent des commandements injustes, désobéissez à ces commandements; résistez à mes séductions; résistez à mes menaces, etc. (Royer-Collard. Sur l'Inamovibilité de la Magistrature, 21 novembre 1815).
Parmi les très nombreux orateurs qui se distinguèrent entre 1815 et 1830, et qui égalèrent aussitôt la jeune tribune française à la tribune anglaise, nous citerons :
Les royalistes ultras, jaloux des prérogatives royales, avaient Villèle, Martignac, plus modéré, La Bourdonnaye, Lainé. 

Les libéraux de diverses nuances avaient P. de Serre; le général Foy, très populaire à cause de son patriotisme; Benjamin Constant, d'une cinglante ironie à l'occasion ; et surtout Royer-Collard  qui, ancien professeur de philosophie sous l'Empire à la Faculté des lettres de Paris, gardait au Parlement ses habitudes de théoricien.; Camille Jordan, Manuel, etc.

Un peu à l'écart Chateaubriand  (discours sur la guerre d'Espagne, 25 février 1823; contre la Monarchie de Juillet, 7 août 1830) faisait de la politique personnelle, et Courier, qui n'est pas un orateur, mais qui a sa  place à côté de ceux qui avaient contribué à renverser la Restauration.

Villèle (1773-1854). 
Député de Toulouse en 1815, le comte Joseph de Villèle devint ministre des Finances en 1821 et président du Conseil en 1822. il a surtout laissé la réputation d'un politicien trop absolu, sous l'administration duquel furent votées les plus discutables lois de la Restauration, et qui fit l'impopulaire expédition d'Espagne. Mais il faut savoir aussi que Villèle est un orateur d'affaires de premier ordre. Soit comme député, soit comme ministre, il prononça des discours très serrés, très clairs, animés parfois de beaux mouvements (sur le budget de 1816, sur la guerre d'Espagne (1823), sur l'indemnité aux émigrés (1825), etc.).

Martignac (1778-1832).
Martignac fut député de Bordeaux, successeur de Villèle au ministère en 1828. Orateur élégant, mais vibrant, sorte de Girondin très aristocratique, Martignac se distingua surtout dans la discussion de la loi sur la presse, en juin 1828; le 7 août 1830, il fit entendre une généreuse protestation en faveur de Charles X, accusé « de férocité ».

Pierre de Serre  (1776-1824).
Pierre de Serre fut magistrat sous l'Empire, élu député du Haut-Rhin en 1815, président de la Chambre en 1897, ministre de la Justice en 1818 et en 1820. Royaliste modéré, constitutionnel, comme Decazes et Richelieu, il se distingua par son opposition judicieuse et souvent passionnée aux projets de lois du parti ultra. Sur les questions de finances (18 mars 1816), de presse et de morale publique (17 avril 1819), il prononça d'excellents discours. Contrairement à la plupart de ses collègues qui apportaient à la tribune leur discours écrit, de Serre improvisait; il débutait péniblement, mais s'échauffait peu à peu, et donnait l'impression d'une éloquence naturelle. 

Le général Foy (1775-1825). 
Soldat sous l'Empire, élu député en 1819, le général Foy représente à la Chambre cette forme de libéralisme qui en voulait à la Restauration de méconnaître les gloires de l'Empire, et qui, bientôt servi et exalté par les poètes comme Victor Hugo, prépara le Second Empire. Le général Foy parlait d'une façon énergique, brillante et vibrante, non seulement sur les questions militaires, mais en toute circonstance. On peut citer ses discours sur la loi électorale (1817), sur la cocarde tricolore (7 février 1821), sur l'armée française, à propos d'une loi par laquelle on voulait ôter leur pension aux soldats de l'Empire (25 mai 1821), sur la guerre d'Espagne (1823), sur le milliard d'indemnité (1825). Il était un des orateurs les plus estimés de l'opinion publique pour son caractère comme pour son talent; on lui fit en 1825 des funérailles grandioses.

Benjamin Constant (1767-1830). 
Exilé sous l'Empire, Benjamin Constant revint en France avec la Restauration de 1814. Aux Cent Jours, il se rallia à Napoléon, et rédigea pour lui l'Acte additionnel. D'abord banni par Louis XVIII en 1815, il est rappelé l'année suivante, est élu député, et se met, dans l'opposition libérale constitutionnelle. C'était un orateur fin, délié, à la parole incisive et piquante, ne déclamant jamais. Il est difficile de signaler tel ou tel de ses discours; car il n'est pas une grande question politique, de 1817 à 1830, où il ne soit intervenu, et toujours d'une façon vigoureuse et précise. Citons, cependant, ses discours sur la loi électorale (1820), sur la cocarde tricolore (7 février 1821), et sa participation active aux discussions des lois sur la presse (1822-1827). 

Royer-Collard (1763-1845). 
Royer-Collard avait été, en 1797, membre du Conseil des Cinq-Cents; éminent professeur de philosophie à la Sorbonne, sous l'Empire. Elu député en 1815, il fut le plus redoutable adversaire du ministère Villèle. Il resta député jusqu'en 1843. - En politique, Royer-Collard est le chef des doctrinaires; son meilleur élève est Guizot. Il est légitimiste par principe, car il ne veut à aucun prix du gouvernement populaire; mais il s'oppose à toute souveraineté absolue ou aristocratique. Il représente le parti des «-parlementaires », ou des « légistes » de Ancien régime. - Ses discours, d'une méthode qui révèle le professeur, sont animés par une dialectique puissante fondée sur une généreuse conviction. Les plus remarquables sont consacrés : à l'inamovibilité de la magistrature (21 novembre 1815) et à la liberté de la presse (1815, 20 janvier 1822 et 1827); à la la loi électorale, 17 mai 1820; à la guerre d'Espagne (24 février 1823); à la loi de justice et d'amour (février 1827).

Manuel (1775-1827).
Libéral très ardent, Manuel est surtout célèbre pour son discours sur l'expédition d'Espagne (1823), qui lui valut d'être expulsé de là Chambre. Mais plus d'une fois, auparavant, il avait soulevé les colères de ses adversaires par l'énergie et la violence de son langage. Manuel est moins un orateur qu'un tribun.

Chateaubriand (1760-1848).
Il y a deux parts à faire dans la vie politique de Chateaubriand. Pair de France, plénipotentiaire au Congrès de Vérone, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Villèle, il soutient avec une hauteur sereine et dogmatique ses opinions. En juin 1824, il quitte le ministère, et, dès lors, il fait à Villèle et à ses successeurs une vive opposition. En 1830, il s'efforce de sauver la monarchie des Bourbons, en proposant d'accepter l'abdication de Charles X, en faveur du duc de Bordeaux. Il prononce alors le plus beau de ses discours.

Paul-Louis Courier (1772-1825). 
Officier jusqu'en 1809, puis, retiré dans ses propriétés de Véretz, en Touraine, P.-L. Courier harcela le gouvernement de Louis XVIII de pamphlets dont les principaux sont : Pétition aux deux Chambres (1816); Simple discours de Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière, aux membres du conseil de la commune de Véretz à l'occasion d'une souscription proposée pour l'acquisition de Chambord (1821); Pétition à la Chambre des députés pour des villageois que l'on empêche de danser (1820); Pamphlet des pamphlets (1824). Il s'en prit aussi à l'Académie des inscriptions qui ne l'avait pas élu, dans sa Lettre à Messieurs de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1819), et laissa une correspondance spirituelle.

Courier gardait du XVIIIe siècle la défiance à l'égard du clergé, et de la Révolution la haine de la cour et de sa corruption. C'est pourquoi il ne voudrait pas que l'on achetât Chambord. Il s'applique à dénoncer toutes les petites tracasseries du régime, sur un ton ironique. A-t-on procédé à quelques arrestations? Il raconte comme une victoire cette belle expédition :

A minuit on monte à cheval, on part; on arrive sans bruit aux portes de Luynes; point de sentinelles à égorger, point de postes à surprendre; on entre, et, au moyen de mesures si bien prises, on parvient à saisir une femme, un barbier, un sabotier, quatre ou cinq laboureurs ou vignerons, et la monarchie est sauvée. (Pétition aux deux Chambres).
Un « firman du préfet, qu'il appelle arrêté » a-t-il défendu de danser sur la place de l'Église? Il montre combien la fête devient piteuse, esquissant un petit croquis villageois (Pétition pour des Villageois). Pourtant, à la longue, sa fausse naïveté finit par sentir un peu le procédé.

Cormenin, Tillier.
Deux autres pamplétaires peuvent encore être nommés ici : Cormenin et Tillier.

Louis Marie de Lahaye de Cormenin (1788-1849), qui succéda dans la faveur publique à Courier, est loin de le valoir; mais sous le pseudonyme de Timon (Lettres sur la liste civile (1831), Très humbles remontrances, le Livre des orateurs, etc.), il a parlé avec précision la langue des affaires et créé presque un genre : « le pamphlet administratif. » 

Claude Tillier (1801-1844), auteur du roman Mon oncle Benjamin (1846) est moins connu comme pamphéltaire : ses pamphlets paraissaient dans un obscur journal de Clamecy. Instituteur révoqué par le gouvernement de juillet, il est du peuple et le montre à son style dru et cru.

Les orateurs de la Monarchie de juillet. 
La Monarchie de Juillet renouvela le personnel politique et modifia le classement des partis. Légitimistes et catholiques sont maintenant de l'opposition. Ils ont pour orateurs Berryer, avocat célèbre, Montalembert qui réclama la liberté de l'enseignement. Autour du roi sont groupés les partisans de la résistance : de Broglie qui fit abolir la traite esclavagiste; Casimir Périer, ministre énergique; Guizot, défenseur obstiné d'un ordre de choses qui assurait le gouvernement du pays par la classe moyenne. Thiers représentait le parti du mouvement. Il aurait voulu une politique plus fière et plus active. Mais le roi l'en empêcha. « Au plafond », en dehors et au-dessus des partis, siégeait Lamartine.

L'éloquence parlementaire ne subit pas la contagion du romantisme. Le monde bourgeois que représentaient les Chambres était, au contraire, l'objet des railleries des romantiques. Plus on va, plus on demande à l'orateur la solidité de préférence à l'éclat.

Nouvel esprit parlementaire. - En effet, les grandes questions de principe ont été tranchées par la Révolution de 1830. Les sujets sont rétrécis à des points déterminés : hérédité de la pairie, organisation de l'instruction primaire, chemins de fer, question d'Orient, fortifications de Paris, etc. Ils se prêtent peu aux morceaux de rhétorique, et l'opinion du public commence à se montrer défiante à l'égard des joutes oratoires. Berryer en avertissait ses collègues :
J'ai lu dans un journal qu'à la façon dont allaient les choses, au milieu de ce qu'on appelle cette logomachie inutile de la tribune, au milieu de toutes ces déclamations dérisoires de toutes les opinions réunies, la France se dégoûterait... (Discours du 6 mars 1837).
De là un effort fréquent vers la sobriété et la précision. On s'interdit volontiers, comme de Broglie, la philosophie politique :
Je ne disserterai pas à perte de vue sur le droit d'association; nous faisons à cette tribune de la politique, c'est-à-dire du bon sens, et non de la philosophie. (Discours du 17 mars 1834).
L'éloquence pratique. - C'est plutôt dans les discours de l'opposition qu'on trouve encore la recherche de l'émotion. Au contraire, les hommes d'action et de gouvernement sentent le besoin de serrer de près les faits. Guizot lui-même, quoique disciple de Royer-Collard, a soin de faire remarquer que son projet de loi sur l'instruction primaire est «-essentiellement pratique-» (2 janvier 1833). Thiers surtout conserve au Parlement sa clarté d'historien. Il explique très bien par exemple comment, au point de vue stratégique, fortifier Paris c'est en même temps rendre aux places fortes de l'Est toute leur valeur :
On a dit qu'il fallait lier la défense de Paris à la défense générale du royaume; eh bien, voici comment nous la lions : c'est en rendant aux places fortes toute leur valeur; elles ne l'ont pas tant qu'on a la liberté des routes et qu'on peut se détourner des places. Ou ne le peut pas quand il faut avoir soixante mille chevaux pour traîner un parc d'artillerie; et je vais prendre, dans les délibérations mêmes des commissions, la preuve de ce que je dis. (26 janvier 1841).
Berryer (1790-1868).
Fils d'avocat, Berryer entra lui-même au barreau, et défendit, sous la Restauration, les généraux Ney et Cambronne. Député en 1830, il fut un des chefs de l'opposition dynastique sous le gouvernement de Juillet. Légitimiste loyal et convaincu, il obtint toujours le respect et l'admiration de ses adversaires. Il abandonna la politique après 1851, y rentra en 1863 ; et, comme député au Corps législatif, il combattit le Second Empire. Avec son généreux talent, sa voix superbe, son geste énergique, ses beaux et pathétiques mouvements, Berryer reste plutôt un avocat qu'un orateur parlementaire. Mais on lit encore avec intérêt ses discours sur l'hérédité de la pairie (1831, contre la disjonction (6 mars 1837), contre le ministère Molé (1839), sur la question d'Orient (26 mars 1840), sur la révision de la Constitution (16 juillet 1851). La flamme n'en est pas encore tout à fait refroidie.

Montalembert (1810-1870).
Collaborateur de l'Avenir en 1831, Montalembert se posa dès cette époque en champion de la liberté de l'enseignement. Il ouvrit une école le 9 mai 1831, sans l'autorisation de l'Université (qui possédait alors le monopole). Cette école fut fermée au nom de la loi, et Montalembert fut traduit en police correctionnelle avec ses deux complices, Lacordaire et de Coux. Le père de Montalembert étant mort sur ces entrefaites, son fils lui succéda à la pairie, encore héréditaire; et c'est comme pair de France, devant la Haute-Cour, que le jeune accusé eut à répondre de son délit. Ce premier discours (publié en 1844) révèle un admirable tempérament oratoire Après s'être séparé de Lamennais, Montalembert devint, à la Chambre des pairs, de 1833 à 1848, le chef du parti catholique libéral. Il intervint dans toutes les grandes questions politiques et sociales, protesta contre l'asservissement de la Pologne (discours en faveur des Polonais réfugiés, 5 mai 1838) et contre l'oppression de l'Irlande, et surtout il lutta pour obtenir la liberté de l'enseignement (1844). Montalembert siégea à l'Assemblée nationale de 1848 et au Corps législatif du second Empire, de 1852 à 1857. Il était vraiment né orateur; il avait, comme Lamartine, une abondance élégante et un peu fluide, et, comme Berryer, du feu et de l'enthousiasme; plus de naturel qu'aucun d'entre eux.

Le duc de Broglie (1783-1870).
V. de Broglie était le gendre de Mme de Staël. Il représenta, sous la Restauration, comme pair de France, le libéralisme monarchique. Mais il joua surtout un rôle sous Louis-Philippe; il fut alors ministre de l'Instruction publique et des Affaires étrangères. Après l'attentat de Fieschi (juillet 1835), il demanda à la Chambre de voter les lois de septembre  (discours du 13 août 1835), qu'il expliqua et soutint dans plusieurs discours d'un grand style. Il intervint également d'une façon efficace dans les débats sur l'abolition de la traite esclavagiste. Député à l'Assemblée de 1848, il se retira de la vie politique après le coup d'État de 1851.

Casimir Périer (1777-1832).
Successivement officier (1799) banquier, député en 1817, libéral sous la Restauration, Casimir Périer fut élu président de la Chambre après juillet 1830. Il prit, le 13 mars 1831, la présidence du Conseil, à la démission du cabinet Lafitte, dans des circonstances particulièrement difficiles (discours sur la politique du gouvernement, 21 septembre 1831). Il s'agissait, en effet, d'inaugurer une politique de résistance contre ceux qui prolongeaient la période de révolution à laquelle Louis-Philippe devait le trône, et qui disaient, avec Mauguin et Lafayette, que 1830 était l'avènement du peuple. Pendant un peu plus d'un an (jusqu'au 16 mai 1832, date à laquelle il fut emporté par le choléra), Casimir Périer soutint avec une rare fermeté de caractère, avec une simple et robuste éloquence, la mission dont il s'était chargé. Ses successeurs, les Thiers, les Guizot, les Broglie n'eurent qu'à poursuivre son oeuvre.

Guizot (1787-1874).
François Guizot a d'abord sa place parmi les historiens. Sa carrière politique ne commence qu'en 1830; il est alors nommé député, et signe l'adresse des 221 contre les Ordonnances. Ministre de l'Instruction publique en 1830 et en 1832 (il fait voter la loi sur l'enseignement primaire), ambassadeur à Londres, ministre des Affaires étrangères de 1840 à 1848, il exerce une influence prépondérante sur la politique intérieure. Par son âpreté doctrinaire et sa résistance inflexible aux partis avancés, il prépare, tout en la retardant, la chute de la monarchie. Après 1848, il n'est pas réélu, et toujours convaincu qu'il a gouverné pour le mieux, il écrit en neuf volumes des Mémoires pour servir à l'histoire de son temps (1858-1868). Persuadé que le pouvoir doit appartenir à la classe moyenne, Guizot s'est efforcé de faire face aux adversaires de droite et de gauche. De là cette modération hautaine, cette attitude défensive, ces formules un peu banales et solennelles, qui caractérisent extérieurement son éloquence. Mais cette éloquence, en son fond, est belle et solide, surtout parce que Guizot a des idées générales qu'il appuie sur l'histoire, parce qu'il n'est pas un politicien d'occasion, un avocat que l'ambition et un tempérament combatif ont jeté dans la politique. Qu'on lise ses discours sur l'hérédité de la pairie (1831), sur l'enseignement primaire (2 janvier 1833), contre le ministère Molé (3 mai 1837), sur la question de la régence (1842), sur la réforme électorale (25 mars 1847), et que l'on compare ses arguments à ceux de Thiers ou d'Odilon Barrot, on sentira que ce parlementaire est à la fois un philosophe et un historien, et que, quel qu'ait été le résultat de sa politique, il fait le plus grand honneur à notre pays.

Thiers (1797-1877).
Adolphe Thiers entra dans la politique en 1830. Il fut, sous Louis-Philippe, sous-secrétaire d'État aux Finances, ministre de l'Intérieur, des Travaux publics et des Affaires étrangères. Membre de l'Assemblée nationale de 1848, il se retira en 1851, et ne reparut à la Chambre qu'en 1863. Président de la République en 1871, il démissionna en 1873. - Thiers est un « avocat d'affaires »; il ne parle pas, il cause; il a préparé à fond la partie technique de son sujet, il la possède, la comprend, l'explique; il donne au plus haut degré l'impression de la clarté. Thiers ne s'embarrasse ni de théories, ni d'idées générales; il s'occupe de la question, il en tire des conclusions pratiques. Parmi ses nombreux discours, citons : l'hérédité de la pairie (1831), sur la question d'Orient (25 novembre 1840), sur les chemins de fer (26 avril 1842), sur les fortifications de Paris (26 janvier 1841), sur les libertés nécessaires à la France (1864), sur l'établissement de la République (1873), etc. L'éloquence de Thiers ne gagne pas à la lecture de ses discours isolés; plus encore que de tout autre orateur parlementaire, on peut dire de lui qu'il faut le lire à sa date, au Moniteur, avec les interruptions, les répliques. Alors cette éloquence est vraiment vivante. 

Lamartine (1791-1869).
Député de 1834 à 1848, membre et chef du Gouvernement provisoire, Lamartine renonça à la politique en 1851. Lamartine avait dit, en entrant à la Chambre : « Je siégerai au plafond », ce qui signifiait : « au-dessus de tous les partis ». Il prit, dès le début, une attitude indépendante, et, toujours sur la brèche, ne fut jamais l'homme d'une faction. Aussi l'accuse-t-on volontiers de politique nuageuse et chimérique. A lire ses discours, on est surpris, au contraire, de la clairvoyance de Lamartine sur les questions techniques comme sur les questions générales; qu'il parle des lois de septembre, 21 août 1835, de la question d'Orient (1er juillet 1839), des fortifications de Paris (1842), des chemins de fer (27 avril 1842), du retour des cendres de Napoléon (1842), de la politique du Gouvernement provisoire (1848), etc., ses vues sont justes et souvent prophétiques. Il revêt ses idées d'un style simple et harmonieux, qui paraît d'ordinaire un peu diffus à la lecture, mais qui parfois aussi abonde en formules concises et ingénieuses. Son improvisation au peuple, à l'Hôtel de Ville, sur le drapeau tricolore et le drapeau rouge (1849) est belle comme un fragment de Démosthène ou des Gracques. Tel aussi tableau plein de vie de l'état des esprits à la veille de 1848 fait songer à la peinture des Athéniens par Démosthène (Philippiques, I, § 10 et 11).

J'ai dit un jour : « La France s'ennuie! » Je dis aujourd'hui : « La France s'attriste! » Qui de nous ne porte sa part de la faiblesse générale? Un malaise sourd couve dans le fond des esprits les plus sereins, on s'entretient à voix basse depuis quelque temps, chaque citoyen aborde l'autre avec inquiétude, tout le monde a un nuage sur le front. Prenez-y garde : c'est de ces nuages que sortent les éclairs pour les hommes d'Etat, et quelquefois aussi les tempêtes. Oui, on se dit tout bas : « Les temps sont-ils sûrs? Cette paix est-elle la paix? Cet ordre est-il l'ordre?... » etc. (Discours prononcé au banquet offert à l'auteur des Girondins, 18 juillet 1847).
L'éloquence politique dans la seconde moitié du siècle.
Dans la vie publique les questions politiques, l'ont emporté sur les questions sociales. En effet, le Second Empire, même s'il  rétablit la tribune en 1867, coupa court aux tendances socialistes, et quand la république fut restaurée, elle eut assez à faire à s'organiser en régime définitif et il relever le pays des désastres de 1870.

L'éloquence a perdu sous la Troisième république le caractère académique qu'elle avait au début du siècle. Orateurs et assistants sont issus des mondes les plus divers; l'instruction des uns et des autres est plus ou moins complète, et la pratique des réunions publiques suffirait à leur ôter le goût ou le souci d'une rhétorique savante. On veut, pour traiter les questions précises qui se posent, une éloquence simple et nette dans le genre de celle de Thiers. Toutefois, à la Chambre surtout, l'assemblée est assez nombreuse, assez accessible à l'émotion, pour que les grands mouvements oratoires soient possibles et sentis. 

Plusieurs orateurs, déjà fameux sous la Monarchie de Juillet, continuent à occuper les premières places pendant la seconde République, le Second Empire et la Troisième République. A ceux que nous avons précédemment nommés, il faut ajouter : Odilon-Barrot, Ledru-Rollin, Falloux, Victor Hugo, Jules Favre, Émile Ollivier, Rouher, Jules Simon, Gambetta, Buffet, J. Ferry, etc.

Victor Hugo (1802-1885).
V. Hugo n'est pas comparable à Lamartine comme orateur politique. Outre qu'il lisait ses discours et que les interruptions, qui sont un stimulant pour le véritable orateur, le désarçonnaient, son style à antithèses et à formules grandioses passait par-dessus l'objet même de la discussion. Cependant, il a parlé sur la liberté de l'enseignement et sur le suffrage universel (1850) d'une façon véhémente et souvent heureuse. Il a lui-même recueilli dans Actes et Paroles ses nombreux discours prononcés à la Chambre des pairs, à l'Assemblée de 1848, à l'Assemblée de 1871, et au Sénat (1876-1883).

Jules Favre (1809-1880). 
Député en 1848 et 1849, alors qu'il avait déjà une grande réputation d'avocat, réélu en 1838, Jules Favre joua surtout un rôle important comme membre du gouvernement de la Défense nationale, où il fut ministre des Affaires étrangères. Il devint sénateur en 1876. Les discours de J. Favre sont, comme ceux de Berryer, des plaidoyers. J. Favre n'a pas le même enthousiasme; mais il argumente peut-être d'une façon plus serrée; par de pressantes interrogations, il fatigue et réduit ses adversaires. On peut citer ses discours sur l'expédilion de Rome (1819), sur la guerre du Mexique (1862), sur la candidature officielle (1864).

Gambetta (1838-1882).
Avocat, Léon Gambetta fut célèbre du jour où il défendit Delescluze, directeur du journal le Réveil, poursuivi pour avoir ouvert une souscription destinée à élever un monument à Baudin, tué le 3 décembre 1851 sur les barricades (1858). L'année suivante, Gambetta fut élu député, et combattit vivement l'Empire. Après Sedan (La Guerre de 1870), il devint membre du gouvernement de la Défense nationale, et fut un des organisateurs les plus actifs de la résistance. Président de la Chambre en 1879, président du Conseil en 1881, il ne put se maintenir au pouvoir, et mourut prématurément. 

Gambetta a été un des plus beaux tempéraments oratoires que la France ait connus depuis Mirabeau; il était vraiment né pour parler, pour exprimer en phrases claires et sonores les idées générales de la politique, et parfois ses banalités. Geste, voix, port de tête, tout concourait à l'effet que produisait cet orateur, plutôt tribun qu'homme d'État. Lus dans un livre, et même à l'Officiel, ses discours paraissent un peu redondants et vides; ce n'est pas là, certes, du Démosthène ni du Mirabeau, pas même du Lamartine. Mais ceux qui ont entendu « rugir le lion » en ont conservé, paraît-il, un inoubliable souvenir. - On peut citer ses discours sur le Plébiscite (avril 1872), Aux Alsaciens (1872), le discours de Thonon (1872), le discours de Cherbourg (1875), le discours de Romans (1878).

L'éloquence de Gambetta est restée inoubliable parce que, servie, du reste, par une action oratoire vigoureuse, elle alliait à une précision suffisante des accents émus. Qu'on étudie par exemple, la période suivante : elle n'est pas balancée selon tous les préceptes de l'art, mais quel souffle éperdu l'emporte et la soutient :

Mais il n'y a pas que cette France, que cette France glorieuse, que cette France révolutionnaire, cette France émancipatrice et initiatrice du genre humain, que cette France d'une activité merveilleuse, et, comme on l'a dit, cette France nourrie des idées générales du monde; il y a une autre France que je n'aime pas moins, une autre France qui m'est encore plus chère, c'est la France misérable, c'est la France vaincue et humiliée, c'est la France qui est accablée, c'est la France qui traîne son boulet depuis quatorze siècles, la France qui crie, suppliante, vers la justice et vers la liberté, la France que les despotes poussent constamment sur les champs de bataille, sous prétexte de liberté, pour lui faire verser son sang par toutes les artères et par toutes les veines; la France que, dans sa défaite, on calomnie, que l'on outrage; oh! cette France-là, je l'aime comme on aime une mère; c'est à celle-là qu'il faut faire le sacrifice de sa Vie, de son amour-propre et de ses puissances égoïstes; c'est de celle-là qu'il faut dire-: Là où est la France, là est la patrie! (Discours de Thonon, 29 septembre 1872).
Jules Ferry (1832-1893).
J. Ferry, comme ministre de l'instruction publique, organisa l'instruction primaire obligatoire, gratuite et laïque, et comme président du conseil conduit la politique coloniale de la France en Tunisie et au Tonkin : (Sur l'instruction primaire, 28 juin 1879; Sur l'expédition du Tonkin, 10 décembre 1883). Voici le ton uni et ferme avec lequel il soutient sa politique au Tonkin :
On vous a dit : Où va cette action militaire? Jusqu'où vous proposez-vous de l'engager? Quelles seront ses limites? Je réponds très nettement qu'il n'y a rien de changé au programme que j'ai exposé à la tribune le 31 octobre et qui a été ratifié à une majorité de 325 voix. C'est d'une action limitée, localisée, circonscrite géographiquement comme je l'ai dit à la tribune, qu'il s'agit et pas d'autre chose. Nous voulons être forts dans le Delta, nous voulons en tenir les points stratégiques. Pourquoi? Parce que, lorsque nous serons forts, nous aurons la certitude de pouvoir négocier. (10 décembre 1883).
L'éloquence de la fin du siècle. 
De ce que l'on demande à cette époque (que l'on peut faire aller jusqu'à la Première guerre mondiale) à la parole d'être moins apprêtée, plus nourrie de précisions, il ne faut pas conclure que les grands mouvements oratoires, les belles images, aient perdu leur prestige. Désormais, les problèmes sociaux succèdent aux problèmes politiques et fournissent aux orateurs l'occasion de discuter des principes. C'est pourquoi, toute opinion politique mise à part, à côté de la parole rigoureuse et logique de Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904) et Raymond Poincaré (1860-1934), de l'élégance forte de Paul Deschanel (1856-1922), fils d'helléniste, de l'ironie sarcastique de Georges Clemenceau (1841-1929), on apprécie l'éloquence impétueuse et vibrante de Jean Jaurès (1859-1914), le type du tribun romantique et qui est, sans conteste, la voix la plus puissante, la plus chaude, la plus lyrique de la tribune française, la vigueur sobre de d'Aristide Briand (1862-1932) qui bâtit ses discours en fortes substructions, masse imposante, sévère et grise, la puissance oratoire d'Albert de Mun (1841-1914). Habile à naviguer entre les écueils, n'employant jamais la force et usant des adresses les plus raffinées, Charles de Freycinet apparaît à Faguet comme le premier orateur politique en France depuis la disparition de Thiers et de Guizot. Denys Cochin s'est spécialisé dans les questions extérieures; G. de Lamarzelle, dans les questions religieuses; Charles Benoist, dans les questions constitutionnelles; Jules Roche, dans les questions économiques. Georges Leygues, qui fut poète, a de la grâce et du nombre; Louis Barthou, nourri dans le commerce de Mirabeau et de Lamartine, sur lesquels il écrira de beaux livres, une sûreté de verbe qui s'affirme dans les discussions les plus variées; Sembat, autre bonne plume (Faites la paix, sinon faites un roi), une logique malicieuse; Jacques Piou, du drapé; Millerand, du poids; Viviani, des éclairs; Léon Bourgeois, un élégant nonchaloir. 

La presse.
Les luttes de la tribune se continuaient dans le journal. La presse, en dépit des entraves et des procès, se constitue comme un quatrième pouvoir.

Les journaux. 
L'Empire avait réduit à cinq le nombre des journaux en dehors du Moniteur : le Journal de Paris; les Débats, sous le titre de Journal de l'Empire; la Gazette de France; le Publiciste et le Mercure

Sous la Restauration, les ultras eurent pour organes la Quotidienne, le Drapeau blanc; les libéraux le Constitutionnel, le Courrier français, le Temps, le Figaro, le Globe, le National, fondé en 1830. Mais le journal moderne date de la fondation de la Presse (1836), par Emile de Girardin qui, le premier, eut l'idée d'abaisser le prix du journal grâce aux annonces payantes et de retenir les lecteurs par l'attrait du roman feuilleton.

Sous le Second Empire, la sévérité de la censure fit naître deux journaux d'un genre nouveau, le Figaro, gazette mondaine et spirituelle, et Le Petit Journal, dont les colonnes se remplissent de faits-divers et de feuilletons, pour le plus grand plaisir du public populaire. Un peu avant la guerre de 1870, La Lanterne et Le Rappel firent une vive campagne d'opposition et contribuèrent à la fin du régime. 

Sous la Troisième République le nombre des journaux, tant à Paris qu'en province, s'est accru au point qu'on les compte par milliers à la fin du XIXe siècle.

Les journalistes. 
Pendant un certain temps, les journaux, lus attentivement par un public exigeant, furent rédigés avec soin. La plupart des orateurs politiques que l'on a mentionné plus haut ont été des journalistes : Benjamin Constant, Chateaubriand, Thiers, etc. Il faut y ajouter :

Ch. de Rémusat (1797-1875). - Il écrivit, avant 1830, au Globe et à la Revue française, des articles d'une clairvoyance remarquable, et devint politique libéral sous Louis-Philippe. Il fut encore ministre des Affaires étrangères en 1871.

Armand Carrel (1800-1836). -  Carrel fonda, en 1830, avec Thiers et Mignet, le National. Pendant six ans, il travailla à orienter le pays du côté de la République, qui lui paraissait la conséquence logique de la révolution de Juillet; il aurait voulu donner à la France les institutions des États-Unis. Ses articles du National, dont les meilleurs ont été réunis en volumes, révèlent chez lui un excellent écrivain, digne de servir de modèle, pour la sincérité, la fermeté et la tenue, à tous ses confrères et successeurs. On sait qu'Armand Carrel fut tué, en duel, par Émile de Girardin.

Émile de Girardin (1802-1881) est, au contraire, le type du faiseur, du journaliste qui a "une idée par jour ", et qui amuse le public et s'en amuse. Beaucoup plus que Carrel, il a fait école. Parmi ses idées, la plus féconde fut, on l'a dit,l'abaissement du prix des journaux, grâce aux annonces publicitaires. Il fonda (en 1836) la Presse qui devint un des journaux les mieux informés et les plus littéraires (on y voit collaborer A. Dumas, F. Soulié, Th. Gautier, Méry, etc.). Sa femme, Delphine Gay, célèbre par ses poésies et par quelques pièces de théâtre (Lady Tartufe, L'Ecole des Journalistes, La Joie fait peur, etc.), collabora à la Presse sous le pseudonyme de Vicomte de Launay.

Prévost-Paradol (1829-1870), qui mériterait aussi une place parmi les historiens et les moralistes (les Moralistes français), fut, dans le Courrier du dimanche et dans les Débats, un courtois mais redoutable adversaire du Second Empire. Il s'y  montra un prophète clairvoyant de la lutte prochaine entre la France et l'Allemagne.

Louis Veuillot (1813-1883) est célèbre surtout pour la part qu'il prit à la rédaction de l'Univers, journal catholique, où il se montra d'une violence extrême contre tous les partis et les libre-penseurs. Nous n'avons pas à apprécier ici son rôle politique. Comme pamphlétaire et comme écrivain, Veuillot est brillant. Son vocabulaire est à la fois très riche et très français; son style a une variété drue et vigoureuse qui dépasse la fine et sèche précision de Courier; il est aussi simple et aussi tendre dans sa Correspondance, qu'il est ardent et éloquent dans ses articles et dans ses livres.

Edmond About (1828-1885), anticlérical convaincu et conteur spirituel (Le Roi des Montagnes, 1856; L'Homme à l'oreille cassée, 1861; etc.); Villemessant (1812-1879), brillant chroniqueur du Figaro; Jules Janin (1804-1874), critique dramatique des Débats; Francisque Sarcey (1828-1899), critique dramatique du Temps, etc.

Georges Clemenceau, qui  était le directeur politique du journal l'Aurore au moment de l'affaire Dreyfus, et qui a accueilli le J'accuse de Zola paru le 13 janvier 1898, dialecticien plein de fougue, heurté, cassant, contradictoire, mélange d'impulsif et d'idéologue, de chauvin et de révolutionnaire, mais vivant, crâne, spirituel, brillant et trop souvent stérile.

L'affaire Dreyfus. 
L'affaire Dreyfus aurait pu n'être que la tragédie d'un officier de l'armée française injustement accusé de trahison en 1894, et qui ne sera réhabilité qu'en 1906. C'est un journal antisémite, la Libre parole, qui a lancé l'affaire et c'est l'antisémitisme ambiant qui sera sûrement la colonne vertébrale de ce fait de société qui va fracturer le pays pendant une douzaine d'années. Mais d'autres éléments éléments de contexte, parfois les seuls véritables  déterminants pour certains de ceux qui vont s'exprimer, doivent aussi être soulignés :  1° La force du nationalisme, qui, après l'humiliation qu'a été la défaite de 1871,  se fait un devoir de revendiquer une forme d'infaillibilté de l'Armée, alors même que l'innocence de Dreyfus a été patente très tôt. 2° Le catholicisme royaliste, qui sait qu'il mène son dernier combat contre la république laïque, installée depuis les élections de février 1879. Ainsi, le monde intellectuel et artistique va-t-il se partager entre les « dreyfusards-»  et  les « antidreyfusards  », 
• Les dreyfusards et les membres de la Ligue des droits de l'homme (fondée en 1898) : les frères Georges et Albert Clémenceau, Emile Zola, Anatole France, Lucien Lévy-Bruhl, Scheurer-Kestner, Marcel Proust, Mirbeau, Mallarmé, R. Martin du Gard,  Jules Renard, Courteline,  Émile Durkheim, Gabriel Monod, JeanJaurès, Léon Blum, Charles Péguy, Monet, Pissaro.

• Les  antidreyfusards : le directeur de la Libre parole Édouard Drumont, Jules Lemaître, Ferdinand Brunetière,  François Coppée, Paul Bourget, Albert Sorel,  Armand Silvestre, J.-M. de Hérédia, Maurice Barrès, Charles Maurras, Jules Verne, Albert de Mun, Léon Daudet, Frédéric Mistral, Lorrain, Léon Bloy, Pierre Louys,  Paul Déroulède, Jules Guérin,  René Doumic,  Paul Valéry, Rodin,  Cézanne, Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Caran d'Ache, Vincent d'Indy. 

Ces derniers seront ceux que l'on entendra le plus. Sur 55 quotidiens 48 sont antidréyfusards (près de la moitié s'affichant ouvertement antisémites). Le quatre seuls quotidiens dreyfusards ne représentent que 2% des tirages. Le Figaro, qui est l'un d'eux, voit son tirage s'effondrer pendant l'affaire.
 
Dreyfusards et antidreyfusards

« Entre les « dreyfusards » et les « antidreyfusards », la dissidence ne tint pas à une question de fait. Se diviser, quand on a, des deux côtés, examiné avec soin tous les documents, sur le point de savoir si tel accusé est coupable, rien là qui dénote une différence essentielle de mentalité; or, les « antidreyfusards » dont nous parlons ici n'ont jamais dit que Dreyfus, même innocent, dût être condamné dans l'intérêt de l'Armée et de la Patrie. Mais en recherchant, par delà les diversités des tempéraments respectifs, à quelle conception générale ils se référaient, on voit que leur doctrine n'en implique pas moins, dans le fond, la prédominance de la société sur l'individu comme celle du sens commun sur le sens propre.

S'ils ne s'écriaient point, avec d'autres : « Innocent ou coupable, Dreyfus doit périr », leur raisonnement, après tout, relevait du même principe. « Rien, déclaraient-ils, ne nous autorise, nous, simples particuliers à intervenir. Et comment subsisterait une société dans laquelle des individus sans mandat remettraient chaque fois en question la sentence de ceux qu'elle a établis comme arbitres? Il est inadmissible qu'un condamné soit innocent. Ne confondons pas la chose jugée avec la chose bien jugée. Ce qui est juste, c'est ce que le magistrat a reconnu tel. »

Quant aux « dreyfusards », certains n'ont vu peut-être dans l'affaire Dreyfus qu'une occasion de vilipender les institutions publiques. Mais le plus grand nombre n'avaient ni moins d'amour pour l'Armée que les « antidreyfusards », ni moins de respect pour la Loi. Seulement ils partaient d'un principe contraire. A la discipline sociale, en vertu de laquelle ceux-ci alléguaient la chose jugée, ils opposaient la conscience individuelle. Ils estimaient que chaque individu, dans une démocratie, est responsable pour sa quote-part des injustices sanctionnées par l'Etat, et que se désintéresser de ces injustices en alléguant la sentence des juges, c'est trahir les obligations les plus strictes non seulement de l'homme, mais du citoyen.

Et nous touchons ici le point essentiel du conflit. Si les intellectuels se divisèrent, dans l'affaire Dreyfus, en deux groupes, ils se partageaient déjà en deux familles d'esprits. Aussi peut-on dire qu'il y a toujours eu, qu'il y aura toujours, sous un autre nom, des « antidreyfusards » et des « dreyfusards ». Antidreyfusards, ceux qui se réclament de la foi, de l'autorité, de la tradition; dreyfusards, ceux qui n'admettent ni que le sens commun s'asservisse le sens propre, ni que le code prévale sur le droit. »
 

(G. Pellissier, Etudes de littérature et de morale contemporaines, 1905).
Caractères du journalisme de 1880 à 1914.
L'affaire Dreyfus a été une crise grave et spectaculaire qui a fracturé la société et dont la presse a été un acteur majeur. Mais la presse à la même époque connaissait aussi une mutation silencieuse mais profonde. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un talent d'écrivain est beaucoup moins nécessaire dans le journalisme. Les lecteurs demandent aux quotidiens des informations aussi nombreuses et aussi rapides que possible. Le télégraphe, le téléphone, la photographie, les machines rotatives perfectionnées permettent de les leur donner. Documentation, reportage et réclame se sont substitués à l'étude critique de l'actualité politique ou littéraire. En somme, la presse s'américanise comme on le dit déjà à l'époque, et en tout cas, et même si la presse de combat continuera d'exister, elle s'engage résolument sur la voie qui sera la sienne tout au long du XXe siècle, l'âge des reporters et des photographes.

En attendant, quelques plumes font de la résistance :  Cornély, bulletinier à la phrase courte, mais acérée;  Maurice Talmeyr, nerveux, osé et pittoresque;  Georges Thiébaud, théoricien aventureux du boulangisme; Henry Bérenger, esprit cultivé et volontaire; Pierre l'Ermite (l'abbé Loutil), dont les articles prennent volontiers la forme de l'anecdote ou du conte;  Jean de Bonnefon, dont la prose enrubannée et onctueusement sacrilège fait songer aux mandements d'un « prélat de mauvaise réputation et de manières charmantes » (André Germain); Urbain Gohier, pamphlétaire de la grande école; Gustave Téry, documenté, mordant, tenace; Robert de Jouvenel, qui baptise dans sa République des camarades dix années de l'histoire politique de la France; Oscar Havard, chatoyant et souple; Séverine, élève de Vallès, qui gamine avec esprit autour de la vie publique, mais qui « mêle à son fond gavroche - le vrai fond - des accès d'indignation parfois déclamatoire et de sensibilité toujours tapageuse » (J. Capperon). Plus discrets, gardant la tenue de l'ancien journalisme et maniant la vraie langue du genre, nette, franche, incisive, Jules Dietz, Maurice Spronck, Henry des Houx, Georges Berthoulat, Frédéric Clément, Louis Latapie, Eugène Tavernier, Jean Guiraud, etc., méritent d'être considérés dans la presse de doctrine avec un respect nuancé de compassion pour le genre qu'ils défendent et qui semble déjà promis à une disparition prochaine.

La chronique a davantage évolué : elle ne se contente plus d'être brillante et elle veut aussi dire son mot sur les problèmes du moment. Documentaire seulement avec un Montorgueil, précieuse avec un Octave Uzanne, pétaradante avec un Caliban (Bergerat) et un Grosclaude, passionnée avec un Jean Lorrain, qui jeta sur ses carnets, au galop, mais d'un trait qui creuse, tant d'imaginations et de rêveries, elle prend volontiers un tour philosophique, tout en gardant ses grâces, avec un Jules Claretie, aux dossiers inépuisables et qui avait une anecdote sur tout; un Alfred Capus, dont les Courriers de Paris sont « la mise au point méthodique de tout le spectacle contemporain » (A. du Fresnois); un Henry Roujon, un Alexandre Hepp, un Pierre Veber, un Albert Flament ou un Marcel Boulenger, qui a dit dans ses jolies Lettres de Chantilly : 

« Je voudrais que tel ou tel exquis conteur, que tel ou tel esthète impressionnant, essayât seulement de rédiger chaque jour un petit bout d'article, oh! bien simple et pareil, je suppose, à ceux que nous donne quotidiennement Clément Vautel, - un billet allègre, aisé, que le commissionnaire du coin peut comprendre sans difficulté... Tentez l'expérience... et vous verrez, à votre grande surprise, que c'est un métier aussi et fort délicat de faire un méchant papier dans un journal comme de faire une pendule. »
Harduin, tant prôné de son temps, ne fut cependant qu'un sous-Sarcey de l'entrefilet, et avec l'humanisme en moins; mais le « bon sens » de Henry Maret s'aiguise de malice et s'orne de culture; Louis Forest vend de la sagesse en comprimés. Adolphe Brisson a presque créé un genre : l'interview littéraire et, de ce qui n'était avant lui qu'une sténographie glacée, fait une chose colorée, mouvante et pittoresque; Georges Huret, dont l'« Enquête sur le Symbolisme (1889) est une date dans l'histoire du grand reportage » (Émile Berr), a élargi le genre et l'a étendu à la vie économique et sociale.

Cependant les plus éminents des chroniqueurs politiques s'efforcent de manifester une doctrine sous leurs articles périodiques, et certains, comme Francis Charmes, à la Revue des Deux Mondes, continuent la tradition du grand journalisme. Dans la presse quotidienne, Gabriel Hanotaux, Pierre Baudin essaient de s'élever au-dessus des querelles de groupes; André Tardieu et Jean Herbette, dans la presse de gauche; Jacques Bainville, dans celle de droite, se montrent de plus solides observateurs de la politique étrangère où des spécialistes distingués, comme le Frédéric Amouretti, Francis de Pressensé, Denis Guibert, Alcide Ebray, Auguste Gauvain, André Chéradame, ont aussi indiqué leur place. Les questions universitaires n'ont pas de plus lumineux débatteur qu'Albert Petit.

Les revues. 
L'héritage de cette forme de presse commence a être recueilli par les revues et les magazines, dont la multiplication est déjà un symptôme. Au revues de vulgarisation documentée comme la Revue des Deux Mondes (1829), la Revue de Paris (1829), déjà anciennes, s'ajoutent désoramis la Grande Revue (1897), la Revue Politique et Parlementaire (1894), la Nouvelle Revue (1879), etc.. D'autres revues ont un caractère plus technique et professionnel, comme la Revue critique (1866), la Revue générale des sciences (1889), la Revue scientifique (1863), la Revue d'histoire littéraire (1893), les Annales de Géographie (1891), etc. 

Par ailleurs, soucieux de leur liberté et de pouvoir s'étendre, quelques-uns des plus notoires noms de l'époque ont commencé d'émigrer des journaux quotidiens au revues  : c'est là, par exemple, qu'avant de les réunir en volume, le comte Othenin d'Haussonville, le vicomte de Meaux, Étienne Lamy, Charles Benoist, Jules Delafosse, Max Turmann, Édouard Trogan, etc., ont mené leurs fortes enquêtes sociales et politiques sur la femme moderne à l'atelier et au foyer, les oeuvres d'assistance, les écoles françaises d'Orient, etc. Et c'est là encore qu'ont paru tant de monographies brillantes à la Michelet, d'essais subtils à la Sterne, de confessions intimes à la Jean-Jacques, comme les Trois Stations de psychothérapie de Maurice Barrès, le journal de Marie Bashkirtseff, Paludes et les Nourritures terrestres d'André Gide, Idées et Visions de Suarès, la Vie des abeilles et le Trésor des humbles de Maeterlinck, les Épilogues de Rémy de Gourmont, les Hannetons de Georges Lecomte, ou tel petit bréviaire mondain de la série des Sonia d'Émile Berr, qui, pour n'appartenir à aucun genre bien défini, n'en sont pas moins des joyaux de la langue.

Le public trouve à ce genre de publication l'avantage de se tenir au courant du mouvement des idées par des articles d'une lecture facile; les travailleurs, savants, critiques, historiens sont heureux d'avoir le moyen de faire connaître au fur et à mesure leurs travaux. Le succès des revues est tel que les éditeurs craignent de plus en plus qu'il cause un tort considérable au livre, c'est-à-dire à l'oeuvre mûrement conçue et longuement travaillée, ainsi qu'à la lecture approfondie et méditée.

Les écrivains socialistes.
A côté des questions politiques proprement dites, un certain nombre d'esprits commencèrent à se préoccuper de l'organisation sociale de l'avenir.

Étienne Cabet (1788-1857).
D'abord avocat, Cabet plaida, mais avec peu de succès, et se jeta vite dans l'opposition la plus avancée sous Charles X. Il fut après la révolution de 1830 nommé procureur général en Corse, mais se fit bientôt révoquer à cause de ses opinions. Il fut élu en 1831 député de la Côte-d'Or, attaqua avec violence le gouvernement de Louis-Philippe dans un journal ultra-démocratique qu'il avait fondé, Le Populaire, fut condamné en 1834 à deux ans de prison, se réfugia en Angleterre, d'où il ne revint qu'en 1839, publia en 1842, sous le titre de Voyage en Icarie, le plan d'une utopie communiste et spiritualiste, tenta quelques années après de réaliser ses plans et, dans ce but, se transporta, avec quelques partisans, aux Etats-Unis; mais rencontra dans l'exécution une foule de mécomptes, eut avec ses disciples de vives contestations et des procès. 

Saint-Simon (1760-1825).
Le comte de Saint-Simon groupa autour de sa personne et de la doctrine qui prit son nom, le Saint-Simonisme, des hommes de valeur comme Enfantin, Pierre Leroux, Augustin Thierry, Auguste Comte. Les Saint-simoniens auraient voulu une répartition plus équitable des richesses, selon les besoins et les capacités de chacun. L'Etat en aurait hérité, puis, au moyen d'une banque centrale, aurait organisé la production méthodique et une distribution proportionnée au travail. Ces idées se trouvent exposées surtout dans un livre de Saint-Simon, L'Industrie ou Discussions politiques, morales et philosophiques, dans l'intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendants (1817) et dans un journal le Producteur (1825-1826).

Fourier (1772-1837). 
Vers la même époque un commis de magasin, Fourier, auteur de plusieurs ouvrages dont le plus important est le Traité de l'association domestique et agricole (1822), recommanda la vie en commun par petits groupes ou phalanges, où seraient réunies toutes les formes possibles de caractères différents. Il fonda même en 1830 à Condé-sur-Vire un phalanstère qui ne donna pas de grands résultats. Pourtant, sa doctrine lui survécut assez longtemps.

Proudhon (1809-1865).
Proudhon fit plus de bruit, grâce à l'ardeur de sa polémique et à la vigueur de ses formules. Ouvrier typographe, publiciste et député en 1848, il a laissé une oeuvre volumineuse qui débuta par la brochure célèbre : Qu'est-ce que la propriété? (1840) où il déclarait « La propriété, c'est le vol! ». Ses ouvrages essentiels sont le Système des contradictions économiques (1846) et De la Justice dans là Révolution et dans l'Église (1858). Son idéal était un système social reposant sur la fédération et l'association, et assurant entre les hommes la plus grande égalité.

Le féminisme.
L'idée d'améliorer la situation des femmes dans la société est ancienne, mais ce n'est qu'au XIXe siècle, qu'elle s'est érigée, sous le nom de féminisme, en doctrine visant à rendre égaux à ceux des hommes les droits et le rôle des femmes. Pour les féministes, la situation des femmes est inférieure, au triple point de vue politique, social, économique. Leur but est de faire cesser cette inégalité. Force est de constater que la France, ici, a eu un énorme retard sur beaucoup d'autres pays. Les voix fortes (à l'exception peut-être de  l'activiste Louise Michel) ont manqué. Si des écrivaines comme George Sand (Indiana, 1832), et, plus tard, Anna de Noailles (La Nouvelle Espérance, 1903), Renée Vivien, et Colette (La Vagabonde, 1910) se montrent féministes, c'est davantage par leur affirmation individuelle, plus que par des revendications doctrinales. 

On peut toutefois noter, à la charnière des XIXe et XXe siècles, les noms de Juliette Adam (1836-1936),  écrivaine, journaliste et  fondatrice de La Nouvelle Revue en 1879, Séverine (1855-1929), elle aussi journaliste, féministe dont les articles sont parus notamment dans Le Cri du peuple et La Fronde, ou encore  Madeleine Pelletier (1874-1939), psychiatre et féministe, qui a été la première femme à obtenir un doctorat en médecine à la Faculté de médecine de Paris. 

La revendication des droits politiques.
La Révolution française, en donnant à chaque citoyen une part de souveraineté, refusa toute place aux femmes dans le champ politique. Les féministes ont vu là une suprême injustice; les femmes, étant soumises aux lois comme les hommes, elles ont le même droit qu'eux de coopérer à leur confection; payant directement ou indirectement les impôts, elles ont un droit égal à celui des hommes à en surveiller l'emploi. Si elles ne contribuent pas à la défense du pays par l'impôt du sang et le service militaire, elles y contribuent grandement en donnant le jour aux défenseurs de la patrie et en exposant leur vie ou au moins leur santé dans l'accomplissement de cette fonction naturelle. En un mot, comme l'écrivait Olympe de Gouges, une des ancêtres du mouvement féministe, en 1791, dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, «-la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune ». 

Malgré l'ardeur et le talent qui furent mis au service de cette cause, bien que, postérieurement, les Saint-simoniens (Pierre Leroux, notamment) et Fourier, aient compris dans leur programme l'agitation en faveur des droits politiques des femmes, et qu'en 1848, les socialistes aient porté, mais sans succès, la question devant le pouvoir législatif, la revendication politique des féministe ne fut pas prise au sérieux et fournit matière à des plaisanteries intarissables. Sous la Troisième République, la question fut reprise, mais vainement encore. En 1880 et 1885, l'inscription sur les listes électorales fut requise par un certain nombre de femmes; repoussées par l'administration, elles en appelèrent aux tribunaux qui rejetèrent leur demande.

Il est peu de pays où l'on reconnaisse alors aux femmes les mêmes droits politiques qu'aux hommes. Jusque là, elles ne les ont pleinement et directement que dans l'Etat de Wyoming (Etats-Unis). Dans plusieurs pays européens, où le droit électoral repose sur la propriété, la femme propriétaire le possède : directement dans l'île de Man (Royaume-Uni), indirectement et en l'exerçant par mandataire, en Suède et dans plusieurs pays de l'empire d'Autriche. Relativement au gouvernement local ou à l'administration communale, soit en totalité, soit en partie, les femmes ont l'électorat en Grande-Bretagne et dans ses colonies, dans les Etats américains du de Wyoming et Kansas, en Suède, Islande, Finlande et Russie, et dans les communes rurales de la Prusse. Elles peuvent être électrices en ce qui concerne l'administration scolaire et l'assistance publique dans un bon nombre d'Etats de l'Amérique du Nord et de la Norvège. Elles sont éligibles aux postes de l'administration scolaire aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Norvège, à Stockholm; aux postes d'assistance publique : en Angleterre, en Suède, en Finlande; à toutes les fonctions municipales au Wyoming et au Kansas.
La revendication des droits sociaux.
Au point de vue social, les féministe du XIXe siècle se plaignent de la situation subordonnée que fait aux femmes le Code civil français dans la famille : elles sont complètement en la puissance du mari, aussi bien sous le rapport de la personne que sous celui des biens.
Cette subordination absolue des femmes n'est pas, comme on veut leur faire valoir, de l'essence du mariage, soutiennent les féministes; la preuve, c'est qu'elle n'existe pais dans plusieurs législations étrangères ou qu'elle en a été effacée celles de l'Angleterre, de la Russie, du Canada, de l'Australie, de plusieurs Etats des Etats-Unis, qui ont donné des droits égaux aux époux et qui, tout en laissant subsister le droit de fidélité, ont supprimé le devoir d'obéissance de la femme.
Relativement aux biens, la communauté qui est admise parle code français comme régime légal, et qui sont à l'entière disposition du mari la presque totalité des biens du ménage, et en tout cas tous les revenus, même les salaires de la femme et les économies qu'elle a pu réaliser sur le produit de son travail, a été l'objet des vives critiques des féministes. Il ne peut exister, selon eux, qu'un seul remède : la disparition de la communauté légale et son remplacement par la séparation de biens légale et complète. C'est là une des principales revendications du féminisme français à cette époque, que n'ont pas hésité à adopter un grand nombre de pays. 
La Russie l'a admise de temps immémorial; l'Autriche en 1811; l'Italie et le Canada en 1875; la Turquie en 1876; l'Angleterre en 1882; l'Australie en 1884; trente-sept Etats des Etats-Unis à des époques diverses.
Toutes ces réformes sont soutenues non seulement par les intéressées, c'est-à-dire les femmes, mais encore par des hommes de véritable talent. La question est posée sérieusement; les plaisanteries d'antan tendent à cesser, en même temps qu'apparaissaient, dans la littérature et au théâtre, les objections tirées de l'éducation traditionnelle des femmes, de son organisation plus sentimentale que « réaliste » et de l'unité nécessaire à la famille, sous une seule autorité. 

La revendication des droits économiques.
Au point de vue économique, les revendications des féministes ont obtenu plus de succès en France. Comme presque toujours, les moeurs y ont devancé la législation; c'est ainsi qu'un certain nombre de professions, parmi les libérales surtout, sont devenues accessibles aux femmes dès le XIXe siècle. Beaucoup d'administrations, même publiques, telles que les banques, les chemins de fer, le timbre, les postes et les télégraphes ont admis les femmes dans leurs bureaux. Les universités, les écoles nationales des beaux-arts leur ont ouvert leurs portes. 

A la même époque, un certain nombre de nations avaient déjà accordé aux femmes l'accès au barreau, avec de grandes restrictions cependant en Europe, mais presque sans limites en Amérique et en Australie.

Le mouvement des idées religieuses

Les écrivains religieux.
Grâce à l'élan donné par Chateaubriand et aux traditions monarchiques, les idées religieuses et catholiques retrouvèrent sous la Restauration leur prestige combattu au XVIIIe siècle.

De Bonald (1754-1840). 
De Bonald fut considéré comme le chef du parti théocratique et comme un grand penseur. D'abord mousquetaire de Louis XV, puis émigré, il rentra en France sous le Directoire, fut membre du Conseil de l'Université sous le Premier Empire, puis député et pair de France sous la Restauration. Il a laissé entre autres ouvrages la Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile (1796) et la Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison (1802). D'après lui, le pouvoir politique et le pouvoir religieux doivent être étroitement unis. La société a, en effet, été organisée par Dieu. C'est sa volonté qui s'exprime par celle du chef de l'Etat qui a droit, par conséquent, à une obéissance absolue. Cette théorie, renouvelée plus ou moins directement de Bossuet, montrait assez que cet émigré n'avait rien oublié ni rien appris.

Joseph de Maistre (1754-1821).
Un autre penseur, Joseph de Maistre, combattit lui aussi avec vigueur l'esprit du XVIIIe siècle. Né à Chambéry, il quitta la Savoie quand elle eut été conquise par la France, et de 1802 à 1817, il vécut en Russie comme ministre plénipotentiaire de Victor-Emmanuel, roi de Sardaigne. Il a laissé : les Considérations sur la France (1796), l'Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1810-1814), Du Pape (1819), l'Église gallicane (1821), les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821). Tous ces ouvrages pourraient porter le même sous-titre que le dernier : Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence. J. de Maistre, en effet, cherche à démontrer que rien n'arrive dans le monde que par la volonté de Dieu.

Joseph de Maistre n'en était pas à un paradoxe près. D'un caractère plutôt doux et gai, paraît-il, il a soutenu dans ses ouvrages avec une grande violence la légitimité de tous les maux qui désolent l'humanité. Ils sont voulus par la Providence comme étant le châtiment nécessaire de nos fautes : ainsi le sang versé sous la Terreur, qui est une expiation du crime commis contre Louis XVI (Considérations sur la France); la peine de mort et le bourreau; la guerre et ses sanglantes hécatombes (Soirées de Saint-Pétersbourg)

La terre entière, continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort. (7e Entretien).
Joseph de Maistre rappelle, lui aussi, Bossuet, dont il a la conviction. Mais sa force est plus brutale parce qu'il n'a pas sa sérénité.

Ballanche (1776-1847).
Ami de Joubert et de Chateaubriand, fidèle habitué du salon de l'Abbaye-aux-Bois, chez Mme Récamier, Ballanche se distingue par une conception à la fois très vague et très noble de la philosophie sociale. Dans sa Palingénésie (1827), il prédit la rénovation prochaine de l'humanité. Il use souvent de grandioses symboles, et son style a de singulières qualités d'harmonie et de poésie.

Lamennais (1782-1854). 
De Bonald et Joseph de Maistre s'appliquaient, en somme, à restaurer le passé. Lamennais fit un effort pour adapter le catholicisme à la société nouvelle. Né à Saint-Malo, élevé à la Chesnaie près de Dinan, il se révéla dès son enfance comme un esprit inquiet et indépendant. Ordonné prêtre à trente-quatre ans seulement, il publia en 1817-1821 son Essai sur l'indifférence en matière de religion, qui produisit dans le public une impression profonde. Une élite de jeunes catholiques, parmi lesquels Montalembert, Lacordaire, Maurice de Guérin, se groupa autour de lui, et avec leur concours il fonda en 1830 le journal l'Avenir pour soutenir ses idées. Condamné à Rome, il se soumit d'abord, puis rompit avec l'Eglise catholique après la publication des Paroles d'un Croyant (1834). Il fut député à l'Assemblée nationale (1848), et mourut sans s'être réconcilié avec l'Eglise.

Dieu et liberté. -  L'épigraphe du journal l'Avenir, « Dieu et Liberté », résume assez bien les théories de Lamennais.

Dans l'Essai sur l'Indifférence il montre que le vrai danger pour l'Eglise vient moins de ses adversaires déclarés que des indifférents. Dans une seconde partie, il prouve Dieu par le consentement universel, et établit, dans la troisième, que seul le christianisme possède en lui les caractères qui satisfont les exigences de l'esprit.

Plus ou moins orthodoxe, il n'en est pas moins profondément chrétien. Mais il est libéral. Il eût souhaité pour l'Eglise la liberté d'enseigner et surtout l'indépendance vis-à-vis du pouvoir temporel par la séparation des Eglises et de l'État. Il l'eût voulue aussi plus près du peuple.

Les Paroles d'un croyant annoncent une sorte de socialisme chrétien. Les hommes naissent égaux et frères. La société devrait donc reposer sur Ia justice et sur l'amour. Ou n'y trouve, au contraire, que l'oppression du faible par le fort, du salariat par le capital. C'est qu'en réalité la vraie doctrine du Christ, faite pour les humbles, a été corrompue. Il faut espérer pour l'avenir la constitution d'une vraie cité de Dieu.

La poésie évangélique. - L'oeuvre de Lamennais contribua pour beaucoup au mouvement humanitaire dont 48 fut l'aboutissement. La séduction de la forme aida puissamment à son succès. S'adressant au peuple, Lamennais pensa qu'il ne pouvait mieux faire que d'imiter le langage de son divin Maître. Les Paroles d'un Croyant sont divisées en versets comme l'Évangile. Elles en ont la simplicité caressante :

Il en est qui disent : A quoi bon prier? Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce dont nous avons besoin?....

Le père connaît les besoins de son fils : faut-il, à cause de cela, que le fils n'ait jamais une parole de demande et d'actions de grâces pour son père? (XVIII).

On y trouve aussi, nées sans effort d'une imagination de visionnaire, des paraboles où la pensée philosophique s'anime en un drame émouvant. Des oiseaux qui donnent la becquée à des petits dont le vautour a emporté la mère, voilà l'image de la charité (XVII), des voyageurs qui se groupent pour écarter un bloc de rocher qui leur barre la route, voilà l'image de l'assistance mutuelle, etc. Seul un grand poète était capable d'oser un pareil pastiche.
Les prédicateurs.
Sous l'Empire et sous la Restauration, les orateurs de la chaire sont nombreux. La prédication est, en effet, nous l'avons déjà fait observer, une des principales fonctions du sacerdoce chrétien, et ne s'interrompt jamais. Les meilleurs sermonnaires sont souvent ceux qui n'ont laissé aucun discours écrit. Quelques-uns, sans qu'il faille toujours leur supposer de la vanité, prennent place dans l'histoire de la littérature française; leur talent supérieur a été mis en lumière par les circonstances, par le lieu et par l'auditoire.

Frayssinous (1765-1841).
Tel fut, par exemple, l'abbé de Frayssinous, qui inaugura le genre des conférences, où devaient s'illustrer plus tard Lacordaire, Ravignan, et leurs successeurs. Ces conférences; il les prononça à l'église Saint-Sulpice, d'abord de 1803 à 1809, puis en 1814, et de 1816 à 1822. Elles eurent, auprès des contemporains, un très vif succès, par leur actualité (elles posaient les questions religieuses à peu près sur le terrain choisi par Chateaubriand), puis par leur élégance et leur clarté. Frayssinous en publia une partie en 1825, sous ce titre : Défense du christianisme. Elles nous paraissent aujourd'hui plutôt froides et affectées. De 1823 à 1828, Frayssinous fut grand-maître de l'Université.

Lacordaire (1802-1861).
La prédication retrouva un moment, grâce à Lacordaire, un éclat comparable à celui qu'elle avait connu au XVIIe siècle.  Avocat avant d'être prêtre (1827), Lacordaire subit un instant l'ascendant de Lamennais, mais se sépara de lui quand il eut été condamné par le Saint-Siège. Il avait débuté comme prédicateur à Saint-Roch (1833), et obtint l'autorisation de rétablir l'ordre des Dominicains ou frères prêcheurs. C'est dans sa robe blanche qu'il prêcha l'Avent à Notre-Dame (1841) et y fit des Conférences de Carême (1848-1851). Un instant député, il consacra la fin de sa vie à la direction du collège de Sorèze (Tarn), où il écrivit ses Lettres à un jeune homme sur la vie chrétienne (1857).
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Le jeu

« Par delà toute substance créée, dans la région idéale de l'abstrait, gît une puissance froide, impassible, inexorable, qui est pour les choses de l'ordre matériel ce qu'était pour les choses de l'ordre moral le Destin de l'antiquité : c'est la loi mathématique, loi du nombre, de l'étendue, de la force, qui préside à l'arrangement du monde inanimé, et soutient, de son immuable sanction, ce qui n'a ni sentiment, ni vouloir, ni liberté, ni vie. Qui eût dit que là même, au foyer glacé du calcul, l'homme trouverait, pour apaiser sa soif d'être heureux, un autre élément de joie et d'extase? Il l'a fait pourtant. Il a découvert, au milieu de ces règles assurées du nombre et du mouvement, des combinaisons qui engendrent des chances sans engendrer des certitudes, et le hasard lui est apparu comme le Dieu souverain d'une félicité; car le hasard répondait à l'un de ses besoins les plus forts, au besoin dramatique de sa nature. Ce même homme, qui aime le repos, et qui le demande à l'ivresse, veut aussi, parce qu'il est vivant et libre, se créer une action, une action qui le remue par un grand intérêt, le tienne en suspens par un noeud indépendant de sa volonté, et enfin l'élève ou l'écrase dans une soudaine péripétie. Tout autre drame lui est étranger. S'il assiste aux scènes de Sophocle ou de Corneille, ce n'est pas lui qui est la victime ou le héros; il pleure sur des infortunes lointaines que l'art lui ressuscite pour l'émouvoir : mais ici c'est lui-même, quand il veut, comme il veut, dans la mesure qu'il lui plaît. Le hasard et la cupidité mêlés ensemble lui font du jeu un drame personnel, effrayant et joyeux, où l'espérance, la crainte, la joie et la tristesse se succèdent, ou plutôt se confondent presque au même moment, et le tiennent haletant sous une fièvre qui s'accroît jusqu'à la fureur : car si nous disons la passion du vin, nous disons la fureur du jeu. »
 

(Lacordaire, extrait des Conférences de Toulouse).

L'éloquence chrétienne prend dans sa bouche un caractère un peu différent. Sans renoncer au sermon et à l'oraison funèbre (Oraison funèbre du général Drouot, 1847), il pratiqua surtout la Conférence, genre inauguré en 1803 à Saint Sulpice par Frayssinous. La conférence est plus souple que le sermon. Elle admet, à côté de l'éloquence la plus élevée, le ton familier et même spirituel, l'allusion politique, la citation profane. C'était une concession au goût du jour que le succès récompensa et justifia. Les 73 conférences de Lacordaire se font suite. L'orateur commence par y poser la nécessité de l'Église, puis il l'étudie dans ses doctrines et dans son fondateur, Jésus. C'est par lui qu'il arrive à Dieu, suivant un ordre progressif a peu près analogue au chemin qu'avait parcourut son âme propre.

Autres Prédicateurs.

P. de Ravignan. - Parallèlement à l'éloquence romantique de Lacordaire, se développait celle du P. de Ravignan, jésuite, qui semblait s'être formé par l'étude de Bourdaloue et de Frayssinous. Ravignan, comme Lacordaire, eut une vocation tardive. Né en 1795, il fut d'abord magistrat. Il était substitut à Paris quand, en 1822, il entra à Saint-Sulpice, et de là chez les jésuites. Il prêcha le Carême à Notre-Dame de 1837 à 1846, et de 1849 à 1857. Sa manière était plus simple que celle de Lacordaire, plus unie, plus distinguée. Mais à la lecture, il reste encore moins de son éloquence.

Mgr Dupanloup (1802-1878), évêque d'Orléans, se distingua comme prédicateur et comme orateur politique. Il unissait la véhémence de l'apôtre à la délicatesse d'expression d'un parfait humaniste. Il restera surtout célèbre par ses ouvrages de pédagogie, dont on peut discuter les idées, mais qui prouvent autant de compétence que de généreuses intentions : De l'éducation (3 volumes, 1851), la Femme studieuse (1863), Lettres sur l'éducation des filles (1879).

Les Protestants comptent également d'un grand nombre d'excellents prédicateurs, parmi lesquels on peut citer :
Athanase Coquerel (1795-1868), qui prêcha d'abord à Amsterdam, puis, de 1832 jusqu'à sa mort, à Paris. Ses sermons, remarquables par leur élévation morale et leur onction, ont été publiés en 8 volumes (1819-1852). 

Adolphe Monod (1802-1856), qui est plus véhément; il unit à la logique du raisonnement une imagination toute biblique, Ses sermons forment 4 volumes (1856).

Le mouvement des idées philosophiques

L'enseignement philosophique à la Sorbonne et au Collège de France fut très brillant. Aucune doctrine originale ne s'impose, mais un nombreux auditoire suit avec intérêt dans les cours publics l'exposé de théories spiritualistes, dont la diffusion contribua à entretenir dans les esprits une certaine élévation généreuse.

Sous le Premier Empire, la philosophie est encore l'héritière du XVIIIe siècle. Les plus illustres successeurs de Condillac et de Condorcet sont : Destutt de Tracy (1754-1836, Éléments d'idéologie); - Laromiguière (1756-1837), professeur à la Sorbonne en 1811 et 1812; dont les Leçons de philosophie furent, jusqu'à Victor Cousin, la base de l'enseignement dans les lycées et collèges; Cabanis (1757-1848), médecin, qui poussa jusqu'au matérialisme le sensualisme de Condillac, dans son Traité du physique et du moral de l'homme (1802); - Lamarck (1744-1829), qui s'est posé dans sa Philosophie zoologique (1809) comme l'inventeur d'une première théorie évolutionniste.

La réaction commence avec Maine de Biran (1766-1824), qui réunit autour de lui des disciples et des amis comme Ampère, Cuvier, Royer-Collard, Cousin, Guizot, et qui fut le fondateur des nouvelles méthodes en métaphysique et en psychologie.« Il est notre maître à tous  », disait de lui Roger-Collard. - Royer-Collard (1763-1845), comme professeur à la Sorbonne, de 1811 à 1814, adopta et enseigna la philosophie écossaise de Th. Reid, et continua Maine de Biran; il fut de bonne heure absorbé par la politique, mais il laissait des élèves comme Cousin, Jouffroy et Damiron.

Victor Cousin (1792-1867).
Plus encore que Maine de Biran (1766-1824) ou Royer-Collard (1763-1845), c'est Victor Cousin qui fut le maître de toute une génération.

Vie et oeuvres. 
Ancien élève de l'École Normale Supérieure, il fut professeur à la Sorbonne de 1815 à 1830, à part quelques années où son cours fut suspendu et qu'il mit à profit pour voyager en Allemagne et traduire Platon. De 1830 à 1851 Cousin, directeur de l'École Normale, pair de France et ministre, organisa et disciplina l'enseignement. Puis il acheva sa carrière en s'occupant plus spécialement de travaux littéraires. Ses ouvrages philosophiques comprennent ses Cours (1836-1840-1841), Du Vrai, du Beau, du Bien (1846, refondu en 1853), Histoire de la Philosophie (1863). - Ses oeuvres de critique sont : Rapport à l'Académie française sur la nécessité d'une nouvelle édition des Pensées de Pascal (1842), Jacqueline Pascal (1844), Mme de Longueville (1853), Mme de Sablé (1854), Mme de Chevreuse (1855), Mlle de Hautefort (1856), La société française au XVIIe siècle d'après le Grand Cyrus (1858).

Le spiritualisme de Cousin. 
Cousin empruntait aux différents philosophes ce qui dans le système de chacun lui paraissait juste. C'est pourquoi sa philosophie prend souvent le nom d'éclectisme. Pourtant Cousin est résolument l'adversaire de la philosophie du XVIIIe siècle qui donnait aux sens une place prépondérante. La sienne est une synthèse spiritualiste :

On lui donne à bon droit le nom de spiritualisme, parce que son caractère est
de subordonner les sens à l'esprit et de tendre, par tous les moyens que la raison avoue, à élever et à agrandir l'humain. Elle enseigne la spiritualité de l'une, la liberté et la responsabilité des actions humaines, l'obligation morale, la vertu désintéressée, la dignité de la justice, la beauté de la charité; et par delà les limites  de ce monde, elle montre un Dieu auteur et type de l'humanité, qui, après l'avoir faite évidemment pour une fin excellente, ne l'abandonnera pas dans le développement mystérieux de sa destinée. (Du vrai, du beau et du bien, préface de 1853).

C'est de ces généralités nobles, mais un peu vagues, que Cousin nourrit la jeunesse. Il fut plus utile à quelques-uns, comme Michelet et Quinet, en leur révélant la philosophie allemande.

Théodore Jouffroy (1796-1842). 
Parmi les plus remarquables disciples de Cousin, il faut compter Jouffroy, professeur au Collège de France. En même temps que ses cours, d'une forme élégante et vigoureuse, il publiait de nombreux articles, surtout au Globe, articles réunis dans ses Mélanges philosophiques (1833), où l'on peut signaler particulièrement ceux intitulés : Comment les dogmes finissent, et la Grèce. Jouffroy avait subi, pendant qu'il était élève à l'École normale, une crise contraire à celle de Lacordaire; de la foi, il était arrivé au scepticisme, et il avait conservé de cette évolution un douloureux souvenir, la philosophie n'ayant jamais pu remplacer pour lui la certitude perdue. Aussi apparaît-il comme un mélancolique, tourmenté par le problème de la destinée, presque comme le Musset de la philosophie.

Auguste Comte (1798-1857). 
Le public, qui recherchait autrefois dans la lecture le plaisir des émotions fictives ou des satisfactions d'art, devient peu à peu capable de trouver son contentement à feuilleter des documents, à parcourir des collections de faits. Le lecteur de la seconde moitié du siècle aime à savoir et d'une façon exacte et sûre. Cette diffusion de l'esprit scientifique est due, pour une part, à l'influence de la philosophie positiviste. Elle a pour fondateur Auguste Comte.

Vie et Oeuvres
Brillant élève du lycée de Montpellier, puis de l'École polytechnique, Auguste Comte fut, de 1818 à 1824, collaborateur de Saint-Simon. Après avoir occupé diverses fonctions à l'École polytechnique, il en fut dépossédé et ne put bientôt plus compter pour vivre que sur la charité pieuse de ses amis et de ses disciples. Ses deux principaux ouvrages sont le Cours de Philosophie positive (1830-1842) et le Système de Politique positive instituant la religion de l'humanité (1851-1854).

Le Positivisme. 
Cette philosophie nouvelle, qu'Auguste Comte appelait positive, consistait essentiellement à appliquer aux phénomènes sociaux les méthodes scientifiques. L'esprit humain, dans son désir d'expliquer l'univers, passe successivement par trois états : l'état théologique, l'état métaphysique, l'état positif. On commence par voir partout des dieux, puis des forces abstraites, et enfin des lois. C'est l'état positif :

Dans l'état positif, l'esprit humain. reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s'attacher uniquement à découvrir, par l'usage bien combiné du raisonnement et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs relations invariables (le succession et de similitude. (Cours de philosophie positive, 1re leçon).
La tâche de la philosophie positive sera de montrer que l'humain aussi est soumis à des lois et de les déterminer :
Il reste à terminer le système des sciences d'observation en fondant la physique sociale. (Ibid.).
L'influence positiviste.
Les leçons d'Auguste Comte eurent un retentissement profond que prolongèrent les dévots du maître. Ses deux principaux disciples sont : Littré (1801-1881), auteur de la Science au point de vue philosophique (1873) et d'un Dictionnaire de la langue française (1863-1872) qui fait autorité, - et Taine qui combattit dans les Philosophes au XIXe siècle (1856) l'école de Cousin, et déclara dans la préface de l'Intelligence :
De tout petits faits bien choisis, importants, significatifs, amplement circonstanciés et minutieusement notés, voilà aujourd'hui la matière de toute science.
Le positivisme a donné le goût et presque la religion du fait.

La philosophie à la fin du XIXe siècle.
L'esprit scientifique, en effet, domine la philosophie de ce temps.

Les disciples tardifs de Cousin.

Jules Simon (1814-1896) fut suppléant de Cousin à la Sorbonne, se montre, dans ses livres essentiels (le Devoir; la Liberté de conscience; la Liberté civile; Dieu, Patrie, Liberté; Thiers, Guizot, Rémusat, etc.), comme un moraliste et un spiritualiste. Il fut saisi de bonne heure par la politique, où il apporta toutes les ressources et toutes les subtilités d'un esprit à la fois très souple et très droit. 
On peut également rattacher à l'école de Cousin : 
• Adolfe Garnier (1801-1864), successeur de Jouffroy à la Sorbonne; 

Emile Saisset (1814-1863), professeur à l'École normale et à la Sorbonne; 

Jean Ravaisson (1813-1900), célèbre à la fois par ses travaux sur Aristote et sur l'archéologie grecque : L'Habitude (1839). 

Paul Janet (1823-1899), professeur à la Sorbonne, qui rajeunit l'éclectisme de Cousin; 

• Elme-M. Caro (1826-1887), qui enseigna avec éclat à la Sorbonne, où sa parole élégante et large attirait le grand public. Caro est, peut-être meilleur critique (la Fin du dix-huitième siècle; George Sand) que philosophe (l'Idée de Dieu; le Matérialisme et la Science (1868); Problèmes de morale sociale (1876)). 

Les autres philosophes.
Charles Renouvier (1815-1903) : Essais de critique générale (4 voumes 1854-1864), Les dilemmes de la métaphysique 1900); 

Jules Lachelier (1835-1932) : Du fondement de l'induction (1871);

Emile Boutroux (1845-1921) : De la contingence des lois de la nature (2e édition, 1896); 

Louis Liard (1846-1917) : La Science positive et la métaphysique (1879);

Jean-Marie Guyau (1854-1888) : Problèmes d'esthétique contemporaine (1884), Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction (1884), l'Irréligion de l'avenir (1886);

Henri Bergson (1859 -1941) : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et mémoire (1897), le Rire (1900).

Ernest Renan, plus historien que philosophe, mais qui contribua à faire connaître en France la philosophie allemande.

Les nouvelles voies.
Mais il semble que dans le mouvement des idées philosophiques trois faits soient plus particulièrement caractéristiques : 
c'est l'effort pour introduire les méthodes scientifiques et la physiologie en psychologie de Théodule Ribot (1839-1916)  : Les Maladies de la Mémoire (1881), Les Maladies de la Volonté (1883), et de Pierre Janet, déjà cité : L'automatisme psychologique (1889, État mental des hystériques (1893) ;

ce sont les essais pour constituer la science sociale de Gabriel Tarde (1843-1904): Criminalité comparée (1898, Les lois de l'imitation (1900) et de Durkheim (1858-1917) : De la division du travail social (1893), Les règles de la méthode sociologique (1890);

c'est enfin le développement progressif de l'histoire de la philosophie (Boutroux, Vacherot, Lévy-Bruhl, Georges Lyon, Séailles).

Le mouvement des idées scientifiques

Il faut faire dans une histoire de la littérature française au XIXe siècle, une place importante aux écrivains scientifiques, car en ce siècle l''influence des savants a été beaucoup plus grande encore sur les esprits que celle des philosophes. Comme le constatait Berthelot :
[la science] réclame aujourd'hui, à la fois, la direction matérielle, la direction intellectuelle et la direction morale des sociétés... Par là même le rôle des savants, comme individus et comme classe sociale, agrandi sans cesse dans les Etats modernes. (Discours prononcé à la Sorbonne à l'occasion du Cinquantenaire de l'entrée de Berthelot au Collège de France).
Écrivains scientifiques.
Nous ne signalerons ici que ceux dont le style est vraiment original, et qui mériteront toujours d'être lus pour avoir exposé en un langage parfait moins des découvertes particulières, depuis longtemps dépassées, que les idées générales des sciences, ou la façon dont la science même les avait prédisposés à sentir et à penser : bref, nous nous occupons de ceux qui, en plus d'avoir été des savants éminents, furent ou des philosophes, ou des poètes.

Cuvier (1769-1832).
Georges Cuvier a fondé la paléontologie et l'anatomie comparée. Sa méthode, il l'a surtout exposée dans le Discours sur les révolutions de la surface du globe, qui sert de préface aux sept volumes de ses Recherches sur les ossements fossiles (1812-1822). Il écrit d'un style posé, ample, animé et soutenu par une imagination scientifique vraiment grandiose. 

Ampère (1775-1836).
Coeur exquis, intelligence prodigieuse, André-Marie Ampère a laissé d'admirables ouvrages scientifiques dont le principal est, au point de vue qui nous occupe, son Essai sur la philosophie des sciences (1834-1844). On a publié après sa mort Journal et Correspondance de A.-M. Ampère, oeuvre qui révèle toute sa délicatesse, et qui repose, par sa fraîcheur et sa sincérité, des lettres de tant de littérateurs.

Arago (1786-1853).
François Arago est encore un de ces savants chez qui le caractère (très différent d'ailleurs de celui d'Ampère) est à la hauteur de l'intelligence. Il fut aussi solide professeur qu'écrivain distingué; ses cours de l'Observatoire furent célèbres, et les biographies qu'il écrivit en qualité de secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences peuvent encore servir de modèles. Ajoutons qu'il joua dans la politique, aux côtés de Lamartine, pendant la Révolution de 1848, un rôle noble et désintéressé.

Claude Bernard (1831-1878). 
Professeur de médecine au Collège de France et de physiologie à la Faculté des Sciences, Claude Bernard a voulu faire de la médecine, au lieu d'une science empirique, une science expérimentale. Dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865), il établit avec la plus grande clarté les règles de la méthode nouvelle. Elle substitue au respect des théories et des personnes le respect du fait, scientifiquement établi d'après des règles précises

La méthode expérimentale est la méthode scientifique qui proclame la liberté de l'esprit et de la pensée. Elle secoue non seulement le joug philosophique et théologique, mais elle n'admet pas non plus d'autorité scientifique personnelle. (Introduction, ch. II, §4).
Cette objectivité absolue, assurée par des précautions rigoureuses, est devenue le caractère même de la science et c'est en s'efforçant de l'atteindre que la littérature a pu prétendre à se rapprocher d'elle. C'est pourquoi, dans l'histoire des idées, l'oeuvre de Claude Bernard est une date. 

Louis Pasteur (1822-1895).
Louis Pasteur, en dehors de ses traités techniques, a laissé quelques pages de premier ordre. Dans ses rapports, dans ses discours, il a une façon claire, méthodique, simple et émue, de présenter ses découvertes ou les idées générales de la science (Le budget de la Science (1868), Discours de Dôle (1883), Discours d'inauguration de l'Institut Pasteur (1888), Discours du Jubilé (1892) ). Ses lettres sont particulièrement séduisantes; elles sont d'un homme à qui rien n'est étranger, qui sait être avec candeur fils, ami, époux, père, et qui , n'a au bout de la plume aucune de ces phrases toutes faites qui se substituent si aisément, même chez les plus sincères, à la transcription directe de l'émotion. Que dire de son Oraison funèbre de Sainte-Claire Deville, auprès de laquelle tous les éloges de ce genre semblent conventionnels et froids. Aucun effet cherché par l'art ne vaudrait la mâle beauté de cette inspiration partie du coeur de Pasteur, s'adressant à Sainte-Claire-Deville sur sa tombe :

Ah! je t'en prie, de cette femme éperdue, de ces fils désolés, détourne tes regards en ce moment. Devant leur douleur profonde, tu regretterais trop la vie. Attends-les plutôt dans ces divines régions du savoir et. de la pleine lumière, où tu dois tout connaître maintenant, où tu dois comprendre même l'infini, cette notion affolante et terrible, à jamais fermée à l'homme sur la terre, et pourtant la source éternelle de toute grandeur, de toute justice et de toute liberté.
Joseph Bertrand (1822-1900).
Bertrand, professeur de mathématiques au Collège de France, puis secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, par son souci de plaire et par son ironie, est une sorte de nouveau Fontenelle (Les fondateurs de l'astronomie moderne, 1865, l'Académie des Sciences de 1666 à 1793, 1869, Éloges académiques, Pascal, 1890). 

Marcelin Berthelot (1827-1907).
Professeur de chimie organique au Collège de France, sénateur, ministre de l'instruction publique et des affaires étrangères, Berthelot a laissé un nombre considérable d'ouvrages : Leçons sur les méthodes générales de synthèse en chimie organique (1864), les Origines de l'alchimie (1885), Science et philosophie (1886).

La vulgarisation scientifique.
La fin du XIXe siècle, pénétré des idées de Comte et agité par l'évolution rapide des techniques est aussi une époque faste pour ce qu'on appelait la « science populaire » (une « histoire populaire » se développait aussi parallèlement). Des écrivains souvent talentueux entreprennent alors de mettre les résultats les plus récents des sciences à la portée du grand public. On citera seulement ici : Camille Flammarion (1842-1925), qui inscrit ses pas dans ceux à la fois d'Arago et de Fontenelle; Louis Figuier (1819-1894); Eugène Rolland (1846-1909), etc. 

Le style scientifique.
C'est en lisant tant de pages, à la fois calmes, naïves, profondes, sublimes, échappées à des sayants qui n'avaient pas appris à écrire, mais qui transmettaient directement, sans autre souci que celui de la précision, leurs découvertes, leurs sentiments, leurs rêves,, qu'on sent la caducité et le ridicule des « procédés littéraires ». - Savoir, connaître, sentir, être irrésistiblement poussé à communiquer aux autres sa conviction et son émotion, voilà la source pure d'où jaillit le style d'un Pascal et d'un Pasteur. (E. Abry / Ch.-M. Des Granges).

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