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Courier

Paul Louis Courier de Méré est un helléniste et écrivain français, né à Paris le 4 janvier 1772, assassiné dans le bois de Larçay, près de Véretz (Indre-et-Loire), le 18 août 1825. Elevé par son père dans le domaine où il devait trouver une fin si tragique, il fut destiné d'abord à entrer dans le corps du génie, mais il montra d'égales aptitudes pour les langues anciennes et pour les mathématiques. Comme écrivain politique, il a excellé dans le pamphlet et combattit avec l'arme du ridicule, dans le style le plus caustique, les mesures rétrogrades de la Restauration; il se cacha quelquefois sous le nom de Paul Louis, vigneron

Admis à l'Ecole d'artillerie de Châlons (1791), il fut nommé lieutenant en janvier 1793 et envoyé en garnison à Thionville où il consacra surtout ses loisirs à lire et à relire, la plume à la main, les auteurs grecs. Au mois de juin 1795, il quitta sans permission le quartier général devant Mayence pour aller consoler en Touraine sa mère devenue veuve, échappa, par le crédit de ses amis, aux conséquences de cet acte d'indiscipline et reprit à Toulouse, où il fut relégué, sa vie studieuse entrecoupée de distractions moins austères.

Courier ne sut jamais d'ailleurs se plier, aux impérieuses exigences du métier auquel son esprit d'indiscipline le rendait impropre : c'est ainsi que, durant son second séjour en Italie (1807), il reçut l'ordre de se rendre de Naples à Vérone, et s'attarda si bien à Portici et à Rome qu'il rejoignit son poste en janvier 1808 et fut mis aux arrêts. Rentré à Paris après avoir donné sa démission, il demanda presque aussitôt à reprendre du service, et assista aux horreurs dont l'île Lobau fut le théâtre et fut trans porté mourant à Vienne d'où il repartit, cette fois encore, sans permission. 

Rentré définitivement en 1810 dans la vie privée, il passa de nouveau quelque temps en Italie. La collation d'un manuscrit grec de Daphnis et Chloé de Longus, appartenant à la bibliothèque Laurentienne de Florence, lui fournit l'occasion de combler une lacune beaucoup plus considérable qu'on ne le pensait dans le premier livre de ce roman fameux, et fut l'origine d'une polémique où il apporta plus de verve que de bonne foi. On sait comment Courier, après avoir copié avec soin ce passage comportant non pas, comme on l'avait cru tout d'abord, six ou sept lignes, mais six ou sept pages, posa par mégarde, assure-t-il, entre les deux feuillets, un papier taché d'encre et qui rendit indéchiffrable le passage même qu'il venait de rétablir.

Vainement reconnut-il son «-étourderie-» dans une attestation jointe au corps du délit, l'opinion publique s'émut, les savants italiens, et nommément le bibliothécaire, M. del Furia, crièrent à la trahison et le gouvernement arrêta la distribution des soixante exemplaires du fragment que Courier avait fait imprimer. L'éditeur se défendit contre les soupçons qu'avait provoqués l'accident par une Lettre à M. Renouard sur une tache, faite à un manuscrit de Florence (Tivoli, 1810, in-8, 24 p.) où ses adversaires n'étaient pas plus épargnés que le destinataire même de la lettre, alors de passage à Florence, et qui avait pris assez froidement la défense de son compatriote.

Courier ne revint en France qu'après la chute de l'Empire. En 1814, il épousa Mlle Clavier, fille de l'helléniste, membre de l'Institut, âgée de dix-huit ans et dont il eut deux fils. Durant un séjour assez prolongé qu'il fit en Touraine pour y défendre ses intérêts compromis par une longue absence, il fut témoin des excès et des tracasseries de toute nature auxquels la réaction royaliste avait donné cours, et ce spectacle lui inspira le premier de ses pamphlets politiques, sa Pétition aux deux Chambres, datée du 10 décembre 1816, où il signalait les rigueurs exercées envers les paysans par les curés ou par les gendarmes; elle fit sensation et le duc Decazes lui-même s'en servit, dit-on, pour se soustraire aux exigences des fanatiques du parti. 

Un autre Placet adressé au même ministre et relatif à une coupe de chênes dans les bois de Véretz, suivie d'un procès, fut favorablement accueilli du gouvernement qui se flattait encore de désarmer l'auteur; mais aux escarmouches succéda bientôt une guerre implacable. Un échec tout littéraire émut de nouveau la verve de Courier et décida de sa véritable vocation : candidat malheureux au fauteuil de son beau-père, il eut le tort, dans une Lettre à Messieurs de l'Académie des Inscriptions (28 mars 1819, in-8, 20 p.), de railler sans merci ceux-là même dont la veille il sollicitait les suffrages et de se fermer ainsi à jamais une porte qui, tôt ou tard, se serait ouverte devant lui.

Sa colère durait encore quand il adressa au Censeur européen, de juillet 1819 à avril 1820, dix lettres où il prenait la défense des paysans contre les grands seigneurs et le clergé, absolvait, par haine de la féodalité, les actes de vandalisme commis par la bande noire et appelait de tous ses voeux, « s'il se pouvait, sans déplacer personne », une monarchie libérale dont le représentant tout indiqué, selon lui, était le duc d'Orléans. 

L'année suivante, le Simple Discours de Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière, aux membres du conseil de Véretz, à l'occasion de la souscription proposée par Son Excellence le ministre de l'intérieur, pour l'acquisition du château de Chambord (1821, in-8, 28 p.), l'un de ses chefs-d'oeuvre, lui valut des poursuites en cour d'assises, deux mois de prison et 300 F d'amende. Il subit sa peine à Sainte-Pélagie, dans la cellule même précédemment occupée par Béranger, mais se vengea de ses juges par un spirituel avis Aux Ames dévotes de la paroisse de Véretz (1821, in-8, 8 p.) et par la publication de son Procès (1821, in-8, 80 p.). 

A peine rendu à la liberté, il fut de nouveau poursuivi au sujet d'un autre de ses chefs-d'oeuvre, la Pétition pour les villageois qu'on empêche de danser (1822, in-8, 28 p.); le ministère public ne réclamait pas moins de treize mois de prison et 3000 F d'amende; il n'obtint ni l'un ni l'autre et Courier fut acquitté.

La popularité que lui avait donnée cette lutte contre le pouvoir ne l'empêcha pas cependant d'échouer aux élections de 1822, dans l'arrondissement de Chinon. Plus redoutable dans ses écrits qu'à la tribune, il laissa publier sous des rubriques fictives et en ne les désavouant qu'à demi deux Réponses aux anonymes qui ont écrit des lettres à P.-L. Courier (Bruxelles [Paris], 1822-1823, in-8), le Livret de Paul-Louis, vigneron, pendant son séjour à Paris en mars 1823 (1823, in-8); un Vieux Soldat à l'armée (in-4, 2 p.), au sujet de la campagne du Trocadéro; Pièce diplomatique extraite des journaux anglais (1823); Avertissement du libraire (1824), liste de douze brochures imaginaires à titres satiriques, et enfin le Pamphlet des pamphlets (1824, in-8, 36 p.) où il justifiait en termes élevés et avec une pointe de mélancolie le rôle qu'il avait pris. 

On a voulu voir une sorte de pressentiment dans ce conseil que lui adressait un interlocuteur mis en scène par lui : « Prends garde, Paul-Louis, prends garde, les cagots te feront assassiner », et cette sinistre prédiction revint à la mémoire de tous, lorsqu'on apprit que le cadavre de l'écrivain avait été trouvé percé de plusieurs balles dans le bois de Larçay. La première enquête établit qu'il s'agissait d'un crime exclusivement domestique; les coupables (un garde-chasse et deux charretiers), acquittés alors, faute de preuves, ne furent connus qu'au mois de juin 1830, par suite d'une déposition fortuite et tardive; l'un d'entre eux était mort, les deux autres obtinrent de nouveau, et non sans peine, un verdict d'acquittement.

« Peu de matière et beaucoup d'art », écrivait un jour Courier en ébauchant le projet d'un récit de l'expédition d'Egypte

« Ces mots, a dit Sainte-Beuve, sont toute la devise et le secret de son talent. »
C'est l'écrivain qui survit en lui et non le champion de polémiques éteintes ou bien dépassées depuis. Artiste avant tout, Courier travaillait jusqu'à ses moindres lettres intimes, et ce souci constant se trahit dans ses pages les plus célèbres, telles que le récit du vote de ses camarades en faveur de la proclamation de l'Empire, ou celui de la nuit passée chez de prétendus brigands de la Calabre. Les contemporains assurent qu'il arrivait ainsi à réciter des passages entiers de ces pamphlets où l'on a pu noter d'ailleurs tantôt des hémistiches, tantôt même des alexandrins fort bien frappés.
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Une aventure en Calabre

« Un jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de méchantes gens qui, je crois, n'aiment personne et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains.

J'avais pour compagnon un jeune homme. Dans ces montagnes les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut praticable et plus court nous égara. Ce  fut ma faute : devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes tant qu'il fit jour notre chemin à travers ces bois; mais, plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon; mais comment faire Là nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier : nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mine de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade au contraire : il était de la famille; il riait, il causait avec eux; et, par une imprudence que j'aurais dû prévoir (mais quoi! s'il était écrit!), il dit d'abord d'où nous sommes, où nous allions, qui nous étions; Français, imaginez un peu! Chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain! Et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens, pour la dépense et pour nos guides le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin, il parla de sa valise, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Ah! jeunesse! jeunesse! que votre âge est à plaindre! Cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne.

Le souper fini, on nous laisse; nos hôtes couchaient en bas, nous dans une chambre haute, où nous avions mangé; une soupente élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid dans lequel on s'introduisait en rampant sous des solives chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul et se coucha tout endormi sur sa précieuse valise. Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passée presque entière assez tranquillement et je commençais à me rassurer, quand, sur l'heure où il me semblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis au-dessous de moi notre hôte et sa femme parler et se disputer; et, prêtant l'oreille par la cheminée, qui communiquait avec celle d'en bas, je distinguai fortement ces propres mots du mari :

« Eh bien! enfin, voyons, faut-il les tuer tous deux ? » A quoi la femme répondit « Oui, » et je n'entendis plus rien. Que vous dirai-je? Je restai respirant à peine, tout mon corps froid comme un marbre; à me voir, vous n'eussiez su si j'étais mort ou vivant. Dieu! quand j'y pense encore!... Nous deux presque sans armes, contre eux douze ou quinze qui en avaient tant! Et mon camarade mort de sommeil et de fatigue! L'appeler, faire du bruit, je n'osais; m'échapper tout seul, je ne pouvais; la fenêtre n'était guère haute, mais en bas deux gros dogues hurlaient comme des loups... En quelle peine je me trouvais, imaginez-le, si vous pouvez. Au bout d'un quart d'heure, qui fut long, j'entendis sur l'escalier quelqu'un et, par les fentes de la porte, je vis le père, sa lampe dans une main, dans l'autre un de ses grands couteaux. Il montait, sa femme après lui; moi derrière la porte : il ouvrit, mais, avant d'entrer, il posa la lampe, que sa femme vint prendre; puis il entre pieds nus, et elle, de dehors, lui disait à voix basse, masquant avec ses doigts le trop de lumière de la lampe « Doucement, va doucement.» Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau entre les dents, et, venu à la hauteur du lit, ce pauvre jeune homme étendu, offrant sa gorge découverte, d'une main il prend son couteau, et de l'autre... Ah! cousine... il saisit un jambon qui pendait au plancher, en coupe une tranche, et se retire comme il était venu. La porte se referme, la lampe s'en va, et je reste seul à mes réflexions.

Dès que le jour parut, toute la famille, à grand bruit, vient nous éveiller, comme nous l'avions recommandé. On apporte à manger : on sert un déjeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et manger l'autre. En les voyant, je compris enfin le sens de ces terribles mots : « Faut-il les tuer tous deux? » Et je vous crois, cousine, assez de pénétration pour deviner à présent ce que cela signifiait.

Cousine, obligez-moi, ne contez point cette histoire. D'abord, comme vous voyez, je n'y joue pas un beau rôle, et puis vous me la gâteriez. Tenez, je ne vous flatte point : c'est votre figure qui nuirait à l'effet de ce récit, Moi, sans me vanter, j'ai la mine qu'il faut pour les contes à faire peur. Mais vous, voulez-vous conter? Prenez des sujets qui aillent à votre air : Psyché, par exemple. »
 

(P.-L. Courier, Lettres d'Italie, extrait d'une lettre à Mme Pigale, sa cousine).
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Les Oeuvres complètes de Paul-Louis Courier ont été publiées avec un Essai sur sa vie et ses écrits par Armand Carrel (1830 ou 1834, 4 vol. in-8) et les réimpressions partielles sont très nombreuses. Il faut citer à part sa traduction Du Commandement de la cavalerie et de l'équitation de Xénophon (1807, in-8), le Prospectus d'une traduction d'Hérodote, avec un fragment du troisième livre (1822, in-8), la traduction avec notes de la Luciade ou l'Ane de Lucius de Patras, et sa collaboration à la Collection des romans grecs édités par le libraire Merlin. 

Sainte-Beuve, qui avait entrevu Courier chez Delécluze, le compare à « un Grec sauvage, à un chevrier de l'Attique, large rire, rictus de satyre », et les autres témoignages et documents contemporains ne laissent aucun doute sur sa laideur. Un cénotaphe orné d'une inscription emphatique avait été érigé dans les bois de Véretz; il a été restauré en 1876 au moyen d'une souscription publique. (Maurice Tourneux).

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