| Au mot Saint Dominique on trouvera des indications sur l'origine et l'institution primitive de l'ordre des Dominicains ou Frères Prêcheurs (Ordo Fratrum praedicatorum). L'organisation définitive se fit au chapitre général de 1238, sous le généralat du savant canoniste Raymond de Pennatorte, qui mit en ordre les décisions des chapitres précédents. On n'y apporta dans la suite que de rares modifications, interprétations et additions nécessitées par les besoins des temps. L'ordre est divisé en provinces subdivisées en cercles. Avant la Révolution, il comprenait quarante-cinq provinces, dont douze en Asie, en Afrique et en Amérique, sans compter douze congrégations ou réformes particulières, gouvernées par des vicaires généraux. Dans son ensemble, il est placé sous la direction d'un magister generalis et d'un chapitre général. Le magister generalis, appelé autrefois provincial général, est élu par le chapitre général. Son élection doit être approuvée par le pape, auquel il est immédiatement soumis et directement attaché, comme Maître du Sacré Palais; mais, jusqu'à aujourd'hui, cette approbation n'a jamais été refusée. Il est assisté de deux définiteurs, qui peuvent le déposer pour causes graves. Il peut faire des ordonnances; mais elles ne sont obligatoires que pendant sa vie, et des dispositions spéciales de la règle en préviennent la multiplicité. Le chapitre général doit se tenir tous les trois ans; ses décisions obligent l'ordre tout entier jusqu'à ce qu'elles aient été abrogées; mais elles ne deviennent définitives que lorsqu'elles ont été délibérées dans trois sessions successives. En chaque province, un prieur provincial, élu par un chapitre qui doit se réunir fous les deux ans. En chaque cercle, un supérieur, pour la visite des couvents. En chaque couvent, un prieur élu par les religieux. Pour être élu, il fallait appartenir à l'ordre depuis quatre ans au moins, parler latin correctement et être capable d'improviser un sermon sur un texte de l'Ecriture sainte. Comme leur mission de prêcher la foi de l'Eglise et de réfuter les hérésies exigeait une culture spéciale, les Dominicains établirent dans leurs couvents des écoles où des maîtres, qui jouissaient de privilèges considérables, enseignaient aux jeunes frères les arts libéraux et les éléments de la théologie. Chaque province devait avoir son collège; on n'y devenait maître qu'à l'âge de trente ans, et professeur de théologie qu'après avoir été maître pendant quatre années. Dès 1230, les Dominicains obtinrent dans l'université de Paris une des douze chaires de la faculté de théologie. Dominique n'avait donné d'abord à ses religieux que l'habit des chanoines réguliers, une robe noire et un rochet. En 1219, il le changea en celui qu'ils portent aujourd'hui : robe, scapulaire et capuce blancs, pour l'intérieur de la maison; chape noire avec un chaperon de même couleur pour sortir. Avec une prévision très juste des services que les Dominicains devaient leur rendre, les papes non seulement les comblèrent de privilèges, mais leur confièrent, dès le commencement, une part importante du gouvernement spirituel de l'Eglise. Dominique avait été nommé Maître du Sacré Palais, avec office spécial de prêcher à la cour du pape. Depuis lors, ce titre est resté inséparablement uni à celui de général de l'ordre des Frères prêcheurs; mais les fonctions qui y correspondent se sont considérablement développées. Le Maître du Sacré Palais préside le collège théologique de la Sapience; il révise les manuscrits avant l'impression et y appose le Nihil obstat et l'Imprimatur; il approuve les inscriptions publiques et surveille l'introduction et la vente des livres, gravures, etc.; il examine discours qui doivent être prononcés en chapelle papale. Outre ces attributions propres, il fait partie comme consulteur des Sacrées Congrégations du Saint Office, des Indulgences et Saintes Reliques, de l'Index, des Rites, de l'Examen des évêques et de la Correction des livres de l'Eglise orientale. En ces diverses fonctions, il est assisté d'un autre Dominicain, son socius, qui est secrétaire de la Congrégation de l'Index. Pendant longtemps, les Dominicains eurent le privilège de fournir en tous pays des inquisiteurs de la foi, nommés directement par leur général. Plus tard, ils n'exercèrent plus cet office que dans trente-deux tribunaux d'Italie, en qualité d'inquisiteurs provinciaux et comme délégués des cardinaux composant la Congrégation du Saint Office. D'autre part, l'histoire montre cet ordre largement associé à la prédication ou à l'exploitation des indulgences. Aujourd'hui encore, il est resté, en quelque sorte, le ministère suprême de la dévotion du rosaire. Quant aux privilèges accordés aux Dominicains, ils avaient pour objet, non seulement de les exempter de la juridiction de l'ordinaire, mais de leur permettre d'usurper les fonctions normales du clergé séculier. En 1227, Grégoire IX les autorisa à enterrer dans leurs cimetières, sans redevances aux paroisses, tous les laïques qui le désiraient. En 1244, Innocent IV ordonna aux ecclésiastiques de tout rang de leur permettre de prêcher et de confesser. Ces privilèges furent momentanément restreints; mais Alexandre IV les renouvela et les étendit en 1255 et 1259, assurant aux Dominicains et aux Franciscains la faculté absolue de prêcher, confesser, absoudre et imposer des pénitences. Ces concessions produisirent immédiatement des abus qu'un docteur de Sorbonne, Guillaume de Saint-Amour, signala énergiquement dès le milieu du XIIIe siècle. Mais sa protestation fut condamnée à Rome. Les Dominicains profitèrent de leurs avantages pour s'enrichir aux dépens du clergé séculier et des familles , bénéficiant, à partir de 1265, de la faculté, donnée par Clément IV aux ordres mendiants, de recueillir la succession de leurs membres décédés. Les frères devaient continuer à mendier, mais l'ordre pouvait acquérir, pourvu d'immunités que ne possédaient pas les églises. Cet ordre a donné à l'Eglise plusieurs papes : Innocent V, Benoît XI, Pie V et Benoît XIII; des centaines d'évêques, cent cinquante archevêques, soixante cardinaux, un grand nombre de théologiens, de canonistes et de prédicateurs, parmi lesquels : Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Thomas d'Aquin, Raymond de Pennaforte, Eckhart, Tauler, Savonarole, Cajetan, Dominique Soto, Barthélemy des Martyrs, Louis de Grenade. Il a, disent ses panégyristes, peuplé le ciel de saints; il compte des martyrs, dont plusieurs durent leur mort à l'âpreté de leur zèle comme inquisiteurs. Tant que durèrent le règne de la scolastique et le culte des choses du Moyen âge, les Dominicains exercèrent dans les hautes régions de l'Eglise une action prépondérants; fort supérieure à celle des Franciscains, leurs rivaux ; mais la Renaissance et la Réforme leur enlevèrent leurs principaux avantages. La suprématie passa à un ordre nouveau, aux Jésuites, plus aptes à la défense et au maniement du catholicisme moderne. Et même, quoiqu'ils soient encore considérés comme les gardiens officiels de l'orthodoxie, ils ont dû assister, depuis les dernières années du XIXe siècle, à la défaite d'une de leurs doctrines traditionnelles, condamnée par la promulgation du dogme de l'Immaculée Conception. Le relâchement s'introduisit chez eux avec la richesse et la puissance, c.-à-d. très promptement. De nombreux symptômes de corruption peuvent être constatés dès la première génération. Le mal empira pendant le schisme d'Occident, l'ordre étant alors divisé en deux partis, dont les chefs étaient intéressés à ménager leurs subordonnés. Diverses réformes furent entreprises et aboutirent à la formation des congrégations dirigées par des vicaires généraux dépendant du provincial général, maître de l'ordre. Une première fut faite en Allemagne, vers 1391, par Conrad de Prusse (congrégation de Prusse); une autre en Italie, vers 1402, par Barthélemy de Saint-Dominique (congrégation de Sienne); une autre en Aragon, vers 1426, par Barthélemy Tessier (congrégation d'Aragon). Parmi les plus considérables, furent celle (1418) de Boniparti, évêque de Mantoue (congrégation de Lombardie ou des Saints) et celle de Hollande, à laquelle les papes accordèrent de nombreux privilèges. Du démembrement de cette dernière provint en France, sous Louis XII, la congrégation gallicane, avec des statuts plus sévères. Il y eut encore la congrégation de Sainte-Marie de la santé, à Naples; celle de la Calabre supérieure; celle des Abruzzes. Le P. Michaelis introduisit en France une seconde réforme par l'institution de la congrégation occitane (1596), dont le siège était à Toulouse. Il obtint, pour s'établir à Paris, des lettres patentes, dont un arrêt du parlement (23 mars 1613) assura l'exécution, malgré l'opposition des Jacobins. Les maisons qu'il avait fondées et celles qui adoptèrent sa réforme furent, en 1669, réunies par Clément IX sous le nom de province de saint Louis de France. La plus radicale de toutes ces réformes fut opérée en 1636 par le P. Antoine Le Quien : institution à Avignon de la congrégation du Saint-Sacrement ou de la primitive observance. Dominique avait formé en Italie une association de laïques pieux qui s'engagèrent à se dévouer à la restitution des droits de l'Eglise usurpés et à combattre pour l'extirpation de l'hérésie. Cette association s'appelait le Milice de Jésus-Christ. Après la mort de son instituteur et l'extermination des hérétiques, elle prit le nom de Pénitence de saint Dominique. Telle fut l'origine du tiers ordre, dont il est plus difficile de suivre l'histoire pour les hommes que pour les femmes. Celles-ci reçurent des Dominicains une règle qui fut approuvée en 1405 par Innocent VII et confirmée en 1439 par Eugène IV. Il y avait dans ce tiers ordre des filles qui faisaient des voeux solennels et qui étaient en réalité des religieuses. Il a été illustré par sainte Catherine de Sienne. Le rétablissement des Dominicains en France fut entrepris sous le règne de Louis-Philippe (Lacordaire). Un tiers ordre, voué à l'instruction publique, a été institué en 1852. Il ne comprend qu'une province, appelée province du tiers ordre; il tient des collèges à Arcueil-Cachan (Albert-le-Grand); à Paris (Lacordaire : préparation aux écoles du gouvernement); à Oullins, à Sorrèze et à Arcachon. Le grand ordre, soumis à une discipline plus sévère et composé des pères prêcheurs, est divisé en trois provinces : France (Paris), Lyon, Toulouse. En 1877, deux cent quatre-vingt-treize dominicains possédaient vingt établissements. Pour se soustraire à l'application des décrets sur les congrégations non autorisées, ils vendirent leurs collèges et les confièrent à des conseils d'administration laïques, composés des parents de leurs élèves; en même temps, ils remplacèrent leur costume régulier par une soutane noire. (E.-H. Vollet). | |