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Histoire de la philosophie |
Histoire
de la philosophie
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Le Positivisme
est une doctrine philosophique
fondée par Auguste Comte. Le terme de positivisme
a été créé par A. Comte lui-même pour
désigner son système qu'il croyait
absolument nouveau. Philosophie positive, Politique positive,
tels sont les titres des deux principaux Cours d'A. Comte. Depuis, le terme
s'est étendu au point de ne plus enfermer, dans l'usage courant,
qu'une signification assez lâche : prévention contre la métaphysique
ou la religion,
méfiance à l'égard des grandes hypothèses,
ou même simple disposition de l'esprit à ne s'attacher qu'aux
certitudes les plus immédiates et aux
biens les plus concrets. De là vient sans doute qu'on ne voit trop
souvent dans le positivisme qu'un effort pour constituer la science
indépendamment de toute métaphysique, une forme à
peine nouvelle du relativisme
antique et de l'empirisme ou du criticisme
modernes. Or le positivisme n'est pas une simple philosophie de la science,
c'est une sociologie fondée sur la
science et aboutissant à une religion.
Quelle que soit la valeur de cette conception, Comte eu est bien l'auteur original. Ce n'est pas à dire qu'il ne reconnaisse aucune dépendance à l'égard du passé. C'est bien au contraire la filiation entière des grands penseurs qui aboutit au positivisme. Kant et surtout Hume, Condorcet et Joseph de Maistre, Bichat et Gall, tels sont, de son propre aveu, les « six prédécesseurs immédiats » de Comte, au triple point de vue philosophique, politique et scientifique. Par eux, il rejoint les « trois pères systématiques de la philosophie moderne », Francis Bacon, Descartes et Leibniz. Au delà, le Moyen âge lui semble condensé dans saint Thomas, Roger Bacon et Dante qui le conduisent « au prince éternel » des penseurs, « l'incomparable Aristote ». Il faut en toute justice ajouter à cette liste le nom de Saint-Simon, qui fut le véritable inspirateur de A. Comte, bien que des ressentiments personnels aient empêché celui-ci de rendre hommage à son maître. Philosophie
positive
2° Loi des
trois états. - Cette évolution
de la philosophie n'est elle-même qu'un cas particulier de la loi
d'évolution à laquelle l'humanité tout entière
est soumise dans toutes ses manifestations actives. L'humanité passe
nécessairement par trois états successifs : l'état
théologique ou fictif, dans lequel elle se croit gouvernée
par des puissances concrètes, personnelles, dieux,
démons,
génies;
l'état métaphysique, ou abstrait, qui substitue aux êtres
surnaturels des concepts abstraits, le chaud,
le sec, le vide, le bien; enfin l'état positif ou scientifique,
qui ne reconnaît d'autre absolu que ce principe
: rien n'est absolu. Ces trois états correspondent à l'enfance,
à la jeunesse et à l'âge adulte de l'humanité,
et l'individu lui-même est successivement
« théologien, métaphysicien et physicien ». Les
sociétés passent par les mêmes phases. Enfin chaque
science est soumise à la même loi de développement.
La physique, par exemple, a tour à tour
expliqué les phénomènes par l'action surnaturelle,
les entités abstraites et la liaison causale.
3° Classification des sciences. - Nous arrivons ainsi par une transition toute naturelle à la célèbre classification des sciences de Comte. L'histoire des sciences nous apprend en effet que les sciences ne se sont pas affranchies parallèlement des états théologique et métaphysique. Les mathématiques ont, dès l'Antiquité, conquis leur méthode définitive. L'astronomie reçoit la sienne de Kepler et de Galilée, la physique de Bacon et de Descartes, la chimie de Lavoisier, la biologie de Buffon, Cuvier, Linné, Geoffroy-Saint-Hilaire; enfin, c'est à Comte lui-même que la sociologie doit de s'être élevée à la dignité de science positive. Or cet ordre de développement, en apparence incohérent, n'est pas dû au caprice de l'accident. Il repose sur un ordre profond, il n'est que l'expression de la subordination logique des diverses parties du savoir humain. Nous touchons ici à la découverte capitale de Comte, celle de la hiérarchie des sciences. Chacune des sciences que nous venons d'énumérer est apparue à son heure, parce qu'elle suppose la précédente et qu'elle est la condition des suivantes. C'est ainsi que la chimie, indispensable à la biologie, s'appuie elle-même sur la physique. Cette hiérarchie, n'est enfin à son tour que l'expression de la dépendance naturelle des phénomènes; les phénomènes les plus simples et les plus généraux sont le fondement sur lequel viennent s'établir les plus généraux et les plus particuliers. Généralité décroissante et complexité croissante, tel est donc l'ordre qui détermine la classification des sciences aussi bien que celle des phénomènes. Rien de plus simple ni de plus général que les rapports de quantité, rien de plus complexe ni de plus individuel que les phénomènes sociaux. On remarquera que Comte n'a pas réservé de place spéciale à la logique. Chaque science particulière a sa logique spéciale, sa méthode propre qu'on ne saurait isoler; la logique abstraite des métaphysiciens n'atteint pas le réel et n'apprend pas à penser juste. Quant à la psychologie, Comte la réduit à n'être qu'un chapitre de la biologie dont elle empruntera la méthode d'observation-expérimentale. La méthode d'observation interne, préconisée par les philosophes, lui paraît radicalement absurde, parce que l'esprit ne peut s'isoler complètement du dehors sans tomber dans le repos absolu, dans l'inconscience. La classification donne la clef de la philosophie générale des sciences. Mais chaque science particulière a sa philosophie propre, qu'Auguste Comte a longuement étudiée. « La mathématique est à la source de toute positivité », la science par excellence, car elle établit entre les données qui lui sont propres des rapports de détermination plus rigoureux qu'aucune autre science. Elle rend aux autres sciences les services que les philosophes attendent ordinairement de la logique, car elle donne le type parfait ou tout au moins l'analogue de tous les modes de raisonnements. Il est vrai que, pour A. Comte, la mathématique est déjà une science du réel. L'espace n'est plus le lieu idéal où le géomètre construit des figures imaginaires c'est un milieu fluide très subtil, la surface une lame très mince, la ligne un fil très délié. Il divise la mathématique en mathématique abstraite (algèbre), mathématique des nombres (arithmétique) et mathématique concrète qui est statique (géométrie) ou dynamique (mécanique). L'astronomie est une application immédiate de la mécanique. Elle est à bon droit la première des sciences de la nature, par sa précision toute mathématique d'abord, ensuite par sa généralité. Car les phénomènes physiques qui se passent sur la Terre dépendent de la condition astronomique de cette planète. Elle se divise en géométrie céleste et mécanique céleste. Comte en exclut l'étude des étoiles qui échappe aux déterminations précises du calcul. La physique est la
science des propriétés les plus générales des
corps. Moins précise déjà
et plus complexe que l'astronomie, elle est tenue de recourir à
l'expérimentation, mais elle aboutit
à des formules rigoureusement mathématiques qui lui permettent
de commander à la nature. Elle comprend, suivant l'ordre de complexité
croissante, la barologie, la thermologie, l'acoustique,
l'optique, l'électrologie.
« L'instinct n'est pas autre chose que la raison fixée, et la raison n'est pas autre chose que l'instinct mobile ».Cependant Comte ne nie pas la liberté humaine, mais il n'y voit guère qu'une moindre nécessité, une plus grande variabilité due à l'extrême complexité de la vie intellectuelle. La physique sociale, enfin, pour laquelle A. Comte a créé le mot sociologie, emprunte à la biologie, et par elle à la science de l'univers, ses lois les plus générales. Mais elle a aussi son domaine défini, ses lois propres et sa méthode spéciale qui est la méthode historique. Elle se divise, comme la mathématique, l'astronomie et la biologie, en statique sociale, qui est la, théorie, de l'ordre social, et dynamique sociale, ou théorie du progrès social. La statique ou «anatomie» sociale étudie successivement les trois organes essentiels à toute société individu, famille, société proprement dite. La sympathie est naturelle à l'humain à côté de l'égoïsme; elle trouve son expression la plus forte dans la famille, qui est la véritable unité sociale, tandis que l'Etat est une coopération de familles sous le contrôle modérateur du gouvernement. L'Etat est un pouvoir aussi bien spirituel que temporel où l'influence intellectuelle tend à prédominer peu à peu sur les intérêts matériels. Car les sociétés sont soumises à une loi nécessaire de développement qui est l'objet de la dynamique sociale. Cette loi n'est autre que celle des trois états que l'on a résumée plus haut. On conçoit que A. Comte ait accordé à l'application sociale de cette loi la plus grande importance. Il y consacre tout le dernier tiers du Cours de philosophie positive, qui prend ainsi les proportions d'une véritable philosophie de l'histoire. Les premières sociétés se sont nécessairement constituées au nom de croyances religieuses qui pouvaient seules établir une forte communauté entre les individus encore dominés par les instincts égoïstes. Ces croyances se sont d'ailleurs épurées. Fétichisme, polythéisme, monothéisme, tels sont les trois stades de cette évolution. L'Eglise catholique a été le type le plus parfait de la société monothéiste, du moins au Moyen âge où elle a réalisé l'union intégrale du spirituel et du temporel. Cette organisation a été « le plus grand chef-d'oeuvre politique de la sagesse humaine ». L'Eglise, en effet, a su, au point de vue statique, mettre à la tête de sa hiérarchie un pouvoir spirituel indiscuté, qui personnifiait toute la civilisation de l'époque; au point de vue dynamique, elle a été l'éducatrice intellectuelle, morale, politique même de l'Europe. Mais le catholicisme, en séparant l'esprit de la nature, portait en lui un germe de dissolution auquel il n'a pas résisté. Dès le XIVe siècle s'opère la séparation entre les pouvoirs spirituels et temporels. Au XVIe, la philosophie à son tour s'affranchit, et l'ère métaphysique ou critique commence. Elle a pour protagonistes les philosophes et les juristes qui font la critique de la scolastique et du régime féodal. Le protestantisme hâte la dissolution; en introduisant le libre examen, à la place du principe d'autorité, il ruine la hiérarchie spirituelle de l'Eglise. Enfin le déisme et le scepticisme du XVIIIe ont précipité ce mouvement de critique et de destruction qui aboutit logiquement aux ruines sociales accumulées par la Révolution française. Mais à côté de ce travail de décomposition s'opère, dès le XIVe siècle, un travail plus ou moins caché de reconstitution qui prépare l'avènement de l'État positif. Les trois principaux domaines auxquels s'applique cette rénovation sont l'industrie, l'esthétique et la philosophie; et Comte signale avant Spencer les différentes phases de l'industrialisme, la naissance des grandes villes, des manufactures, des moyens de transport, des colonies, des banques, enfin du machinisme. Mais l'évolution matérielle, faute d'organisation, n'a fait qu'empirer la condition des ouvriers. De même l'art et la philosophie, affranchis de l'influence religieuse par la critique métaphysique, manquent aujourd'hui d'orientation et s'épuisent dans l'anarchie. C'est cette orientation que la sociologie positive doit donner à l'industrie, à l'art, à la philosophie. A cet effet, il est indispensable de créer une autorité spirituelle qui, sans se confondre avec le pouvoir politique, doit lui servir pour assurer à la morale la suprématie sur la force matérielle. Dans une société positive, c'est le devoir qui fonde le droit, et à son tour le devoir repose sur l'amour. Mais qui seront ces éducateurs de l'humanité? Ceux-là, évidemment, qui ont la conscience la plus nette de la valeur générale de la science et de la fin sociale, c.-à-d. les savants positivistes. Ils formeront quelque jour une corporation européenne. Mais en attendant que l'éducation morale de l'Europe entière soit achevée, on se contentera de constituer un comité positif occidental, comprenant 8 français, 7 Anglais, 6 Italiens, 5 Allemands et 4 Espagnols, avec Paris pour contre spirituel. Quant à la société proprement dite, elle comprendra, à l'état positif, deux classes réparties d'après le développement inégal des facultés d'abstraction et de généralisation : la classe spéculative, philosophes, savants, artistes, et la classe active on pratique: commerçants, industriels, agriculteurs. Aucune des deux classes ne saurait d'ailleurs se passer du concours de l'autre, et le rôle du pouvoir spirituel est précisément de rappeler aux citoyens cette solidarité des intérêts ; il montre aux riches qu'ils sont de simples administrateurs, et aux prolétaires que la concentration des capitaux est une nécessité sociale. Ainsi toutes les
sciences aboutissent à la sociologie, parce qu'en effet l'humanité
est la plus haute réalité que nous apercevions dans l'univers.
L'individu même n'est au fond qu'une pure abstraction.
Il n'y a de réel que l'humanité, et c'est l'idée d'humanité
qui, à la place de l'idée de Dieu,
tout hypothétique, servira de fondement à une morale sociale
réelle et scientifique.
Politique
positive.
Le culte de l'humanité. - Il n'y a de réel que l'humanité, concluait le Cours de philosophie positive. L'humanité sera donc l'objet unique du culte positiviste. Elle est le grand Être, dont nous sommes les membres, et elle n'est pas moins faite des générations passées ou futures que des présentes. « L'humanité est faite de plus de morts que de vivants.» Appartient d'ailleurs au grand Être cela seul qui a eu un caractère véritable d'utilité sociale; le pur individuel meurt à jamais. Les progrès acquis par vos devanciers déterminent la suite de l'évolution «les vivants gouvernent les morts ». La Terre(Terre), séjour de l'humain, est le grand Fétiche, l'espace (Ciel) où elle se meut, le grand Milieu. La religion positive doit gouverner les sentiments, les pensées et les actes. Elle comprend ainsi un culte, un dogme et un régime social, et aboutit à cette triple formule : « l'amour pour principe, l'ordre pour base, le progrès pour but ». 1° Culte - Le culte ne consiste pas à adorer le grand Être, mais à le perfectionner. La prière n'est pas une demande, mais une méditation sur l'idéal de la vie. Le culte comprend :La religion positiviste doit régénérer la vie humaine dans son triple domaine : vie privée, domestique et publique. Grâce à son influence, tous les avantages privés, talent, fortune, caractère, prennent une valeur sociale. Le positiviste rend à l'humanité ce qu'il en a reçu, et tous les instincts égoïstes cèdent le pas à l'altruisme. Le mariage à son tour est sanctifié par le positivisme. La femme n'est-elle pas la prêtresse de la famille? Les satisfactions sensuelles sont rejetées au dernier plan, et Comte alla jusqu'à proposer le mariage chaste, l'union de la virginité et de la maternité et le culte de la Vierge mère comme un idéal que la famille positiviste pourra peut-être réaliser un jour. Enfin, la vie publique sera transformée, du jour où l'humain se rendra compte que, devant tout à l'humanité, il n'a vis-à-vis d'elle aucun droit, mais une foule de devoirs. La maxime de la vie publique sera : « Vivre au grand jour ». Pour fortifier la cohésion sociale, les grandes nations devront être divisées en petites parties de 1 à 3 millions d'habitants. Les classes moyennes disparaîtront; il ne restera, d'un côté, qu'un petit patriciat de capitalistes ou « banquiers », et, de l'autre, le prolétariat divisé selon la dignité sociale des diverses professions. Le salarié est un fonctionnaire qui touche un traitement: fixe et une quotepart proportionnelle au travail qu'il a fourni. Dans chaque république, les trois premiers banquiers exercent le pouvoir temporel. Le sacerdoce veille à ce qu'ils répondent équitablement aux revendications du prolétariat et tranche les conflits entre particuliers et entre nations par l'ascendant de son autorité sans avoir à recourir à aucune force armée.a. Le culte personnel, ou adoration intime de la femme (épouse, mère on fille), parce que la femme, chez qui domine la sympathie, est le type le plus pur de l'humanité, le lien vivant qui unit l'humain à la société. Comte avait réglé ce culte dans le plus grand détail et en observait minutieusement les rites en l'honneur de Clotilde de Vaux .2° Dogme - Le dogme positiviste n'est autre chose que la philosophie positive qui donne à l'humain la connaissance de sa place dans l'univers et dans l'humanité. Comte y accorde seulement une place plus large à la morale, qu'il met au-dessus de la sociologie. De la conscience que prend l'humain de sa place dans l'humanité résulte la prédominance graduelle des instincts-altruistes sur l'égoïsme. «Vivre pour autrui », telle devient la maxime du positiviste. Enfin, Comte rattache au dogme une psychologie fondée sur la théorie cérébrale de Gall. Le nombre et l'importance des organes détermine : la classification et la hiérarchie des facultés, entre autres la supériorité du coeur sur l'esprit. Tel est le plan de la Société positiviste. Comte a cru fermement à la conversion prochaine de l'humanité à son système religieux. Sept ans lui semblaient suffire pour la conversion des monothéistes, treize pour celle des polythéistes, et autant pour celle des fétichistes. Avant la fin du siècle, les trois races - blanche, jaune et noire -, qui représentent, dans le grand Être, l'intelligence, l'action, le sentiment; auront réalisé l'unité parfaite de l'humanité et inauguré l'ère d'une religion vraiment universelle. Le
positivisme après Comte.
Positivisme orthodoxe. - En France. - A défaut de successeur désigné par A. Comte; les membres de la Société positiviste confèrent à Pierre Laffitte la mission de poursuivre l'oeuvre du fondateur. Laffitte n'avait alors que trente-quatre ans. Autour de lui, on peut citer parmi les disciples: de stricte observance, l'ingénieur Hadery, Sophie Thomas, la domestique d'A. Comte, les docteurs Robinet, Delbet et Audiffrent, le comte de Limbourg-Stirum, Sémérie, Em. Antoine, Camille Monier, enfin trois ouvriers, Magnin, Isid. Finance et Keyfer. Laffitte s'est efforcé d'abord de perfectionner la doctrine de Comte. Il ne peut être question ici de résumer son oeuvre qui est considérable. La partie la plus originale en est la Philosophie troisième (Cours de 1888-89), qui comprend la théorie de la Terre, de l'humanité et de l'industrie. Le succès des cours de Laffitte fut très vif du jour où ce philosophe fut autorisé à parler dans la grande salle du Collège de France (1888) et surtout depuis qu'une chaire de philosophie des sciences a été créée en sa faveur dans le même établissement (1892). D'autre part, Laffitte acontinué l'apostolat religieux inauguré par son maître. La Société positiviste continura ainsi de se réunir dans la demeure d'A. Comte (10, rue Monsieur-le-Prince), et le culte de l'humanité continuera d'y être pratiqué, bien que la célébration des sacrements positivistes soit devenue assez rare. La principale fête périodique est l'anniversaire d'A Comte. Laffitte a institué la fête de Mahomet et, sous son inspiration, la Société a célébré le centenaire de la Révolution, celui de la mort de Diderot, Spinoza, Turgot, Condorcet, Danton et surtout de Jeanne d'Arc. Le groupe a cherché à exercer une action sur la politique par des appels réitérés aux électeurs, aux assemblées législatives ou municipales, aux congrès ouvriers, etc. Il a eu à partir de1878 un organe spécial, la Revue occidentale, revue mensuelle. Enfin, à côté de la «Société positiviste», il se créee un « cercle positiviste d'ouvriers » qui se consacre à l'étude des questions sociales, organise des conférences, se mêle aux congrès ouvriers et en a même organisé plusieurs, notamment à Bâle (1869), Paris (1876), Lyon (1878), etc. Aussi ne laisse-t-il pas d'exercer une certaine influence sur le parti ouvrier. A l'étranger. - A. Comte avait, projeté d'associer les « cinq grandes nations occidentales » dans une même organisation sacerdotale. Si le «comité positiviste» international, dont il avait lui-même désigné les membres, ne s'est jamais réuni, du moins le positivisme orthodoxe at-il eu hors de France une fortune inattendue. En Angleterre, un ancien ministre anglican. Richard Congreve, embrassa avec ardeur les idées religieuses de Comte. Dès 1857, il ouvrit des cours positivistes destinés aux prolétaires, et ouvrit, en 1870, dans Chapel Street, 13, Bedford Row, W. C., une Église positiviste dont il fu, le grand prêtre. D'autres locaux ont été ouverts au culte dans Londres, à Newton Hall, à Manchester, Newcastle et Liverpool. Congreve fut longtemps considéré comme le chef du positivisme anglais. Mais l'étroitesse de son orthodoxie finit par détacher de lui la plupart des adeptes anglais qui se groupèrent, en 1878, autour du chef de l'Eglise positiviste de Newton Hall, Frédéric Harrison, qui accordait la prépondérance à la morale sur le culte. Aussi Harrison sera-t-il tenu par Laffitte et les positivistes français pour le véritable chef du positivisme anglais. Tous deux ont d'ailleurs donné un grand développement au culte, célébrent des sacrements, multiplient les commémorations et les pélerinages. Le groupe anglais a manifesté également une grande activité politique et publié des proclamations en un sens nettement libéral, humanitaire et pacifique, à l'occasion des grèves, de la question d'Irlande, de la guerre franco-allemande, de l'Égypte, du Transvaal, etc. En Suède, le groupe positiviste fondé à Stockholm par le Dr Nystrom (1875) a reconnu expressément l'autorité de Laffitte. Cependant, il s'est beaucoup, moins préoccupé du culte que de l'enseignement et de la propagande sociale et politique. L' «institut ouvrier» qu'il fonda a Stockholm en 1881 est devenu une véritable université populaire qui réunit plusieurs centaines d'auditeurs par semaine. D'autres villes, Norköping, Malmö, ont suivi le même exemple. En politique, Nystrom a suscité à l'Église suédoise de sérieux embarras en réclamant, avec énergie, la séparation de l'Église et de l'État. En Amérique du Sud, le positivisme a prospéré sous sa forme strictement orthodoxe et religieuse. C'est en 1874 que la Société positiviste de Rio de Janeiro fut fondée par Benjamin Constant (Botello de Magalhaes, 1838-91), celui-là même qui devait être le principal instigateur de, la Révolution de 1889. Ministre de l'instruction publique à la suite de cette révolution, il rédigea un plan de réorganisation positiviste de l'enseignement que la mort seule l'empêcha de réaliser. A sa mort, le congrès national brésilien, pénétré des doctrines positivistes, proclama solennellement l'immortalité de Benjamin Constant. De son côté, un autre disciple de Laffitte, Miguel Lemos, fondait l' «Apostolat positiviste» et organisait le culte de l'humanité suivant les règles de la plus pure orthodoxie, à tel point que les positivistes brésiliens ont fini par répudier l'autorité spirituelle de Laffitte qu'ils ,jugent trop peu fidèle à l'inspiration d'A. Comte. C'est ainsi que Lemos a pris à la lettre le culte de la Vierge mère. Un temple de l'Humanité a été inauguré à Rio de Janeiro le 15 août 1891. Enfin, l'influence dit positivisme se traduit dans la politique du Brésil qui a emprunté à A. Comte sa devise officielle : Ordre et progrès. Il a également existé des groupes positivistes plus ou moins actifs au Chili, à New York, à Budapest et jusqu'à Calcutta. Ecoles indépendantes. - Tandis que la religion de l'humanité survivait à son fondateur dans un petit nombre de groupes plus ou moins fidèles, quelques penseurs jetaient résolument par-dessus, bord tout le système religieux et social d'A. Comte pour n'en conserver que le fondement solide et durable. Ainsi se constitua un positivisme laïque - dissident, disent les orthodoxes - dont il est presque aussi difficile de préciser que de nier l'importance. Si, en effet, la philosophie d'A. Comte est l'une des principales sources, qui ont, alimenté les grands courants de la pensée de la fin du XIXe siècle, un très petit nombre de continuateurs sont restés fidèles aux doctrines essentielles du Cours de philosophie positive lui-même. Les deux plus éminents de ces disciples de première lignée, Littré et J.-Stuart Mill, n'ont pas pris à leur compte toute la doctrine du maître. Littré rejette la «théorie cérébrale» et ne voit dans la loi des trois états qu'une abstraction dégagée de l'expérience et nullement une formule rationnelle et nécessaire de l'évolution. Stuart Mill restaure contre A. Comte la psychologie et la logique. En revanche, l'influence diffuse d'A. Comte sur la génération des penseurs de la seconde moitié du XIXe siècle dépasse tout ce que l'on pouvait attendre d'un écrivain à peine connu de son vivant. Méfiance à l'égard de toute métaphysique, culte de l'expérience, croyance à l'efficacité morale de la science, hiérarchie des sciences, notions de progrès et d'évolution, subordination naturelle de l'individu à la société, théorie des milieux, établissement de la morale sur la solidarité humaine, reconnaissance de la grandeur sociale du catholicisme et du Moyen âge, enfin création d'une science nouvelle, la sociologie, telles, sont les grandes idées qu'A. Comte a mises ou remises en circulation. C'est ainsi que se rattachent à lui, souvent sans le savoir et par l'intermédiaire de Stuart Mill ou de Littré : des philosophes proprement dits, tels que : Taine, Ribot, de Roberty, en France; Spencer, Bain, Lewes; en Angleterre : Dühring, Laas, Riehl, J. Lange, en Allemagne; Ardigo, Siciliani, L. Ferri, Angiulli, en Italie; des physiologistes, tels que : Claude Bernard, Maudsley, Huxley, Haeckel; des philologues, tels que Renan ; des criminologistes, tels que : Lombroso, Garofalo, E. Ferri; enfin les sciences vraiment modernes, anthropologie, science des religions et sociologie. En un mot, le positivisme laïque n'est pas une école, mais il pénètre toutes les écoles. Il n'est nulle part et il est partout. (Th. Ruyssen). |
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